6. Du don de crainte, qui correspond à la vertu d’espérance – crainte servile– crainte filiale

— Ce n’est donc que pour les fidèles qui vivent sur la terre que la vertu d’espérance doit avoir pour effet d’armer la volonté contre ce qui serait un excès, dans la crainte de ne point parvenir à posséder Dieu un jour ?

— Oui, ce n’est que pour les fidèles qui vivent sur la terre que la vertu d’espérance doit avoir pour effet d’armer la volonté contre ce qui serait un excès, dans la crainte de ne point parvenir à posséder Dieu un jour (q. 18, a. 4).

— Y a-t-il une crainte qui soit toujours essentiellement bonne et qui se rapporte à la vertu d’espérance ?

— Oui, il y a une crainte qui est toujours essentiellement bonne et qui se rapporte à la vertu d’espérance.

Comment s’appelle cette crainte qui est ainsi toujours essentiellement bonne  et qui se rapporte à la vertu d’espérance ?

— C’est la crainte de Dieu appelée du nom de crainte filiale (q. 19, a. 1, 2).

Qu’entendez-vous par cette crainte de Dieu appelée du nom de crainte filiale ?

— C’est la crainte qui fait qu’on se tient devant Dieu avec un saint respect, en raison de son excellence ou de sa bonté d’infinie majesté, et qu’on ne redoute rien tant que de lui déplaire ou de s’exposer à le perdre par ce qui nous empêcherait de le posséder éternellement au ciel (q. 19, a. 2).

Y a-t-il une autre crainte de Dieu distincte de cette crainte filiale ?

— Oui, on l’appelle la crainte servile (q. 19, a. 2).

Que veut-on signifier par ces mots : crainte servile ?

— On désigne par là un sentiment d’ordre inférieur, qui est le propre des esclaves, et qui fait qu’on redoute le maître à cause des peines ou des châtiments qu’il est à même d’infliger (q. 19, a. 2).

La crainte des peines ou des châtiments que Dieu peut infliger a-t-elle toujours la raison de crainte servile ?

— Oui, cette crainte des peines ou des châtiments que Dieu peut infliger a toujours la raison de crainte servile ; mais elle peut ne pas avoir toujours le caractère défectueux qui implique le péché (q. 19, a. 4).

Quand est-ce donc que la crainte servile a ce caractère défectueux qui implique le péché ?

— C’est quand la peine ou le châtiment, ou la perte d’un bien créé quelconque, qui est l’objet de cette crainte, est chose qu’on redoute comme le mal suprême (q. 19, a. 4).

Si donc on redoute ce mal, non pas comme le mal suprême, mais en le subordonnant à ce qui serait la perte du bien de Dieu aimé par-dessus tout, la crainte servile n’est pas chose mauvaise ?

— Non ; elle est même chose bonne, quoique cependant d’un ordre inférieur, et bien moins bonne que la crainte filiale (q. 19, a. 4 et 6).

Pourquoi est-elle moins bonne que la crainte filiale ?

— Parce que la crainte filiale ne se préoccupe en rien de la perte des biens créés pourvu que la possession du bien incréé qu’est Dieu lui-même lui demeure assurée (q. 19, a. 2 et 5).

C’est donc uniquement la perte du bien infini qu’est Dieu lui-même ou ce qui pourrait compromettre sa possession parfaite, que redoute la crainte filiale ?

— Oui, c’est uniquement la perte du bien infini qu’est Dieu lui-même ou ce qui pourrait compromettre sa possession parfaite, que redoute la crainte filiale (q. 19, a. 2).

— Cette crainte filiale a-t-elle quelques rapports avec le don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte ?

— Oui, cette crainte filiale a le rapport le plus étroit avec le don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte (q. 19, a. 9).

— C’est donc à la vertu théologale de l’espérance que se rapporte tout spécialement ce don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte ?

— Oui, c’est à la vertu théologale de l’espérance que se rapporte tout spécialement le don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte (q. 19).

— En quoi consiste proprement ce don du Saint-Esprit qu’on appelle le don de crainte ?

— Il consiste en ce que par lui l’homme se tient soumis à Dieu et à l’action du Saint-Esprit, ne lui résistant pas, mais au contraire le révérant et évitant de se soustraire à lui (q. 19, a. 9).

Où se trouve exactement la différence du don de crainte et de la vertu d’espérance ?

— Cette différence se trouve en ceci, que la vertu d’espérance regarde directement le bien infini de Dieu à conquérir par le secours qui nous vient de lui-même, tandis que le don de crainte regarde plutôt le mal que serait pour nous le fait d’être séparé de Dieu et de le perdre, en se soustrayant, par le péché, au divin secours venu de lui pour nous conduire à  lui (q. 19, ad 2).

La vertu d’espérance est-elle supérieure au don de crainte ?

— Oui, comme toutes les vertus théologales, du reste, sont supérieures aux dons ; et aussi parce que la vertu d’espérance regarde le bien à posséder : tandis que le don de crainte regarde le mal que serait la privation d’un tel bien.

La crainte, qui est le propre du don du Saint-Esprit, est-elle inséparable de la charité ou de l’amour parfait de Dieu ?

— Oui, la crainte qui est le propre du don du Saint-Esprit est inséparable de la charité ou de l’amour parfait de Dieu ; car elle a pour cause cet amour (q. 19, a. 10).

— Peut-elle exister avec l’autre crainte qui est la crainte servile, exempte cependant du caractère de crainte mauvaise ?

— Oui, elle peut exister, au commencement, avec la crainte servile, exempte cependant du caractère de crainte mauvaise ; et c’est pour cela qu’on l’appelle alors du nom de crainte initiale ; mais, à mesure que la charité augmente, elle-même grandit et n’a plus enfin que son nom et son caractère très pur de crainte filiale ou chaste, toute pénétrée de l’amour de Dieu, considéré comme le seul vrai bien, dont la perte serait pour nous le mal suprême et en quelque sorte le seul vrai mal (q. 19, a. 8).

— Cette crainte existera-t-elle dans la patrie, au ciel ?

— Oui, cette crainte existera dans la patrie, au ciel ; mais dans son dernier degré de perfection et sans avoir tout à fait le même acte qu’elle a sur cette terre (q. 19, a. 11).

Quel sera l’acte de la crainte filiale au ciel ?

— Ce sera toujours en quelque sorte un acte de saint tremblement devant la grandeur infinie du bien divin et de sa majesté ; mais non plus un tremblement de peur, et comme s’il était encore possible à la béatitude de le perdre ; ce sera un tremblement d’admiration, faisant qu’on admirera Dieu comme existant infiniment au-dessus de la possibilité de la nature ; car éternellement le bienheureux aura la conscience très vive que son infini bonheur ne lui vient que de Dieu (q. 19, a. 11).