Le Pape  Jean-Paul II et « les Droits de l’homme »

 

Le 17 Mai 2003, le Pape Jean-Paul II a reçu le titre de docteur « honoris causa » en Droit de l’Université «  La Sapienza » de Rome, à l’occasion du 7ième centenaire de sa fondation. Elle fut fondée par le Pape Boniface VIII dans sa Bulle « In Supremae » du 20 Avril 1303, «  dans le but se soutenir et de promouvoir les études dans les diverses branches du savoir »(J.P.II)

 

A cette occasion le Pape a prononcé un très important discours sur les « Droits de l’homme ». Pour ceux qui suivent l’évolution des idées, ce discours doit être lu.

 

Nous donnons, ici, les principaux passages. Nous omettons tous les passages de simples salutations, de remerciements ne gardant que les paragraphes doctrinaux sur ce sujet très important : « les Droits de l’homme ». Nous commençons de transcrire ce document à partir du paragraphe 2 (A)

 

.( Quelques commentaires viendront à la fin de cette transcription.(B)

 

 A) le texte du Pape

 

« Monsieur le Président  du Conseil des Ministres…. 

« Messieurs les Cardinaux…

 

 

 

Grande admiration pour la science juridique

 

 

 

« 2. Au cours des années de service pastoral à l’Eglise, j’ai considéré qu’il appartenait à mon ministère de réserver une large place à l’affirmation des droits de l’homme, en raison du lien étroit qu’ils possèdent avec deux points fondamentaux de la morale chrétienne : la dignité de la personne et la paix. C’est Dieu en effet, qui, créant l’homme à son image et l’appelant à être son fils adoptif, lui a conféré une dignité incomparable, et c’est Dieu qui a créé les hommes afin qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix, en effectuant une juste distribution des moyens nécessaires pour vivre et se développer. Mû par cette conscience, je me suis prodigué de toutes mes forces pour servir ces valeurs. Mais je ne pouvais pas accomplir cette mission, que me demandait la charge apostolique, sans avoir recours aux catégories du droit.

Bien que m’étant consacré aux cours de mes années de jeunesse à l’étude de la philosophie et de la théologie, j’ai toujours nourri une grande admiration pour la science juridique dans ses plus hautes manifestations : le droit romain d’Ulpien, de Gaius et de Paul, le Corpus iuris civilis de Justinien, le Decretum Gratiani, la Magna Glossa d’Accurse, le De iure belli et pacis de Grotius, pour ne rappeler que quelques-uns des sommets de la science juridique, qui ont illustré l’Europe et en particulier, l’Italie. En ce qui concerne l’Eglise, j’ai moi-même eu l’occasion de promulguer, en 1983, le Nouveau Code de Droit canonique pour l’Eglise latine et en 1990, le Code des Canons des Eglises orientales

La personne humaine est le fondement et l’objectif de la vie sociale que le droit doit servir.

 

 

 

 

 « 3. Le principe qui m’a guidé dans mon engagement est que la personne humaine, telle qu’elle a été créée par Dieu, est le fondement et l’objectif de la vie sociale que le droit doit servir. En effet, « la place centrale de la personne humaine dans le droit est justement exprimée par l’aphorisme classique : hominum causa omne jus constitutum est. Ce qui équivaut à dire que le droit est digne de ce nom, dans la mesure où il place à sa base l’homme dans sa vérité » (Discours au Symposium sur Evangelium vitae et droit, n.4.cf. ORLF n.25 du 18 juin 1986). Et la vérité de l’homme consiste dans le fait qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

« En tant que «  personne » l’homme est, selon une belle expression de Saint Thomas d’Aquin, « id quod est perfectissimun in tota natura » (S.Th.. q.29,a.3). En partant de cette conviction, l’Eglise a formé sa doctrine sur les « droits de l’homme », qui ne dérivent ni de l’Etat ni d’une autre autorité humaine, mais de la personne même. Les pouvoirs publics doivent donc « garantir la reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion » (Pacem in terris,n.22) : il s’agit, en effet, de droits « universels, inviolables et inaliénables ».(Ibid.,n .3)

Voilà pourquoi les chrétiens « doivent travailler sans cesse à mieux mettre en valeur la dignité que l’homme a reçue de son Créateur et unir leurs énergies à celles des autres pour la défendre et la promouvoir » (Discours au colloque « L’Eglise et les droits de l’homme », n.4. cf. ORLFn.47 du 22 novembre 1988). En réalité, « l’Eglise ne peut jamais abandonner l’homme, dont le sort est étroitement et indissolublement lié au Christ » (Discours au Congrès mondial sur la pastorale des droits humains, n.3. cf. ORLFn. 28 du 14 juillet 1988).

