18ième Dimanche après la Pentecôte

 

 

Saint Paul, dans l’Épître de ce dimanche, nous révèle un peu son âme, une arme ardente. Il dit qu’il est dans «  l’action de grâce » à cause des chrétiens de Corinthe auxquels il écrit cette présente lettre. « Gratias ago Deo meo semper pro vobis ». « Je rends grâce à mon Dieu toujours pour vous ».

 

A) Saint Paul et l’action de grâce.

 

Voilà son âme. Il est dans l’action de grâce. Il vit dans l’action de grâce. Sa vie est une perpétuelle  -semper- action de grâce. C’est à noter. Et Dieu sait pourtant si Saint Paul eut à souffrir dans sa vie. Il le dit un  jour dans une lettre qu’il écrivait encore aux chrétiens de Corinthe. C’est dans sa deuxième lettre aux Corinthiens. Vous vous souvenez. Là, dans cette lettre (2 Cor 11,26 et ss), face à ses détracteurs, il fait sa propre apologie. Il énumère, alors,  toutes ses tribulations. « Sont-ils ministres du Christ? Ah ! Je vais parler en homme qui extravague : je le suis plus qu’eux : je le suis plus par les travaux, bien plus par les coups, infiniment plus par les emprisonnements; souvent  j’ai vu de près la mort; cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un; trois fois j’ai été battu de verges; une fois j’ai été lapidé; trois fois j’ai fait naufrage; j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme. Dans mes voyages sans nombre, j’ai été en danger sur les fleuves, en danger des brigands, en danger de la part de ceux de ma nation, en danger de la part des Gentils, en danger dans les villes, en danger dans les déserts, en danger sur la mer, en danger parmi les faux frères. Labeurs, peines, veilles nombreuses, faim, soif, jeûnes multipliés, froid, nudité, j’ai tout souffert… »

 

Et malgré tout cela, il est toujours dans l’action de grâce. « Gratias ago Deo meo semper ». C’est une des caractéristiques de l’âme de saint Paul qu’il nous faut imiter : Vivre dans l’action de grâce. Rendre grâce à Dieu, à notre Dieu –semper- toujours. Quoi qu’il arrive dans notre vie, Dieu est toujours –Lui- le même. Il ne change pas dans ses affections, dans son être. Il est toujours le Tout-Puissant. Omniprésent. Omniscient. Il est toujours le même : hier, aujourd’hui, demain. En Dieu c’est la stabilité. Il est immuable, toujours le même, toujours digne de notre amour, de notre action de grâce. C’est pourquoi, à l’imitation de Dieu, je dois, à son égard, nourrir toujours les mêmes sentiments. Si vivre dans l’action de grâce est un devoir de justice, si c’est un dû, si c’est mon devoir de vivre dans l’action de grâce, je dois rester dans ces dispositions –semper- Chaque matin, me lever dans l’action de grâce. Chaque matin , être dans l’action de grâce. Chaque soir, être dans l’action de grâce. J’ai bien vendu mon bois, je suis dans l’action de grâce. J’ai mal vendu mon bois, je suis toujours dans l’action de grâce. Etc

 

L’action de grâce est une disposition fondamentale de l’âme chrétienne. C’était celle de Saint Paul. C’était celle de notre Seigneur Jésus-Christ. C’est dans l’action de grâce, en effet, qu’il offrit son sacrifice, qu’Il institua son Eucharistie nous laissant sa présence réelle. Souvenez-vous du récit de l’institution de l’Eucharistie. « Qui pridie quam pateretur, accepit panem in sanctas ac venerabiles manus suas et elevatis oculis in Coelum ad te Deum Patrem suum, Omnipotentem, tibi gratias agens,benedixit, fregit,deditque discipulis suis dicens. Accipite et manducate ex hoc omnes. Hoc est enim corpus meum.

 

Et de même pour la consécration du vin en son sang. «  Item tibi gratias agens, benedixit…. »

 

Le saint homme Job, lui aussi, fut toujours dans l’action de grâce, pour tout, dans toutes ses situations. Il bénit Dieu en toutes circonstances. Après avoir perdu tous ses biens jusqu’à ses enfants, il s’écria tout de même : «  Nu je suis sorti du sein de ma mère et nu j’y retournerai. Yahweh a donné. Yahweh a ôté. Que le nom de Yahweh soit béni » (Job 1, 20)

 

Retenons bien cela : cette disposition de notre cœur. Être dans l’action de grâce. Toujours. Semper. Qu’elles que soient les circonstances. Dans le mépris comme dans l’oubli. Dans l’indifférence comme dans l’estime. Tout cela ne doit être que petite vaguelette qui n’émeut pas le font de notre âme, qui n’ébranle pas le fond de la mer qu’est notre cœur. Une stabilité dans l’action de grâce, dans la bénédiction de Dieu comme dans l’épreuve.

