8. La charité : sa nature ; acte principal ; formule de cet acte

— Qu’est-ce donc que la charité ?

— La charité est une vertu qui nous élève à la vie d’intimité avec Dieu en vue de lui-même selon qu’il est son propre bonheur et qu’il a daigné vouloir nous le communiquer (q. 23, a. 1).

— Que suppose en nous cette vie d’intimité avec Dieu à laquelle nous élève la vertu de charité ?

— Cette vie d’intimité avec Dieu suppose en nous deux choses : d’abord, une participation de la nature divine, qui divinise notre nature et nous élève, au-dessus de tout ordre naturel, soit humain, soit angélique, jusqu’à l’ordre qui est propre à Dieu, faisant de nous des dieux et nous donnant d’être de sa famille ; ensuite, des principes d’action, proportionnés à cet être divin, qui nous mettent à même d’agir, en véritables enfants de Dieu, comme Dieu agit lui-même, le connaissant comme il se connaît, l’aimant comme il s’aime, et pouvant jouir de lui comme il en jouit lui-même (q. 23, a. 2).

— Ces deux ordres de biens sont-ils indissolublement liés à la présence de la charité dans l’âme ?

— Ces deux ordres de biens sont indissolublement liés à la présence de la charité dans l’âme ; et la charité elle-même n’en est que le couronnement.

— Il est donc vrai toujours que quiconque a la charité dans l’âme a aussi la grâce sanctifiante et les vertus et les dons ?

— Oui, quiconque a la charité dans l’âme a toujours nécessairement la grâce sanctifiante et les vertus et les dons (q. 23, a. 7).

— La charité est-elle la reine de toutes les vertus ?

— Oui, la charité est la reine de toutes les vertus (q. 23, a. 6).

— Pourquoi dites-vous que la charité est la reine de toutes les vertus ?

— Parce que c’est elle qui les commande toutes et les fait agir en vue de la possession de Dieu qui est son objet propre (q. 23, a. 6).

— Comment la charité adhère-t-elle et s’unit-elle à Dieu, ou à la possession de Dieu, son objet propre ?

— C’est par l’amour que la charité adhère et s’unit à Dieu, ou à la possession de Dieu, son objet propre (q. 27).

— En quoi consiste cet acte d’amour par lequel la charité adhère et s’unit à Dieu, ou à la possession de Dieu, son objet propre ?

— Il consiste en ce que l’homme, par la charité, veut à Dieu ce bien infini qui est Dieu lui-même ; et qu’il veut pour soi ce même bien qui est Dieu étant à lui-même son propre bonheur, (q. 25 et 27).

— Quelle différence y a-t-il entre ces deux amours ?

— Il y a cette différence, que l’un est un amour de complaisance en Dieu, selon qu’il est heureux lui-même ; et l’autre, un amour de complaisance en Dieu, selon qu’il est notre propre bonheur.

— Ces deux amours sont-ils inséparables dans la vertu de charité ?

— Oui, ces deux amours sont absolument inséparables dans la vertu de charité.

— Pourquoi dites-vous que ces deux amours sont inséparables dans la vertu de charité ?

— Parce qu’ils se commandent l’un l’autre et qu’ils sont réciproquement cause l’un de l’autre.

— Comment montrez-vous qu’ils se commandent l’un l’autre et qu’ils sont réciproquement cause l’un de l’autre ?

— C’est qu’en effet, si Dieu n’était pas notre bien, nous n’aurions aucune raison de l’aimer ; et s’il n’avait en lui, comme dans sa source, le bien qu’il est pour nous, nous ne l’aimerions pas de l’amour dont nous l’aimons (q. 25, a. 4).

— Chacun de ces deux amours est-il un amour pur et un amour parfait ?

— Oui, chacun de ces deux amours est un amour pur et un amour parfait.

— Chacun d’eux est-il un amour de la vertu de charité ?

— Oui, chacun d’eux est un amour de la vertu de charité.

— Y a-t-il cependant un certain ordre entre ces deux amours ; et lequel des deux tient la première place ?

— Oui, il y a un ordre entre ces deux amours ; et celui qui tient la première place est l’amour qui nous fait nous complaire en Dieu pour le bien infini qu’il est à lui-même.

— Pourquoi cet amour doit-il être le premier ?

