La position
du journal « Présent », article paru dans le numéro du 15 juin 1988.
Nous
voici donc arrivés à la veille d'un événement éclatant, mais non point
inattendu, qui aura des conséquences profondes entre Mgr Lefebvre et le Saint-Siège,
la solution est cette fois réellement imminente, la bonne solution ou la
mauvaise, dans l'accord qui va se conclure ou dans la crise majeure qui risque
de s'ouvrir. Au milieu d'une tempête médiatique de révélations indues, de
fausses nouvelles, de provocations diverses, déchaînées depuis des mois, nous
avons observé la discrétion entière qu'il était naturel et honnête de garder.
Le
moment est venu pour nous de parler.
I. - Mais d'abord, qui sommes-nous ?
En
commençant je veux rappeler d’où nous parlons ici.
PRÉSENT
n'est ni « l'organe du Front national », ni « le journal de Mgr Lefebvre », ni
« une feuille intégriste », ni « raciste », ni « fasciste ». Ces qualifications
et étiquettes, les seules que nous donnent Le
Monde et les télévisions, sont toutes fausses. Et les télévisions comme Le Monde s'abstiennent toujours de
mentionner ce que nous disons de nous-même, et que voici.
Premièrement,
cela devrait aller sans dire, nous ne sommes le journal de personne d'autre. PRÉSENT ne dépend, moralement et
matériellement, que de sa direction, de ses convictions, de ses lecteurs. Il ne
dépend même pas, à la différence de la quasi-totalité de ses confrères, de la
publicité commerciale et des intérêts financiers qu'elle sert.
Mais
cela ne constitue encore qu'une définition négative.
Notre
définition positive, notre qualification exacte, notre juste étiquette et notre
drapeau, énoncés en termes techniques, c'est que PRÉSENT est un journal
formellement catholique et matériellement politique.
Cela
veut dire que notre inspiration est catholique ; et que, sous cette
inspiration, la matière traitée dans nos colonnes et le combat que nous y
menons sont politiques.
Comme
le font la plupart des quotidiens politiques, nous donnons cependant aussi -
subsidiairement - des informations et des commentaires religieux ; nous
avons une page hebdomadaire qui répond à la première de nos trois devises :
Dieu premier servi. Mais bien entendu
pour nous c'est Dieu premier servi en
politique, c'est la politique qui, pour notre journal, est le devoir d'état
quotidien.
En
conséquence, nous avons sous un rapport (politique) et nous n'avons pas sous un
autre rapport (religieux) à prendre position.
Nous
n'avons pas ici, dans ce journal politique, à prononcer un jugement sur la
situation religieuse de Mgr Lefebvre dans l'Eglise catholique.
En
revanche nous avons à prendre position, et je le fais aujourd'hui, en qualité
de directeur politique du journal, sur les implications et conséquences
politiques de l'enseignement et de l'action de Mgr Lefebvre par rapport au bien
commun temporel de la nation française en péril, de l'Europe rêvée en
pointillé, de la chrétienté espérée dans la prière.
III. - L'hypothèse schismatique
Toutefois une observation en quelque sorte préalable s'impose à l'esprit. C'est une observation plus générale que la seule politique ; elle concerne l'hypothèse la plus dramatique, dont on nous menace en permanence depuis des mois : celle où Mgr Lefebvre et la Fraternité sacerdotale qu'il a fondée seraient officiellement déclarés schismatiques.
Dans
cette hypothèse on se souviendra que Paul VI était passionnément enclin à
excommunier Mgr Lefebvre : nous en avons le témoignage de Jean Guitton, aussi
précis que catégorique, dans ses deux livres. Il rapporte aussi pourquoi Paul
VI ne le fit point. Guitton lui avait fait remarquer qu'il devrait alors ouvrir
les bras à Mgr Lefebvre comme son oecuménisme le faisait aux autres
excommuniés. Pour ne point avoir à lui ouvrir œcuméniquement les bras, Paul VI
s'abstint de l'excommunier. Il s'était heurté à cette contradiction interne qui
ruine l’œcuménisme conciliaire. Cette contradiction deviendrait trop manifeste
si Mgr Lefebvre, une fois déclaré schismatique, n'était pas reçu au Vatican
avec autant d'honneur et de sollicitude que les autres schismatiques ; si les
cathédrales de France ne lui étaient pas soudainement ouvertes comme elles le
sont à des protestants, à des francs-maçons ; et s'il n'était pas invité aux
glossolalies charismatiques d'Assise et autres lieux avec autant de considération
fraternelle que les sorciers animistes, les pontifes vaudous, les brahmanes
gyrovagues, les muftis turco-arabes et les grands rabbins.
