59. Suffisance des vertus et leur rôle. – Double vie : active et contemplative ; l’état de perfection. – La vie religieuse : — les familles religieuses dans l’Église
— Avons-nous maintenant
la connaissance suffisante de toutes les vertus que l’homme peut être appelé
à pratiquer en vue du ciel à conquérir ; et des vices qu’il doit éviter
pour ne pas s’exposer à perdre le ciel et à tomber dans l’enfer ?
— Oui, nous avons maintenant
cette connaissance suffisante. Car nous connaissons les trois grandes vertus
de foi, d’espérance et de charité, qui permettent à l’homme d’atteindre sa fin
dernière surnaturelle comme il doit l’atteindre sur cette terre pour qu’elle
dirige et commande sa vie morale. Nous connaissons aussi les quatre grandes
vertus morales ou cardinales, qui sont la prudence, la justice, la force et
la tempérance avec toutes leurs annexes, considérées non seulement dans l’ordre
naturel ou sous leur raison de vertus acquises, mais plus encore dans l’ordre
surnaturel ou sous leur raison de vertus infuses proportionnées aux vertus théologales,
qui permettent à l’homme de tout ordonner dans sa vie morale soit à l’égard
d’autrui, soit à l’égard de lui-même, comme il le doit pour être en harmonie
avec sa fin surnaturelle en toutes choses. Si bien qu’il suffit à l’homme de
pratiquer toutes ces vertus, en liaison avec les dons qui leur correspondent,
pour être sûr d’obtenir la vision de Dieu que nous savons devoir être sa béatitude
au ciel durant toute l’éternité ; avec ceci seulement que, s’il vient à
pécher contre l’une quelconque de ces vertus, il faudra que par une nouvelle
vertu dont nous parlerons dans la Troisième Partie, et qui sera la pénitence,
il satisfasse pour son péché, en union avec la satisfaction de Jésus-Christ.
La mise en œuvre de cet ensemble
des vertus et des dons, qui constitue, à vrai dire, la vie de l’homme sur cette
terre, ne peut-elle pas se présenter sous deux formes qui seront distinctes
et même en quelque sorte séparées ?
— Oui, et ces deux formes sont
ce qu’on appelle la vie contemplative et la vie active (q. 179-182).
— Qu’entendez-vous par la
vie contemplative ?
— J’entends cette forme de
vie, où l’homme, ayant l’âme au repos du côté des passions vicieuses et du côté
du tumulte des actions extérieures, sous le coup de l’amour qu’il a pour Dieu,
passe son temps, dans la mesure du possible sur cette terre, à le contempler
en lui-même ou dans ses œuvres, jouissant de la vision du Dieu qu’il aime, et
trouvant dans cette fruition de Dieu, au plus haut point, sa perfection, qui
le fait vivre séparé de quelque autre chose que ce puisse être en dehors de
Dieu seul (q. 180, a. 1-8).
— Cette vie contemplative
suppose-t-elle toutes les vertus ?
— Oui ; cette vie contemplative
suppose toutes les vertus et concourt à les parfaire ; mais elle-même consiste
dans une certaine action propre où interviennent toutes les vertus intellectuelles
et théologales, demeurant toujours, au plus haut point, à la merci de l’action
personnelle de l’Esprit-Saint par l’entremise des dons (q. 180, a. 2).
— Et la vie active, que
comprend-elle ?
— La vie active comprend proprement
tous les actes des vertus morales et très spécialement les actes de la vertu
de prudence ; parce que son objet propre est la disposition en elles-mêmes
et selon qu’il convient à l’ordre de la vie présente, dans les nécessités de
cette vie terrestre, de toutes les choses qui ont trait à cette vie (q. 181,
a. 1-4).
— De ces deux vies, quelle
est la plus parfaite ?
— La plus parfaite est incontestablement
la vie contemplative, car c’est elle qui donne, sur cette terre, comme un avant-goût
du ciel (q. 182, a. 1).
— Chacune de ces deux vies,
ou la mise en œuvre des vertus et des dons qu’elles impliquent, ne peuvent-elles
pas se trouver comme dans une double condition parmi les hommes ?
— Oui ; elles peuvent
se trouver selon la condition commune ; ou comme placées dans un état de
perfection.
— Qu’entendez-vous par l’état
de perfection ?
— J’entends une certaine condition
de vie qui fait que l’homme se trouve placé, d’une manière fixe et permanente
ou immuable, hors des liens qui le rendent esclave des nécessités de la vie
présente, et le constitue libre de vaquer exclusivement, et selon tout lui-même,
aux choses de Dieu ou de la divine charité (q. 183, a. 1, 4).
— Cet état
de perfection est-il la même chose que la perfection elle-même ?
— Non ; car
la perfection consiste en quelque chose d’intérieur ; tandis que l’état
de perfection dont nous parlons consiste dans une condition de vie qui se considère
plutôt en raison d’un ensemble d’actes extérieurs (q. 184, a. 1).
— Peut-on avoir la perfection
des vertus et des dons ou de la vie de charité divine, sans être dans l’état
de perfection ; et, inversement, peut-on être dans l’état de perfection,
sans avoir la perfection de la charité ?
— Oui, ces deux choses-là sont
possibles (q. 184, a. 4).
— Pourquoi donc recourir
à l’état de perfection ?
— Parce que, de soi, l’état
de perfection facilite excellemment l’acquisition de la perfection elle-même ;
et que, généralement, c’est dans l’état de perfection que la perfection se trouve.
—
Qu’est-ce donc qui constitue l’état de perfection ?
