53. La vie éternelle

— Tandis que les damnés seront livrés par la sentence du souverain juge à l’action des démons qui les emporteront avec eux au lieu de l’éternel supplice, quel sera l’effet de la sentence du souverain juge à l’endroit des élus ?

— Cette sentence fera qu’aussitôt s’ouvriront pour eux toutes grandes les portes du royaume des cieux qui leur a été préparé par le Père depuis la constitution du monde.

— Est-ce immédiatement que les élus feront tous leur entrée dans le ciel ?

— Oui, c’est immédiatement et aussitôt que seront levées les solennelles assises du jugement dernier, que les élus feront leur entrée dans le ciel, à la suite de leur Seigneur et Roi, le Christ Jésus qui les emmènera avec lui pour leur faire part de son bonheur et de sa gloire.

— Ce bonheur et cette gloire des élus se trouveront-ils accrus du fait que maintenant ils ont retrouvé leur corps ?

— C’est dans des proportions qu’il nous est impossible de soupçonner, que le bonheur et la gloire des élus se trouveront accrus du fait qu’ils ont maintenant retrouvé leur corps ; bien que, auparavant, ceux qui étaient déjà au ciel, goûtassent du seul fait de la vision béatifique, un bonheur en quelque sorte infini (q. 93, a. 1).

— Y aura-t-il, dans le ciel, des places distinctes et les élus y formeront-ils une assemblée particulièrement belle en raison de sa diversité et sa subordination harmonieuse ?

— Oui ; car c’est le degré de la charité ou de la grâce qui aura fixé le degré de la gloire : mais, en raison même de cette charité, dont le moindre degré suffit pour introduire au ciel, il s’ensuivra que tous les bienheureux se communiqueront, en quelque sorte, la joie de leur propre bonheur, et que tous y seront heureux du bonheur de tous, Dieu, dans son infini bonheur, étant tout en tous, bien qu’à des degrés divers (q. 93, a. 2, 3).

— Dans cette assemblée des élus, les hommes auront-ils quelque chose que les anges n’auront pas, du moins au même titre ?

— Oui ; car les hommes formeront, à un titre spécial, l’Église triomphante, qui, dans le ciel et pendant toute l’éternité, se comparera à Jésus-Christ comme une épouse à son époux, célébrant avec lui, au milieu d’ineffables délices, un éternel festin de noces spirituelles (q. 95, a. 1, 2).

— Les anges, pourtant, ne seront pas exclus de cette raison de festin de noces spirituelles ?

— Non, certes ; mais, tout en faisant partie de l’Église triomphante, ils n’auront pas avec le roi de cette Église qui sera Jésus-Christ, le même rapport qu’aura la partie de l’Église triomphante constituée par les hommes (q. 95, a. 4).

— En quoi consistera cette différence ?

— Elle consistera en ce que les élus ou les bienheureux appartenant à la race humaine, conviendront avec Jésus-Christ dans une même nature humaine ; ce qui ne sera jamais vrai des anges : et voilà pourquoi ces élus auront avec Jésus-Christ, le roi de tous les bienheureux, un certain rapport d’intimité et de suavité que les anges n’auront pas au même titre, bien que leurs rapports d’intimité et de suavité avec le Verbe de Dieu, dans l’acte même de la vision béatifique, doive être, comme dans tous les élus et tous les bienheureux, au même titre (q. 45, a. 1-4).

— Que s’ensuit-il de ce rapport particulier que l’Église triomphante, constituée par les élus de race humaine, aura avec Jésus-Christ ?

— Il s’ensuit qu’à l’image et à la ressemblance de ce qui se passe parmi nous sur cette terre, quand l’épouse est introduite dans la maison de l’époux, au jour de la célébration de leurs noces, l’auguste Trinité dotera cette Église, épouse de Jésus-Christ, au jour de son entrée dans le ciel, en la comblant des dons et des ornements les plus magnifiques, afin qu’elle soit digne de célébrer avec un tel époux, au milieu des plus ineffables délices, le festin éternel de leurs noces spirituelles (q. 95, a. 1).

— Cette dotation et ces dons ou ces ornements constituent-ils ce qu’on appelle les dots des bienheureux ?

— Oui ; c’est exactement ce qu’on appelle les dots des bienheureux.

— Quelles seront ces dots des bienheureux ?

— Elles seront au nombre de trois dans l’âme glorifiée, d’où elles rejailliront sur le corps même des bienheureux en la forme des quatre qualités glorieuses dont nous avons déjà parlé (q. 45, a. 5).

— Quelles seront les trois dots de l’âme bienheureuse ?