 

 

 

Dans la dimension transcendante de la personne se trouve la source de sa dignité et de ses droits inviolables

 

 

 

« 4. C’est pour cette raison que l’Eglise  a favorablement accueilli la Déclaration universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies, approuvée lors de l’Assemblée générale du 10 décembre 1948. Ce document marque « un pas vers l’établissement d’une organisation judico-politique de la communauté mondiale. Cette déclaration reconnaît solennellement à tous les hommes, sans exception, leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice, d’exiger des conditions de vie conformes à la vie humaine, ainsi que d’autres liés à ceux-ci »(Pacem in  terris, n. 75). L’Eglise a également favorablement accueilli la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Conventiom des Droits de l’enfant et la Déclaration des Droits de l’enfant et de l’enfant à naître .

Sans aucun doute, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 ne présente pas les fondements anthropologiques et éthiques des droits de l’homme qu’elle proclame. Dans ce domaine, « l’Eglise catholique a une contribution irremplaçable à apporter, car elle proclame que c’est dans la dimension transcendante de la personne que se situe la source de sa dignité et de ses droits inviolables ». C’est pourquoi « l’Eglise est convaincue de servir la cause des droits de l’homme lorsque, fidèle à sa foi et à sa mission, elle proclame que la dignité de la personne a son fondement dans sa qualité de créature faite à l’image et à la ressemblance de Dieu »(Discours au Corps diplomatique, n .7.cf . ORLF n.3 du 10 janvier 1989). L’Eglise est convaincue que dans la reconnaissance de ce fondement anthropologique et éthique des droits de l’homme se trouve la meilleure protection contre toute violation et abus de ceux-ci.

 

 

 

Le premier et le plus fondamentale des Droits de l’homme est celui de la vie

 

 

 

 

« 5. Au cours de mon service comme Successeur de Pierre, j’ai ressenti le devoir d’insister avec force sur certains de ces droits qui, affirmés théoriquement, ne sont souvent pas respectés, que ce soit par les lois ou dans les comportements concrets. Ainsi, je suis revenu plusieurs fois sur le premier et le plus fondamental des droits de l’homme, qui est le droit à la vie. En effet, « la vie  humaine est sacrée et inviolable de sa conception à sa  fin naturelle… De même qu’une vraie culture de la vie garantit le droit de venir au monde à celui qui n’est pas encore né, de même elle protège les nouveaux-nés, en particulier les filles, du crime d’infanticide. Pareillement, elle assure aux porteurs de handicap le développement de leurs potentialités, et aux malades et aux personnes agées, des soins adaptés »(Message pour la journée mondiale de la paix1999, n .4. cf. ORLF n. 50 du 15 décembre 1998).

 

 

L’embriyon est un individu humain et le titulaire des droits inviolables de l’être humain

‘,

 

J’ai en particulier insisté sur le fait que l’embryon est une individu humain et, comme tel, il est le titulaire des droits inviolables de l’être humain. La norme juridique est donc appelée à définir le statut juridique de l’embryon en tant que sujet de droits qui ne peuvent  être violés par l’ordre moral, ni par l’ordre juridique.

 

 

Le droit à la liberté religieuse est la base de tous les droits

 

 

 

 

Un autre droit fondamental sur lequel, en raison de ses fréquentes violations dans le monde d’aujourd’hui, j’ai du revenir, est celui à la liberté religieuse, reconnu tant par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme(art. 18), que par l’acte final d’Helsinki (1 a,VII), ou par la Convention sur les Droits de l’enfant (art.14). Je considère en effet que le droit à la liberté religieuse n’est pas simplement un droit parmi les autres droits humains, mais qu’il est celui auquel tous les  autres se réfèrent, car la dignité de la personne humaine a sa première source dans le rapport essentiel avec Dieu. En réalité, le droit à la liberté de religion « est si étroitement lié aux autres droits fondamentaux que l’ont peut soutenir à juste titre que le respect de la liberté religieuse est comme un « test » pour l’observance des autres droits fondamentaux ».(Discours au Corps diplomatique, n.6 cf. ORLF n.3 du 17 janvier 1989).

