Interview
de Monsieur l’abbé Aulagnier à la Présidente d’Entraide et Tradition ( Valérie Houtart )
Le
18 juin 2003
Chère Madame,
Vous me demandez mon avis sur la récente
lettre des Dominicains d’Avrillé à leurs amis et bienfaiteurs du mois de juin. Je
viens d'en prendre connaissance dans mon lointain Canada. Je vous le donne bien
volontiers et sans détour.
Une partie de la lettre est consacrée à la
dernière encyclique du Sainte Père sur l'Eucharistie: Ecclesia de Eucharistia. Vous savez que je l'ai étudiée d'une
manière approfondie, comme plusieurs de mes confrères qui en ont fait, eux
aussi, une bonne recension, comme M. l'abbé Hery, comme M. l'abbé de Tanoüarn.
Vous nous avez publiés, toutes les trois, sur le site ITEM ; dans le
dossier que vous avez consacré sur cette
encyclique. Vous savez également que Mgr Fellay, dans un journal
italien, a manifesté sa satisfaction de la publication de ce document. ITEM l'a
également publié. Je vous en félicite.
On peut parfaitement relever dans
l’enseignement récent, comme la FSSPX l’a fait bien souvent, des faiblesses et
des erreurs. J’admets tout à fait que l’on dise que nos recensions de
l’encyclique sont « optimistes », comme d’autres pourraient être
« pessimistes ». Mais ce commentaire des Dominicains d'Avrillé est
quant à lui inadmissible du point de vue de la méthode intellectuelle : il
est partial et donc faux. Ce n'est pas très fort pour des personnes qui
prennent comme devise : contemplari
alliis tradere. C'est même choquant. Je vais vous montrer, par un petit
exemple, l'aspect partial et faux de leur présentation.
A la fin de leur quatrième paragraphe, ils
citent le Pape: « Il n'y a pas de doute que la réforme liturgique du
Concile a produit de grands bénéfices de participation plus consciente, plus
active et plus fructueuse des fidèles au saint sacrifice de l'autel ».
C'est une petite partie du numéro 10 de l'encyclique. Si les dominicains citent
ce passage, qui insiste sur les bienfaits de la réforme liturgique, c'est pour
se moquer. Cette réforme liturgique n'a fait que vider les églises. Point
final. Mais si l’on veut critiquer la pensée de Jean-Paul II, il faut
faire l’effort de la présenter complètement et d’essayer de la comprendre. Ils
auraient honnêtement dû poursuivre la citation. Car la pensée du Pape ne
s'arrête pas à ce seul "satisfecit". Bien au contraire. Il veut
insister surtout sur les manquements doctrinaux graves actuels. Et donc on peut
tout à faire dire qu’indirectement c’est la réforme liturgique que le Pape veut
critiquer. En tout cas, il faut dire tout ce que le Pape dit sur la liturgie
actuelle. Et, de fait, le pape poursuit le numéro 10, en écrivant
:"Malheureusement, à côté des ces lumières, les ombres ne manquent
pas". Le pape les énumère: "Il y a en effet des lieux où l'on note un
abandon presque complet du culte de l'adoration eucharistique". Et sur ce
sujet, je me réjouis précisément de la grande procession annoncée à Nantes en
l'honneur du très Saint Sacrement, alors que l'évêque de Nantes n'encourage pas
beaucoup ses paroissiens à honorer, comme le demande ici le pape, la Sainte
Eucharistie.
Le pape poursuit: "A cela s'ajoutent,
dans tel ou tel contexte ecclésial, des abus qui contribuent à obscurcir la foi droite et la doctrine
catholique concernant cet admirable Sacrement". (Il y a quelque temps,
il aurait dit : « des abus qui contribuent à obscurcir la bonne
interprétation de la réforme conciliaire ») Le Pape explicite ces abus :
"Parfois se fait jour une compréhension très réductrice du Mystère
eucharistique". C'est alors que le pape constate la disparition de la
notion de sacrifice, au bénéfice de la notion de repas ou de la simple notion
de festivité : "Privé de sa valeur sacrificielle, il est vécu, ce
sacrement, comme s'il n'allait pas au-delà du sens et de la valeur d'une
rencontre conviviale et fraternelle". Il consacrera de nombreux
paragraphes pour rappeler l'essence de la sainte Messe qui est précisément un
sacrifice, le sacrifice du Christ. Il eut été heureux, comme Mgr Fellay l'a
fait remarquer que le caractère propitiatoire du sacrifice soit mieux
explicité. Mais cet élément essentiel est de fait présent. Il est manifeste,
comme je l'ai expliqué dans mon commentaire, que le Pape a pris en compte les
critiques théologiques que le Cardinal Ottaviani présentait au Pape Paul VI lui
adressant le Bref examen critique,
comme des remarques du livre de la Fraternité présenté au Cardinal Ratzinger et
au Souverain Pontife: Le problème de la
réforme de la messe. En tout cas, sur cette notion de sacrifice, le pape
Jean-Paul II y insiste presque aussi intensément que les réformateurs
insistaient sur la notion de repas, de banquet, dans l'Institutio generalis qui a présidé à la reforme liturgique.
