Benoît XVI et l’Islam
(Mise à jour en l’année 2007)
En voici les éléments :
A- -La
vision de Benoît XVI d’un dialogue idéal avec l’Islam
B- Lettre des 138 chefs
musulmans au Souverain Pontife ainsi qu’à d’autres autres responsables
religieux. Lettre en date du 13 octobre 2007.
C- Réponse de Benoît XVI
D- Exégèse de la lettre de
Bertone par le père Samir pour la revue "Mondo e Missione" de l’Institut pontifical pour les
missions étrangères
E- Réponse du prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin
Talal
Au cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone
E- Benoît XVI est prudent et réservé.
NB : Je donne ici la pensée
de Benoît XVI sur les relations avec l’islam, telles qu’il les envisage. On ne trouvera ici qu’
un simple exposé historique : les éléments de ces relations pour une
prochaine appréciation. Toutefois on peut noter déjà que, même sur ce sujet, la
doctrine conciliaire de « Dignitatis humanae » et de
« Gaudium et Spes » reste au
cœur de la pensée de Benoît XVI, comme
elle fut au cœur de la pensée du cardinal Ratzinger. Celle qu’il exposait dans
son livre « les principes de
A-La vision de Benoît XVI d’un dialogue
idéal avec l’Islam
Cette vision est celle qu’il a présentée dans un passage de
son discours à la curie lors de la présentation des vœux de Noël, le 22
décembre 2006 :
"Dans un dialogue à intensifier
avec l'Islam, nous devrons garder à l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande
urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à
partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des
solutions concrètes pour l'Église catholique au terme d'une longue et difficile
recherche.
"Il s'agit de l'attitude que la
communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences qui
s'affirment dans la philosophie des Lumières.
"D'une part, nous devons nous
opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de
la communauté et de l'organisation publique, privant ainsi l'homme de ses
critères spécifiques de mesure.
"D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de
la philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté
de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels
également pour l'authenticité de la religion.
"De même que dans la communauté
chrétienne, il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face à
ces convictions - une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de
façon définitive - ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition
propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet
égard.
"Le contenu du dialogue entre
chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier à se rencontrer
dans cet engagement en vue de trouver les solutions appropriées. Nous
chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux qui, précisément sur la base de
leur conviction religieuse de musulmans, s'engagent contre la violence et pour
l'harmonie entre foi et religion, entre religion et liberté".
Dans ces paroles nous trouvons le formel de la pensée de Benoît XVI dans le dialogue à établir avec l’islam, mais pas nécessairement la vérité que nous enseignait l’Eglise pendant des siècles et qu’elle exprimait dans sa doctrine sur le « droit public de l’Eglise »
Avec
le Père Garrigou Lagrange nous ferions en effet remarquer que « Nous pouvons (…) faire de la
liberté des cultes un argument ad hominem
contre ceux qui, tout en proclamant la liberté des cultes, persécutent l’Eglise
(Etats laïcs et socialisants) ou empêchent son culte directement ou
indirectement (Etats communistes, islamiques, etc.). Cet argument ad hominem est juste et l’Eglise ne le
dédaigne pas, l’utilisant pour défendre efficacement le droit de sa liberté.
Mais il ne s’ensuit pas que la liberté des cultes, considérée en elle-même,
soit soutenable par les catholiques comme une
principe, parce qu’elle est en soi
absurde et impie : en effet la vérité et l’erreur ne peuvent avoir les
mêmes droits » (De revelatione T II p 451)
B- Lettre des 138 chefs musulmans au Souverain Pontife ainsi qu’à d’autres autres responsables religieux. Lettre en date du 13 octobre 2007.
Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
A l’occasion du Eid al-Fitr al-Mubarak
Lettre Ouverte et Appel des Guides Religieuses Musulmans
à:
Sa Sainteté le Pape Benoît XVI,
Sa Toute-Sainteté Barthélemy I, Patriarche de Constantinople, New Rome
Sa Béatitude Theodoros II, Pope et Patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique,
……
Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
Que la paix et les bénédictions soient sur le
Prophète Muhammad
UNE PAROLE COMMUNE ENTRE VOUS ET NOUS
Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
Appelle à suivre
discute avec eux que de la meilleure manière.
C’est ton Seigneur qui connaît le mieux celui qui s’écarte de Sa voie, comme Il
connaît le mieux ceux qui sont bien guidés. (Le Saint Coran, Al-Nahl,
16:125)
(I) L’AMOUR DE DIEU
L’AMOUR DE DIEU EN ISLAM
Les témoignages de foi
Le credo central de l’Islam consiste en deux témoignages de foi ou Shahadahi, qui
affirment : il n’y a de dieu que Dieu, Muhammad est l’envoyé de Dieu. Ces deux
témoignages sont le sine qua non de l’Islam. Celui ou celle qui les prononce est un
musulman ; celui ou celle qui les nie n’est pas musulman. D’autre part, le Prophète
Muhammad (sur lui
La meilleure chose que tous les Prophètes ont
dite
Développant cette meilleure invocation, le
Prophète Muhammad (sur lui
bénedictions divines) a dit aussi: La meilleure
chose que nous avons dite – moi et les
prophètes qui m’ont précédé – est la parole: “il
n’y a de dieu que Dieu, Seul et sans
associé, à Lui le Royaume ainsi que
Le terme Seul rappelle aux musulmans que leurs cœurs (iv) doivent être consacrés à
Dieu Seul, puisque Dieu dit dans le Saint Coran: Dieu
n’a pas doté l’homme de deux
cœurs (Al-Ahzab, 33:4). Dieu est Absolu, et l’adoration qui Lui est consacrée doit donc être totalement sincère.
L’expression Sans associé rappelle aux musulmans qu’ils doivent aimer Dieu uniquement, sans rival en leurs âmes, puisque Dieu dit dans le Saint Coran: Il est des hommes qui prennent en dehors de Dieu des associés qu’ils se mettent à aimer à l’égal de Dieu Lui-même ! Mais ce sont les croyants qui vouent à Dieu le plus grand amour. (Al-Baqarah, 2:165). En effet, leurs peaux et leurs cœurs s’adoucissent à l’évocation de Dieu…. (Al-Zumar, 39:23).