 

 

 

Les nombreux autres droits qui doivent être garanties à travers des normes juridiques obligatoires

 

 

 

«  6 . Je me suis enfin efforcé de mettre en lumière, en demandant qu’ils soient garantis à travers des normes juridiques obligatoires, de nombreux autres droits, comme le droit à ne pas être discriminé pour des motifs raciaux, de langue, de religion et de sexe ; le droit à la propriété privée, qui est valable et nécessaire, mais qui ne doit jamais être séparé du principe plus fondamental de la destination universelle des biens (cf. Sollicitudo rei socialis, n.42) ; le droit à la liberté d’association, d’expression et d’information, toujours dans le respect de la vérité et de la dignité des personnes ; le droit – qui aujourd’hui est également un grave devoir – de participer à la vie politique, « destinée à promouvoir, organiquement et institutionnellement, le bien commun » (Christifideles laici, n.42) ; le droit à l’initiative économique(cf. Centisimus annus, n.15) ; le droit au logement, c’est-à-dire « le droit au logement pour chaque personne avec sa famille », strictement lié « au droit à se constituer une famille et  à avoir un travail justement rétribué » (Discours lors de l’Angelus : InsegnamentiXIX/1,1996) ; le droit à l’éducation et à la culture, car « l’analphabétisme constitue une grande pauvreté et est souvent synonyme de marginalité » (Discours pour l’Année internationale de l’alphabétisation,3 mars 1990. cf. ORLF n. 15 du 10 avril 1990) ; le droit des minorités « à l’existence » et « à conserver et à développer leur culture »(Journée mondiale de la Paix.1989,n.5et7. cf. ORLf n. 51 du 20 décembre 1988) ; le droit au travail et les droits des travailleurs : un thème auquel j’ai consacré l’Encyclique Laborem exercens.

 

 

La défense ouverte des droits de la famille contre les usurpations intolérables de la société et de l’Etat.

 

 

 

Enfin, j’ai pris un soin particulier à proclamer et à défendre ouvertement et avec vigueur les droits de la famille contre les usurpations intolérables de la société et de l’Etat » (Familiaris consortio, n. 46), sachant bien que la famille est le lieu privilégié de l’ « humanisation de la personne et de la société » (Christifideles laici, n. 40) et que c’est à travers elle que « passe l’avenir du monde et de l’Eglise »(Discours à la confédération des Consulteurs chrétiens, n. 4)

 

 

 

 

 

Conclusion

 

 

 

«   7 . Messieurs, je voudrais conclure notre rencontre par le vœu sincère que l’humanité progresse ultérieurement dans sa prise de conscience des droits fondamentaux dans lesquels se reflète sa dignité originelle. Que le nouveau siècle, par lequel s’est ouvert un nouveau millénaire, puisse enregistrer un respect toujours plus conscient des droits de l’homme, de tout homme, de chaque homme.

Sensible à l’exhortation de Dante : « Vous n’avez pas été faits pour vivre commes des brutes, mais pour rechercher les vertus et la connaissance », que les hommes et les femmes du troisème millénaire sachent inscrire dans les lois et traduire dans les comportements les valeurs éternelles sur lesquelles repose toute civilisation authentique.

Dans mon cœur, ce souhait se transforme en prière à Dieu tout-puissant, auquel je confie vos personnes, en invoquant de Lui d’abondantes Bénédictions sur vous qui êtes ici présents, sur vos proches et sur toute la communauté de « La Sapienza ».

 

 

 

 

B) Quelques réflexions sur ce texte

 

 

a) On remarquera d’abord, les efforts que fait le Pape pour fonder les droits de l’homme sur Dieu, principe de toutes choses et créateur de la nature humaine et de sa dignité qui, à la différence de la brute, a son fondement dans  l’ intelligence. D’où la claire allusion , à la fin de son texte, à Dante. D’où son affirmation : «  C’est dans  la dimension transcendante de la personne  que se situe la source de sa dignité et de ses droits inviolables. »(4)  Dimension transcendante de la personne en raison de sa nature spirituelle, intelligente, capable du vrai et donc libre. D’où, également, son affirmation, plusieurs fois répétées, que la personne humaine est créature de Dieu, faite à l’image et  à la ressemblance de Dieu :   « C’est pourquoi l’Eglise est convaincue de servir la cause des droits de l’homme lorsque, fidèle à sa  foi et à sa mission, elle proclame que la dignité de la personne a son fondement dans sa qualité de créature faite à l’image et à la ressemblance de Dieu »(4).

