15. Des vices opposés à la prudence : l’imprudence ; la précipitation ; l’inconsidération ; l’inconstance ; la négligence ; la fausse prudence ; la prudence de la chair ; l’astuce ; le dol ; la fraude ; la fausse sollicitude
— Y a-t-il des vices
qui soient opposés à la vertu de prudence ?
— Oui, il y a des vices qui lui sont opposés par défaut ;
et d’autres qui lui sont opposés par excès.
— Comment s’appelle
le groupe des vices opposés par défaut à la vertu de prudence ?
— On les appelle du nom général d’imprudence (q. 53).
— Pourriez-vous me
dire ce qu’est l’imprudence considérée en général ?
— On appelle du nom d’imprudence, en général, tout
acte de la raison pratique fait par l’homme en s’écartant des règles qui assurent
la droite raison de la prudence (q. 53, a. 1).
— Est-ce qu’il peut
y avoir péché mortel dans l’acte d’imprudence ?
— Oui ; et cela arrive, quand la raison de l’homme
ordonne son action à l’encontre des règles divines : tel, celui qui, méprisant
et repoussant les avertissements divins, agit avec précipitation (q. 53,
1).
— Et quand est-ce
qu’il n’y aurait que péché véniel ?
— C’est quand l’homme agit en dehors des règles divines,
mais sans qu’il y ait mépris de sa part, et sans compromettre ce qui est de
nécessité de salut (q. 53, a. 1).
— Le péché d’imprudence
se trouve-t-il joint à tout autre péché ?
— Oui, le péché d’imprudence se trouve joint à tout
autre péché ; car aucun péché ne serait, s’il n’y avait quelque acte d’imprudence ;
toutefois, ce péché peut exister aussi en lui-même et distinct des autres péchés
(q. 53, a. 2).
— Quand est-ce que
ce péché d’imprudence existe ainsi en lui-même, distinct des autres péchés ?
— Cela arrive toutes les fois que, sans faire quelque
chose de mal, ou même en faisant une chose bonne en soi, on agit avec précipitation,
ou sans considération, ou d’une manière inconstante, ou avec négligence (q. 53,
a. 2).
— Qu’est-ce que vous
entendez par la précipitation ?
— La précipitation est ce péché contre la prudence,
qui consiste à ne pas s’enquérir avant d’agir, lorsqu’il le faudrait, et comme
il le faudrait (q. 53, a. 3)
— Et l’inconsidération,
qu’est-elle ?
— C’est un péché contre la rectitude du jugement ;
et il consiste à mépriser ou à négliger ce qui assure le jugement droit dans
les choses de l’action (q. 53, a. 4).
— En quoi l’inconstance
est-elle un vice qui s’oppose à la prudence ?
— Parce qu’elle est un défaut dans l’acte même de commander,
qui est l’acte propre de la prudence : en effet, l’inconstant est celui
qui, par manque de commandement ferme, ne réalise pas, dans l’action, ce qui
a été résolu après l’enquête ou le conseil (q. 53, a. 5).
— N’y a-t-il que ce
seul défaut qui puisse affecter l’acte principal de la prudence ?
— Il y en a encore un second, qui lui est opposé du
côté de la sollicitude qu’il implique, et c’est la négligence (q. 54).
— Qu’est-ce donc bien
que la négligence ?
— La négligence est un manque de promptitude ou de
rapidité dans la mise en œuvre immédiate, par voie de précepte ou de commandement,
des résolutions du jugement, préparé par l’enquête ou le conseil, en vue de
l’action qui doit réaliser la fin de la vertu (q. 54, a. 1).
— Est-ce un grand
péché que ce péché de la négligence ?
— Oui ; ce péché peut être dit très grand, en
ce sens qu’il paralyse tout dans le domaine de l’action vertueuse ; car,
ou bien il empêche que cette action ne se produise, ou il fait qu’elle se produit
mollement et de façon qui traîne, de telle sorte qu’elle perd la plus grande
partie de son mérite et de son prix (q. 54, a. 3).
— Comment s’appelle
cette négligence, quand elle s’étend ainsi à l’acte extérieur pour le retarder
ou le ralentir et l’énerver ?
— On l’appelle la paresse et la torpeur (q. 54,
a. 2, ad 1).
— Ces deux autres
vices se distinguent-ils de la négligence proprement dite et considérée en elle-même ?
— Oui ; car le péché de négligence au sens strict
consiste proprement dans l’absence ou le manque de promptitude et de vigueur
dans l’acte du commandement, selon que ce défaut provient d’un relâchement intérieur
de la volonté (q. 54, a. 2).
— Est-il important
de veiller sur ce vice de la négligence et de ne pas s’en laisser envahir ?
