10. Vices opposés à la charité et à ses actes : la haine ; la mauvaise tristesse ou le dégoût spirituel et la paresse ; l’envie ; la discorde ; la contention ; le schisme ; la guerre ; la rixe (le duel) ; la sédition ; le scandale

— Quel est le sentiment qui doit, avant tout, être banni du cœur de l’homme dans ses rapports avec le prochain ?

— C’est le sentiment de la haine (q. 34).

— Qu’est-ce donc que la haine ?

— La haine est le plus grand des vices, opposé directement à l’acte principal de la charité, qui est l’acte d’amour de Dieu et du prochain (q. 34, a. 2-4).

— Est-ce une chose possible que Dieu soit haï par quelqu’une de ses créatures ?

— Oui, il n’est que trop posssible que Dieu soit haï par quelqu’une de ses créatures (q. 34, a. 1).

— Comment expliquez-vous que Dieu, qui est le bien infini et de qui découle tout bien pour ses créatures, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel, puisse être haï par quelqu’une de ses créatures ?

— On l’explique par la dépravation morale de quelques-unes de ces créatures, lesquelles ne considèrent plus Dieu sous sa raison de bien infini ou de source de tout bien, mais sous la raison de législateur qui défend un mal qu’on aime, ou sous la raison de juge qui condamne et punit le mal qu’on a commis, et dont on ne veut pas se repentir ou demander pardon (q. 34, a. 1).

— C’est donc une sorte d’obstination diabolique dans le mal qui fait que des créatures raisonnables ont la haine de Dieu ?

— Oui, c’est une sorte d’obstination diabolique dans le mal qui fait que des créatures raisonnables ont la haine de Dieu.

— La haine de Dieu est-elle le plus grand de tous les péchés ?

— La haine de Dieu est sans comparaison le plus grand de tous les péchés (q. 34, a. 2).

— Peut-il être jamais permis d’avoir de la haine pour quelqu’un parmi les hommes ?

— Non, il ne peut jamais être permis d’avoir de la haine pour quelqu’un parmi les hommes (q. 34, a. 3).

— Mais s’il est des hommes qui font le mal, n’a-t-on pas le droit de les haïr ?

— Non, on n’a jamais le droit de haïr les hommes qui font le mal ; mais on doit détester le mal qu’ils font, précisément en raison de l’amour qu’on doit avoir pour eux (q. 34, a. 3).

— N’a-t-on jamais le droit de leur vouloir du mal ?

— Non, on n’a jamais le droit de leur vouloir du mal pour le mal ; mais en vue du bien véritable qu’on leur veut à eux ou qu’on veut à la société et plus encore à Dieu, on peut vouloir qu’ils éprouvent certains maux destinés à les ramener au bien ou à sauvegarder le bien de la société et la gloire de Dieu (q. 34, a. 3).

— Peut-on jamais souhaiter à un homme qui vit sur la terre, quelque coupable qu’il puisse être, la damnation éternelle ?

— Non, jamais on ne peut souhaiter à un homme qui vit sur la terre, quelque coupable qu’il puisse être, la damnation éternelle ; car, ce serait aller directement contre l’acte de la vertu de charité, qui doit nous  faire vouloir à tous finalement le bonheur de Dieu, à la seule exception des démons et des réprouvés qui sont déjà dans l’enfer.

— Y a-t-il un vice qui s’oppose spécialement au second acte de la charité qui s’appelle la joie ?

— Oui, c’est le vice de la tristesse, portant sur le bien spirituel et surnaturel qui est l’objet propre de la charité que nous savons être Dieu lui-même en lui-même, notre bonheur parfait (q. 35).

— Comment une telle tristesse est-elle possible ?

— Cette tristesse est possible parce que l’homme, en raison de son goût spirituel dépravé, tient le bien divin, objet de la charité, pour chose non bonne et odieuse et attristante.

— Cette tristesse est-elle toujours un péché mortel ?

— Cette tristesse est toujours un péché mortel, quand elle passe de la partie inférieure de notre être ou de la partie sensible jusqu’à la partie rationnelle et supérieure (q. 35, a. 1).

— Pourquoi est-elle alors un péché mortel ?

— Parce qu’elle est directement contraire à la charité qui, nous faisant un devoir d’aimer Dieu par-dessus toute chose, nous fait aussi, et par voie de conséquence, un devoir essentiel de prendre en lui notre repos ou le plaisir foncier et dernier de notre âme (q. 35, a. 3).

— Cette mauvaise tristesse est-elle un péché capital ?

— Oui, cette mauvaise tristesse est un péché capital, parce qu’elle fait que les hommes accomplissent beaucoup de choses mauvaises et commettent de nombreux péchés, soit afin de l’éviter et d’en sortir, soit parce que son poids les fait se jeter en certaines mauvaises actions (q. 35, a. 4).

