47. De l’acte qui fait le départ entre le purgatoire, le ciel et l’enfer ; — ou du jugement
— Par quel acte se fait le
départ entre ceux qui vont immédiatement au ciel ou au purgatoire ou en enfer ?
— C’est par l’acte du jugement
que ce départ se fait.
— Qu’entendez-vous par le jugement ?
— J’entends cet acte de la
justice de Dieu qui prononce définitivement sur l’état d’un sujet donné en vue
de la récompense ou du châtiment à recevoir.
— Quand est-ce que se fait
cet acte souverain de la justice de Dieu ?
— Il se fait immédiatement
après la mort, au moment où l’âme se trouve séparée du corps.
— Et où se fait cet acte du
jugement ?
— Là même où a eu lieu cette
séparation de l’âme et du corps qui constitue la mort.
— Par qui se fait l’acte du
jugement ?
— L’acte du jugement se fait
par Dieu lui-même, dont la vertu passe par l’humanité sainte du Verbe fait chair,
depuis l’ascension de Jésus-Christ au ciel.
— Est-ce que l’âme qui est
jugée voit Dieu ou l’humanité sainte de Jésus-Christ ?
— Il n’y a, à voir Dieu dans
son essence ou même l’humanité sainte de Jésus-Christ qui est au ciel, que les
âmes dont le jugement porte une sentence d’entrée immédiate dans le paradis.
— Et le jugement des autres
âmes, comment se fait-il ?
— Il se fait par un coup de
lumière qui met sous leurs yeux instantanément toute la suite de leur vie et
leur montre que la place qu’elles reçoivent immédiatement, ou dans l’enfer,
ou dans le purgatoire, est tout ce qu’il y a de plus juste et de plus mérité.
— C’est donc quasi par un même
acte et comme dans le même instant que les âmes, aussitôt séparées de leur corps,
se trouvent jugées et placées, en raison de ce jugement, dans l’enfer, ou au
purgatoire, ou au ciel ?
— Oui ; c’est quasi par
un même acte, et comme dans le même instant, tout cela se faisant par la toute-puissance
de Dieu, qui agit instantanément.
— Et sur quoi porte ce grand
acte du jugement ou que montre-t-il à l’âme qui est ainsi jugée ?
— Cet acte porte sur toute
la suite de la vie morale et consciente, depuis le premier moment où l’on a
eu l’usage de la raison, jusqu’au dernier acte qui a précédé la séparation même
de l’âme d’avec le corps.
— Ce dernier acte qui aura
précédé la séparation de l’âme d’avec le corps, aura-t-il pu, à lui tout seul,
quelquefois, décider du sort d’une âme pour toute l’éternité, et lui valoir
l’obtention du ciel ?
— Oui ; mais il ne le
fait jamais qu’en raison d’une miséricorde très spéciale de Dieu et parce que,
le plus souvent, d’autres actes dans la vie du sujet auront en quelque sorte
préparé cette grâce, ou en raison de prières d’âmes saintes qui auront incliné
Dieu à cet acte de suprême miséricorde.
— Et que verra l’âme qui est
ainsi jugée, dans cette lumière qui met sous ses yeux instantanément toute la
suite de sa vie et lui montre que la place qu’elle reçoit à l’instant même,
ou dans l’enfer, ou au purgatoire, ou dans le ciel, est tout ce qu’il y a de
plus juste et de plus mérité ?
— Elle verra, jusque dans leur
plus menu détail, tous les actes accomplis par elle et dont elle a pu être responsable
au cours de toute sa vie, quelque longue qu’elle ait pu être, et pour chacune
des journées qui ont composé le cours de cette vie, et pour chacun des instants
qui ont composé ces journées : ses pensées les plus intimes et les plus
changeantes ; ses affections, quel qu’ait été leur objet, ou leur caractère,
ou leur mouvement intérieur et extérieur ; ses paroles graves ou légères,
mûries ou inconsidérées, et vaines ou oiseuses ; ses actes et la part qu’y
auront eue ses sens ou les organes et les membres de son corps ; – dans
l’ordre de chaque vertu et de chaque vice, depuis la vertu de tempérance avec
tout ce qui s’y rattache, en passant par la vertu de force et ses annexes, la
vertu de justice et ses infinies ramifications, la vertu de prudence et ses
applications de chaque instant dans la pratique des vertus morales, qu’il s’agît
de la pratique de ces vertus sous leur raison de vertus naturelles, ou sous
leur raison de vertus surnaturelles et infuses ; mais plus encore et par-dessus
tout, en ce qui est des grandes vertus théologales de foi, d’espérance et de
charité, qui devaient tout commander dans sa vie. Elle verra ce qu’elle aura
fait du sang de Jésus-Christ et de tous les mystères du salut attachés à ce
sang rédempteur par l’usage des sacrements de la grâce dispensés dans l’Église
catholique : comment elle aura négligé ou utilisé la grande vertu de pénitence
avec les satisfactions qu’elle lui offrait par l’entremise du pouvoir souverain
des clefs. Et ce sera cette vue instantanée qui lui fera dire, ou avec la joie
reconnaissante des élus dans le ciel, ou avec la résignation aimante des justes
dans le purgatoire, ou avec la rage désespérée des damnés dans l’enfer :
votre jugement, ô Dieu, et votre sentence, sont la justice même.