L’expression : A Lui le Royaume rappelle aux musulmans que leurs pensées ou
leurs compréhensions doivent être totalement vouées à
Dieu, car le royaume correspond précisément à tout ce qui se trouve dans
la création ou dans l’existence, et tout ce que la pensée peut connaître. Et
tout est dans
Pour tous ces dons et plus encore, les êtres humains
doivent toujours être sincèrement reconnaissants : C’est Dieu qui a créé les
Cieux et
En effet,
Louange à Dieu, Seigneur des Mondes ! Le Clément,
le Miséricordieux
Le Roi au Jour du Jugement dernier C’est Toi que
nous adorons ! C’est Toi dont nous implorons le secours ! Guide-nous dans la
voie droite, La voie de ceux que Tu as comblés de bienfaits, non la voie de
ceux qui ont mérité Ta colère ni celle des égarés ! (Al-Fatihah,
1:1-7)
atteindre – à travers ce qui commence par la prière et la gratitude – le salut et l’amour, car Dieu dit dans le Saint Coran : Ceux qui auront cru et accompli de bonnes œuvres, le Miséricordieux sera pour eux Plein d’amour. (Maryam, 19:96)
L’expression : Il est Tout-Puissant sur toutes choses rappelle aux musulmans
qu’ils doivent garder à l’esprit
propre initiative, à la perdition ; mais agissez
de la manière la plus
bienfaisante, Dieu aime les gens vertueux. (Al-Baqarah, 2:194-5)…
Craignez donc Dieu et sachez que Dieu est
implacable quand Il sévit. (Al-
Baqarah, 2:196)
A travers la crainte de Dieu, les actions et la force des musulmans devraient être
totalement vouées à Dieu. Dieu dit dans le Saint
Coran : …Et sachez que Dieu est avec ceux qui Le craignent. (Al-Tawbah,
9:36) …. Ô vous qui croyez ! Qu’avez-vous à rester cloués au sol, lorsqu’on
vous dit : « Allez combattre pour
L’expression : A Lui le Royaume et
choses, prise dans son ensemble, rappelle aux
musulmans que, de même que tout dans la création glorifie Dieu, tout en eux
doit adorer Dieu : Tout ce qui est dans les Cieux et sur
Car, en effet, tout ce qui est dans les âmes humaines est connu de Dieu, et Il en
peut demander compte : Il sait ce qu’il y a dans
les Cieux et sur
que renferment les poitrines des hommes. (Al-Taghabun, 64:4)
Comme nous pouvons le voir à partir des passages cités plus haut, les âmes sont
dépeintes dans le Saint Coran comme étant douées de trois facultés principales : la pensée ou l’intelligence, qui est faite pour comprendre la vérité ; la volonté qui est faite pour la liberté de choix ; et le sentiment qui est fait pour aimer le bien et le beaux. En d’autres termes, nous pourrions dire que l’âme humaine connaît, à travers la compréhension, la vérité, à travers la volonté, le bien, et à travers des émotions vertueuses et le sentiment, l’amour pour Dieu. En continuant dans la même sourate du Coran mentionnée précédemment, Dieu ordonne aux gens de Le craindre autant que possible, et d’écouter (et donc de comprendre la vérité), d’obéir (et donc de vouloir le bien), et de dépenser (et donc d’exercer l’amour et la vertu), ce qui, dit-Il, est meilleur pour nos âmes. En engageant tout ce qui constitue nos âmes – les facultés de connaissance, de volonté et d’amour – nous pouvons parvenir à être purifiés, et atteindre la réussite ultime : Craignez donc Dieu autant que vous le pouvez ! Ecoutez, obéissez, dépensez, dans l’intérêt de vos âmes, car ce sont ceux qui se prémunissent contre leur propre avarice qui seront les bienheureux. (Al-Taghabun, 64:16)
En bref, lorsque la phrase entière : Seul et sans
associé, à Lui le Royaume et la
Louange, et Il est puissant sur toutes choses,
est ajoutée au témoignage de foi – il n’y a de dieu que Dieu –, cette
expression rappelle aux musulmans que leurs cœurs, leurs âmes individuelles
ainsi que toutes les facultés et les capacités de leurs âmes (ou simplement leurs
cœurs et leurs âmes en entier) doivent être totalement voués et attachés
à Dieu. Ainsi Dieu dit-Il au Prophète Muhammad (sur lui
Seigneur de toute chose ? Nul ne commet le mal
qu’à son propre
détriment, et nul n’aura à assumer les fautes d’autrui. (Al-An’am, 6:162- 164)
Ces versets résument la parfaite et complète dévotion du Prophète Muhammad
(sur lui
L’amour de Dieu, en Islam, fait donc partie intégrante de l’adoration complète et
totale de Dieu ; il ne consiste pas en une émotion partielle et vague. Comme nous l’avons vu plus haut, Dieu commande dans le Coran : Dis : Ma prière et mes actes de dévotion, ma vie et ma mort sont entièrement voués à Dieu, Seigneur des Mondes, / qui n’a point d’associé. Cet appel à être totalement voué et attaché à Dieu, cœur et âme, loin d’être un appel à une simple émotion ou une humeur, est en fait une injonction qui requiert un amour constant, actif et complet pour Dieu. Il exige un amour auquel le cœur spirituel le plus intérieur ainsi que l’ensemble de l’âme – avec son intelligence, sa volonté et son sentiment – prennent part à travers la dévotion.
Personne n’accomplit chose meilleure
Nous avons vu combien la phrase bénie : Il n’y a
de dieu que Dieu, Seul et sans
associé, à Lui appartiennent le Royaume et
choses – qui est la meilleure chose que les prophètes ont dite – explicite ce qu’il faut
entendre par la meilleure invocation (Il
n’y a de dieu que Dieu), en montrant ce qu’elle exige et entraîne, à
travers la dévotion. Il reste à dire que cette formule bénie est aussi en elle-même
une invocation sacrée – une sorte d’extension du Premier témoignage de foi (Il
n’y a de dieu que Dieu), dont la répétition rituelle peut apporter, à
travers la grâce de Dieu, certaines des attitudes dévotionnelles qu’elle exige,
c’est-à-dire aimer et adorer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute
sa pensée, de toute sa volonté ou sa force, et de tous ses sentiments. Ainsi le
Prophète Muhammad (sur lui
Puissant sur toutes choses », cela équivaut pour
eux à libérer dix esclaves.