— Comment s’appelle cette mauvaise tristesse qui est un péché capital ?

— On l’appelle la paresse et le dégoût spirituel.

— Pourriez-vous me dire quelles sont les filles de la paresse ou les péchés qui en découlent ?

— Ce sont : la désespérance ou le désespoir ; la pusillanimité ; la torpeur à l’endroit des préceptes ; la rancœur ; la malice ; la divagation de l’âme vers les choses illicites (q. 35, a. 4, ad 2).

— Cette paresse est-elle le seul vice qui s’oppose à la joie de la charité ?

— Non, il en est encore un autre, qui s’appelle l’envie (q. 36).

— Quelle différence y a-t-il entre ces deux vices, qui s’opposent tous deux à la joie de la charité ?

— Il y a cette différence, entre ces deux vices, que la paresse ou le dégoût spirituel s’oppose à la joie du bien divin selon que ce bien est en Dieu et doit être en nous-mêmes ; tandis que l’envie s’oppose à la joie du bien divin selon que ce bien est celui du prochain (q. 35 et 36).

— Qu’est-ce donc que l’envie ?

— L’envie est la tristesse du bien d’autrui, non parce que ce bien nous cause du mal, mais seulement parce que ce bien est celui d’autrui, non le nôtre (q. 36, a. 1, 2 et 3).

— Cette tristesse de l’envie est-elle un péché ?

— Oui, parce que c’est s’attrister de ce qui doit être une cause de joie, à savoir : le bien du prochain (q. 36, a. 2).

— L’envie est-elle toujours un péché mortel ?

— Oui, l’envie est toujours un péché mortel de sa nature, comme essentiellement contraire à la joie de la charité ; on n’y peut trouver la raison de péché véniel, que s’il s’agit de premiers mouvements imparfaits dans la raison d’actes humains volontaires (q. 36, a. 3).

— L’envie est-elle un péché capital ?

— Oui, l’envie est un péché capital, parce que sa mauvaise tristesse porte l’homme à de nombreux péchés, soit pour l’éviter, soit pour s’y conformer (q. 36, a. 4).

— Quelles sont les filles de l’envie ou les péchés qui en découlent ?

— Ce sont : l’insinuation ; la détraction ; l’exultation dans les adversités du prochain ; l’affliction dans ses prospérités ; la haine (q. 36, a. 4).

— Y a-t-il aussi des vices qui soient opposés à la charité du côté de la paix ?

— Oui, il y a de nombreux vices opposés à la charité du côté de la paix.

— Quels sont ces vices nombreux opposés à la charité du côté de la paix ?

— Ce sont : la discorde, dans le cœur ; la contention, dans les paroles ; et, dans l’action : le schisme ; la rixe ; la sédition ; la guerre (q. 37-42).

— Pourriez-vous me dire en quoi consiste proprement la discorde qui est un péché contre la charité ?

— Elle consiste dans le fait de ne pas vouloir intentionnellement ce que les autres veulent, quand il est avéré que ces autres veulent le bien, c’est-à-dire ce qui est pour l’honneur de Dieu et le bien du prochain, et ne pas le vouloir précisément pour cette raison-là ; ou encore, à verser dans ce désaccord sans mauvaise intention directe, mais par rapport à des choses qui sont de soi essentielles à l’honneur de Dieu et au bien du prochain ; ou, de quelque objet qu’il s’agisse, et quelle que soit la droiture d’intention, à apporter dans ce désaccord une obstination et une pertinacité indues (q. 37, a. 1).

Et qu’est-ce que la contention ?

— La contention est le fait de lutter avec quelque autre en parole (q. 38, a. 1).

— Cette contention est-elle un péché ?

— Oui, si on lutte ainsi avec un autre pour le seul fait de le contredire ; à plus forte raison le serait-elle si on le faisait pour nuire au prochain, ou à la vérité que le prochain défendrait dans ses paroles ; elle le serait même si, en défendant soi-même la vérité, on le faisait sur un ton ou avec des paroles qui seraient de nature à blesser le prochain (q. 38, a. 1).

— Qu’entendez-vous par le schisme ?

— Le schisme est une rupture ou une scission qui fait que de soi-même et intentionnellement on se sépare de l’unité de l’Église, soit en refusant de se soumettre au Souverain Pontife comme au chef de toute l’Église, soit en refusant de communiquer avec les membres de l’Église comme tels (q. 39, a. 1).

— Pourquoi comptez-vous la guerre parmi les péchés oppposés à charité ?

— Parce que la guerre, quand elle est injuste, est un des plus grands maux dont on puisse être responsable à l’égard du prochain.

— Est-ce qu’il peut être jamais permis de faire la guerre ?

