Après l’ère de Vatican II…
Le
dernier numéro de La Nef (septembre
2003, 6 €) publie un débat théologique qui se voulait très
« positif » sur l’Eglise, animé par
Christophe Geffroy et Jean-Marie Paupert entre le P. Serge-Thomas Bonino, op,
directeur de la Revue thomiste, et
l’abbé Claude Barthe, de la revue Catholica. Le débat montre que les positions des deux
interlocuteurs sont loin d’être diamétralement divergentes : elles
s’opposent dans le principe sur les questions doctrinales les plus brûlantes de
Vatican II, mais elles convergent sur des options pratiques :
Sur le magistère de Vatican II
Vatican
II est défendu par le P. Bonino (c’est le contexte du Concile qui est
défaillant), et attaqué par l’abbé Barthe sur les « points de
rupture » comme le dialogue interreligieux et la liberté religieuse
(Vatican II a opéré une « réforme démagogique »). La pointe de
la discussion visait l’autorité du magistère de Vatican II :
« Père
Bonino – Comme l’a recommandé naguère le cardinal Ratzinger, il faut donc lire
Vatican II à la lumière de la Tradition. Les « nouveautés » (et
les ruptures apparentes) doivent s’interpréter comme un développement homogène
de la Tradition et doivent être mises en œuvre dans un sens
traditionnel… »
« L’abbé
Barthe – Vous évoquez, mon Père, cette nécessité de l’interprétation de Vatican
II dans le sens de la tradition. Mais c’est là justement qu’est, à mon sens, la
principale difficulté de ce concile. Le contenu de la tradition est donné de
manière plus précise par le dernier état du magistère : c’est Trente qui
interprète Florence et Vatican I qui interprète Trente dans le sens de la
tradition. Ainsi Vatican II devrait représenter l’état le plus abouti de
l’explicitation de cette tradition. Or, il n’en est rien et c’est au contraire
dans l’enseignement précédent qu’il faudrait chercher une interprétation du
dernier concile. A terme, on sortira de la crise lorsque sera donnée de Vatican
II une interprétation au sens fort,
magistérielle, et donc par définition dans le sens de la tradition. »
Sur la question liturgique
Il
apparaît nettement que le P. Bonino représente les catholiques conciliaires qui
sont loin d’être satisfaits par la réforme de Paul VI, l’abbé Barthe
prônant des solutions de transition
pour rectifier progressivement la liturgie des paroisses :
« Père
Bonino – Certains aspects de la réforme ont manifestement enrichi la vie du
peuple chrétien. Je pense par exemple à la place plus grande faite à l’écoute
priante de la Parole de Dieu dans les célébrations. D’autres, avec le temps,
ont révélé leurs limites. Comme le nouveau rite n’est pas intangible, ces
aspects négatifs peuvent être corrigés par l’autorité compétente… »
« L’abbé
Barthe – Cette idée de « réforme de la réforme » gagne du terrain à
Rome. D’après ce que l’on peut savoir des intentions de ceux qui l’évoquent,
elle concernerait, comme l’expression l’indique, le rite de Paul VI, sans
toucher au rite de saint Pie V qui resterait une espèce de référence. Je
suis bien d’accord avec vous : il faudra que cette réforme se fasse en
douceur. Plutôt que vers un biritualisme, on pourrait
aller – il serait bon qu’on aille – vers la coexistence entre un rite de
référence et une « liturgie ordinaire » progressivement resacralisée en direction de cette référence. En tout cas,
cette « réforme de la réforme » liturgique ne peut manquer de
s’accompagner d’une « réforme de la réforme » doctrinale. La
déficience de la réforme liturgique est le miroir des problèmes doctrinaux et
le flou doctrinal s’exprime visiblement dans le flou liturgique. Si donc l’on
en vient à corriger en liturgie, le manque de transcendance, le sens de l’autel
ou les prières de l’offertoire, on sera amené en même à sortir de ce qui en est
l’équivalent en doctrine… »
Sur l’avenir :
« L’abbé
Barthe – Le nombre de vocations est à nouveau en baisse partout. Certes, cette
baisse est encore plus angoissante dans les séminaires diocésains. Il reste
vrai que les communautés nouvelles ou plus traditionnelles restent les plus
riches en vocations, ce qui peut expliquer les bonnes intentions liturgiques
d’un certain nombre de prélats. Quant à l’organisation pratique de la
pastorale, il faudra sans doute imaginer des solutions diverses. De fait, on
vit largement aujourd’hui selon un système de réseaux qui fait que chacun va vers
la communauté, la sensibilité de son choix. Le système des paroisses devra être
maintenu autant que possible. Mais on peut aussi penser à des lieux vers
lesquels se regrouperaient les fidèles, et à partir desquels des prêtres
rayonneraient. En tout cas, le nombre de prêtres ne permettra plus dans
quelques années de maintenir le système en l’état. Il est clair que, de ce
point de vue, la vraie crise est devant nous… »
« Père
Bonino – Je constate avec joie, après des décennies où les sciences humaines
régnaient en maître comme propédeutique à une théologie délibérément éclatée,
que les nouvelles générations de clercs, certes trop réduites, sont
généralement soucieuses d’une solide formation métaphysique et théologique à
l’école de saint Thomas d’Aquin, pour mieux
structurer leur identité chrétienne. »
Les
deux interlocuteurs se sont accordés sinon sur les solutions ultimes (l’abbé
Barthe propose de faire subir aux textes novateurs de Vatican II la « mise
entre parenthèse » qu’a subie la doctrine du concile de Constance
affirmant que le concile est supérieur au pape ; puis cette doctrine a été
condamnée par Vatican I), du moins sur la nécessité d’opérer la
« mise à plat » des problèmes doctrinaux : « Il ne faut pas
des solutions de replâtrage à des déchirements de cet ordre. Il vaudrait mieux,
pour ainsi dire, circonscrire d’abord la névrose, et bien s’entendre sur ces
points qui font difficulté, qui sont à interpréter.
Le "respect" des religions non chrétiennes pourrait en être un »
(l’abbé Barthe). Ce thème de « la réforme de la réforme » liturgique
et doctrinale devrait gagner de plus en plus de terrain.
Valérie
Houtart