Cent bonnes actions sont inscrites pour eux, et
cent mauvaises actions sont effacées. Cette formule ainsi répétée est une
protection contre le diable pour cette journée jusqu’au soir. Personne
n’accomplit chose meilleure que celle-ci, excepté celui qui fait davantage.xiii
En d’autres termes, l’invocation bénie : Il n’y a
de dieu que Dieu, Seul et sans
associé, à Lui appartiennent le Royaume et
choses, n’exige et n’implique pas seulement que les musulmans doivent être totalement voués à Dieu et L’aimer avec tout leur cœur, toute leur âme, et tout ce qui est en eux. Cette invocation leur permet, comme son début (le témoignage de foi) – à travers sa répétition fréquentexiv – de réaliser cet amour avec tout leur être.
Dans l’une des toutes premières révélations dans le
Coran, Dieu dit : Invoque le
Nom de ton Seigneur et consacre-toi à Lui totalement. (Al-Muzzammil, 73:8).
L’AMOUR DE DIEU : PREMIER ET PLUS GRAND
COMMANDEMENT
DANS
Le Shema dans le Livre du Deutéronome (6:4-5), un élément central de l’Ancien
Testament et de la liturgie juive, énonce : Ecoute,
Ô Israël : le Seigneur, notre Dieu,
Seigneur est Un ! / Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton cœur, de toute ton
de toute ta force.xv De même, dans le Nouveau
Testament, lorsque Jésus-Christ, le Messie (sur Paix), est interrogé à
propos du plus grand commandement, il répond:
Les pharisiens ayant appris qu’il avait réduit les
sadducéens au silence, se réunirent, et l’un deux, docteur de
Et ailleurs : Un des scribes, les ayant entendu discuter, s’avança et, voyant que Jésus leur avait bien répondu, lui demanda : « Quel est le premier de tous les
commandements ? » Jésus répondit : « Le premier,
le voici : Ecoute,
Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est
Un. Tu aimeras le Seigneur,
ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de
toute ton intelligence et de
toute ta force. C’est là le premier commandement.
Le second lui est
semblable : tu aimeras ton prochain comme
toi-même. Il n’y a pas de
commandement plus grand que ceux-là. » (Marc 12:28-31)
Le commandement d’aimer Dieu complètement est donc le
premier et
grand commandement de
26:16, 30:2, 30:6, 30:10; Joshua 22:5; Marc 12:32-33 et Luc 10:27-28.
Toutefois, en ces divers endroits de
formes et des versions légèrement différentes. Par exemple, dans Matthieu 22:
aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de
toute ton âme et de toute
intelligence), kardia étant le terme grec pour « cœur », psyche celui pour « âme
terme dianoia pour « intelligence ». Dans
la version de Marc 12:30 (Tu aimeras
Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton
âme, de toute intelligence et de toute force), le mot « force » est ajouté
aux trois termes susmentionnés, traduisant le terme ischus.
L’expression du docteur de
Christ (‘a.) dans Luc 10:28) contient les mêmes quatre termes rapportés par Marc
10
L’expression du scribe dans Marc 12:32 (qui est approuvée par Jésus-Christ (‘a.) dans Marc 12:34) contient les trois termes kardia (« cœur »), dianoia (« intelligence »), et ischus (« force »).
Dans le Shema du Deutéronome 6:4-5 (Ecoute,
Ô Israël : le Seigneur notre Dieu,
le Seigneur est Un ! Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force), en hébreu le
terme signifiant « cœur » est lev, le mot pour « âme est nefesh,
et le mot pour « force » est me’od.
Dans Joshua 22:5, les Israélites reçoivent de Joshua
(sur lui
suivant d’aimer et d’adorer Dieu : « Soyez attentifs à accomplir le commandement et la loi que Moïse, le serviteur du Seigneur, vous a ordonnés : d’aimer le Seigneur notre Dieu, de marcher dans toutes Ses voies, de garder Ses commandements, de tenir fermement à Lui, et de Le servir de tout votre cœur et de toute votre âme. »
(Joshua 22:5)
Ce qu’ont en commun toutes ces versions – malgré les différences de langage
entre l’hébreu de l’Ancien Testament, les mots
originels de Jésus-Christ (sur lui
A la lumière de ce que nous avons vu comme nécessairement impliqué et évoqué
par la parole du Prophète Muhammad (sur lui
meilleure chose que nous avons dite – moi et les
prophètes qui m’ont précédé – est la parole: “il n’y a de dieu que Dieu, Seul
et sans associé, à Lui le Royaume ainsi que
dont tous, néanmoins, soulignent la primauté de l’amour et de l’adoration totale de
Dieu.xvii
(II)
L’AMOUR DU PROCHAIN
L’AMOUR DU PROCHAIN EN ISLAM
On trouve nombre d’injonctions en Islam concernant la nécessité, et l’importance
éminente, de l’amour pour – et de la miséricorde envers – le prochain. Aimer le prochain une partie intégrante et essentielle de la foi en Dieu et de l’amour pour Dieu, parce ne peut y avoir, en Islam, de vraie foi en Dieu ni de droiture sans amour
prochain. Le Prophète Muhammad (ç.) a dit : « Aucun
d’entre vous n’est croyant tant
n’aimerez pas pour votre frère ce que aimez pour vous-mêmes. »xviii Et aussi
Aucun d’entre vous n’est croyant tant que vous
n’aimerez pas pour votre prochain
vous aimez pour vous-mêmes. »xix
Cependant, l’empathie et la sympathie à l’égard du prochain – et même les prières
formelles – ne suffisent pas. Elles doivent s’accompagner de générosité et du sacrifice Dieu dit dans le Saint Coran : La piété ne consiste pas à tourner sa facexx du côté de l’Orient ou de l’Occident ; la piété, c’est croire en Dieu, au Jugement dernier, aux anges, aux Livres et aux prophètes ; la piété, c’est donner de son bien – quelque attachement qu’on lui porte – aux proches, aux orphelins, aux indigents, aux voyageurs et aux mendiants ; la piété, c’est aussi racheter les captifs, accomplir la prière, s’acquitter de l’aumône, demeurer fidèle à ses engagements, se montrer patient dans l’adversité, dans le malheur et face au péril. Telles sont les vertus qui caractérisent les croyants pieux et sincères. (Al-Baqarah 2:177)
Et aussi : Vous n’atteindrez la piété qu’en faisant aumône d’une partie des biens
que vous aimez. Et quelque aumône que vous
fassiez, Dieu en est parfaitement Informé. (Aal ‘Imran, 3:92)
Sans donner au prochain de ce que nous aimons, nous n’aimons pas vraiment
ni le prochain.