Le pape continue : "de plus, la
nécessité du sacerdoce ministériel, qui s'appuie sur la succession apostolique,
est parfois obscurcie". Voila exprimée, très clairement cette fois, la
deuxième déficience de la réforme liturgique issue de Concile Vativan II. Et là
aussi, le pape va réfuter cette erreur présente dans le Novus Ordo Missae pendant de longs et très beaux développements,
précis, et de belles factures. Tout lecteur sérieux ne peut pas ne pas le voir.
Et enfin le Pape écrit:"le caractère sacramentel de
l'eucharistie est réduit à la seule efficacité de l'annonce." Là, le souverain
pontife va expliciter la troisième vérité de la foi sur la sainte messe qui est
malheureusement exprimée d'une manière, là aussi, équivoque, dans cette
nouvelle messe : la présence réelle de Notre Seigneur .Le pape aura,
alors, l'occasion de parler de la transsubstantiation, de citer le Concile de
Trente, Saint Thomas d'Aquin.
Dès lors, ne citer qu'un bout du numéro
I0, ne prenant en compte qu'une seule idée exprimée, alors que ce numéro 10
contient précisément d'autres idées et même toutes les idées de l'encyclique -
ce numéro 10 étant le plan annoncé de l'encyclique - est, pour moi , une
malhonnêteté intellectuelle. Avec de pareils procédés, la critique venant de la
Tradition cesse d’être crédible.
Leur conclusion est particulièrement
honteuse venant de théologiens censés parler au nom de la Tradition. Ils
disent: "La conclusion de ce bref compte-rendu est que Rome(la Rome
Conciliaire) n'a pas changé depuis 40 ans non seulement quant au fond, mais
aussi quant à la forme. Quant au fond, puisqu'elle continue d'enseigner la
nouvelle théologie, celle de la nouvelle messe". Or, je veux bien que l’on
critique, mais à condition de lire correctement et donc de relever que
l'encyclique dénonce de fait les ambiguïtés de la théologie de la nouvelle messe.
Dire le faux sur un objet aussi important pour les catholiques de la Tradition
que la messe, objet de leur combat depuis si longtemps, c'est gravissime. C'est
tromper les fidèles, les induire en erreur en les informant faussement. C’est
se discréditer vis-à-vis de ceux que l’on critique.
Ils poursuivent leur conclusion:
"Quant à la forme, car elle(La Rome conciliaire) persiste dans l'art de
mêler le vrai et le faux afin de faire évoluer en douceur les mentalités et de
faire passer progressivement du catholicisme à la nouvelle religion". Ici
c’est juger de l’intention. Ainsi, de la partialité à la fausseté
intellectuelle, nous voilà à la suspicion morale. Saint Ignace dit au contraire
au début de ses Exercices spirituels
(n° 22) qu’il faut toujours accorder un a
priori favorable à la « proposition du prochain ». Quant à
Notre-Seigneur il dit qu’il ne faut pas « écraser la mèche qui fume
encore ». A plus forte raison quand la mèche se rallume, il ne faut pas la
piétiner, mais souffler pour qu’elle brûle encore plus. Partialité. Erreur.
Suspicion. Belle famille! Qu'on le sache, je ne suis pas de cette famille là.
Et, je pourrais vous démontrer également, bien facilement, que, dans cette
lettre et cette conclusion, qui repose sur le principe que tout ce qui vient de
Rome est a priori mauvais, sourd la
théorie de"l'Eglise éclipsée", qui est, certainement, une théorie
pire que le sédévacantisme, qui est certainement hérétique n'exprimant pas bien
la vérité sur l'Eglise. Je crois que cette lettre d'Avrillé fait un mal terrible
à la noble cause que nous défendons.