— Oui, il peut être permis de faire la guerre, quand on la fait pour une cause juste et sans commettre d’injustice au cours de cette guerre (q. 40, a. 1).

— Qu’entendez-vous par une cause juste ?

— J’entends la dure nécessité de faire respecter, même par la force et la voie des armes, les droits essentiels aux rapports des hommes entre eux, quand ces droits ont été violés par une nation étrangère qui refuse de réparer (q. 40, a. 1).

— C’est donc alors seulement qu’il est permis de faire la guerre ?

— Oui, c’est uniquement alors qu’il est permis de faire la guerre (q. 40, a. 1).

— Ceux qui combattent dans une guerre juste et qui le font sans commettre eux-mêmes d’injustice au cours de cette guerre accomplissent-ils un acte de vertu ?

— Oui, ceux qui combattent au cours d’une guerre juste et n’y commettent eux-mêmes aucune injustice accomplissent un grand acte de vertu, puisqu’ils s’exposent aux plus grands des périls en vue du bien des hommes ou du bien de Dieu qu’ils défendent contre ceux qui les attaquent.

— Qu’entendez-vous par le péché opposé à la paix, que vous appelez la rixe ?

— J’entends, par rixe, une sorte de guerre privée qui se fait entre particuliers, sans aucun mandat de l’autorité publique ; et, à ce titre, elle est toujours, de soi, en celui qui en est l’auteur, une faute grave (q. 41, a. 1).

— Peut-on rattacher à ce vice l’acte spécial qui s’appelle le duel ?

— Oui, avec cette différence que le duel semble procéder plus à froid et moins sous le coup de la passion, circonstance d’ailleurs qui ne fait qu’ajouter à sa gravité.

— Le duel est-il toujours, de soi, essentiellement mauvais ?

— Oui, le duel est toujours, de soi, essentiellement mauvais ; parce qu’on y joue sa vie ou celle du prochain contrairement à la volonté de Dieu qui en est le seul maître.

— Et la sédition, qu’est-elle, parmi les vices qui s’opposent à la charité en raison de la paix ?

— La sédition est un vice qui fait que les parties d’un même peuple conspirent ou se soulèvent en tumulte, les unes contre les autres, ou contre l’autorité légitime chargée de pourvoir au bien de l’ensemble (q. 42, a. 1).

— La sédition est-elle un grand péché ?

— Oui, la sédition est toujours un très grand péché ; parce que n’existant rien de plus grand ou de plus excellent, dans l’ordre humain, que l’ordre public, condition indispensable des autres biens dans cet ordre, il s’ensuit qu’avec le crime de la guerre injuste, et peut-être même, en un sens, plus encore que ce crime, celui de la sédition est le plus grand des crimes contre le bien des hommes (q. 42, a. 2).

— Y a-t-il quelque vice spécial qui s’oppose directement à la charité en raison de son acte extérieur qui est la bienfaisance ?

— Oui, ce vice est celui du scandale (q. 43).

— Qu’est-ce donc que le scandale ?

— Le scandale est le fait de donner à quelqu’un une occasion de chute, en raison de ce que l’on fait ou de ce que l’on dit ; ou le fait de prendre occasion de pécher, à cause de ce qui est dit ou fait par un autre : dans le premier cas, on scandalise ; dans le second, on se scandalise (q. 43, a. 1).

— N’y a-t-il que les âmes faibles à se scandaliser ?

— Oui : il n’y a que les âmes faibles, non encore affermies dans le bien, qui se scandalisent, au sens propre de ce mot ; bien qu’il appartienne à toute âme délicate d’être péniblement affectée, quand elle voit un acte mauvais quelconque se produire (q. 43, a. 5).

— Les justes et les âmes vertueuses sont-elles incapables de scandaliser ?

— Oui, les justes et les âmes vertueuses sont incapables de scandaliser, parce que, d’abord, elles ne font rien de mal qui puisse vraiment scandaliser, et si d’autres se scandalisent de ce qu’elles font, c’est en raison de leur propre malice, elles-mêmes n’agissant que comme elles doivent agir (q. 43, a. 6).

— Peut-il y avoir quelquefois, pour les âmes justes et vertueuses, obligation de laisser certaines choses afin de ne pas scandaliser les faibles ?

— Oui, il peut y avoir quelquefois, pour les âmes justes et vertueuses, obligation de laisser certaines choses afin de ne pas scandaliser les faibles, pourvu qu’il ne s’agisse point de choses nécessaires au salut (q. 43, a. 7).

— Est-on jamais tenu de laisser un bien quelconque pour éviter le scandale des méchants ?

— Non, on n’est jamais tenu de laisser un bien quelconque pour éviter le scandale des méchants (q. 43, a. 7 et 8).