 

Ah ! Comme de telles personnes sont agréables en société. C’est toujours le calme, la sérénité. Des solutions, il y en a toujours, Mais que Dieu soit loué, béni, adoré. Que notre âme soit toujours dans l’action de grâce, dans la paix.

C’est un exercice à faire. Il faut aimer à discipliner son âme, ses émotions, ses humeurs. Être toujours égal. C’est un exercice à mener à chaque occasion. On est joyeux…On est plus facilement dans l’action de grâce. On est triste…Alors on égaie son âme dans l’action de grâce, on dirige son âme vers Dieu. EtcEtc

 

B)   Raison de l’action de grâce dans l’âme de Saint Paul.

 

Et pourquoi Saint Paul reste-t-il toujours dans l’action de grâce. Il  nous le dit : «  Je rends grâce à Dieu toujours à votre sujet  - pro vobis - pour la grâce divine qui vous a été donnée dans le Christ-Jésus – pro vobis in gratia Dei quae data est vobis in Christo Jesu – que (quod) vous avez été comblés de toutes les richesses… -ita ut – de telle sorte qu’ils ne vous manquent rien –ita ut nihil vobis desit – qu’ils ne vous manquent aucune grâce – in ulla gratia- de sorte que vous pouvez être dans l’attente de la réalisation de Notre Seigneur Jésus-Christ…. De la manifestation de Notre Seigneur Jésus-Christ, de son retour en gloire … et que lui-même vous gardera ferme jusqu’au bout… usque in fine sine crimine ».

 

Ainsi Saint Paul rend grâce à Dieu de la richesse spirituelle des Chrétiens. Richesse spirituelle qui est pur don, pure grâce, non point selon nos mérites mais selon la pure gratuité de Dieu, par pure libéralité, par pure générosité de Dieu.

 

Je résumerais  volontiers la pensée de Saint Pau. Les grâces, les dons reçus, les bienfaits de Dieu doivent être occasion d’action de grâces pour notre cœur. Par nous-même nous ne sommes rien. Bien au contraire, nous sommes, bien plutôt, faibles, inconstants, fragiles, pêcheurs…Ce que nous sommes, nous le devons à Dieu. Nous le recevons de Dieu. Tout nous est donné. C’est la scène de l’Évangile de ce dimanche. Pêcheurs, nous le sommes, par nous-même. Mais cependant riches, nous le sommes par don. N’oublions jamais cela. Le Ciel nous est donné. La vie nous est donnée. La nature nous est donnée. La lumière nous est donnée. Les couleurs nous sont données. Les saisons nous sont données. Les yeux nous sont donnés. La vue nous est donnée. La famille, institution divine, nous est donnée. Et tout cela et bien d’autres choses encore, plus personnelles à chacun, tout cela doit être occasion de rendre grâce à Dieu.

 

Voyez! Saint Bernard, lui-même, y insiste dans son petit traité de l’Amour de Dieu dont j’aimerais que vous connaissiez au moins les 7 premiers chapitres par cœur.

 

Voyez, vous dis-je, Saint bernard. Il veut que nous rendions grâce à Dieu pour la nature spirituelle que nous avons reçue et qui nous distingue de la bête, de l’animal. Il veut que nous nous réjouissions de ce que nous sommes : être intelligent et libre. C’est, là, notre dignité. Il veut que nous soyons joyeux de cette dignité. Que nous le reconnaissions. Que nous reconnaissions notre richesse. Que nous le sachions.

 

Ah! Si nos contemporains pouvaient être plus conscients de cette dignité…dont on parle sans cesse … ils ne vivraient pas comme ils vivent…Ils ne se laisseraient pas aller à l’esclavage du temps présent…esclavage de la mode, esclavage de la T .V. , esclavage de l’alcool, esclavage de la drogue et de ces réunions dont j’ignore le nom – anglais, bien sur- ou l’on «  s’éclate », peut-être, mais ou, bien souvent, on perd la mesure et la dignité. Et celle-là oubliée, c’est l’agir animal qui prend le dessus. Ou donc alors est notre dignité. Et m’est avis que toute une politique, sous prétexte de liberté, sur tous les continents, soutenue par qui, je vous le laisse deviner… a pour but de « carnaliser » l’homme, de l’abêtir… de le ravaler au niveau de la bête.