IV. - Le scandale politique
Nous
parlons politique. La politique ostensiblement gauchie des hommes d'Eglise
depuis plus de vingt ans a été une cause directe de scandale pour toute la
partie du peuple chrétien, instruite ou non, qui avait du moins conservé bon
sens et juste esprit critique.
Beaucoup
de fidèles se sont retirés des églises sur la pointe des pieds, sans rien dire,
et ont cessé toute pratique religieuse (50 % environ, la moitié des pratiquants
d'il y a trente ans) parce qu'ils n'avaient plus confiance en des prêtres amis
affichés des socialo-communistes et prêcheurs excités d'activités peu évangéliques.
J'en ai connu - tout le monde en connaît -qui sur la rumeur
qu'allait passer dans leur région un évêque extraordinaire, un évêque comme on
n'en fait plus en Occident, un évêque
ouvertement anticommuniste, sont allés le voir et l'entendre, par curiosité
sympathique, et en sont sortis (re)convertis, plus fervents et plus pratiquants
qu'ils ne l'avaient jamais été.
Ainsi,
pour ceux que révolte tout un clergé s'affichant comme plus ou moins complice
du socialo-communisme, Mgr Lefebvre lève
Fobstacle politique à la confiance dans le catholicisme. C'est là un point
qui concerne la religion ; mais qui concerne aussi la politique.
S'il
existe en France un autre évêque qui soit d'un anticommunisme aussi
chrétiennement militant, qu'il se fasse ou qu'on nous le fasse connaître ; s'il
existe un autre évêque qui enseigne comme le proclame Soljénitsyne et comme
l'explique l'encyclique Divini
Redemptoris que le communisme est intrinsèquement pervers, qu'il est bien
pire et beaucoup plus dangereux que tout le reste, bien pire et beaucoup plus
dangereux, en particulier, que le nazisme lui-même et que le racisme, alors
qu'on nous le dise. Depuis vingt ans et davantage, parmi les évêques nous
n'avons vu que Mgr Lefebvre pour parler et pour agir de cette manière : celle d'un
defensor civitatis, d'un défenseur du
bien commun politique de la patrie. Nous lui en sommes ardemment
reconnaissants, et d'autant plus qu'il est le seul. Nous admirons la fermeté de
son caractère, la pertinence de son jugement, la sûreté de sa doctrine. Nous
vénérons sa personne : en toute conviction comme en toute liberté,
inconditionnels de Dieu seul. Nous lui portons depuis longtemps une affection
filiale que nous n'avons jamais cachée et que nous n'avons aucune raison de
cacher davantage dans l'avenir.
Journal
politique, PRÉSENT fait au concile Vatican II un reproche politique. Ce concile
a déclaré vouloir porter une vive attention aux grands problèmes de notre temps, bon, très bien, cela le regarde,
c'est son affaire. Mais ce faisant, il a trouvé le moyen de passer complètement
sous silence le plus énorme, le plus redoutable, le plus pressant de tous les
problèmes contemporains : la marche incessante, et par les pires moyens, du
communisme soviétique à une hégémonie politico-religieuse étendue au
monde entier. Cette spectaculaire omission nous concerne, elle est notre
affaire, nous avons droit à la parole là-dessus, nous en demandons compte
à ceux qui l'ont machinée et à ceux qui la continuent. Le communisme est
présent partout, dans toutes les nations, dans tous les conflits, mais il est
absent des enseignements conciliaires. Cette absence a été la grande honte du
concile, Mgr Lefebvre a été le seul évêque français qui l'ait dit, nous sommes
d'accord avec lui.
L'abstention
conciliaire a encouragé le désarmement intellectuel, moral et politique des
catholiques en face du communisme. Nous protestons contre ce désarmement
unilatéral. Nous désapprouvons la politique vaticane à l'égard de Moscou. Oui,
nous sommes pleinement d'accord avec Mgr Lefebvre qui condamne cette politique.
VI. -
L'ouverture à gauche
Jean XXIII et le concile ont inaugure une « pastorale » qui sans doute n'était pas uniquement politique, mais qui comportait et qui comporte une politique : la pastorale d' « ouverture au monde » a entraîné partout une politique d'ouverture à gauche ; jamais d'ouverture à droite. Et cette ouverture à gauche a souvent été, dans le monde entier, une ouverture au communisme ; en France, elle est allée jusqu'à faire entrer, dans les directions nationales de mouvements d'Action catholique, des communistes déclarés (pour ne point parler des sous-marins). Nous contestons cette politique. Nous la réprouvons. Nous la combattons. Nous avons le droit de le faire. Le faisant, nous sommes d'accord avec Mgr Lefebvre. Nous voudrions bien être d'accord aussi avec d'autres évêques français : nous n'en connaissons pas qui veuillent ou qui osent s'opposer à cette politique suicidaire ; à cette forme politique de l'autodestruction.