— Oui ; cela est d’une importance extrême, parce
que ce péché de négligence est à la source même de l’action et qu’il porte sur
l’acte principal de la raison pratique, de laquelle tout dépend dans la réalisation
de chaque acte de vertu ; d’où il suit qu’il s’étend à tout, dans le domaine
de cette vie, et peut tout infecter de son venin.
— Ce vice peut-il
quelquefois être mortel ?
— Oui ; il l’est toujours quand il est cause de
ce qu’on ne se résout pas à vouloir et à agir dans les choses de préceptes nécessaires
au salut ; mais, alors même qu’il ne l’est pas, il constitue de lui-même,
et si on ne s’applique pas à le surveiller pour le combattre sans relâche, une
maladie de langueur, qui doit conduire fatalement au dépérissement et à la mort
(q. 54, a. 3).
— De quel nom appelle-t-on
les vices qui s’opposent à la prudence par mode d’excès ?
— On les appelle fausse prudence et fausse sollicitude
(q. 55).
— Qu’entendez-vous
par la fausse prudence ?
— J’entends cet ensemble de vices qui dénaturent le
vrai caractère de la prudence, en servant une mauvaise fin, ou en excédant du
côté des moyens (q. 55, a. 1-5).
— Quel est le vice
qui dénature le vrai caractère de la prudence en servant une mauvaise fin ?
— C’est la prudence de la chair (q. 55, a. 1).
— En quoi consiste
cette prudence de la chair ?
— Elle consiste à disposer les choses de la vie humaine
en vue des intérêts de la chair considérée comme fin (q. 55, a. 1).
— Cette prudence de
la chair est-elle un péché mortel ?
— Oui, quand elle prend les intérêts de la chair comme
fin dernière ; si elle ne les prend que comme fin particulière, non actuellement
ordonnée à la vraie fin dernière, qui reste cependant la fin habituelle, il
n’y a qu’un péché véniel (q. 55, a. 2).
— Et les vices qui
excèdent du côté des moyens, quels sont-ils ?
— Ces vices sont l’astuce et ses annexes : le
dol et la fraude (q. 55, a. 3-5).
— Qu’entendez-vous
par l’astuce ?
— J’entends cette fausse prudence qui consiste à user
de moyens faux et trompeurs, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une fin bonne ou d’une
fin mauvaise à laquelle on les ordonne (q. 55, a. 3).
— Et le dol qu’est-il ?
— Le dol est un vice qui consiste à réaliser, par la
parole ou par les actes, les projets intérieurement arrêtés par l’astuce (q. 55,
a. 4).
— Pourriez-vous me
dire quelle différence existe ente le dol et la fraude ?
— Il y a cette différence, entre le dol et la fraude,
qu’étant tous deux ordonnés à l’exécution de l’astuce, le dol est ordonné à
cette exécution, soit par voie de paroles, soit par voie de faits, indistinctement,
tandis que la fraude n’est ordonnée à cette même exécution que par voie d’actes
ou de faits (q. 55, a. 5).
— L’astuce, le dol
et la fraude sont-ils la même chose que le mensonge ?
— Non : car le mensonge se propose le faux comme
fin ; tandis que l’astuce, le dol et la fraude se proposent le faux comme
moyen. S’ils trompent, c’est pour obtenir une certaine fin qu’ils se proposent.
— Que s’ensuit-il
de cette différence ?
— Il s’ensuit que le mensonge est un péché spécial
dans l’ordre des vertus morales, qui ne se trouve en opposition qu’avec la vertu
de vérité ; tandis que l’astuce, le vol et la fraude, peuvent se trouver
dans les divers genres de vices ou de péchés, n’en constituant aucun distinctement
dans l’ordre des vertus morales, mais seulement dans l’ordre de la prudence,
dont le propre est d’être participée dans toutes les autres vertus.
— Qu’entendez-vous
par le péché de fausse sollicitude ?
— J’entends la sollicitude qui fait qu’on met tout
son soin à rechercher les choses temporelles, ou un soin superflu, ou qu’on
redoute d’une manière exagérée de manquer de ces choses (q. 55, a. 6).
— Y a-t-il une sollicitude
des choses temporelles qui peut être bonne ?
— Oui, c’est la sollicitude qui apporte à ces choses
un soin modéré, en les ordonnant à la fin de la charité, et en se confiant à
la divine Providence (q. 55, a. 6).
— Que faut-il penser
de la sollicitude qui regarde l’avenir ?
— Cette sollicitude est toujours mauvaise, quand elle
empiète sur ce qui devra être le propre d’un autre temps (q. 55, a. 7).
— Quand est-ce donc
que la sollicitude qui regarde l’avenir sera bonne ?
— Quand elle se contente de pourvoir aux choses de l’avenir selon qu’elles dépendent de celles qui doivent nous occuper au moment où nous sommes, laissant pour les temps qui viendront après, ce qui devra nous occuper alors (q. 55, a. 7).