Ces rappels sont heureux . A la différence des Déclarations et des Conventions  internationales sur les «  Droits de l’Homme », l’Eglise rappelle toujours les  fondements des droits humains. C’est l’apport spécifique et nécessaire de l’Eglise en ce domaine, dit le Pape en son paragraphe 4. L’Eglise ne dissocie pas  les Droits de l’homme d’avec Dieu. Le Pape s’oppose fortement  à la conception positiviste et subjective des diverses Déclarations  des «  Droits de l’homme »,  ce que Jean Madiran a très heureusement appelé : « les Droits de l’homme sans  Dieu. ».

 

 b) Et c’est ainsi que le Pape Jean-Paul II  considére de son devoir «  comme Successeur de Pierre »(5) d’insister avec force sur certains droits,  pas assez respectés ni par les hommes ni par les lois publiques comme le droit à la vie, comme le droit à la propriété, comme le droit à la liberté d’association, le droit de logement, les droits de la famille contre les usurpations intolérables de la société et de l’Etat, en matière d’éducation, par exemple. Tous ces droits rappelés et défendus sont tous des droits naturels ayant leur fondement dans la nature humaine créée par Dieu à son image et ressemblance et donc ayant leur fondement  en la dignité radicale de la personne humaine.

 C’est ainsi par exemple que le Catéchisme de Concile de Trente demande que soit expliqué aux fidèles le droit à la vie, condamnant  par exemple l’homicide. Il écrit : « Les homicides sont les ennemis les plus acharnés du genre humain et même de la nature ; car ils détruisent autant qu’il est en eux, l’œuvre de Dieu, en détruisant l’homme pour lequel Il nous atteste qu’Il a fait toutes choses. Il y a plus : comme il est défendu dans la Genèse de tuer l’homme, parce que Dieu l’a créé à son image et à sa ressemblance, celui-là Lui fait une injure insigne, qui porte pour ainsi dire sur Lui une main criminelle en faisant disparaître son image du milieu du monde. (Cat.du Concile de Trente, p.407)

 

 L’enseignement du Pape Jean-Paul II sur les fondements  des droits  humains  est bien identique. C’est l’enseignement de l’Eglise de toujours.

 

c) Toutefois, ce texte, sur d’autres points, me laisse  perplexe pour plusieurs raisons dont voici les principales :

 

1) Est-il vrai de dire purement et simplement que l’Eglise catholique a toujours « favorablement  accueilli »(4) les différentes Déclarations ou Conventions internationales sur les Droits de l’homme. Je n’en suis pas sur. Il me semble qu’il faudrait, au minimum, nuancer.  Il me souvient d’un texte de l’Eglise : le Syllabus, qui ne me paraît pas si favorable que cela à cette doctrine  nouvelle, universellement répandue dans le monde : le libéralisme,  appelée aussi  le « droit nouveau »,  qui a enfanté  cette doctrine dite des «  Droits de l’Homme ». Il est vrai que le Concile Vatican II est passé par là et qu’il a donné une doctrine nouvelle, un « contre Syllabus », comme le dit le Cardinal Ratzinger, très ouverte à cette doctrine des Droits de L’Homme : « Gaudium et Spes ». Oui ! Mais précisément ce texte  fait parti des textes conciliaires qu’il faudrait certainement revoir ! N’oublions pas que le Concile Vatican II est un simple  Concile  pastoral.

 

2) Je me souviens également d’une critique particulièrement convaincante de M. Desjard dans la revue de  l’Action Familiale et Scolaire (AFS) sur le fameux texte de la Conventions des Droits de l’enfant, disant son étonnement de voir  le gouvernement actuel de l’Eglise approuver  ce texte. C’était en 1989. La Convention sur les droits de l’enfant fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 Novembre 1989. Elle est entrée en vigueur le 2 Septembre. Le Vatican, de fait, a adhéré à cette Convention en Avril 1990.  Ceux qui veulent faire une lecture attentive de ce problème pouvant trouver ce document de l’AFS  en cliquant ici. Ils verront que ce texte n’est pas bon en tous points. Et que l’influence rousseauiste, individualiste est largement présente.

