Pour simple information
Mgr Simon :
«Ce pays refuse la liberté religieuse aux minorités»
Archevêque de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme),
Mgr Hippolyte Simon est vice-président de la Commission des
épiscopats catholiques de la Communauté européenne.
Propos recueillis par Élie Maréchal
[16
décembre 2004]
LE FIGARO. – Dans une lettre récemment adressée à
Jacques Chirac, Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence
des évêques de France, se montre réservé sur
l'adhésion de la
Turquie à l'Union. Pourquoi ?
Mgr Hippolyte SIMON. – Mgr Ricard ne se prononce pas sur
l'adhésion de la
Turquie. Il est d'ailleurs trop tôt pour le faire. Il
soulève une question qui lui paraît constituer un préalable
à l'ouverture des négociations d'adhésion. Il s'agit du
respect des droits fondamentaux, notamment la liberté religieuse des
minorités, par l'État turc.
La conférence épiscopale française n'est pas la seule
à se montrer attentive à cette situation. Nous en avons
parlé aussi entre évêques européens. Nous attirons
l'attention des chefs d'État sur ce respect, qui nous paraît
essentiel. Nous avons l'impression que personne ne s'en préoccupe. Il en
va pourtant des libertés fondamentales dans une démocratie. Les
Français, très attentifs à toutes les discriminations, le
paraissent beaucoup moins à l'égard des minorités
religieuses, chrétiennes en particulier...
Dans son rapport du 6 octobre dernier, la Commission européenne consacre plusieurs
pages aux manquements à la liberté religieuse en Turquie. Mais, ensuite,
la recommandation du commissaire en charge de l'élargissement n'en parle
pratiquement plus ! C'est à cause de ce silence que Mgr Ricard a
écrit au président Chirac. Ce n'est pas une revendication
«corporatiste», si je puis dire. La liberté religieuse est
l'affaire de tous et les responsables politiques ne peuvent la négliger.
Un non de l'Europe à la
Turquie serait-il préjudiciable à l'Union, en
la faisant passer pour un «club chrétien» ?
Cette expression est un slogan qui ne veut pas dire grand-chose sur le plan
politique qui nous intéresse ici. Et – slogan pour slogan –
Karl Marx a écrit, dans un article de jeunesse : «C'est quand
il est non confessionnel que l'État est chrétien.» Il a
ici raison : si l'Europe est chrétienne en ce sens, elle n'est pas
confessionnelle. Et, de facto, aucune des institutions de l'Union n'est
confessionnelle. La question posée n'est donc pas de savoir si, dans
leur majorité, les citoyens turcs sont musulmans. Elle est de voir
comment l'État turc traite juridiquement les minorités.
Si la Turquie
refuse la liberté à ses minorités, c'est bien le signe
qu'il faut s'interroger sur sa compréhension de la laïcité.
À ce sujet, il faudra sortir d'une équivoque. En effet, une
lettre du ministère des Affaires étrangères de Turquie
à la
Secrétairerie d'État du Vatican, datée
du 20 octobre 2002, stipule : «Aucune communauté religieuse, y
compris la communauté musulmane, n'a le droit d'ouvrir une école
ou des cours ayant pour but d'enseigner la religion. Aucune exception n'est
tolérée dans ce domaine. L'enseignement du Coran est
assuré sous la surveillance du ministère de l'Éducation
nationale par la présidence des Affaires religieuses qui est
elle-même un établissement étatique.» Autrement
dit, la laïcité signifie en ce cas l'exact contraire de la
séparation. Il paraît donc légitime d'alerter les
responsables politiques. L'opinion publique a aussi le droit d'en être
informée.
Les droits des diverses Églises et confessions religieuses vous
paraissent-ils respectés par le projet de Constitution européenne
?
Oui, vu la charte des droits fondamentaux qui est annexée au
traité, et compte tenu de l'article 52 de cette Constitution.
Mais alors pourquoi avoir peur de la Turquie ?
Ce n'est pas de la peur que de demander à la Turquie de conformer sa
législation à celle de l'Union. Notre intervention porte sur un
plan qui recoupe les critères dits «de Copenhague». Sur le
fond, il est souhaitable, pour tout le monde, et d'abord pour les
minorités actuelles, que la
Turquie connaisse une démocratie aussi proche que
possible de celle que nous pratiquons. Que ce soit dans l'Union ou dans un
cadre intermédiaire. Pour l'heure, on en est encore loin.
La Turquie
est membre du Conseil de l'Europe depuis le début. Elle a donc
signé la Convention
européenne des droits de l'homme, mais depuis plus de cinquante ans,
elle n'honore pas ce qu'elle a signé. Qu'elle applique donc ce qu'elle
s'est engagée à réaliser devant le Conseil de l'Europe, avant
de demander à entrer dans l'Union. Sinon comment faire confiance ?
Pourquoi la Turquie
a-t-elle peur de la liberté religieuse telle qu'elle est établie
en Europe ? C'est à son gouvernement de répondre