24. Péchés par paroles, dans l’ordinaire de la vie : l’injure ; la détraction (médisance et calomnie) ; la zizanie ; la dérision ; la malédiction

— Pourriez-vous me dire quels sont les péchés d’injustice qui se commettent contre le prochain, par paroles, dans l’ordinaire de la vie ?

— Ce sont : l’injure ; la détraction ; la zizanie ; la dérision ; et la malédiction (q. 72-76).

— Qu’est-ce que vous entendez par l’injure ?

— L’injure, ou l’insulte, ou l’outrage, ou même le reproche et le blâme et la réprimande – à prendre ces trois dernières choses dans le sens d’une intervention indue ou injustement blessante –, désignent une intervention outrageuse qui fait qu’on blesse, dans son honneur et dans le respect qu’on lui doit, tel sujet visé, par les gestes que l’on fait ou les paroles que l’on dit (q. 72, a. 1).

— Est-ce là un péché mortel ?

— Oui, quand on fait ces gestes ou que l’on profère ces paroles, de nature à porter gravement atteinte à l’honneur de celui qui en est l’objet, avec l’intention formelle d’attenter, en effet, à cet honneur. La faute ne serait légère que si, en fait, l’honneur du sujet n’était pas sérieusement atteinte ou qu’on n’eût pas, soi-même, l’intention d’y attenter d’une façon grave (q. 72, a. 2).

— Y a-t-il, pour tout homme, un devoir strict, dans l’ordre de la justice, de traiter les autres hommes, quels qu’ils soient, avec la révérence ou le respect qui leur sont dus ?

— Oui, c’est là pour tout homme un devoir strict dans l’ordre de la justice, et qui est d’une importance extrême pour l’harmonie des rapports de société que les hommes doivent avoir entre eux (q. 72, a. 1-3).

— Sur quoi se fonde ce devoir et quelle est son importance ?

— Sur ce que l’honneur est un des biens auxquels les hommes tiennent le plus. Même le plus petit parmi eux, selon que sa condition le comporte, veut et doit être traité avec respect. Lui manquer d’égards, en gestes ou en paroles, est le blesser en ce qu’il a de plus cher (ibid.).

— Il faut donc éviter avec le plus grand soin de ne rien dire ou de ne rien faire, en présence de quelqu’un, qui soit de nature à le contrister ou à l’humilier, ou à lui être pénible de quelque façon que ce soit ?

— Oui, il faut l’éviter avec le plus grand soin (ibid.).

— Est-ce qu’il ne peut jamais être permis d’en agir autrement ?

— Cela ne peut être permis que s’il s’agit d’un supérieur à l’adresse d’un inférieur, à seule fin de corriger cet inférieur, quand vraiment il le mérite, et à la condition de ne jamais le faire sous le coup de la passion, ou d’une manière qui soit outrée ou indiscrète (q. 72, a. 2, ad 2).

— Et à l’égard de ceux qui manquent eux-mêmes de respect, que faut-il faire ?

— A l’égard de ceux qui se rendraient eux-mêmes coupables du péché d’injure contre nous ou contre ceux dont l’honneur peut nous être confié, soit directement, soit indirectement, la charité peut nous demander, ou même la justice, que nous ne laissions pas leur audace impunie. Mais, dans ce cas, il faut garder, dans la répression, toutes les formes que comporte l’ordre du droit et veiller soigneusement à ne se donner soi-même aucun tort (q. 72, a. 3).

— Que faut-il entendre par la détraction ?

— La détraction, prise dans son sens formel ou précis, implique l’intention de porter atteinte, par ses paroles, à la réputation du prochain, ou de lui enlever, en partie ou en tout, l’estime dont il jouit dans la pensée des autres, quand il n’y a aucune raison juste de le faire (q. 73, a. 1).

— Est-ce là un bien grand péché ?

— Oui, puisque c’est enlever injustement au prochain un bien plus précieux que ne l’est le bien des richesses qu’on lui enlève par le vol (q. 73, a. 2, 3).