 

3) Enfin le Pape semble mettre sur le même pied, sur un pied d’égalité et le droit à la liberté religieuse et les droits comme le droit à la vie, le droit de propriété… Mais le droit à la vie , le droit de propriété… dont le Pape se fait très heureusement le héros,  en ces temps troublés, sont des droits naturels fondés sur la nature humaine. Ainsi le Pape ferait du « droit à la liberté religieuse » un véritable droit naturel. C’est, du moins, la pensée de la Secrétairerie d’Etat, en particulier de Mgr Tauran.

Mais est-ce juste ?. Faire du droit à la liberté religieuse un droit naturel, c’est en faire un droit absolu. C’est faire de la liberté  une revendication absolue qui relèverait de la nature humaine elle-même, de  la dignité  même de la personne humaine, et qu’en conséquence  «  tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte  de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit (…) empêché d’agir dans de justes limites, selon sa conscience,(…) en public, seul ou associé à d’autres. » ( Dignitatis humanae, art. 2). La liberté serait comme une fin en soi. Ce serait définir l’homme comme une entité absolue, comme son propre auteur,  ne relevant que de sa propre autorité, comme  pure autonomie, pure indépendance, autonomie et indépendance de tout ordre.  Seul son ordre subjectif, seule sa conscience propre serait son propre ordre. Parler ainsi de la liberté religieuse, c’est affirmer l’indépendance absolue de l’homme à l’égard de tout ce qui n’est pas lui. C’est fondamentalement le refus de l’ordre objectif, de l’autorité de la loi, de l’autorité de Dieu, de l’autorité de Dieu se révélant. C’est le refus même de la foi ou  c’est dire que la foi est libre et facultative - la liberté étant la valeur suprême. Car les objets de la foi  sont  essentiellement révélés. La foi est l’assentiment de l’intelligence à ce qui est, existe indépendant de soi, de sa conception, de sa  pensée. L’objet de la foi s’impose de l’extérieur. La foi a pour fondement l’autorité de Dieu se révélant. Le droit à la liberté humaine, c’est finalement le droit du « non serviam ». C’est finalement reconnaître légitime, le refus de l’ordre divin.

Mais c’est l’affirmation de tout anthropocentrisme : l’homme est à lui-même sa propre loi. L’homme se donne sa propre règle, indépendamment de toute autorité. C’est donc affirmer équivalemment que l’homme est sa propre finalité, indépendamment de Dieu. Mais c’est contredire la Révélation qui nous enseigne que le « Seigneur a fait toutes choses pour lui-même »(Prov 16,4). Comme le dit  Romano Amerio : « L’idée de l’homme centre et fin est conforme peut-être à l’esprit de l’homme contemporain, mais n’a aucun fondement dans la religion qui ordonne tout vers Dieu et non vers l’homme. L’homme n’est pas une fin en soi, mais une fin secondaire et ad aliud (i.e. elle-même orientée vers un autre que soi) qui est subordonnée à la domination de Dieu, fin universelle de la création »(Iota Unum. p.394)

Le droit à la liberté religieuse, c’est finalement écarter la souveraineté de l’être divin. C’est vouloir se faire Dieu. « Vous serez comme des dieux ».

Mais cette autonomie, cet «  ens per se » est le propre de Dieu seul. Aucune créature n’est par elle-même ontologiquement. Chaque être fini est essentiellement dépendant et non autonome.

Dès lors comment peut-on se faire le défenseur d’un tel droit ?

 

4) Il faut reconnaître toutefois que le Concile Vatican II met une limite à cette liberté absolue, à cette totale autonomie, ce sont, nous l’avons cité plus haut «  les justes limites » qui doivent respecter l’ordre établi qui relève du Bien Commun.. C’est la seule limite que le Concile  met à l’autonomie humaine. Mais le bien commun  est du domaine de l’Etat. C’est la raison d’être de l’Etat. C’est donc faire ultimemement de l’Etat, le seul censeur de la liberté, de la conscience. C’est proprement renverser l’ordre divin, l’ordre des fins : la fin temporelle est subordonnée à la fin surnaturelle. Avec la liberté religieuse, c’est le contraire. La fin temporelle est première et même unique. C’est le non sens. C’est le principe de tout totalitarisme.