— Parce que le bien que Dieu est à lui-même l’emporte sur le bien que Dieu est pour nous : non que ce bien soit différent, car c’est toujours Dieu lui-même selon qu’il est en lui-même ; mais parce qu’il est en Dieu d’une manière infinie et comme dans sa source ; tandis qu’il n’est en nous que d’une manière finie et dérivée.

— L’amour de la charité porte-t-il encore sur d’autres que sur Dieu et sur nous ?

— Oui, l’amour de la charité porte sur tous ceux qui possèdent déjà le bonheur de Dieu ou qui sont à même de le posséder un jour (q. 25, a. 6-10).

— Quels sont ceux qui possèdent déjà le bonheur de Dieu ?

— Ce sont tous les anges et tous les élus qui sont au ciel.

— Quels sont ceux qui sont à même de le posséder un jour ?

— Ce sont toutes les âmes de justes qui sont au purgatoire et tous les hommes qui vivent sur la terre.

— Il faut donc aimer de l’amour de charité tous les hommes qui vivent sur la terre ?

— Oui, il faut aimer de l’amour de charité tous les hommes qui vivent sur la terre.

— Y a-t-il des degrés dans cet amour de charité que nous devons avoir pour d’autres que pour nous ?

— Oui, il y a des degrés dans cet amour de charité ; car nous devons nous aimer d’abord et surtout nous-mêmes ; puis, les autres, selon qu’ils sont plus près de Dieu dans l’ordre surnaturel, ou selon qu’ils sont plus près de nous dans les divers ordres de rapports qui peuvent nous unir à eux ; tels, par exemple, les liens du sang, de l’amitié, de la communauté de vie et le reste (q. 26).

— Qu’entend-on signifier quand on dit que nous devons nous aimer d’abord et surtout nous-mêmes, après Dieu, dans l’ordre ou les degrés de l’amour de charité ?

— Cela veut dire que nous devons avant tout et par-dessus tout nous vouloir à nous-mêmes le bonheur de Dieu, à la seule exception de Dieu, à qui nous devons vouloir ce bonheur antérieurement et de préférence à tout autre.

— N’est-ce que le bonheur de Dieu que nous devons nous vouloir à nous-mêmes et vouloir aussi aux autres, en vertu de la charité ?

— C’est le bonheur de Dieu avant tout et par-dessus tout ; mais nous devons ou pouvons nous vouloir aussi et vouloir aux autres, en vertu de la charité, tout ce qui est ordonné à ce bonheur de Dieu ou qui demeure dans sa dépendance.

— Y a-t-il quelque chose qui soit directement ordonné au bonheur de Dieu ?

— Oui, ce sont les actes des vertus surnaturelles (q. 25, a. 2).

— Ce sont donc les actes des vertus surnaturelles que nous devons vouloir pour nous et pour les autres, immédiatement après le bonheur de Dieu et en raison de ce bonheur ?

— Oui, ce sont les actes des vertus surnaturelles que nous devons nous vouloir et vouloir aux autres immédiatement après le bonheur de Dieu et en raison de ce bonheur.

— Pouvons-nous nous vouloir aussi et vouloir aux autres les biens temporels, en vertu de la charité ?

— Oui, nous pouvons et quelquefois nous devons nous vouloir et vouloir aussi aux autres les biens temporels, en vertu de la charité.

— Quand est-ce que nous devons vouloir ces sortes de biens ?

— Quand ils sont indispensables à notre vie sur cette terre et à la pratique de la vertu.

— Quand est-ce que nous pouvons les vouloir ?

— Quand ils ne sont pas indispensables, mais qu’ils peuvent être utiles.

— S’ils étaient nuisibles au bien de la vertu, ne pourrions-nous plus nous les vouloir ou les vouloir aux autres, sans aller contre la vertu de charité ?

— Non, si ces sortes de biens temporels deviennent un obstacle à la vie de la vertu et sont une cause de péché, nous ne pouvons plus les vouloir, ni pour nous, ni pour les autres, sans aller contre la vertu de charité.

— Pourriez-vous me donner une formule précise et exacte de l’acte d’amour qui constitue l’acte principal de la vertu de charité ?

— Oui, et voici cette formule sous forme d’hommage à Dieu : Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur et par-dessus toutes choses, ne voulant pour moi d’autre bonheur que vous-même, et voulant ce même bonheur, avant tout et par-dessus tout, à vous-même, puis à tous ceux qui vous possèdent déjà ou que vous daignez appeler à vous posséder un jour.