Le Monde
– dimanche/lundi 27/28 novembre 2005
Pourquoi ne vous reconnaissez-vous pas dans le
compte rendu qu’a fait Le Monde de vos propos parus dans le journal
israélien Haaretz, lequel les a comparés à ceux d’« un militant du
Front national » ?
Le personnage que désigne cet article m’inspire
du mépris, et même du dégoût. Je ne suis pas ce frontiste excité nostalgique de
l’épopée coloniale. J’essaie seulement de déchirer le rideau des discours
convenus sur les événement actuels. Lui, c’est lui, et
moi c’est moi. A ma grand stupeur, depuis mercredi
nous portons le même nom.
Ce qui m’inquiète, c’est la désafiliation
nationale. Je dis donc effectivement que lorsque certains jeunes émeutiers évoquent
entre eux « les Français », nous sommes perdus. J’ajoute que
certains juifs aussi succombent à cette tentation. Je leur réponds : « Si
votre présence ici ne relève que de l’utilité, soyez honnêtes avec
vous-même : vous avez Israël. » Moi, quand j’entends « les
Français », je suis indigné. La phrase incriminée doit être remise
dans cette perspective. Si, pour ce jeunes des cités,
Vous êtes enfant d’immigrés. Ne pouvez-vous
imaginer que dire « les Français » relève d’un rapport plus
complexe que l’utilitarisme ? Du souci de préserver une identité sans
remettre en question la volonté d’insertion ?
Oui, mon père aussi, venu de Pologne, disait
« les Français ». Il en avait le droit. Mais j’ai toujours pensé que
cette façon d’être n’était pas transmissible. Moi, je refuse cette posture. Or ces
jeunes sont comme moi, nés en France. Je leur demande la même cohérence.
Que contestez-vous dans les propos qui vous ont
été attribués ?
Il y a des choses que je ne reprends en aucune
façon à mon compte, c’est l’idée que les Lumières apportaient la civilisation à
des « sauvages ». Ce mot ne fait pas partie de mon
vocabulaire. L’intention des Lumières est équivoque. Cette équivoque doit nous
garder de tout alignement du colonialisme sur une entreprise purement
criminelle. Intégrer des hommes dans la catholicité des Lumières est autre
chose qu’une volonté d’extermination. Cela peut avoir, ici ou là, des effets
positifs. C’est tout ce que je voulais dire.
Comme Occidental confronté à l’ère du vide, je
n’ai aucun esprit de supériorité. Mais je suis inquiet devant la montée des
nouvelles revendications de mémoires. On demande, quelquefois pour soigner les
blessures identitaires, un nouvel enseignement de l’esclavage et de la
colonisation. Pour quoi pas ? Sauf que cette demande se formule de plus en
plus comme un « droit à
Prenons deux citations : « Qu’a fait
ce pays aux Africains ? Que du bien », et « l’esclavage
n’était pas une Shoah, pas un crime contre l’humanité »,.
Ne vous situez-vus pas vous-même dans la
« concurrence des victimes » ?
Bien entendu, les traites négrières sont un
crime contre l’humanité. Et oui, il y a une part criminelle dans la
colonisation. Si je devais l’enseigner, je commencerais par Au cœur des
ténèbres, de Joseph Conrad.
Mais elle n’était pas que cela, et il devient
chaque jour plus difficile de le dire. Quant à l’esclavage, on traite de
négationniste quiconque ose rappeler que l’Occident n’en est pas seul
responsable, qu’il y a eu des traites internes à l’Afrique et orientales. Si
l’Occident a une spécificité, par-delà ses crimes, c’est l’abolitionnisme. Pour
ce qui est des Africains auxquels
La cité des émeutes dans les cités est, à nos
yeux, qu’elles ont été le fait non pas de « jeunes » indéterminés,
mais de Noirs et d’Arabes musulmans ?
Face à ce grand saccage,
Le nombre d’arrestation et la hausse de la
popularité du ministre de l’intérieur ne vont pourtant pas dans le sens de
la « compréhension » à l’égard des émeutiers…
Je ne ferai aucune concession au politiquement
correct. Chaque jour, les « Guignols de l’info » font jouer à M.