— Ce sera comme un vêtement de lumière et de divine sensibilité spirituelle qui les disposera à jouir du bien infini possédé par l’âme dans la vision intuitive qui se termine au Verbe de Dieu, en telle sorte qu’aucun bonheur de la terre ni aucune ivresse d’ici-bas ne saurait nous donner même la plus lointaine idée de ce que sera le bonheur des élus unis à Jésus-Christ par l’acte de cette vision, de cette possession, de cette fruition. Aussi bien ne peut-on que répéter ici le grand mot de l’apôtre saint Paul, qui lui-même avait été ravi jusqu’au troisième ciel, c’est-à-dire jusqu’au ciel même des bienheureux : — L’œil de l’homme n’a point vu ; son oreille n’a pas entendu ; son cœur n’a jamais goûté ce que Dieu tient en réserve et qu’il a préparé pour ceux qu’il aime (q. 95, a. 5).

— Cette assemblée des élus et le bonheur de la vie éternelle, qui sont comparés, surtout pour les élus de race humaine, ainsi qu’il vient d’être dit, à un éternel festin de noces spirituelles, ne sont-ils pas appelés aussi du nom de royaume des cieux ?

— Oui ; et c’est pour marquer que tous les élus constitueront une assemblée royale, non seulement pour y être sous la dépendance immédiate de Dieu, le roi des rois ; mais aussi, parce que chacun d’eux y participera la qualité de roi, étant lui-même revêtu de la dignité royale, au sens le plus haut et le plus magnifique de ce mot (q. 96, a. 1).

— Mais comment ou en quel sens peut-on dire que tous les élus seront, au ciel, revêtus de la dignité royale ?

— Parce que la vision béatifique qui les unit à Dieu et constitue au sens le plus formel la vie éternelle, rend tous les bienheureux participants de la divinité ; et, par suite, Dieu étant, au plus haut point, le roi immortel des siècles, à qui est due toute gloire, les bienheureux participent en tout à sa royauté souveraine et à sa gloire (q. 96, a. 1).

— Est-ce là ce qu’on doit entendre par la couronne qui sera l’apanage de tous les bienheureux dans le ciel ?

— Oui, très exactement ; la couronne de gloire qui leur sera donnée et qui les rendra semblables à Dieu lui-même sera leur couronne royale (q. 96, a. 1).

— Ne parle-t-on pas aussi d’auréoles pour les élus dans le ciel ?

— Oui ; mais tandis que la couronne est pour tous, les auréoles n’appartiennent qu’à quelques-uns (q. 96, a. 1).

— D’où vient cette différence ?

— Elle vient de ce que la couronne n’est rien autre que le rayonnement du bonheur essentiel qui consiste dans la vision de Dieu et qui se retrouve en tous à titre de récompense glorieuse ; tandis que les auréoles sont un rayonnement d’ordre accidentel causé par la joie qu’éprouvent certains élus de certaines œuvres méritoires spéciales qu’ils auront accomplies sur la terre (q. 96, a. 1).

— Il n’y aura donc que des élus d’ordre humain à avoir des auréoles ?

— Oui, les anges n’ayant pas eu à accomplir de ces œuvres méritoires (q. 96, a. 9).

— Et quelles seront les œuvres méritoires spéciales qui recevront l’auréole parmi les hommes ?

— Ce seront : le martyre ; la virginité ; et l’apostolat de la doctrine (q. 96, a. 5, 6, 7).

— Pourquoi ces trois sortes d’œuvres méritoires recevront-elles l’auréole ?

— Parce qu’elles font ressembler à un titre spécial à Jésus-Christ, dans sa victoire absolue et parfaite sur le triple ennemi de la chair, du monde et du démon (ibid.).

— Les auréoles seront donc un signe spécial de victoire dans l’assemblée des élus et au sein du royaume des cieux ?

— Oui ; et c’est dans ce sens qu’on peut appliquer, d’une manière spéciale, aux martyrs, aux vierges et aux apôtres de la doctrine, cette parole dite par Dieu, d’une façon générale, pour tous les élus : Celui qui vaincra possèdera ces choses ; je serai son Dieu et il sera mon fils (Ap 21, 7).

— Y a-t-il, dans l’Écriture sainte, un dernier mot, qui soit comme le résumé de tout, en ce qui concerne le bonheur des élus, au ciel, dans la vie éternelle ?

— Oui ; nous le trouvons dans l’Apocalypse de saint Jean, au chapitre 20, v. 5 ; et il est ainsi conçu : Le Seigneur Dieu sera la lumière qui tombera sur eux pour les éclairer ; et ils règneront dans les siècles des siècles.