— De combien de manières se commet ce péché de la détraction ?

— Il se commet directement de quatre manières : ou en imputant au prochain des choses fausses, ou en exagérant ce qu’il peut y avoir en lui de défectueux, ou en manifestant des choses qui étaient ignorées et qui lui sont défavorables, ou en lui prêtant des intentions douteuses, sinon même mauvaises, qui dénaturent ce qu’il fait de meilleur (q. 73, a. 1, ad 3).

— Ne peut-on pas nuire encore au prochain d’autre manière dans le péché de détraction ?

— Oui, d’une manière indirecte, en niant son bien, ou en le taisant malicieusement, ou en le diminuant (q. 73, a. 1, ad 3).

— Qu’entendez-vous par le péché de zizanie ?

— J’entends le péché qui consiste à porter atteinte au bien des amis en se proposant directement, par de louches et perfides paroles, de semer la mésintelligence entre ceux qu’unissent, dans une mutuelle confiance, les liens de l’amitié (q. 74, a. 1).

— Ce péché est-il bien grave ?

— De tous les péchés de parole contre le prochain, celui-là est le plus odieux, le plus grave et le plus digne de réprobation devant Dieu comme devant les hommes (q. 74, a. 2).

— Que faut-il entendre par la dérision ?

— La dérision ou la moquerie injurieuse est un péché de parole contre la justice, qui consiste à railler le prochain, en mettant sous ses yeux des choses mauvaises ou défectueuses qui l’amènent à perdre la confiance qu’il avait en lui-même dans ses rapports avec les autres (q. 75, a. 1).

— Est-ce là un bien grave péché ?

— Oui, très certainement ; car il implique un mépris à l’égard des personnes, qui est bien une des choses les plus détestables et les plus dignes de réprobation (q. 75, a. 2).

— L’ironie à l’égard des autres est-elle toujours la dérision, avec la gravité qu’on vient de dire ?

— L’ironie peut être chose légère, s’il s’agit de légers défauts ou de légers manquements, que l’on raille pour se jouer, sans que la raillerie implique aucun mépris pour les personnes. Il peut même n’y avoir aucun péché, quand la chose se fait par mode de récréation innocente et qu’on ne court aucun risque d’attrister celui qui en est l’objet. Toutefois, c’est là un mode de récréation très délicat et dont il ne faut user qu’avec une extrême prudence (q. 75, a. 1, ad 1).

— L’ironie peut-elle être quelquefois un acte de vertu ?

— Oui, si elle est maniée comme il convient, et par mode de correction, de la part d’un supérieur à l’endroit d’un inférieur, ou encore, d’égal à égal, par mode de charitable correction fraternelle.

— Que demande, en pareil cas, l’usage de l’ironie ?

— Elle demande toujours une très grande discrétion. Car, s’il peut être bon que ceux qui sont portés à avoir trop de confiance en eux-mêmes, soient ramenés à un sentiment plus juste de leur propre valeur, il faut bien se garder d’anéantir cette confiance, en ce qu’elle peut avoir de légitime, sans quoi, on s’exposerait à paralyser tout élan et toute spontanéité, atrophiant ou avilissant même, par la défiance outrée qu’on lui inspire de lui-même, le sujet de l’ironie, qui en devient la victime.

— Dans quels rapports se trouvent, avec le vice appelé la malédiction, les quatre vices de l’injure, de la détraction, de la zizanie, de la dérision ?

— Tous ces vices ont, entre eux, le commun rapport de s’attaquer, par paroles au bien du prochain ; mais, tandis que les autres le font par mode de proposition, ou de mal qu’on énonce, et de bien qu’on dénie, la malédiction le fait par mode de mal qu’on souhaite (q. 76, a. 1, 4).

— Est-ce là chose essentiellement mauvaise ?

— Oui, c’est là chose essentiellement mauvaise, toutes les fois que l’on souhaite à quelqu’un le mal pour le mal ; et, de soi, un tel acte est toujours une faute grave (q. 76, a. 3).