Sarkozy le rôle de l’ennemi absolu pour qui tous les Arabe sont des voleurs et
les Noirs des racailles. Il clame le contraire, mais c’est ce que les jeunes
des banlieues regardent.
Les policiers, les éducateurs n’ont pas constaté
de revendication religieuse. De même, on trouve des Français « de
souche » parmi les jeunes condamnés. D’ où tenez-vous qu’il s’agir
d’une révolte « ethno-religieuse » ?
D’accord, la religion n’a pas joué comme
religion, mais votre question m’étonne. L’antirarisme
contemporain est abuesque. Il m’est reproché de
parler de l’origine des émeutiers. Or ceux qui m’accusent sont les mêmes à
prôner la lutte contre les discriminations raciales. Si nous n’avions eu
affaire qu’à un problème purement social, il serait traité comme tel. Je
ne nie absolument l’existence du racisme subi par ces jeunes.
La question que je pose s’adresse à notre ultime
utopie, qu’il y a quelques mois encore Le Monde défendait avec panache :
le métissage. On pensait que la réponse au racisme c’est une société
multiraciale. Or une société multiraciale peut être aussi une société multiraciste. Je sais que mon propos est scabreux. Disons
les choses clairement : des Français de souche ont aussi participé aux
émeutes, mais le ros était constitué de jeunes d’origine africaine et
nord-africaine. Toute généralisation est abusive. Le racisme, c’est la
généralisation. Mais, maintenant, l’antiracisme risque de devenir une prophétie
autoréalisatrice.
Il faut compter aujourd’hui avec une haine de
l’Occident dans le monde arabo-musulman qui a des
retombées françaises. Mais, bien sûr, il y a aussi des causes à chercher en
nous-même. Elles résident dans le vide spirituel de nos sociétés. Ces
adolescents ennemis de notre monde en sont aussi la caricature ultime. C’ n’est
pas par hasard qu’ils veulent détruire les écoles. Nous vivions dans une
société où l’utilité et l’immédiateté ont aboli l’humanisme.
De plus en plus de gens considèrent que l’école
est là pour donner du boulot. L’idée que l’enseignement est à lui-même sa propre plus sens. Dès lors, saccager une école qui ne
vous garantit rien devient compréhensible.
La révolte ne serait donc pas due aux difficultés
d’insertion de ces jeunes, mais à leur rejet intrinsèque du « modèle
français » ?
Il n’y a pas de rejet. D’une certaine façon, ils
sont aussi l’avant-garde de ce comportement général de plaignant et d’ayant
droit frustré. L’école, c’est le droit au diplôme : le diplôme, le droit
au travail… Il y a là comme un rapport syndical à la réalité, pur produit d’un
monde sans repère. Dans les cités, ceux qui jouent le jeu républicain se font
traiter très souvent de « bouffons ».
Vous dites à Haaretz que vos propos, vous
ne pourriez les tenir en France. Que peut-on dire à l’étranger qu’il est
impossible de dire ici ?
Il est très difficile en France de résister à un
discours convenu qui réduit les événements actuels aux seules questions d’inégalités
et de discriminations.
Si, comme vous le pensez, « le modèle
républicain s’est effondré dans ses émeutes, mais le modèle multiculturel ne
vas pas mieux », faut-il conclure à l’impossibilité d’intégrer les populations
noires, arabes et musulmanes ?
Cette intégration est notre obligation. Mais la
solution ne réside pas dans la stigmatisation incessante de notre pays. On
n’intégrera jamais des gens qui n’aiment pas
Pour éviter toute incompréhension, la solution
ne serait-elle pas de voir publier en français l’intégralité de l’interview de Haaretz ?
Il faudrait qu’on m’entende avant de me
condamner. Lorsque j’évoque l’équipe de France de football, je rappelle qu’au
match France-Algérie,
Je suis un supporteurs de l’équipe de France. Je
vénère Zidane, le joueur. Mais je n’ai pas été
compris. Je ne pense pas un instant que l’humanité ait jamais été divisée entre civilisés et sauvages. Ce point de l’article,
je le nie complètement. Le reste, avec les précisions que j’ai essayé de
donner, je l’assume.
Propos recueillis par Sylvain Cypel et Sylvie Kauffmann