—
C’est le fait de s’obliger à perpétuité, sous une certaine forme solennelle,
aux choses qui sont de la perfection en tant qu’elles touchent à l’organisation
extérieure de sa vie (q. 184, a. 4).
— Et qui donc se trouve
dans cet état de perfection ?
— Ce sont les évêques et les
religieux (q. 184, a. 5).
— Pourquoi dites-vous que
les évêques sont dans l’état de perfection ?
— Parce que les évêques, au
moment où ils assument l’office ou le devoir pastoral, s’obligent à donner leur
vie pour leurs ouailles, et que cela se fait avec la solennité de la consécration
(q. 184, a. 6).
— Et pour les religieux,
qu’est-ce qui fait donc qu’ils sont dans l’état de perfection ?
— C’est qu’ils s’astreignent,
sous forme de vœu perpétuel, à laisser de côté les choses du siècle, dont ils
pourraient user licitement, afin de vaquer plus librement aux choses de Dieu ;
et qu’ils font cela avec une certaine solennité de profession ou de bénédiction
(q. 184, a. 5).
— De ces deux états de perfection,
quel est le plus parfait ?
— C’est celui des évêques (q. 184,
a. 7).
— Pourquoi dites-vous que
l’état de perfection qui est celui des évêques est plus parfait que celui des
religieux ?
— Parce qu’il est ordonné à
ce dernier comme celui qui donne est ordonné à celui qui reçoit. Les évêques,
en effet, doivent, par état, posséder la perfection que les religieux tendent,
par état, à acquérir (q. 184, a. 7).
— Comment les religieux
tendent-ils, par état, à acquérir la perfection ?
— Les religieux tendent, par
état, à acquérir la perfection, selon qu’ils se trouvent, en raison des trois
vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, comme dans l’heureuse impossibilité
de pécher et dans l’heureuse nécessité de bien agir en toutes choses (q. 186,
a. 1-10).
— Ces trois
vœux sont-ils essentiels à l’état de perfection qui est celui des religieux ?
— Oui ; ces trois vœux
sont essentiels à l’état de perfection qui est celui des religieux ; de
telle sorte que sans eux l’état religieux ne saurait exister (q. 186, a. 2-7).
— Peut-il y avoir diversité
de familles religieuses ayant, toutes, les conditions essentielles de l’état
religieux ?
— Oui ; il peut y avoir
diversité de familles religieuses ayant, toutes, les conditions essentielles
de l’état religieux (q. 188).
— En quoi consistera la
diversité des familles religieuses, alors qu’elles conviennent toutes dans les
conditions essentielles de l’état religieux ?
— Elle consistera en ce qu’il
est diverses choses dans lesquelles l’homme peut se vouer totalement au service
de Dieu ; et que l’homme peut se
disposer à cela de diverses manières ou selon des exercices divers (q. 188,
a. 1).
— Quels sont les deux grands
genres de familles religieuses ?
— Les deux grands genres de
familles religieuses sont ceux qui se tirent dans deux grandes conditions de
vie dont nous avons parlé et qui sont la vie contemplative et la vie active
(q. 188, a. 2-6).
— Il y a donc des familles
religieuses qui sont de vie active et d’autres qui sont de vie contemplative ?
— Oui ; il y a des familles
religieuses qui sont de vie active et d’autres qui sont de vie contemplative.
— Qu’entendez-vous par les
familles religieuses de vie active ?
— J’entends ces familles religieuses
où la plus grande part des actions des sujets qui les composent est ordonnée
à servir le prochain en vue de Dieu (q. 188, a. 2).
— Et qu’entendez-vous par
les familles religieuses de vie contemplative ?
— J’entends ces familles religieuses
où la totalité des actions des sujets qui les composent est ordonnée au service
de Dieu en lui-même (q. 188, a. 2, ad 2).
— De ces deux sortes de
familles religieuses, quelles sont les plus parfaites ?
— Ce sont celles de vie contemplative ;
avec ceci pourtant que les plus parfaites de toutes sont celles dont la part
principale est vouée à la contemplation des choses divines ou au culte et au
service de Dieu en lui-même, mais pour déverser ensuite sur le prochain le trop-plein
de leur contemplation et l’attirer lui aussi au culte et au service de Dieu
(a. 188, a. 6).
— Cette existence des diverses
familles religieuses dans l’Église et au milieu du monde est-elle un très grand
bien ?
— Il n’est rien de plus excellent
que cette existence des diverses familles religieuses dans l’Église et au milieu
du monde ; car, outre qu’elles constituent les foyers choisis où se pratiquent,
dans leur plus grande perfection, toutes les vertus, elles ont pour effet de
contribuer au plus grand bien de l’humanité par leurs œuvres de charité ou d’apostolat
et par leur vie d’immolation à Dieu.
— D’où vient aux familles
religieuses, dans l’Église, cette excellence qui est la leur en ce qui touche
à la pratique de toutes les vertus portées jusqu’à leur plus haute perfection ?
— Cette excellence leur vient
de ce qu’elles s’appliquent ostensiblement et par vocation ou d’office à marcher
dans la vie où tout homme quel qu’il soit doit marcher pour pratiquer ces mêmes
vertus et atteindre le bonheur du ciel.
— Quelle est cette vie hors
de laquelle aucune marche vers Dieu par la vraie pratique des vertus ne sera
jamais possible ?
— Cette voie n’est autre que
Jésus-Christ ou le mystère même du Verbe fait chair. C’est de lui qu’il nous
reste à nous occuper maintenant ; et son étude va faire l’objet de notre
Troisième Partie.