VII. -
L'entente politique
Dans
l'ordre politique il existe, il a toujours existé un véritable oecuménisme :
véritable parce que fondé sur la vérité naturelle.
La
pratique séculaire de l'Eglise, devenue surtout depuis Léon XIII explicite «
doctrine sociale », recommande l'entente et la coopération politiques avec tous
ceux, fussent-ils incroyants, qui reconnaissent le Décalogue et ses
implications comme fondement du droit naturel et s'efforcent d'y conformer
leurs pensées et leurs actes.
La politique de saint Pie X dans sa lettre sur le Sillon, la politique de Pie XI dans son encyclique sur le communisme et dans ses autres encycliques sociales, la politique de Pie XII dans ses vingt années d'enseignement quasi quotidien, voilà ce à quoi l'ouverture à gauche de l'Eglise conciliaire a, tantôt sournoisement et tantôt ostensiblement, tourné le dos. Au contraire nous y restons fidèles : nous sommes politiquement d'accord avec Mgr Lefebvre - et d'avance avec tout autre évêque qui professerait, expliquerait, pratiquerait la même morale politique chrétienne et catholique.
Dans la
pire hypothèse, celle où Mgr Lefebvre serait officiellement déclaré «
schismatique », cela n'entamerait en rien notre entente cordiale et notre
collaboration politique avec lui, et nous en aurions bien le droit, au moins
autant qu'avec les protestants, les juifs, les incroyants qui admettent les
vérités naturelles de la doctrine sociale de l'Eglise. Une telle entente, une
telle collaboration politiques ne doivent rien, elles, aux laxismes de
l'oecuménisme conciliaire : elles sont enseignées par la pratique et la
doctrine catholiques de toujours en matière de service du bien commun temporel
de la cité politique. Nous continuerons donc.
VIII. - Deux ou trois mots plus personnels
Amis
lecteurs, ce que je vous écris aujourd'hui, je ne le répéterai pas (ou le moins
possible), me contentant de m'appliquer à le mettre en pratique dans le
commentaire quotidien de la chose politique qui est la fonction de notre
journal.
Ce
journal en effet n'est pas une revue savante de philosophie, pas même de
philosophie politique ; il ne peut supporter trop fréquemment de longs discours
théoriques, pourtant nécessaires parfois : mais alors une bonne fois pour
toutes, ou du moins, pour longtemps.
Si donc
demain, après l'événement désormais imminent, vous voulez savoir ce que nous
pensons et quelle est la position de PRÉSENT, eh bien venez relire cette page
qui aujourd'hui vous aura peut-être paru prématurée : demain vous apercevrez,
je suppose, en quoi et pourquoi elle est ad
rem.
(Aux quelques lecteurs que le latin indispose
parce qu'ils ne l'entendent pas, je ferai remarquer que sauf erreur ou
négligence je n'emploie ici sans les traduire que les expressions latines qui
figurent dans les pages roses du Petit Larousse.)
Sur les
questions proprement religieuses soulevées par la situation actuelle ou future
de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X dans l'Eglise catholique, la revue
ITINÉRAIRES prendra position dès son prochain numéro qui paraîtra, comme
annoncé dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR du 15 mai, au mois d'octobre. (Pour
le recevoir il est nécessaire mais il suffit de s'abonner avant le 15 août :
595 francs pour un an, 4 rue Garancière à Paris VI.)
Dans
l'accord qui peut se conclure ou la crise qui risque d'éclater entre Mgr Lefebvre
et le Saint-Siège, il se trouve que nous n'avons - et en
particulier que « je » n'ai - aucune part de responsabilité.
Contrairement à ce que l'on raconte ou imagine ici ou là, je ne suis pas au
nombre de ceux à qui Mgr Lefebvre a ouvert le dossier et demandé un avis. Je ne
suis pas davantage au nombre de ceux qui sont allés lui donner un avis qu'il ne
leur demandait point. Ma responsabilité est ici, au journal. Elle est d'autre
part à ITINÉRAIRES. Je n'ai aucune autre responsabilité publique. Aux deux qui
sont les miennes, Dieu aidant je crois ne me dérober nullement.
11 juin 1988
Jean Madiran.