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Les Echos du 16 novembre 2004 Page 22 LE

SECHOS




Au Vatican, l'abolition des limbes ?

Le scoop n'a pas encore vraiment filtré hors des cercles vaticanistes. Mais il a son importance. Cruciale même, aux yeux des théologiens et historiens des religions, qui y voient un possible bouleversement des catégories traditionnelles de l'enfer et du purgatoire, et donc... du paradis. Depuis quelques semaines, la Commission théologique internationale du Vatican, présidée par le cardinal Ratzinger, a mis en chantier une réflexion approfondie sur l'abolition des limbes, ce lieu indéfini, entre l'enfer et le purgatoire, où sont censées flotter les âmes des petits enfants morts sans baptême. Le pape Jean-Paul II a lui-même insisté sur l'importance de cette réflexion qui englobera plusieurs questions connexes telles la théologie des sacrements, la doctrine du péché originel ou la reconnaissance des embryons.

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« Je ne peux anticiper les conclusions d'un travail qui vient à peine de commencer, qui implique les théologiens de tous les continents et fait appel à la théologie dogmatique, à l'étude de la Bible et même à l'histoire de la théologie. Je ne pense pas qu'il sera possible de se prononcer avant deux ou trois ans », a déclaré le nouveau secrétaire de la commission pontificale, le père Luis Ladaria, dans une interview au quotidien catholique « Avvenire ». Mais il n'a pas caché non plus que, depuis l'ouverture de nouvelles perspectives par le concile Vatican II, la « ligne dominante » est à l'élargissement de la miséricorde divine... et donc à une probable remise en cause des limbes.


En réalité, à y regarder de plus près, l'Eglise ne s'est jamais prononcée très clairement sur l'existence des limbes, même s'ils ont été rendus célèbres par le quatrième chant de « La Divine Comédie », de Dante.

Pour le père Ladaria, professeur de théologie de l'Université grégorienne de Rome, la doctrine des limbes remonte au Moyen Age et au concile de Latran IV, en 1215, point d'orgue de la réforme grégorienne. Mais on en retrouve aussi d'abondantes traces dans les écrits de saint Thomas et de saint Augustin. Pour l'expert en théologie morale Gianni Cioli, « le concept de limbes est né pour répondre à la vision selon laquelle les enfants morts avant d'avoir reçu le baptême étaient destinés à l'enfer ». Mais aujourd'hui « l'idée que des innocents puissent, sans avoir commis la moindre faute, être exclus de la vision béatifique de Dieu répugne à notre sensibilité ».


Selon l'historien des religions Giovanni Filoramo - auteur de la préface d'un ouvrage de Pierre- Antoine Bernheim (fils d'Antoine) sur le paradis -, l'affaire est délicate. Car on ne touche pas aux limbes sans remettre en cause « l'un des cadres conceptuels les plus confortables de notre vie fragile : celui de l'incertitude et du doute ».


PIERRE DE GASQUET