Les intentions du cardinal Arinze
Dans un discours prononcé par
le cardinal Arinze, préfet de la Congrégation du Culte divin, le 8 octobre 2003, à
l’occasion de la rencontre des Commissions liturgiques nationales et
diocésaines des États-Unis, on peut relever les propositions
« restauratrices » qui suivent, assez nombreuses pour être
significatives[1].
Il ne faut pas s’y
tromper : le contexte est celui d’un discours du responsable de la
liturgie nouvelle parlant comme tel, au cours d’une célébration du quarantième
anniversaire de la constitution conciliaire Sacrosanctum
Concilium à des responsables
institutionnels de la liturgie réformée. On ne saurait donc y chercher des
considérations sur la messe traditionnelle, son rôle, son avenir, la
libéralisation de sa célébration. Mais les propos du cardinal, dans le style
concret qui lui est propre, ont l’intérêt d’indiquer comment la tendance
« restaurationiste » à laquelle il appartient conçoit la célébration
de la liturgie nouvelle : la purger de tous « abus ».
Il s’attaque aux
effets sans remonter aux causes, remarquera-t-on. Le cardinal reste ici en deçà
du thème de la « réforme de la réforme ». On accordera cependant la plus grande attention à ce
qu’il dit à propos de la question décisive de l’orientation de l’autel. Le bat
blesse à l’évidence. Francis Arinze s’inspire sur ce point de L’esprit de la liturgie du
cardinal Ratzinger (livre de référence du nouveau préfet du Culte divin). Dans
la messe face au peuple, explique le cardinal Arinze, il faut en quelque sorte pratiquer
un retournement moral, « de telle sorte qu’à partir de l’offertoire de la
messe, le prêtre et les fidèles soient tournés vers Dieu, et non pas les uns
vers les autres ». On reste physiquement face au peuple, mais on est
intentionnellement face à Dieu. On célèbre matériellement la messe du Concile,
mais dans l’esprit de la messe d’avant le Concile...
Les prélats de
« restauration » longent le Rubicon – la réforme liturgique de
Paul VI – qui garde symboliquement la République conciliaire. Ils en
mesurent la largeur. Ils aimeraient que la frontière fatale s’évanouisse
d’elle-même. A moins de trouver des gués ou de jeter des ponts.
Claude Barthe
« Vatican II n’a pas aboli le latin. Il serait bon
qu’occasionnellement une paroisse chante les parties les plus populaires de la
messe en latin : pensez à ce que cela signifie en termes de préservation
et de respect quant à notre patrimoine, montrant l’Église comme une communauté
qui a une mémoire, et facilitant les célébrations eucharistiques internationales.
[…]
» Il est évident que, tant dans l’adaptation que l’inculturation, un
grand soin est requis pour respecter les mystères du Christ qui sont célébrés
dans la liturgie. En écrivant sur la Sainte Eucharistie, le Pape
Jean-Paul II dit que “le trésor est trop important et précieux pour
risquer l’appauvrissement ou un compromis à travers les types d’expérimentation
ou pratiques introduites sans une révision prudente de la part des autorités
ecclésiastiques compétentes, et parce que la liturgie sacrée manifeste et
célèbre la foi confirmée par tous, étant l’héritage de l’Église entière, elle
ne peut pas être définie par les Églises locales en opposition à l’Église
universelle” (Ecclesia de eucharistia,
n. 51).
[…]
» La vérité est qu’une véritable inculturation n’a rien à voir avec le
produit de l’imagination débridée d’un prêtre enthousiaste qui manigance
quelque chose le samedi soir et l’inflige candidement le dimanche matin à la
communauté, qui est ainsi utilisée comme cobaye.
[…]
Même si nous accordons le bénéfice du doute à l’innovateur hâtif, dont
la motivation est de tenter honnêtement de ramener la liturgie au niveau du
peuple, il n’en demeure pas moins que les résultats sont généralement
désastreux. Des innovations non approuvées distraient et ennuient les gens.
Elles attirent souvent l’attention sur le prêtre plutôt que sur Dieu. […] Des
fidèles se plaignent de ne trouver que rarement deux prêtres qui célèbrent le
sacrifice eucharistique de la même manière. La liturgie romaine n’est pas un
champ expérimental de laisser-aller où chaque officiant choisit à la carte ses
façons de faire favorites.
[…]
» Il est clair que l’inculturation n’exige pas que la liturgie sacrée
soit banale ou triviale. La spontanéité sauvage s’exprime elle-même de
plusieurs façons. Au commencement de la messe, le prêtre peut tomber dans le
trivial en amusant le peuple par des propos sur le temps qu’il fait, en disant
“Bonjour tout le monde” au lieu de “Le Seigneur soit avec vous” ou “La grâce de
Notre-Seigneur…”, qui sont les souhaits liturgiques normaux. Il peut banaliser
par une introduction autobiographique exagérée et faire des farces déplacées
pour réchauffer l’ambiance en vue de la célébration ! Il ne réalise
apparemment pas qu’il attire l’attention sur lui au lieu de l’attirer sur Dieu
et sur l’office liturgique du jour. D’autres distractions et même des
désacralisations peuvent survenir par des danses qui vont contre le bon sens et
sont loin d’élever l’esprit du peuple vers Dieu, par des commentaires bavards
et non nécessaires, une surdose de chants monopolisés par la chorale qui ne
concède aucun moment pour la prière personnelle, l’introduction de vêtements
des plus bizarres et de vases inacceptables pour la Sainte Eucharistie.
