Commentaire du texte de Monseigneur Tauran

 

 

La Secrétairerie d’Etat et l’ordre international

 

 

 A la fin  du mois de mai 2003, du 23 au 24 mai, s’est tenu à  Rome, à l’Université Pontificale Grégorienne, dans l’Aula Magna, un Congrès ayant pour thème : « L’Eglise et l’Ordre international » et ce, à l’occasion du 40ième anniversaire de l’Encyclique « Pacem in Terris » de Jean XXIII.

 

Mgr Tauran, de la Secrétairerie d’Etat, chargé des relations publiques de l’Eglise avec les Etats, a donné la conférence de clôture.

 

Son texte est  important.

 

Vous pouvez le trouver sur le site Item, dans son intégralité, en cliquant ici.

 

Je me permets d’en donner  un commentaire.

 

Remarque préliminaire

 

Je ferais tout d’abord une remarque préliminaire.

Je m’aperçois que tous les discours prononcés par le Pape, à l’occasion des cérémonies de réception d’ambassadeurs près le Saint Siège – c’est l’expression ad hoc - , des discours touchant l’ordre international, touchant le droit, les  droits  humains et les relations publiques de l’Eglise avec les Etats, tout ce qui touche, en un mot, « l’éthique et l’ordre mondial » ont le même style que ce discours présent de Mgr Tauran.

Il est difficile, en effet, de ne pas remarquer l’identité de style, au mot près, à la phrase près, même  à la tournure d’expression prés,  entre le texte ici analysé de Mgr Tauran et les discours du Pape en de pareilles circonstances.

Un exemple frappant est celui du discours prononcé par le Pape à l’occasion de la réception du titre de Docteur « honoris causa » en droit de l’Université romaine  la Sapeinza d’avec ce texte-ci écrit et prononcé par Mgr Tauran. Amis lecteurs ! Vous qui avez pu lire le texte de ce discours dans la Chronique romaine de début juillet, vous pouvez  vous même le remarquer et, avec moi, conclure : ce doit être le même auteur, le même rédacteur. Les styles sont par trop identiques. Mgr Tauran et ses collaborateurs  préparent les discours, le Pape les lit. C’est normal. Le Pape ne peut pas tout écrire lui-même. Les Dicastères, du reste, sont là pour l’aider dans la gestion  des dossiers. Mais  cette chose ne m’a jamais paru aussi clairement pour ne pas être notée.

 

Analyse du texte de Mgr Tauran

 

Il nous apprend que l’Eglise catholique romaine entretient des relations diplomatiques avec 174 pays, qu’elle est l’unique confession religieuse à le faire.

 

Qu’elles en sont les raisons ?

1)                                                    «  elle le doit avant tout à sa structure organisatrice, authentiquement universelle, non pas supranationale mais plutôt transnationale »

2)                                                    «  elle le doit à son chef, le Souverain Pontife qui, une fois élu par le conclave, jouit d’une personnalité internationale »

3)   «  elle le doit ensuite à son histoire qui a vu le Pontife devenir le cœur des nations de l’occident chrétien »

 

Même si ce rôle international fut combattu au cours de l’histoire, en particulier au moment de la Réforme protestante, de la Révolution française, de l’annexion des territoires pontificaux par l’Italie, il a survécu et ne cesse d’exercer son influence de par le monde.

 

Le Vatican exerce ce pouvoir avec aucune ambition politique, mais comme un simple «  pouvoir moral ». Il s’agit  d’une « puissance morale », d’une « puissance religieuse » ; il l’exerce dans « une dialogue  franc et cordial avec les dirigeants politiques ».

Ce pouvoir, son rôle, consiste avant tout, nous dit Mgr Tauran « à solliciter et à donner une voix à la conscience des personnes et des peuples »

J’aurais, je l’avoue, préférer lire, ici, que le Vatican accomplissait cette mission en voulant être seulement l’écho de la parole de son Maître : Notre Seigneur Jésus-Christ. Non. Son rôle politique est de donner  «  une voix à la conscience des personnes et des peuples ».. L ‘Eglise n’est-elle que cela. ? Un simple « réceptacle » de la conscience des personnes et des peuples. C’est peu et terriblement réducteur, naturaliste et subjectif . Cette expression est malheureuse. Mais, à la fin de son discours, Mgr Tauran corrigera un peu cette présentation en disant,  citant Jean-Paul II : «  La raison d’être du Saint Siège au sein de la communauté des nations est d’être la voix qu’attend la conscience humaine ». C’est mieux. Ici, il nous est rappelé que l’Eglise, comme son Maître, est « la Voix, la Vérité et la Vie » dont a besoin les peuples et les Etats.