L’AMOUR DU PROCHAIN DANS
Nous avons déjà cité les paroles du Messie,
Jésus-Christ (sur lui
concernant l’importance éminente, juste après l’amour de Dieu, de l’amour du prochain C’est le premier et le plus grand commandement. / Et le second lui est
semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux
commandements procèdent toute
40)
Et aussi : Le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il
n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. (Marc 12:31)
Il convient d’ajouter que ce second commandement se trouve également dans
l’Ancien Testament : Tu ne couvera pas de haïne pour ton frère dans ton cœur. Tu blâmeras certainement ton prochain, et tu ne porteras pas de faute à cause de lui. /
Tu ne prendras pas vengeance, ni garderas rancune
envers les enfants de
ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme
toi-même : Je suis le
Seigneur. (Lévitique 19:17-18)
Ainsi le second commandement, comme le premier commandement, exige
générosité et don de soi, et de ces deux
commandements procèdent toute
(III) VENEZ
A UNE PAROLE COMMUNE
ENTRE VOUS ET NOUS
Une parole commune
Alors que l’Islam et le Christianisme sont, de façon évidente, des religions
différentes – et que certaines de leurs différences
formelles ne peuvent être minimisées est clair que les deux plus grands
commandements représentent un terrain d’entente, ainsi qu’un lien entre le
Coran,
Comment pourrait-il en être autrement puisque Jésus
(sur lui
Matthieu 22:40) « De ces deux commandements
procèdent toute
prophètes. ». De plus, Dieu confirme dans le
Saint Coran que le Prophète Muhammad sur lui
Venez à une parole commune !
Dans le Saint Coran, Dieu le Très-Haut indique aux musulmans de lancer l’appel
suivant aux chrétiens (et aux juifs – les gens des Ecritures) : Dis : « Ô gens des Ecritures ! Elevez-vous à une parole commune entre vous et nous, à savoir de n’adorer que Dieu Seul, de ne rien Lui associer et de ne pas nous prendre les uns les autres pour des maîtres en-dehors de Dieu. » S’ils s’y refusent, dites-leur : « Soyez témoins que, en ce qui nous concerne, notre soumission à Dieu est totale et entière. » (Aal ‘Imran 3:64)
Il est clair que l’expression bénie : de ne rien Lui associer se réfère à l’Unité
Dieu, tandis que l’expression : de n’adorer que Dieu Seul se réfère au fait d’être voué
totalement à Dieu. Elles renvoient ainsi au premier
et plus grand Commandement. Selon l’un des plus anciens commentaires
coraniques (tafsir) faisant autorité – le Jami’ Bayan fi
Ta’wil Al-Qur’an d’Abu Ja’far Muhammad bin Jarir Al-Tabari (m.
Dieu dit ailleurs dans le Coran : Nulle contrainte en religion… (Al-Baqarah, 2:256),
qui se réfère indéniablement au second Commandement, c’est-à-dire à l’amour envers prochain, dont la justice,xxii et la liberté religieuse, sont une partie cruciale. Dieu dit dans Coran : Dieu ne vous défend pas d’être bons et équitables envers ceux qui ne vous attaquent pas à cause de votre religion, et qui ne vous expulsent pas de
vos foyers. Dieu aime ceux qui sont équitables. (Al-Mumtahinah, 60:8)
En tant que musulmans, nous invitons ainsi les chrétiens à se souvenir des paroles
de Jésus rapportées par les Evangiles (Marc 12:29-31) : … le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est Un. / Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. C’est là le premier commandement. / Le second lui est semblable: tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
En tant que musulmans, nous disons aux chrétiens que nous ne sommes pas contre
eux et l’Islam n’est pas non plus contre eux – tant qu’ils ne déclarent pas la guerre aux musulmans à cause de leur religion, qu’ils ne les oppriment pas et qu’ils ne les expulsent pas de leurs foyers (conformément au verset du Coran [Al-Mumtahinah, 60:8] précédemment cité). De plus, Dieu dit dans le Saint Coran : Cependant, les détenteurs des Ecritures ne sont pas tous les mêmes, car parmi eux il y a une communauté pieuse dont les membres passent des nuits entières à réciter les versets de Dieu et à se prosterner. / Ils croient en Dieu et au Jour dernier ; ils ordonnent le Bien, réprouvent le Mal et s’empressent d’accomplir de bonnes œuvres. Ceux-là sont au nombre des justes. / Quelque bien qu’ils fassent, il ne leur sera pas dénié, car Dieu connaît bien ceux qui Le craignent. (Aal-‘Imran, 3:113-115)
Le Christianisme est-il nécessairement contre les
musulmans ? Dans les Evangiles, Jésus-Christ (sur lui
Selon L’explication du Nouveau Testament donnée par Saint Theophylactxxiii, ces
affirmations ne sont pas contradictoires, car la première (dans le texte grec actuel du
Nouveau Testament) se réfère aux démons, tandis que les seconde et troisième
affirmations se réfèrent aux gens qui reconnurent Jésus, mais qui n’étaient pas chrétiens.
