6. La grâce capitale propre au Fils de Dieu incarné, dans sa nature humaine
— Outre cette grâce dont il vient d’être parlé, selon
le double genre qui a été dit, de grâce habituelle ou sanctifiante avec tout
ce qui l’accompagne, et de grâces gratuitement données, dérivant, dans la nature
humaine que le Fils de Dieu s’est unie dans sa propre personne, en raison de
la grâce d’union hypostatique, et du rôle que le Fils de Dieu devait avoir,
vivant au milieu de nous dans cette nature, – grâce qui convenait au Fils
de Dieu incarné selon qu’il était, lui-même, personnellement, tel homme déterminé,
distinct de tous les autres hommes, – n’y a-t-il pas à parler encore, au
sujet du Fils de Dieu incarné, de ce qu’on a appelé la grâce capitale, qui lui
convient selon qu’il est le chef ou la tête de son corps mystique, l’Église ?
— Oui, nous devons encore parler, au sujet du Fils
de Dieu incarné, de la grâce capitale, qui lui convient sous sa raison de chef
ou de tête de son corps mystique, l’Église (q. 8).
— Qu’entendez-vous signifier quand vous dites que le
Fils de Dieu incarné est la tête ou le chef de son corps mystique, l’Église ?
— J’entends signifier que le Fils de Dieu vivant dans
la nature humaine qu’il s’est unie dans sa propre personne, occupe, dans l’ordre
de la proximité à Dieu, la première place, possède la perfection absolue et
la plénitude de tout ce qui touche à l’ordre de la grâce, et a la vertu de communiquer
tout ce qui appartient à cet ordre à tous ceux qui, à un titre quelconque, participent
les biens de cet ordre (q. 8, a. 1).
— N’est-ce que par rapport à l’âme, ou est-ce encore
par rapport au corps que le Fils de Dieu incarné est dit la tête ou le chef
des hommes qui font partie de son Église ?
— C’est aussi par rapport au corps, que le Fils de
Dieu incarné est dit la tête ou le chef des hommes qui font partie de son Église ;
et cela veut dire que l’humanité du Fils de Dieu incarné, non seulement dans
son âme, mais aussi dans son corps, est l’instrument de la divinité, pour répandre
les biens de l’ordre surnaturel dans l’âme des hommes d’abord, mais aussi dans
leur corps : ici-bas, pour que le corps aide l’âme dans la pratique des
œuvres de justice ; et, plus tard, dans la résurrection glorieuse, pour
que le corps reçoive du trop-plein de l’âme glorifiée sa part d’immortalité
et de gloire (q. 8, a. 2).
— Est-ce de tous les hommes que le Fils de Dieu incarné
doit être dit la tête ou le chef, dans le sens qui vient d’être précisé ?
— Oui ; à prendre les hommes dans l’universalité
du cours de leur histoire ; mais ceux qui ayant déjà vécu sur cette terre
sont morts dans l’impénitence finale ne lui appartiennent plus et sont séparés
de lui à tout jamais. Ceux, au contraire, qui, ayant vécu sur cette terre de
la vie de la grâce, se trouvent maintenant dans la gloire, ceux-là lui appartiennent
excellemment, et il est leur chef ou leur tête à un titre tout spécial. Il est
ensuite le chef ou la tête de tous ceux qui lui sont unis par la grâce et se
trouvent au purgatoire ou sur cette terre ; de tous ceux qui lui sont unis
actuellement, même par la foi seule, sans la charité ; de tous ceux qui
ne lui sont pas encore unis, non pas même par la foi, mais qui doivent l’être
un jour, selon les décrets de la prédestination divine ; enfin, de ceux-là
même qui, vivant encore sur cette terre, sont dans la possibilité de lui être
unis, bien qu’ils ne doivent jamais lui être unis en effet (q. 8, a. 3).
— Peut-on dire que le Fils de Dieu incarné soit aussi
le chef ou la tête des anges ?
— Oui, le Fils de Dieu incarné est aussi le chef ou
la tête des anges ; car c’est par rapport à toute la multitude de ceux
qui sont ordonnés à la même fin de la fruition de la gloire, que le Fils de
Dieu occupe la première place, et possède dans toute leur plénitude les biens
de cet ordre surnaturel, et communique à tous du trop-plein dont il déborde
(q. 8, a. 4).
— La grâce capitale, qui convient au Fils de Dieu incarné
selon que vivant dans la nature humaine qu’il s’est unie dans sa personne, il
est le chef ou la tête de l’Église dans l’universalité qui vient d’être dite,
est-elle la même grâce que celle qui lui convient ou qui est en lui selon qu’il
est lui-même personnellement tel homme déterminé, distinct de tous les autres
hommes et à plus forte raison des anges ?
— Oui : c’est la même grâce dans son fond ou dans
son essence ; mais on l’appelle de ces deux noms, grâce capitale ou grâce
personnelle, en raison du double rôle qu’elle joue ou selon lequel on la considère :
en tant qu’elle orne la nature humaine propre au Fils de Dieu incarné ;
ou en tant qu’elle se communique à tous ceux qui dépendent de lui (q. 8,
a. 5).