 

Qu’elle est donc cette voix ?. Mieux que fait entendre cette voix ecclésiale au milieu des nations ?

 

Essentiellement trois choses, peut-être quatre.

L’Eglise rappelle, premièrement, la primauté de la personne humaine et de ses droits comme étant inviolables et sacrés.

L’Eglise, deuxièmement, travaille sans compter pour la paix internationale et sa réalisation et affirme, troisièmement, que cette paix exige le respect par les Etats du droit et de la justice internationale.

 

a) de la primauté de la personne humaine.

 

L’Eglise rappelle iterum et iterum, nous dit Mgr Tauran, aux Etats « la place centrale de la personne humaine et par conséquent ses droits »

 

 Parmi tous ses droits, Mgr Tauran aime à rappeler, en premier lieu, comme étant le plus important, « le droit à la vie, à toutes les étapes du développement biologique de la personne jusqu’à sa mort naturelle ».Il rappelle combien le Pape Jean-Paul II a œuvré, durant tout son pontificat, « au service de la vie et de la famille ».C’est vrai. Dans ses contacts avec les responsables de la communauté internationale, « le Saint Siège n’a jamais cessé de rappeler que la vie est un don qui vient d’un Autre et qu’elle est par conséquent sacrée », « que le droit à la vie est le fondement de tous les autres droits » comme « le droit à la liberté de conscience et de religion, le droit à l’éducation, au travail, au développement humain » et  que « ces droits découlent non point de l’Etat, mais de la personne  elle-même ». On retrouve l’idée exprimée, hier, devant les notables de  la Sapienza, par le Pape Jean-Paul II, équiparant tous ces droits et faisant ainsi du droit de conscience, et du droit à  la liberté religieuse de véritables droits naturels, fondés sur la nature humaine. Ils sont donc «  universels, inviolables et inaliénables ». C’est pourquoi l’Eglise accueille favorablement les grandes déclarations des organismes internationaux sur  les « droits de l’hommes », comme celle proclamée par l’O.N.U en 1946 .Le Pape disait absolument les même choses, vous dis-je , hier à  la Sapienza.

 

Mgr Tauran, en conséquence, consacre tout un paragraphe à la liberté de conscience et de cultes, à la liberté religieuse. Il va même jusqu’à dire que « le Saint Siège a  toujours défendu la liberté de conscience et de religion, non seulement en tant que liberté de culte mais également  entendu comme une possibilité pour les croyants de participer à la vie sociale et politique du pays dont ils sont citoyens ». Il rappelle que « lorsque la liberté religieuse est violée ou supprimée, toutes les autres libertés fondamentales sont en réalité menacées ». On retrouve cette idée exprimée, mot pour mot, dans le discours de Jean-Paul II à la Sapienza. Enfin, il conclut son propos sur ce sujet par ces mots : «  Pour résumer, on peut affirmer que le Saint Siège s’oppose à toute vision unidimensionnelle de l’homme et en propose une conception ouverte à sa dimension individuelle, sociale et transcendante ».

 

Critique.

 

Je reviendrais, dans une lettre ouverte à Monseigneur Tauran, sur cette dernière phrase, mais pour l’instant, je me permettrais de lui faire remarquer que la doctrine catholique sur la liberté de conscience, sur la liberté religieuse, sur la liberté de culte, est plus subtile, plus nuancée que son exposé. Qu’il faut distinguer. On ne peut pas dire purement et simplement que le « Saint Siège a toujours défendu la liberté de conscience et de religion…en tant que liberté de culte »

 

Je peux vous  montrer que l’Eglise a condamné, sous un certain aspect, la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté des cultes. En effet le Pape Léon XIII, dans son encyclique « Libertas praestantissimum » a condamné la liberté des cultes. Il écrit : « La liberté des cultes, comme on l’appelle, liberté qui repose sur ce principe qu’il est loisible à chacun de professer telle religion qu’il lui plait, ou même de n’en professer aucune. Mais, tout au contraire, c’est bien là sans nul doute, parmi les devoirs de l’homme, le plus grand et le plus saint, celui qui ordonne à l’homme de rendre à Dieu un culte de piété et de religion. Et ce devoir n’est qu’une conséquence de ce fait que nous sommes perpétuellement sous la dépendance de Dieu, gouvernés par la volonté et la Providence de Dieu, et que, sortis de lui, nous devons retourner à lui ». Ce n’est nullement une approbation de la liberté des cultes.