Les musulmans reconnaissent Jésus-Christ comme le Messie, non pas comme les
chrétiens (mais les chrétiens eux-mêmes ne se sont
jamais tous accordés entre eux sur la nature de Jésus (sur lui
Enfin, en tant que musulmans, et par obéissance au Coran, nous demandons aux
chrétiens de s’accorder avec nous sur ce que nos deux religions ont essentiellement en commun : … à savoir de n’adorer que Dieu Seul, de ne rien Lui associer et de ne pas nous prendre les uns les autres pour des maîtres en-dehors de Dieu. (Aal ‘Imran, 3:64).
Que ce terrain d’entente soit la base de tout dialogue interreligieux entre nous à
l’avenir, car de ce que nous avons en commun procèdent
toute
Dieu entend tout et sait tout. (Al-Baqarah, 2:136-137)
Entre vous et nous
Trouver un terrain d’entente entre musulmans et chrétiens n’est pas une question de dialogue œcuménique poli entre des leaders religieux sélectionnés. Christianisme et l’Islam sont respectivement la plus nombreuse, et la seconde nombreuse, religion dans le monde et l’histoire. On rapporte que chrétiens et musulmans représentent respectivement plus du tiers, et plus du cinquième, de l’humanité. Ensemble, constituent plus de 55% de la population mondiale, ce qui fait de la relation entre communautés religieuses le plus important facteur contribuant à une significative dans le monde. Si les musulmans et les chrétiens ne vivent pas en paix, le monde ne peut être en paix. Avec l’armement terrible du monde moderne musulmans et des chrétiens qui se côtoient étroitement partout comme auparavant, aucune partie ne pourrait remporter unilatéralement un conflit entre plus des habitants de la planète. Ainsi notre avenir commun est-il en jeu. La survie lui-même est-elle peut-être en jeu.
Et à ceux qui, néanmoins, ont du goût pour le conflit
et la destruction dans intérêt, ou calculent qu’ils parviendront finalement à
vaincre par eux, nous sont nos âmes éternelles elles-mêmes qui seront aussi en
jeu si nous ne réussissons sincèrement à déployer tous nos efforts en faveur de
la paix et de l’harmonie commune. Dieu dit dans le Saint Coran : En vérité,
Dieu ordonne l’équité, la charité libéralité envers les proches, et Il
interdit la turpitude, les actes répréhensiblestyrannie. Dieu vous exhorte
ainsi pour vous amener à réfléchir. (Al Nahl, 16:90) (sur lui
Ne faisons donc pas de nos différences une cause de
haine et de querelles. Rivalisons les uns avec les autres dans la piété et les
bonnes œuvres. Respectons nous les uns les autres, soyons bons, justes et
aimables entre nous, et vivons dans la l’harmonie et la bonne volonté réciproque.
Dieu dit dans le Saint Coran : Nous t’avons révélé le Coran, expression de
la pure Vérité, qui est venu confirmer les Ecritures antérieures et les
préserver de toute altération. Juge donc entre eux d’après ce que Dieu
t’a révélé. Ne suis pas leurs passions, loin de
Wal-Salaamu ‘Alaykum,
Pax Vobiscum.
©
The Royal Aal al-Bayt Institute for Islamic Thought, Jordan.
Suivent un
grand nombre de notes
Suivent les Signataires (par ordre alphabétique)
His Royal Eminence Sultan Muhammadu Sa’ad Ababakar
The 20th Sultan of Sokoto;
Leader of the Muslims of Nigeria
H.E. Shaykh Dr. Hussein Hasan
Abakar
Imam of the Muslims, Chad;
President, Higher Council for Islamic Affairs, Chad
H.E. Prof. Dr. Abdul-Salam
Al-Abbadi
President of Aal Al-Bayt
University; Former Minister of Religious Affairs, Jordan
Etc.
C- Réponse
de Benoît XVI
Elle s’est traduite par une courte lettre, au prince de Jordanie, en date du 19 novembre 2007, écrite par le secrétaire d’Etat, le cardinal Bertone, au nom du Souverain Pontife :
Au prince de Jordanie Ghazi
bin Muhammad bin Talal
du cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone
Votre Altesse Royale,
Le 13 octobre 2007, une Lettre ouverte adressée à Sa Sainteté le Pape Benoît
XVI et à d'autres responsables chrétiens a été signée par cent trente-huit chefs
religieux musulmans, parmi lesquels figurent Votre Altesse. Vous avez ensuite
eu l'amabilité de la remettre Vous-même à Mgr Salim Sayegh, Vicaire du
Patriarche latin de Jérusalem en Jordanie, en lui demandant de bien vouloir la
faire parvenir à Sa Sainteté.
Le Pape m'a demandé de transmettre sa gratitude à Votre Altesse, ainsi qu'à
tous ceux qui ont signé cette lettre. En outre, il souhaite Vous faire savoir
qu'il apprécie profondément ce geste, en raison de l'esprit positif qui a
inspiré le texte et de l'exhortation à un engagement commun pour promouvoir la
paix dans le monde.
Sans ignorer ou diminuer nos différences en tant que chrétiens et musulmans,
nous pouvons, et nous devons prêter attention à ce qui nous unit, à savoir la
foi dans le Dieu unique, le créateur providentiel et le juge universel qui, à
la fin des temps, considérera chaque personne selon ses actions. Nous sommes
tous appelés à nous en remettre totalement à lui et à obéir à sa sainte
volonté.
Se référant au contenu de l'Encyclique Deus Caritas
est ("Dieu est amour"), Sa Sainteté a été
particulièrement frappée par l'attention accordée dans la lettre au double
commandement de l'amour envers Dieu et envers les hommes.
Comme Vous le savez, au début de son Pontificat, le Pape Benoît XVI a affirmé:
"Je suis profondément convaincu que nous devons proclamer, sans céder
aux pressions négatives du moment, les valeurs de respect réciproque, de
solidarité et de paix. La vie de tout être humain est sacrée, que ce soit pour
les chrétiens ou pour les musulmans. Nous avons un champ d'action dans lequel
nous nous sentons unis pour le service des valeurs morales fondamentales"
(Discours aux représentants de
diverses communautés musulmanes à Cologne, 20 août 2005). Ce terrain commun nous permet de fonder le
dialogue sur un respect effectif de la dignité de chaque personne humaine, sur
la connaissance objective de la religion de l'autre, sur le partage de
l'expérience religieuse et, enfin, sur notre engagement commun à promouvoir le
respect et l'acceptation réciproques chez les nouvelles générations.