 

Mais, toutefois, s’il est bon de connaître notre dignité, s’il est bon de respecter cette dignité…il ne faut pas pour autant  en tirer vanité, comme si cela venait de nous et  de nos propres forces. Il ne faudrait pas se réjouir  de notre qualité, de notre dignité spirituelle, de notre intelligence et de notre liberté comme si tout cela était nôtre et dépendait de nous. Il faut savoir reconnaître qui nous sommes, mais rapporter cette dignité à son auteur. Ne pas se glorifier en nous-même, comme si cela était de nous et oublier le bienfaiteur qui est Dieu. Cela serait vanité, orgueil prétention. Et alors nous pourrions tomber bien plus bas que celui qui ignore qui il est, ou qui agit  jusqu à ignorer sa dignité de créature spirituelle. Car, dans le premier cas, nous nous ravalons à la bassesse de l’animal. Mais, dans le deuxième cas, nous tombons dans l’orgueil démoniaque, ne sachant reconnaître ou refusant de reconnaître le bienfaiteur, allant même jusqu’à agir contre la pensée du bienfaiteur. C’est bien la preuve que Saint Bernard, comme tout bon théologien, distingue la dignité ontologique de l’être humain de la dignité morale et que nul ne s’est trompé autant que les pères conciliaires, dans leur texte sur la liberté religieuse, ne faisant  pas cette distinction essentielle. La lecture de Saint Bernard les aurait gardé, à tout coup, de cette erreur gravissime.

 

Ce texte de Saint Bernard me paraît tellement majeur pour éclairer ce problème de la dignité humaine, tellement centrale dans la pensée moderne – C’est elle qui fonde toute la pensée conciliaire sur la liberté religieuse, sur la liberté de conscience - que je ne résiste pas à la joie de vous  faire connaître ce texte bernardien dans son intégralité.

 

Lisez! 

 

« La dignité humaine se manifeste d’une part sous forme de prérogative naturelle, d’autre part en tant que pouvoir de dominer, puisque on voit la crainte de l’homme s’imposer à toutes les créatures terrestres. La science  également est double, dès lors qu’elle nous fait connaître que la dignité, comme tous nos autres biens, est en nous mais ne provient pas  de nous. Quant à la vertu, nous distinguons aussi ses deux faces, selon que nous cherchons Dieu avec assiduité ou que, l’ayant trouvé, nous lui vouons un attachement indéfectible. La dignité ne sert donc a rien sans la science, et celle-ci, sans la vertu va jusqu’à devenir néfaste. Le raisonnement suivant va nous le démontrer.

Quelle gloire y-a-t-il à posséder un bien sans savoir qu’on le possède? Et savoir qu’on le possède en ignorant qu’on ne le tient pas de soi peut être un sujet de gloire, mais non pas devant Dieu. Car l’Apôtre dit à quiconque se glorifie lui-même : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu? » (1Cor 4,7). Il ne dit pas simplement : pourquoi t’en glorifier, mais il ajoute : comme si tu ne l’avais pas reçu. Ce qui revient à déclarer répréhensible non pas celui qui se targue de ce qu’il a, mais celui qui s’en targue comme si cela venait de lui-même. C’est à juste titre qu’on appelle vaine gloire un sentiment aussi dénué de tout fondement solide. Saint Paul définit donc la vraie gloire en disant encore : Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur, (1Cor, 1,31), c’est-à-dire dans la vérité. Car le Seigneur est vérité.