 

Plus loin, le même Pape, dans la même encyclique, condamnera la liberté de conscience. Mais il distinguera. Il écrit « Une autre liberté que l’on proclame aussi  bien haut est celle qu’on nomme liberté de conscience. Que si l’on entend par  - Vous voyez bien que le Pape distingue- Que si l’on entend par là que chacun peut indifféremment, à son gré, rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, les arguments qui ont été donnés plus haut - (ceux de la dépendance à Dieu)- suffisent à le réfuter ». Ce n’est pas non plus ce qu’on peut appeler une approbation.

 

Et le Pape explique encore sa condamnation en disant quelques paragraphes plus loin : « Afin de récapituler brièvement, et pour plus de clarté, tout ce discours, avec ses conséquences, Nous disons en résumé que l’homme doit nécessairement rester tout entier dans une dépendance réelle et incessante à l’égard de Dieu, et que, par conséquent, il est absolument impossible de comprendre la liberté de l’homme sans la soumission à Dieu et l’assujettissement à sa volonté. Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la liberté et révolte »

 

Et le Pape de conclure : «  De ces considérations, il résulte qu’il n’est aucunement permis de demander, de défendre ou d’accorder sans discernement la liberté de la pensée, de la presse, de l’enseignement, des religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l’homme. Si vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine ».

 

Voyez qu’il n’est pas vrai de dire purement et simplement et d’une manière absolu que «  le Saint Siège a toujours défendu la liberté de conscience et de religion ..en tant que liberté de culte. Il faut distinguer. Ce que le Pape Léon XIII fait dans l’exposé de son encyclique.

 

En effet, après avoir réfuté la liberté de conscience  comprise comme profession d’indifférentisme religieux « chacun pouvant indifféremment, à son gré rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu », le Pape précise : mais si l’on entend liberté de conscience «  en ce sens que l’homme a dans l’Etat le droit de suivre, d’après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d’accomplir ses préceptes sans que rien puisse l’en empêcher » alors là, oui, l ‘Eglise approuve cette façon de voir les choses et elle soutient et argumente : «  Cette liberté, écrit Léon XIII, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au dessus de toute violence et de toute  oppression, elle a toujours été l’objet des vœux de l’Eglise et de sa particulière affection. C’est cette liberté que les apôtres ont revendiquée avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs écrits, qu’une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur sang . Et ils ont eu raison, car la grande et très juste puissance de Dieu sur les hommes et, d’autre part, le grand et le suprême devoir des hommes envers Dieu trouvent l’un et l’autre dans cette liberté chrétienne un éclatant témoignage. Elle n’a rien de commun avec les dispositions factieuses et révoltées, et, d’aucune façon, il ne faudrait se la figurer comme réfractaire à l’obéissance due à la puissance publique ; car ordonner et exiger l’obéissance aux commandements n’est un droit de la puissance humaine qu’autant qu’elle n’est pas en désaccord avec la puissance divine et qu’elle se renferme dans les limites que Dieu lui a marquées. Or, quand elle donne un ordre qui est ouvertement en désaccord avec la volonté divine, elle s’écarte loin de ces limites et se met du même coup en conflit avec l’autorité divine : il est donc juste alors de ne pas obéir ».

 

Qui ne voit que cette liberté de conscience, ici expliquée par le Pape Léon XIII, est la liberté de conscience pour la vraie religion, pour le  vrai et pour le bien. Alors.  Oui, le Saint Siège a toujours défendu cette liberté de conscience, cette liberté de la religion catholique, cette liberté de culte, du culte dû au vrai Dieu.  Mais, Monseigneur, cela n’est pas explicité dans votre texte. Il est nettement insuffisant, et pourrait même être faux si je le comprenais dans le sens  du Libéralisme philosophique moderne. Et vous ne précisez pas dans quel sens vous utilisez cette expression de liberté de conscience. Or l’Eglise, comme le dit encore Léon XIII dans cette même encyclique, «  n’accorde de droit qu’à ce qui est vrai et honnête ». Vous conviendrez vous-même, Monseignuer, que ce n’est pas ce qui est connoté, aujourd’hui par, l’expression la liberté de culte. Votre texte entretient l’équivoque. Il fallait préciser.