 

M . l’Abbe de Tanouarn , dans son livre récemment publié, fort intéressant : « Vatican II et l’Evangile » commente très heureusement cette affirmation sur les « justes limites » invoquée par le Concile :

 

«  Certes,(on) prend la précaution d’invoquer l’Ordre public comme « juste limite » à la liberté : mais cette notion est bien vague ! Qu’est-ce que l’ordre public lorsqu’on constate, aujourd’hui, qu’il est  troublé par une procession du Saint Sacrement… et qu’il ne l’est pas par la Gayprides et autres Technoparades ? L’avortement remboursé par la Sécurité Sociale n’est pas un trouble à l’ordre public, mais  les manifestations pacifiques du docteur Dor qui proteste contre cette législation, constituent, paraît-il, un scandale punissable par la loi… Est-ce donc l’ordre public qui décidera de la justice ou de l’injustice d’un comportement religieux ? Vraiment ce critère semble insuffisant pour définir la sphère individuelle de liberté qui …serait toujours un bien. L’actualité nous montre tous les jours que l’ordre public n’est pas forcément un ordre juste.
Mais ce repli de l’Eglise derrière l’ordre public démocratique a une autre conséquence. Si ces « justes limites » constituent la pierre de touche du bien et du mal, cela signifie que toutes les religions admises dans le nouvel ordre démocratique devront être, d’une manière ou d’une autre, des religions d’Etat. Elles devront se plier, plier leurs valeurs et leurs croyances s’il le faut, à cet ordre, pour êtres toutes, oui, des « religions d’Etat » ; elles devront s’efforcer de rentrer dans les critères politiques qui définissent, hic et nunc, l’ordre public. De fait aujourd’hui, les discussions qui ont lieu, depuis plusieurs années maintenant, entre les autorités islamiques (qu’il est bien difficile de réunir) et le ministre de l’Intérieur ont bien cette signification. Substantiellement, on tient aux autorités musulmanes un discours qui est à peu près le suivant : « Devenez une communauté docile, pénétrée des valeurs de la démocratie, et l’on vous donnera toutes les facultés, on construira vos mosquées, on formera vos imams s’il le faut. Vous ne serez pas plus gênants pour la République que ne le sont les catholiques d’aujourd’hui, enfin… ceux que reconnaissent docilement les évêques dont nous avons approuvé la nomination. »

Reconnaître le droit individuel à la liberté religieuse dans une sphère raisonnable d’autonomie, c’est de facto laisser l’Etat juge du droit religieux, juge du bien et du mal en matière religieuse. A moyen terme, cela signifie ôter à l’Eglise du Christ toute autonomie spirituelle…. En pratique (tout cela) consiste à remettre à l’Etat démocratique, considéré comme le seul juge de la liberté religieuse des citoyens, l’autorité spirituelle ultime. »(p .189-190)

 Comment peut-on se faire le défenseur d’un tel droit. ? Mais le Pape s’oppose à tout totalitarisme !

 

5) Affirmer le  droit à la liberté religieuse, c’est faire de la liberté la seule norme, indépendante, subsistant par elle-même, pour elle-même…. Mais c’est écarter le  principe même de l’autorité. C’est tout à fait la philosophie protestante. Le principe luthérien fut, en effet ,de substituer à la règle de l’autorité, l’esprit privé, le « libre examen ». Mais c’est la philosophie même du droit à la liberté religieuse.

Comment peut-on se faire le défenseur d’un tel droit ?

 

6) Le principe du droit à la  liberté religieuse est non seulement le refus de l’autorité mais aussi de l’obéissance. C’est normal. Ces deux vertus sont corrélatives. C’est pourquoi il ne faut pas craindre de dire que le droit à la liberté religieuse, droit dit absolu,  bien loin de plonger ses racines dans la nature humaine, les plonge, au contraire, dans la pensée luthérienne. C’est là qu’il puise sa « philosophie » : le vrai est immanent à soi-même. La conscience seule est tout. Voilà le principe de ce droit à la liberté religieuse que l’on dit absolu. Comment peut-on défendre cela ?

