48. Du lieu de ceux qui ne sont pas jugés : le limbe des enfants
— Y a-t-il des êtres humains
qui, au moment de leur mort, ne soient pas soumis au jugement ?
— Oui, ce sont tous les enfants
qui meurent avant l’âge de raison, ou ceux qui, même adultes, meurent sans avoir
eu l’usage de la raison (q. 69, a. 6).
— N’y a-t-il pas cependant
un départ qui se fait entre ces enfants ou ceux qui meurent ainsi sans avoir
eu l’usage de raison ?
— Oui ; mais ce n’est
pas en raison de leurs mérites et de leurs démérites ; et il ne se fait
point par mode de jugement.
— Comment donc se fait ce départ ?
— Il se fait par cela seul
que les uns ont reçu le sacrement de baptême et que les autres ne l’ont pas
reçu.
— Où vont ceux qui ont reçu
le sacrement de baptême ?
— Ils vont immédiatement au
ciel.
— Et ceux qui n’ont pas reçu
le sacrement de baptême, où vont-ils ?
— Ils vont dans un lieu spécial
qui leur est réservé et qu’on appelle du nom de limbe.
— Le limbe des enfants morts
sans baptême, est-il un lieu qui se distingue de l’enfer et du purgatoire ?
— Oui ; le limbe des enfants
morts sans baptême est un lieu distinct,
autre que l’enfer et le purgatoire, parce que, à la différence de l’enfer et
du purgatoire, ce n’est pas un lieu où l’on souffre de la peine du sens pour
des péchés personnels (q. 69, a. 6).
— Est-ce que, dans ce limbe,
les enfants morts sans baptême subissent la peine du dam ?
— Oui ; car ils se savent
privés éternellement du bien infini qu’est la vision de Dieu ; mais cette
peine n’a point pour eux le caractère de suprême torture qu’elle a pour les
damnés qui sont dans l’enfer (Appendice, q. 1, a. 2).
— D’où vient cette différence
dans le caractère de la peine du dam pour les enfants morts sans baptême ?
— Elle vient de ce que, s’ils
se savent privés de la vision de Dieu, ils savent aussi que cette peine les
atteint, non en raison d’une faute personnelle commise par eux, mais seulement
en raison de leur naissance d’Adam pécheur, ou en raison du péché de nature
qu’ils ont personnellement contracté du seul fait de leur naissance (ibid.).
— Il n’y donc pas chez eux
l’horrible ver rongeur qui tourmente les damnés qui sont dans l’enfer ?
— Nullement ; mais une
sorte d’état qui, sans impliquer la souffrance ou la tristesse, fait cependant
qu’ils auront conscience du bonheur qu’ils auraient pu avoir si les mérites
de la rédemption leur eussent été appliqués et qu’ils n’auront jamais, sans
qu’il y ait eu de leur faute, mais par un juste décret des insondables conseils
de Dieu (ibid.).
— Est-ce que les âmes de ces
enfants morts sans baptême, connaissent les mystères de la rédemption ?
— Assurément ; mais ils
les connaissent d’une connaissance tout extérieure, si l’on peut ainsi dire
(ibid.).
— Peut-on dire de ces âmes
qu’elles aient la lumière de la foi ?
— Non ; on ne peut pas
dire de ces âmes qu’elles aient la lumière de la foi, au sens de cette lumière
intérieure surnaturelle qui perfectionne l’intelligence et lui permet de pénétrer
d’une certaine manière l’intime des mystères révélés avec un certain goût d’ordre
surnaturel qui porte à les désirer d’un désir efficace : ils ne les connaissent
que du dehors, un peu comme tous ceux qui ne peuvent pas ne pas s’avouer la
vérité des mystères divins affirmés par Dieu, mais qui ne sont point portés,
par un mouvement de la grâce, à adhérer surnaturellement à ces mystères, et
qui sont dans l’impuissance radicale d’en pénétrer le sens intime.
— C’est donc une sorte de lumière
tout extérieure et froide, que celle qui leur fait connaître les mystères de
la foi ?
— Oui ; très exactement,
c’est une lumière qui n’est ni une lumière de révolte comme dans les damnés
de l’enfer, ni une lumière d’adhésion ardente engendrant l’espérance et la charité,
comme l’était celle des justes sur la terre, ni encore moins une lumière de
vision enivrante comme pour les élus qui sont au ciel ; mais une lumière
en quelque sorte éteinte dans l’ordre surnaturel, qui n’est ni une lumière de
vie, ni une lumière de mort, au sens où elle l’est pour les damnés : c’est
une lumière sans espérance qui n’engendre point le remords, ni même le regret,
et qui seulement leur fait prendre conscience d’un bonheur infini qu’ils n’auront
jamais, sans qu’il y ait cependant pour eux ni pleurs, ni grincements de dents,
comme pour les damnés dans l’enfer : bien plus, il y aura pour eux une
très grande joie à la pensée de biens d’ordre naturel qu’ils ont déjà reçus
de Dieu ou qu’ils recevront plus tard et pour toujours au moment de la résurrection
(ibid., ad 5).
— A côté du limbe où sont les
âmes des enfants morts sans baptême, n’y a-t-il pas aussi un autre limbe dont
il est fait mention, dans la langue de l’Église ?
— Oui ; c’est le limbe
où étaient autrefois les justes qui n’avaient plus aucun empêchement personnel
à recevoir la récompense du ciel, mais qui devaient attendre pour la recevoir
la venue du rédempteur (q. 69, a. 7).
— Dans ce limbe des anciens
justes, n’y a-t-il plus personne maintenant ?
— Depuis le jour où Jésus-Christ
qui était descendu dans ce limbe au moment de sa mort, en remonta au jour de
sa résurrection, emmenant avec lui toutes les âmes des justes qui y étaient
détenues, ce lieu n’a plus ni ne peut plus avoir sa première destination ;
mais il se peut qu’il soit affecté depuis lors à recevoir les âmes des enfants
morts sans baptême, ne faisant plus qu’un avec le limbe des enfants.