— Le fait d’être chef ou tête de l’Église est-il absolument
propre au Fils de Dieu incarné ?
— Oui ; en ce qui est de communiquer les biens
intérieurs de l’ordre de la grâce, seule l’humanité du Fils de Dieu incarné
ayant la vertu de justifier l’homme intérieurement, en raison de son union à
la divinité dans la personne du Verbe. Mais, s’il s’agit du gouvernement extérieur
dans l’Église, d’autres hommes peuvent être appelés et sont appelés, en effet,
à des degrés et à des titres divers, chefs ou têtes, soit de telle portion de
l’Église, comme sont les évêques dans leurs diocèses, soit de l’Église dans
son ensemble pour ceux qui sont encore dans l’état de la voie sur la terre,
comme est le Souverain Pontife pendant que dure son pontificat ; avec ceci,
d’ailleurs, que ces autres chefs ne font que tenir la place du seul vrai chef
de qui tout dépend, Jésus-Christ lui-même, dont ils ne sont à des titres ou
à des degrés divers, que les vicaires, n’agissant jamais qu’en son nom (q. 8,
a. 6).
— C’est donc à Jésus-Christ seul ou au Fils de Dieu
incarné que tout se rapporte et que tout revient, en dernière analyse, dans
l’action salutaire ou dans l’action qui a trait au bien surnaturel de tous ceux
qui, à un titre quelconque, participent ce bien-là ?
— Oui, très exactement, c’est à Jésus-Christ seul ou
au Fils de Dieu incarné que tout se rapporte et que tout revient en dernière
analyse, dans l’action salutaire ou dans l’action qui a trait au bien surnaturel
de tous ceux qui, à un titre quelconque, participent ce bien-là.
— Y a-t-il, dans le sens opposé et pour ce qui est
de l’action néfaste détournant les hommes de Dieu et les conduisant à leur perte,
un chef ou une tête, qui est, dans l’ordre du mal, ce qu’est Jésus-Christ ou
le Fils de Dieu incarné, dans l’ordre du bien ?
— Oui ; et ce chef ou cette tête des méchants
n’est autre que Satan, le chef des démons révoltés (q. 8, a. 7).
— De quelle manière ou en quel sens, le chef des démons
révoltés, Satan, est-il, dans l’ordre du mal, le chef ou la tête des méchants,
comme Jésus-Christ est le chef ou la tête de tous ceux qui font partie de son
Église ?
— Il ne l’est pas en ce sens qu’il puisse communiquer
intérieurement le mal comme Jésus-Christ communique le bien ; mais il l’est
en ce sens que dans l’ordre du gouvernement extérieur, il tend à détourner les
hommes de Dieu, comme Jésus-Christ tend à les ordonner à lui ; et que tous
ceux qui pèchent imitent sa rébellion et son orgueil, comme les bons imitent
la soumission et l’obéissance de Jésus-Christ (q. 8, a. 7).
— Serait-il donc vrai qu’en raison se cette opposition
radicale et foncière, il y aurait comme une sorte de lutte personnelle entre
Jésus-Christ, chef et tête des bons, et Satan, chef et tête des méchants, qui
expliquerait en dernier ressort ce qu’il y a de continu et d’irréductible dans
la lutte des bons et des méchants à travers les événements de l’histoire ?
— Assurément ; et l’on n’aura jamais le dernier
mot de cette lutte, tant qu’on ne la ramènera pas à la lutte personnelle et
irréductible à tout jamais entre Satan et Jésus-Christ.
— Cette lutte doit-elle un jour revêtir un caractère
particulier d’acuité, de telle sorte que Satan semblera avoir concentré toute
sa malice et sa vertu de nuire en la personne d’un individu humain, comme le
Fils de Dieu a mis sa vertu salutaire en la nature humaine qu’il s’est unie
dans sa propre personne ?
— Oui ; et ce sera lors du règne de l’Antéchrist.
— L’Antéchrist sera donc à un titre spécial le chef
et la tête des méchants ?
— Oui ; l’Antéchrist sera, à un titre spécial,
le chef et la tête des méchants. Car il aura plus de malice qu’aucun homme en
ait eu avant lui ; et il sera au degré suprême le suppôt de Satan s’efforçant
de perdre les hommes et de ruiner le règne de Jésus-Christ avec une méchanceté
et des moyens d’action qui seront dignes du chef des démons (q. 8, a. 8).
— Quel devoir s’impose à tout homme en présence de
cette lutte foncière et irréductible des deux chefs opposés de l’humanité ?
— C’est de ne pactiser jamais en quoi que ce soit avec
ce qui est de Satan ou de ses satellites ; et de se ranger, pour y demeurer
toujours et y combattre vaillamment, sous l’étendard de Jésus-Christ.