Il faut donc que vous sachiez et ce que vous êtes et que vous ne l’êtes pas par vous-même; sinon, vous risqueriez ou de ne pas vous glorifier du tout, ou de vous glorifier vainement. Il est écrit, en effet : Si tu ne te connais pas toi-même, va et suis les troupeaux de tes semblables (Cant,1 6-7) Et c’est bien ce qui arrive. L’homme élevé à la dignité, mais qui ne sait comprendre l’honneur qui lui est fait, mérite par son ignorance d’être assimilé aux bêtes, qui partagent avec lui sa présente condition d’être mortel et corruptible. En se méconnaissant elle-même, cette créature merveilleusement dotée de raison s’agrège aux troupeaux des animaux privés de raison; et parce qu’elle ignore sa propre grandeur, qui est tout au dedans d’elle-même, elle se modèle sur le monde sensible qui l’entoure et cède aux séductions de sa propre curiosité. Ainsi se confond-elle parmi les autres créatures, pour n’avoir pas compris qu’elle a reçu plus qu’elles toutes. Il faut donc bien se garder de cette ignorance qui nous donne de nous-mêmes une opinion trop au-dessous de ce que nous sommes; mais on doit se méfier tout autant, et même davantage, de cette autre erreur qui nous inspire une trop haute idée de nous-mêmes, et à laquelle nous succombons, par exemple, lorsque nous nous attribuons à tort le bien qui peut être en nous. Plus encore que ces deux sortes d’ignorance, il convient de fuir et d’exécrer la présomption qui nous enhardirait à tirer gloire, en connaissance de cause, des biens qui ne sont pas nôtres; sachant pertinemment qu’ils ne nous appartiennent pas, gardons nous de nous arroger l’honneur qui en revient à autrui. La première ignorance est sans gloire; la seconde nous vaut quelque honneur mais pas devant Dieu. Quant à ce troisième mal, celui que l’on commet sciemment, c’est une usurpation au détriment de Dieu. Cette arrogance est bien plus grave et plus pernicieuse que la seconde ignorance, puisqu’elle conduit à mépriser Dieu, tandis que l’autre erreur ne consistait qu’à le méconnaître. Elle est aussi plus perverse et plus damnable que la première ignorance, cars celle-ci nous ravalait seulement au rang des bêtes, tandis que celle-là nous introduit dans la société des démons. User des biens reçus comme s’ils étaient inhérents à notre nature, et accepter des bienfaits en s’arrogeant un mérite qui appartient au bienfaiteur, c’est l’orgueil, le plus grand des péchés.

 

Tout ceci démontre qu’à la dignité et a la science, l’homme doit adjoindre la vertu qui est le fruit de l’une et de l’autre; elle l’incitera à rechercher et à posséder durablement celui à qui revient le mérite de tous biens, puisqu’il est l’unique auteur et le dispensateur. Autrement, sachant ou est le bien et ne le mettant pas en pratique, l’homme sera rudement châtié. Et pourquoi? L’Écriture le dit : Parce qu’il n’a pas voulu comprendre afin  de bien agir, mais a préféré se livrer sur sa couche à des pensées impies (Ps 35,4-5). Sachant pertinemment par le don de science, que les biens qu’il a ne viennent pas de lui, il a tenté, tel un serviteur infidèle, d’en détourner la gloire à son profit, et même de l’arracher à son bon maître et seigneur. Il est donc évident que sans la science la dignité est inutile, et que sans la vertu la science est damnable. Mais l’homme de vertu, à qui la science n’est pas néfaste ni la dignité infructueuse, en appelle à Dieu et lui dit dans la simplicité de son cœur :Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton propre nom donne toute la gloire (Ps113,9). C’est-à-dire : Nous ne revendiquons Seigneur, rien de notre science, rien de notre dignité; nous attribuons tout à ton nom, de qui tout provient ».

 

Ainsi tirons de notre dignité notre fierté, notre joie, notre allégresse car rien n’est plus beau ni plus digne que la liberté. Et cette liberté est le fruit de notre intelligence et de notre volonté. Mais sachons en rendre grâce à Dieu, car cela vient de Lui. Et utilisons cette dignité en toute docilité à sa loi et ses commandements. C’est pour cela que nous l’avons reçue.

 

Et s’il en est ainsi, c’est-à-dire si nous devons rendre grâce à Dieu pour ce bien qu’est notre  dignité, à combien plus forte raison devons nous rendre grâce à Dieu de notre baptême, de la grâce sanctifiante reçue qui nous fait enfants de Dieu, héritiers du Père, cohéritiers du Christ, héritiers du Ciel, « Nostra conversatio in Coelis est ». C’est un pur don. Une véritable richesse. Le baptême est ainsi le fondement de notre espérance. «  Expectantibus revelationem Domini nostri Jesu Christi ». Ou! quelle richesse. Que Dieu en soit remercié toujours, semper.