Le Pape estime qu'une fois cet objectif atteint, il sera possible de coopérer
d'une manière productive au sein de la culture et de la société et pour la
promotion de la justice et de la paix dans la société et dans le monde entier.
En encourageant votre louable initiative, je suis heureux de Vous communiquer
que Sa Sainteté recevrait volontiers Votre Altesse, ainsi qu'un groupe
restreint que Vous voudrez bien choisir parmi les signataires de
Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour Vous réaffirmer, Altesse,
l'assurance de ma plus haute considération.
Cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d'État
Du Vatican, le 19 novembre 2007
On peut déduire de l’échange de lettres entre le cardinal
Bertone et le prince de Jordanie que le fossé entre catholiques et musulmans
reste encore très large et très profond, par rapport à ce cheminement indiqué
par Benoît XVI.
D- Exégèse de la lettre de Bertone par le père Samir
pour la revue "Mondo e Missione" de l’Institut pontifical pour
les missions étrangères:
Commentaire de la lettre du cardinal Bertone
par Samir Khalil Samir
A une lettre de presque 30 pages Benoît XVI a répondu par une autre de moins de
400 mots. Manque de courtoisie ? Non, car il s’agit d’une réponse très
profonde.
La lettre commence par exprimer une “estime profonde pour l’esprit positif qui
a inspiré le texte et pour l’exhortation à un engagement commun pour la
promotion de la paix dans le monde”. Et le pape Benoît XVI a souvent invité les
uns et les autres à condamner sans ambiguïté la violence.
Le pape poursuit: “Sans négliger ou minimiser nos différences en tant que
chrétiens et musulmans, nous pouvons et donc nous devrions nous concentrer sur
ce qui nous unit”. Cette vision positive, jamais partiale, est caractéristique
de Benoît XVI. Les différences ne doivent pas cacher ce qui nous unit, et
inversement. C’est une parole de vérité (qawl al-haqq) comme le Coran (sourate
19,34) dit du Christ: “Il est
Le pape énumère trois éléments communs: le fait de croire en un Dieu unique,
créateur prévoyant et (deuxième élément) juge universel qui, à la fin des
temps, jugera chacun en fonction de ses actions. Enfin (troisième élément) le
fait que nous sommes tous appelés à nous consacrer entièrement à lui et à obéir
à sa sainte volonté.
Pour que tout cela ne reste pas au stade des “vœux pieux”, il fait cependant
une proposition – qui est l’élément le plus important de toute la lettre: une
invitation à une rencontre de travail entre d’une part un groupe de signataires
choisis par le promoteur de la lettre et d’autre part un groupe de spécialistes
choisis par le côté chrétien. Le but est de concrétiser la bonne volonté et de
la rendre durable. Le pape recense quatre sujets de discussion.
Premier sujet: “le respect effectif de la dignité de tout être humain”. On ne
trouve pas dans la lettre des 138 une référence explicite à ce propos. La
dignité suppose le respect de la liberté de conscience, l’égalité entre homme
et femme, entre croyant et non-croyant, la distinction entre le pouvoir
religieux et le pouvoir politique. Certains rédacteurs musulmans de la lettre
pensent que “le dialogue éthico-social a déjà lieu chaque jour, par le biais
d’institutions tout à fait séculières. C’est pourquoi de nombreux théologiens
musulmans ne sont pas du tout intéressés par un dialogue purement éthique entre
culture et civilisation”. Pour le pape, en revanche – comme il l’a dit le 22
décembre 2006 dans son discours aux cardinaux de la curie – “il est nécessaire
d’accueillir les vraies conquêtes des Lumières, les droits de l’homme et en
particulier la liberté de la foi et de son exercice, en reconnaissant en ces
droits des éléments essentiels y compris pour l’authenticité de la religion”.
Pour Benoît XVI, “actuellement, le contenu du dialogue entre chrétiens et
musulmans consiste surtout à se rencontrer dans un engagement pour trouver des
solutions justes”. Avec les musulmans, s’engager “contre la violence et pour la
synergie entre foi et raison, entre religion et liberté”. Dans le dialogue,
l’Eglise s’inspire de l’Evangile, mais elle ne l’impose pas comme base afin de
n’exclure personne. La base est “la dignité de tout être humain”, exprimée au
travers des droits de l’homme.
Deuxième sujet: la connaissance objective de la religion de l’autre. En
réalité, les chrétiens n’ont pas une vraie connaissance de l’islam et les
musulmans n’ont pas une vraie connaissance du christianisme. Cela implique de
revoir tous les manuels scolaires mais aussi les discours prononcés dans les
églises et dans les mosquées. C’est un vaste programme, long et essentiel.
Troisième sujet: le partage de l’expérience religieuse. La foi est expérience
de Dieu, et non pas quelque chose d’intellectuel, une idéologie. Dialoguer,
c’est partager l’expérience profonde de l’autre.
Le dernier sujet concerne les plus jeunes. Il convient de faire grandir une
nouvelle génération qui promeuve le respect et l’acceptation de l’autre. Ce
sont les jeunes, en effet, qui risquent de se laisser entraîner par l’idéologie
de la violence. Avec cette réponse de Benoît XVI aux 138, on passe donc des
bons sentiments à un projet de construction de la paix, en partant des jeunes.
E- Réponse
du prince de
Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal
Au cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone
du prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal
Eminence,
Je vous remercie de votre aimable lettre datée du 19 novembre 2007, dont un
exemplaire m’a été remis par le nonce apostolique en Jordanie le 27 novembre
2007. Je ne suis que l’un des 138 signataires initiaux de la lettre ouverte
"Une parole commune entre vous et nous", mais, pour répondre à votre
lettre, j’ai contacté et consulté plusieurs hauts responsables et spécialistes
religieux Musulmans qui ont signé la lettre ouverte ou lui ont ultérieurement
apporté leur soutien. Ils ont gracieusement consenti à ce que je coordonne
cette affaire pour eux. C’est pourquoi je puis maintenant vous répondre, pour
eux et pour moi, de la manière suivante.
