38. La libéralité ; — vices opposés : l’avarice ; la prodigalité

— Quelle est enfin la dernière vertu se rattachant à la justice particulière et destinée à acquitter le dernier aspect de la dette morale qui peut s’attacher aux rapports des hommes entre eux ?

— C’est la vertu de libéralité (q. 117, a. 5).

— Qu’entendez-vous par cette vertu ?

— J’entends une disposition de l’âme qui fait que l’homme n’est attaché aux choses extérieures pouvant servir à l’utilité de la vie des hommes entre eux que dans une mesure si parfaitement ordonnée qu’il est toujours prêt à donner ces choses, et notamment l’argent qui les représente, au mieux de la vie de société existant parmi les hommes (q. 117, a. 1-4).

— Cette vertu est-elle bien grande ?

— Prise dans son objet immédiat, qui est le bien des richesses, elle est la plus infime ; mais, par voie de conséquence, elle s’ennoblit de la dignité de toutes les autres vertus, car elle peut concourir au bien de chacune d’elles (q. 117, a. 6).

— Quels sont les vices opposés à cette vertu ?

— Ce sont l’avarice et la prodigalité (q. 118 ; 119).

— Qu’entendez-vous par l’avarice ?

— J’entends un péché spécial qui est constitué par l’amour immodéré des richesses (q. 118, a. 1 ; 2).

— Ce péché est-il bien grave ?

— A le considérer dans le bien humain qu’il déforme, il est le plus infime des péchés, car il ne dénature que l’amour de l’homme pour les biens extérieurs que sont les richesses ; mais, à considérer la disproportion de l’âme et des richesses auxquelles ce vice fait qu’elle s’attache indûment, il est le plus honteux et le plus méprisable de tous les vices ; car il fait que l’âme se soumet à ce qui est le plus au-dessous d’elle (q. 118, a. 4 ; a. 5).

— Ce vice est-il particulièrement dangereux ?

— Oui ; ce vice est particulièrement dangereux, car l’amour des richesses n’a pas de fin en soi ; et, pour les entasser, on peut en arriver à commettre tous les crimes, contre Dieu, contre le prochain et contre soi-même (q. 118, a. 5).

— L’avarice est-elle un péché capital ?

— Oui, l’avarice est un péché capital ; parce qu’elle porte en elle ou dans son objet une des conditions attachées à la félicité que tout être désire ; savoir : l’abondance des biens auxquels tout obéit (q. 118, a. 7).

— Quelles sont les filles de l’avarice ?

— Ce sont : la dureté du cœur qui n’a plus de miséricorde ; l’inquiétude ; les violences ; la tromperie ; le parjure ; la fraude ; la trahison ; – car l’amour désordonné des richesses peut excéder : quant au fait de les retenir ; ou par rapport au fait de les acquérir ; en ce qui est du désir de les avoir ; ou en ce qui est du fait de les prendre : par la violence ; ou en usant de ruse : dans le discours ordinaire ou dans le discours accompagné du serment ; ou par voie de fait : à l’endroit des choses ; à l’endroit des personnes (q. 118, a. 8).

— Est-ce que la prodigalité, qui est l’autre vice oppposé à la libéralité, s’oppose également à l’avarice ?

— Oui ; parce que tandis que l’avarice excède dans l’amour ou la préoccupation des richesses et n’est pas assez portée à les utiliser en les donnant, la prodigalité, au contraire, ne se préoccupe pas assez de ce qui regarde le soin des richesses et a trop de pente à les donner (q. 119, a. 1 ; a. 2).

— De ces deux vices, quel est le plus grave ?

— C’est l’avarice ; parce qu’elle s’oppose davantage au bien de la vertu de libéralité, dont le propre est de donner plutôt que de retenir (q. 119, a. 3).

— Pourriez-vous, sous forme de récapitulation, me dire comment s’ordonnent et se graduent les vertus annexes de la justice particulière, en raison de ceux qui en sont l’objet ?

— Oui ; et le voici en quelques mots. En premier lieu, vient la religion, qui regarde Dieu, dans le service ou le culte qu’on lui doit, sous sa raison de Créateur et souverain Seigneur et maître de toutes choses ; – puis, la piété, à l’endroit des parents et de la patrie, pour le grand bienfait de la vie que nous leur devons ; – puis l’observance, à l’endroit des supérieurs en autorité ou en dignité et en excellence, dans quelque ordre que ce puisse être ; – puis la gratitude ou la reconnaissance, à l’endroit de nos bienfaiteurs particuliers ; – la vindicte ou le soin de la vengeance, quand il s’agit des malfaiteurs ou de ceux qui ont pu nous nuire de quelque manière qui demande d’être réprimée ; – enfin, la vérité, l’amitié, et la libéralité, que nous devons à tout être humain en raison de nous-mêmes.