 

7)  Mais où se trouve donc la faille de l’argument conciliaire sur la liberté religieuse ? L’exposé  de la pensée  de M. l’abbé Berto en cette affaire nous le fera mieux comprendre. Prenons cet exposé dans l’admirable synthèse que présente M. de Lassus  dans son étude intitulée : «  La liberté religieuse. Trente ans après Vatican II » p. 50-51 :

 

« Le droit à la liberté religieuse tel que défini par le Concile Vatican II, autrement dit, « le droit à l’immunité de contrainte en matière religieuse a, nous dit le Concile, son fondement dans la dignité même de la personne humaine. Ainsi, cette dignité justifierait l’immunité de contrainte dont devrait bénéficier une  personne ou un groupe de personnes posant des actes de culte public d’un fausse religion.

La dignité de la personne humaine ici considérée est très clairement celle que nous avons appelée, selon la terminologie utilisée par l’abbé Berto, dignité radicale (celle qui provient de la nature humaine ) (et qui en fait un droit absolu). Or, expliquait l’abbé Berto :

« L’on considère d’une manière inadéquate seulement et tout à fait insuffisante la dignité de la personne humaine si on la considère seulement dans sa racine(…)Les rédacteurs qui ont bâti tout leur schéma (sur la liberté religieuse) sur une notion inadéquate de la dignité de la personne humaine, ont de ce seul chef présenté un travail difforme d’une extraordinaire irréalité ; en effet, qu’on le veuille ou non, il y a entre les personnes humaines adéquatement considérées, d’immenses différences de dignité. Et cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit du schéma sur la liberté religieuse ; car de toute évidence la liberté religieuse convient à la personne non pas suivant sa dignité radicale, mais suivant sa dignité opérative, et ainsi la liberté ne peut pas être la même chez l’enfant et chez l’adulte, chez le sot et chez l’esprit pénétrant, chez l’ignorant et chez l’homme cultivé, chez un possédé du démon et chez celui que l’Esprit –Saint inspire, etc.

Or cette dignité, que nous appelons opérative, n’appartient pas à  l’être physique, mais relève, c’est évident, de l’ordre intentionnel. La négligence de cet élément intentionnel, à savoir la science et la vertu, est dans le schéma une erreur très grave que jusqu’à maintenant les docteurs catholiques non seulement ont évitée, mais qu’ils ont souvent et clairement réfutée. En d’autres termes, le schéma abandonne la philosophie élaborée par des docteurs de très grand talent et utilisée sans cesse par le magistère romain dans des documents très solennels, pour une philosophie pauvre et méprisable ; fausse en soi et inventée par les sectes les plus opposées à l’Eglise pour la ruine de l’Eglise elle-même » ( Abbé Berto, Pour la sainte Eglise romaine, art. « la dignité de la personne humaine, p. 387-388)

 

Sans doute la critique de l’abbé Berto portait-elle sur un schéma préparatoire de déclaration conciliaire et non sur le texte définitif de la déclaration. Mais comme l’argumentation sur ce point est restée la même, du schéma au texte définitif, nous pouvons appliquer à celui-ci la critique s’adressant à celui-là. »(A de Lassus : La liberté religieuse. p.50-51)

 

Mais quelle est donc la doctrine catholique en cette affaire de la liberté religieuse ?  tout le contraire. L’Eglise a condamné la proposition suivante : « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qui doit être proclamé par la loi et assuré dans tout Etat bien constitué » (Pie IX, encycl. Quanta cura) Mais qui ne voit que c’est ce qu’enseigne le Concile Vatican II !

Il y a d’un coté approbation de la liberté civile et sociale en matière religieuse, de l’autre condamnation de cette même liberté.

« La doctrine conciliaire dit que l’exercice public des faux cultes est un droit, non pas au regard de Dieu, mais des autorités humaines, dès lors que cet exercice ne trouble pas l’ordre public »

« La doctrine traditionnelle dit, au contraire, que cet exercice n’est un droit à aucun titre, mais peut – dans certaines circonstances – être toléré par  les pouvoirs publics pour éviter un plus grand mal » Voilà !

 

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 Tous ceux qui s’ intéressent à ces sujets très  importants,  pourront participer, dès septembre prochain, à un grand forum catholique sur la toile. L’animeront votre serviteur, l’abbé de Tanouarn, l’abbé Barthe, l’abbé Laguerie Philippe, l’abbé Heris et l’abbé Pennel .

 

LES FORUMS D’ITEM : SEPTEMBRE 2003 : LA LIBERTE RELIGIEUSE.