13. Des vertus morales : la prudence : nature ; éléments ; vertus annexes ; espèces : prudence individuelle, familiale, royale, militaire
— Que doit faire l’homme
pour se rendre digne de posséder un jour, dans le ciel, à titre de récompense,
Dieu lui-même, tel que la foi, l’espérance et la charité lui permettent de l’atteindre
même sur cette terre ?
— Il doit, en même temps que vivre sans cesse de ces
grandes vertus et des dons qui leur correspondent, mettre en œuvre aussi toutes
les vertus morales et les dons qui leur correspondent.
— Quelle est la première
de ces vertus morales ?
— C’est la vertu de prudence (q. 47).
— Qu’entendez-vous
par cette vertu ?
— J’entends un principe d’action morale, qui perfectionne
la raison pratique de l’homme, afin que, dans chacune de ses actions, il dispose
et ordonne toutes choses comme il convient, se commandant à lui-même ou commandant
à tous ceux dont l’action est subordonnée à la sienne et en dépend ce qu’il
faut faire à chaque instant pour la réalisation parfaite de chaque vertu (q. 47,
a. 1-9).
— Cette vertu est-elle
d’une grande importance dans la vie morale de l’homme ?
— Cette vertu est d’une importance souveraine dans
la vie morale de l’homme ; car, sans elle, il est impossible qu’il y ait,
dans la vie morale de l’homme, aucun acte vertueux (q. 47, a. 13).
— Cette vertu, quand
elle existe et produit excellemment son acte, suffit-elle pour assurer le côté
vertueux de toute la vie de l’homme ?
— Oui, cette vertu, quand elle existe et qu’elle produit
excellemment son acte, suffit pour assurer le côté vertueux de toute la vie
morale de l’homme (q. 47, a. 14).
— Pourquoi ce privilège
est-il attribué à la prudence ?
— Parce qu’en elle toutes les autres vertus se trouvent
réunies, aucune ne pouvant exister sans elle et elle-même ne pouvant exister
sans le concours de toutes les autres.
— Cette vertu, pour
être parfaite, exige-t-elle de nombreuses conditions préalables en ce qui est
de son acte propre ?
— Oui, cette vertu, pour être parfaite, exige de nombreuses
conditions préalables ou qu’elle implique en ce qui est de son acte propre.
— Quelles sont ces
conditions qu’exige ou qu’implique la vertu de prudence pour la perfection de
son acte propre ?
— Ce sont, d’abord, comme des éléments qui la constituent,
ou sans lesquels elle ne peut pas être ; puis, ou en même temps, d’autres
vertus qui lui sont ordonnées et préparent son acte propre ; et, enfin,
la division d’elle-même selon la nature des sujets à gouverner ou à régir (q. 48
et 51).
— Quels sont ces éléments
qui la constituent elle-même ou sans lesquels elle ne peut pas être ?
— Ce sont : le souvenir des choses passées ;
l’intelligence ou la claire vue des principes de l’action, soit en général,
soit en particulier ; la docilité et la révérence à l’endroit de ce qu’ont
déterminé les plus sages qui ont précédé ; la sagacité, pour trouver elle-même
ce qu’il lui serait impossible, dans un moment subit, de demander à autrui ;
le saint exercice de la raison appliquant, comme il convient, les principes
de l’action aux multiples conditions particulières de l’action elle-même, si
incertaines et si variées ; la prévoyance ou la détermination voulue au
moment de l’action pour chaque acte particulier, quant à la substance de cet
acte ; la circonspection, à l’endroit de tout ce qui entoure cet acte ;
la précaution, contre tout ce qui pourrait y mettre obstacle ou en compromettre
le fruit (q. 49, a. 1-8).
— Quelles sont les
autres vertus qui lui sont ordonnées et préparent son acte propre ?
— Ce sont : la vertu de bon conseil, et les deux
vertus qui assurent le bon jugement : l’une, dans les cas ordinaires de
la vie et en tenant compte des lois établies ; l’autre, dans les cas extraordinaires,
et alors que l’on doit recourir aux clartés supérieures du seul droit naturel
(q. 51, a. 1-4).
— Comment s’appelle
l’acte propre que doit régler la prudence, en l’émettant à la suite de ces actes
du bon conseil et du bon jugement ?
— C’est l’acte même du commandement qui déclenche l’action
(q. 47, a. 8).
— La prudence est
donc, proprement, la vertu du commandement ?
— Oui, la prudence est proprement la vertu du commandement.
— Mais ne semble-t-il
pas, au contraire, qu’elle soit la vertu du conseil, puisqu’on a coutume d’appeler
prudents
les hommes qui s’assurent avant d’agir ?
— On n’appelle ainsi les hommes prudents qu’en raison
du conseil qui précède, en effet, le commandement, mais la vertu propre de prudence
est dans l’acte même de commander avec énergie et décision au moment voulu où
il faut agir (q. 47, a. 8, ad 2).
— Y a-t-il plusieurs
espèces de vertu de prudence ?
— Oui, il y a autant d’espèces de vertu de prudence
qu’il y a d’espèces d’actes de commandement revêtant une difficulté spéciale
dans l’ordre de la vertu.
— Combien y a-t-il
d’espèces de ces sortes de commandement ?
— Il y en a quatre, qui sont : l’acte de se commander
à soi-même, l’acte de commander dans la famille, l’acte de commander dans la
société, et l’acte de commander dans l’armée (q. 50, a. 1-4).
— Comment appelle-t-on
les diverses espèces de vertu de prudence qui correspondent à ces divers actes
de commandement ?
— On les appelle : la prudence individuelle, la
prudence familiale, la prudence royale ; et la prudence militaire (q. 50,
a. 1-4).
— Qu’entendez-vous
par la prudence individuelle ?
— J’entends cette espèce de prudence requise en chaque
individu pour la gestion de sa vie morale en vue de son propre bien individuel.
— Qu’entendez-vous
par la prudence familiale ?
— J’entends cette espèce de prudence nécessaire à tous
les membres de la famille pour que chacun, dans le rôle qui lui convient et
sous la direction du chef de la famille, pourvoie au bien de la famille (q. 50,
a. 3).
— Qu’entendez-vous
par la prudence royale ?
— J’entends cette espèce de prudence nécessaire au
chef de la société parfaite qu’est la cité indépendante ou la nation et le royaume,
pour gouverner comme il convient cette société parfaite (q. 50, a. 1).
— Suffit-il pour le
bien de la cité ou de la nation que cette prudence existe dans la personne de
celui ou de ceux qui gouvernent ?
— Non, il faut encore que se trouve, dans la personne
des gouvernés, une espèce de prudence proportionnée à celle du chef ou du gouvernement
(q. 50, a. 2).
— En quoi consiste
cette prudence des gouvernés ?
— Elle consiste en cela, que chaque membre de la société,
en chacun de ses actes d’ordre social, facilite, par sa correspondance parfaite
aux ordres ou à la direction du chef ou du gouvernement, l’obtention du bien
commun (q. 50, a. 2).
— Est-ce également
à l’obtention du bien commun dans la société, qu’est ordonnée la prudence militaire ?
— Oui ; et cette prudence est de la dernière importance
pour le bien de la société, puisque c’est elle qui doit assurer, par le bon
commandement des chefs et la discipline consentie des subordonnés jusqu’au plus
petit soldat, la défense du pays contre les attaques ou les injustices des ennemis
du dehors (q. 50, a. 4).