[…]
» Notre croyance en la présence réelle de Jésus-Christ dans la Sainte
Eucharistie devrait se manifester dans la manière dont les ministres
transportent le Saint-Sacrement, dans la manière dont ils font la génuflexion
et dans la manière dont ils récitent les prières prescrites.
[…]
» Le chant grégorien a une place privilégiée dans l’histoire du rite
latin. Il faut remarquer que même les jeunes d’aujourd’hui l’apprécient.
[…]
» On devrait particulièrement veiller à ne pas avoir l’air
d’enrégimenter l’assemblée, comme s’il s’agissait d’une armée. Une certaine
latitude devrait être permise, d’autant qu’il est facile de blesser la
sensibilité eucharistique du peuple en décidant, par exemple, quand on doit
s’agenouiller ou se lever.
[…]
» L’architecture de l’église influence aussi la participation active. Si
une église est construite et que les sièges sont aménagés à la manière d’un
amphithéâtre ou comme pour un banquet, on provoquera sans le chercher une
attention horizontale des uns vers les autres au lieu d’une attention verticale
vers Dieu. En ce sens, la célébration de la messe face au peuple demande de la
part du prêtre et des servants de messe un haut degré de discipline, de telle
sorte qu’à partir de l’offertoire de la messe, le prêtre et les fidèles soient
tournés vers Dieu, et non pas les uns vers les autres. Nous venons entendre la
messe premièrement pour adorer Dieu, et non point pour se confirmer les uns,
les autres, sans non plus exclure cet aspect.
[…]
» Certaines personnes pensent que le renouveau liturgique signifie le
rejet des agenouilloirs des bancs d’église, la démolition des tables de
communion ou la mise en place de l’autel au milieu de l’assemblée des fidèles.
L’Église n’a jamais dit de pareilles choses. Ni que restauration liturgique
veuille dire iconoclasme ou enlèvement de toutes les statues et images sacrées.
Celles-ci doivent toutefois être réparties avec goût. Quant à l’autel du Très
Saint-Sacrement, il devrait être remarquable pour sa beauté et la place qui lui
est réservée, à défaut de quoi, dans certaines églises soi-disant rénovées, on
pourra formuler à juste titre cette plainte : “Ils ont caché mon Seigneur,
et je ne sais pas où ils l’ont mis” (Jn 20, 13).
[…]
» Il ne devrait pas y avoir de tentative pour cléricaliser les laïcs.
Ceci peut se produire lorsque, par exemple, des laïcs choisis comme ministres
extraordinaires de la sainte communion ne voient plus cette fonction comme
étant destinée à aider, dans le cas où les ministres ordinaires (évêque, prêtre
et diacre) ne sont pas disponibles en nombre suffisants pour donner la
communion à un grand nombre de communiants. Lorsque les ministres
extraordinaires considèrent leur fonction comme une sorte de pouvoir qui leur
permet d’agir comme le prêtre, le fidèle laïc peut en faire autant, ce qui est
un problème. Comment pouvons-nous expliquer autrement le triste abus de ce
fidèle laïc jouant des coudes à l’autel pour ouvrir lui-même le tabernacle ou
pour accaparer les vases sacrés – tout ceci contre de saines normes liturgiques
et du simple bon sens ?
[…]
» La dévotion et la vénération de la Sainte Eucharistie hors de la messe
ont aussi leur place. Les éducateurs liturgiques ne doivent pas donner
l’impression que l’attention portée à la Sainte Eucharistie se termine avec la
messe. Pendant des siècles, la pratique catholique, dans le rite latin, a
favorisé les visites fréquentes au Très Saint-Sacrement, les saluts du
Saint-Sacrement, les processions et congrès eucharistiques et l’adoration du
Saint-Sacrement durant une “heure sainte”, pour la journée entière ou à
l’occasion des Quarante Heures (cf. DC, n. 3; Ecclesia de eucharistia, n. 25; Catechism of the Catholic Church [CCC], nos. 1378-1379).
[…]
» La forme de l’édifice est très importante. Comme quelqu’un l’a dit, un
gymnase qui ressemble à une église restera toujours un gymnase. Il est utile de
se poser quelques questions : est-ce que cet édifice aide l’esprit du
peuple à s’élever vers Dieu, vers la transcendance ? où
sont donc le clocher, les cloches, la croix ? à
l’intérieur de l’église, le sanctuaire est-il bien séparé du reste de
l’église ? pourquoi les magnifiques balustrades
que l’on y voyait depuis un ou deux siècles ont-elles été enlevées contre les
vœux d’un certain nombre de paroissiens ? […] pourquoi est-il si difficile
de voir où le tabernacle est situé ? où est la
statue ou la peinture représentant notre Sainte Mère ? est-ce
que l’iconoclasme est de retour ? Je suis conscient que la réfection des
bâtiments d’église peut apporter des problèmes. Les évêques et les membres des
comités liturgiques ont la délicate tâche de soupeser tous les aspects du
problème. Mais avant que le marteau ou le rouleau compresseur ne soient mis en
marche pour détruire les objets qui ont favorisé la dévotion populaire du
peuple durant des décennies ou même des siècles, ceux qui prennent cette décision
doivent se demander s’il y a des raisons suffisantes pour frustrer tant de gens
et demander à la paroisse ou au diocèse de payer pour faire ce travail ».
[1]. La revue Una
Voce, dans son numéro de septembre-octobre 2003,
pp. 4-5, a publié un autre intéressant discours prononcé par le cardinal
Arinze, lors du forum annuel de l’enseignement qui s’est tenu les 18 et
19 juillet à Louisville, au Kentucky, et dont quelques thèmes se
retrouvent dans le discours ici évoqué du 8 octobre.