Tout d’abord, nous vous remercions de votre réponse, c’est-à-dire votre lettre
et vos suggestions amicales. Nous vous prions également de transmettre nos
remerciements à Sa Sainteté le pape Benoît XVI pour ses encouragements
personnels et pour l’intérêt qu’il a manifesté.
Deuxièmement, nous sommes également très désireux de rencontrer Sa Sainteté à
Rome. En effet nous avons eu connaissance de la récente visite au Vatican de Sa
Majesté le roi Abd Allah bin Abd Al-Aziz d’Arabie Saoudite, Gardien des Deux
Lieux Saints, ce qui nous encourage.
Troisièmement nous acceptons vraiment, en principe, le dialogue que vous avez
proposé ainsi que le concept général et l’organisation. Nous enverrons
toutefois, à la date qui vous conviendra le mieux en février ou mars 2008, si
Dieu le veut, trois représentants pour définir avec Votre Eminence ou ses
représentants les détails d’organisation et les procédures. Si Votre Eminence a
une préférence pour telle ou telle date à l’intérieur de la période indiquée
ci-dessus, nous la prions de nous informer en conséquence.
Quatrièmement, nous recevons la lettre de Votre Eminence comme une réponse à
notre Lettre Ouverte Une Parole Commune. De plus Votre Eminence dit que :
"Sa Sainteté a été particulièrement impressionnée par l’attention qui est
donnée, dans la lettre, au double commandement de l’amour de Dieu et du
prochain" et "que nous pouvons et devons donc prêter attention à ce
qui nous unit, c’est-à-dire la foi en un Dieu unique, le Créateur prévoyant et
le Juge universel qui, à la fin des temps fixera le sort de chaque être humain
en fonction de ce qu’il ou elle aura fait" et cela sans jamais
"négliger ou minimiser nos différences en tant que Chrétiens et
Musulmans". Nous comprenons donc que la dimension intrinsèque de ce
dialogue spécifique Catholiques-Musulmans sera fondée, si Dieu le veut, sur
notre lettre Une Parole Commune – qui est essentiellement, comme vous le savez,
une affirmation du Dieu unique et du double commandement de l’amour de Dieu et
du prochain – même s’il se révèle qu’il y a des différences entre nous quant à
l’interprétation ou la compréhension du texte de cette lettre, chacun
s’appuyant sur sa sensibilité et ses traditions religieuses. Ces différences
elles-mêmes sont probablement aussi un sujet de discussion entre nous et
devraient être une occasion de respect et de célébration réciproques, et non de
disputes qui divisent.
Nous croyons aussi que Sa Sainteté Benoît XVI a proposé de prendre les Dix
Commandements (Exode 20, 2-17 et Deutéronome 5, 6-21) comme base de
dialogue entre Juifs, Chrétiens et Musulmans. Nous n’avons pas d’objection à
prendre, en outre, cette excellente idée comme base de la dimension extrinsèque
de notre dialogue (puisque ces Commandements sont également prescrits plusieurs
fois dans le Coran, sous différentes formes), à l’exception du Commandement de
respecter le jour du Sabbat, que le saint Coran cite comme ayant été institué
par Dieu pour les Anciens Israélites mais que les Musulmans ne sont plus tenus
de respecter en tant que tel. Par "intrinsèque", j’entends ce qui se
réfère à nos âmes et à leur constitution intérieure et, par
"extrinsèque", j’entends ce qui se réfère au monde et donc à la
société.
Nous comprenons donc que c’est sur cette base intellectuelle et spirituelle
commune que nous allons poursuivre, si Dieu le veut, un dialogue portant sur
les trois sujets généraux de discussion que Votre Éminence a sagement
mentionnés dans sa lettre: (1) "Respect effectif de la dignité de tout
être humain"; (2) "Connaissance objective de la religion de
l’autre" par "le partage de l’expérience religieuse" et (3)
"Engagement commun à promouvoir le respect et l’acceptation mutuels auprès
de la jeune génération". Nous pourrions peut-être aussi discuter de la
manière de donner aux résultats de notre dialogue sur ces trois sujets une
application concrète entre Chrétiens et Musulmans, également fondée sur
"Une Parole Commune" et sur les Dix Commandements (à l’exception de
la remarque ci-dessus à propos du Sabbat).
Cinquièmement, notre "vision" du dialogue a été exprimée exactement
par le communiqué publié par quelques uns des délégués musulmans à l’occasion
de la rencontre "Pour un monde sans violence: religions et cultures en
dialogue", (Naples, 21-23 octobre 2007, à la communauté de Sant’Egidio),
qui déclarait:
Par définition le dialogue a lieu entre des personnes dont les points de vue
sont différents, pas entre des gens qui sont du même avis. Dans le dialogue, il
ne s’agit pas d’imposer son avis à son interlocuteur, ni de décider soi-même ce
dont l’autre est capable ou incapable, ni même ce qu’il croit. Le dialogue
commence avec une main ouverte et un cœur ouvert. Il propose mais ne décide pas
tout seul du programme. Il s’agit d’écouter l’autre quand il exprime librement
son point de vue et de s’exprimer soi-même. Le but est de voir où il y a des
points communs afin de s’y rencontrer et, de cette façon, de rendre le monde
meilleur, plus pacifique, plus harmonieux et plus aimant.
Notre "raison" de dialoguer est essentiellement que nous voulons
chercher la bonne volonté et la justice pour pratiquer ce que nous, Musulmans,
appelons rahmah (et qu’il vous plaît d’appeler caritas) afin de chercher par ce
moyen Rahmah auprès de Dieu. Le prophète Mahomet (paix et bénédiction de Dieu
sur lui) a dit: A celui qui ne manifeste pas de miséricorde, il ne sera pas
manifesté de Miséricorde (Sahih Bukhari, Kitab Al-Adab, n° 6063).
Enfin notre "méthode" de dialogue est en accord avec le Commandement
Divin qui figure dans le Saint Coran: Ne discutez avec les gens du Livre que de
la manière la plus courtoise, sauf avec ceux d’entre eux qui font le mal (et
qui vous blessent). Dites: "Nous croyons à la révélation qui est descendue
vers nous et à la révélation qui est descendue vers vous. Votre Dieu et notre
Dieu sont Un et nous Lui sommes soumis" (Al-Ankabut, 29:46).
Nous sommes convaincus, bien sûr, que votre attitude générale envers le
dialogue est semblable à la nôtre, puisque nous avons le plaisir de lire (dans
la première épître aux Corinthiens 13, 1-6) ces paroles de Saint Paul :
"Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la
charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand
j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute
la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les
montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais
tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai
pas la charité, cela ne me sert de rien. La charité est longanime ; la charité
est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se
rengorge pas. Elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne
s’irrite pas, ne tient pas compte du mal. Elle ne se réjouit pas de
l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité".
Je ne mentionne ces derniers éléments qu’en raison de quelques déclarations
récentes provenant du Vatican et de certains de ses conseillers – elles ne
peuvent pas avoir échappé à l’attention de Votre Éminence – à propos du
principe même du dialogue théologique avec les Musulmans. Néanmoins, même si
beaucoup d’entre nous considèrent que ces déclarations ont été remplacées par
votre lettre, nous souhaitons vous redire que, comme vous, nous considérons
qu’un accord théologique complet entre Chrétiens et Musulmans n’est, par
définition, pas possible en soi, mais que nous souhaitons encore chercher et
promouvoir une position commune et une coopération fondée sur nos points d’accord
(comme indiqué ci-dessus) – que nous souhaitions appeler cette sorte de
dialogue "théologique" ou "spirituel" ou toute autre chose
– dans l’intérêt du bien commun et en vue du bien du monde entier, si Dieu le
veut.
Je profite de cette occasion pour vous exprimer mes meilleurs vœux et mon
profond respect et je vous prie de transmettre à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI
nos meilleurs vœux anticipés de très joyeux et paisible Noël.
Ghazi bin Muhammad bin Talal
Amman, Jordanie, le 12 décembre 2007
Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
E- Benoît XVI est prudent
et réservé.
Pourquoi ? Parce que en lisant la lettre des 138 musulmans, qui insiste
tant sur les commandements de l’amour de
Dieu et de son prochain comme "parole commune" au Coran et à
Or il y a une différence abyssale entre le Dieu unique des musulmans et le Dieu
trinitaire des chrétiens, avec le Fils qui s’est fait homme. La vraie
"parole commune", pour le pape, doit être cherchée ailleurs: "en appliquant ces commandements à la
réalité concrète des sociétés pluralistes, ici et maintenant". Elle doit être cherchée dans la protection
des droits de l’homme, de la liberté religieuse, de la parité entre l’homme et
la femme, de la distinction entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique.
La lettre des 138 est évasive ou muette sur tous ces sujets.
Et c’est un choix délibéré dans le monde musulman. L’un des principaux auteurs
de la lettre, le théologien libyen Aref Ali Nayed, professeur à l’université de
Cambridge, s’explique ainsi dans une interview accordée à "Catholic
News Service", l’agence de la conférence des évêques des Etats-Unis:
"Le dialogue éthico-social est utile et l’on en a grand besoin. Mais ce
type de dialogue se produit déjà chaque jour, par le biais d’institutions tout
à fait séculières comme les Nations Unies et ses organismes. Si des communautés
fondées sur la révélation religieuse veulent vraiment apporter leur
contribution à l’humanité, leur dialogue doit être fondé théologiquement et
spirituellement. De nombreux théologiens musulmans ne sont pas du tout
intéressés par un dialogue purement éthique entre culture et
civilisation".
Mais là n’est pas la pensée du pape dans le dialogue avec
l’islam
Le pape l’a expliqué de la manière la plus limpide dans un passage du discours
qu’il a adressé à la curie le 22 décembre 2006 à l’occasion de la présentation
des voeux de Noël 2006 et que j’ai rapporté au début de ce
dossier (A):
"Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons garder à
l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande
urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à
partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des
solutions concrètes pour l'Église catholique au terme d'une longue et difficile
recherche.
"Il s'agit de l'attitude que la communauté des fidèles doit adopter face
aux convictions et aux exigences qui s'affirment dans la philosophie des
Lumières.
"D'une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison
positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation
publique, privant ainsi l'homme de ses critères spécifiques de mesure.
"D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de
la philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté
de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels
également pour l'authenticité de la religion.
"De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue recherche
sur la juste place de la foi face à ces convictions - une recherche qui ne sera
certainement jamais conclue de façon définitive - ainsi, le monde musulman
également, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver
les solutions adaptées à cet égard.
"Le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce
moment en particulier à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les
solutions appropriées. Nous chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux
qui, précisément sur la base de leur conviction religieuse de musulmans,
s'engagent contre la violence et pour l'harmonie entre foi et religion, entre
religion et liberté".
Encore une fois, il n’y a pas la moindre
trace dans la lettre des 138 de cette
proposition adressée par Benoît XVI au monde musulman en décembre 2006. Signe
que la distance entre les visions de l’un et des autres est réellement grande.
La vision de Benoît XVI est la même que celle que d’autres autorités du
Saint-Siège manifestent chaque fois qu’ils abordent ce sujet. Preuve en est, le
message adressé aux musulmans en octobre dernier, à l’occasion de la fin du
Ramadan, par le conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, présidé par
le cardinal Jean-Louis Tauran. Un message qui est lui aussi centré sur "la
liberté de la foi et son exercice" comme devoir de toutes les religions,
conformément au "plan du Créateur".
C’est une vision que Ratzinger défend depuis des années avec une grande
cohérence, d’abord en tant que cardinal puis en tant que pape.
Le discours de
Ratisbonne sur la juste "synergie entre foi et raison" en
est la fondation la plus achevée.