 

Si donc l’Eglise n’accorde de droit qu’à ce qui est vrai et honnête, et ne reconnaît pas de liberté à l’erreur et au faux, elle ne s’oppose pas, cependant, à la tolérance du mal et de l’erreur. Léon XIII le dit clairement :  « Dieu lui-même, dans sa providence, quoique infiniment bon et tout-puissant, permet néanmoins l’existence de certains maux dans le monde, tantôt pour ne pas  empêcher des biens plus grands, tantôt pour empêcher de plus grands maux . Il convient, dans le gouvernement des Etats, d’imiter celui qui gouverne le monde ». Mais faire cela et même l’encourager s’il le faut, ce n’est pas reconnaître le droit à l’erreur ou au mal.  Le Pape le dit clairement : « Dans ces conjectures, si en vue du bien commun et pour ce seul motif, la loi des hommes peut et même doit tolérer le mal, jamais pourtant elle ne peut ni ne doit l’approuver, ni le vouloir en lui-même, car, étant de soi la privation du bien, le mal est opposé au bien commun que le législateur doit  vouloir et doit défendre du mieux qu’il peut. Et en cela aussi la loi humaine doit se proposer d’imiter Dieu, qui, en laissant le mal exister dans le monde « ne veut ni que le mal arrive, ni que le mal n’arrive pas, mais veut permettre que le mal arrive. Et cela est bon ». Cette sentence du Docteur angélique contient, en une brève formule, toute la doctrine sur la tolérance du mal ».

 

Et le Pape conclut son document si important : « Une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Eglise ceux qui professent le Libéralisme ».

En bon entendeur, salut ! 

 

b) La paix internationale

 

Après nous avoir dit qu’ un des  objets de l’ activité du Saint Siège était la défense des droits de la personne humaine, Mgr Tauran nous explique que le deuxième objet de cette activité est celui de « la promotion » et de la « défense » de la paix : «  un autre domaine d’action du Saint Siège est celui relatif à la promotion et à la défense de la paix ». L’Eglise, en effet, rejette « le choix de la guerre comme solution aux controverses entre les peuples ».

Et Mgr Tauran, alors de rappeler quelques vérités sur le droit de la guerre. Vérités qui furent, par exemple, à la base des interventions, nous dit-il, du Saint Siège dans le dernier conflit des Etats Unis d’Amérique avec l’Irak

Premier principe toujours actuel : « Tout Etat a le devoir de protéger son existence et sa liberté, avec des moyens proportionnés contre un agresseur injuste ».

Deuxième principe : toutefois « la conviction (actuelle) de Saint Siège est que la puissance destructrice et les souffrances causées par des armes de ce type ( armes nucléaires, armes chimiques) les rendent à ce point dangereuses que leur utilisation provoquent sans aucun doute des dommages qui sont largement supérieurs au mal qu’elles entendent éliminer ». C’est bien juste.

Cette juste remarque permet, par exemple, à Romario Amero, dans son livre Iota Unum, de se poser la question de la juste guerre moderne et d’écrire ces quelques réflexion de bon sens : « L’aporie de la guerre moderne est manifeste. Il est légitime de faire la guerre pour se défendre, mais celui qui se bat est tenu à la modération et est destiné par là à succomber devant un adversaire plus nombreux et sans scrupule. Ces circonstances rendent immorales même la guerre défensive et obligent à se soumettre à l’injustice. L’Antiquité et les temps moderne nous ont donné des exemples de semblables soumissions. Tout à sa gloire et indiscuté celui donné par Pie IX le 20 septembre 1870. Légitime mais blâmé par un grand nombre, celui du roi des Belges Léopold III en juin 1940. Toute guerre sera-t-elle donc absolument à proscrire parce qu’elle ne peut aujourd’hui être qu’immodérée ? Et faudra-t-il interdire tous les actes de guerre, même simplement ébauchés ? ». Dès lors, nous comprenons le troisième principe que nous donne Mgr Tauran en cette affaire.

Troisième principe : en conséquence « en dehors du cas de la légitime défense qui justifie le recours aux armes, il faut toujours pour résoudre les contentieux privilégier les instruments de dialogue et de la médiation comme l’arbitrage  de tiers impartiaux ou d’une autorité internationale dotée de pouvoir suffisants ».

 

C’est ce sujet qu’aborde merveilleusement Romario Amero dans l’ultime paragraphe de son chapitre de Iota Unum consacré à la guerre. Il l’intitule : « Solution donnée au problème de la guerre par une société ethnarchique ». Ce chapitre  peut heureusement  expliciter et compléter l’exposé de notre prélat. Ils se complètent.

 

« Vatican II le dit expressément dans Gaudium et Spes, n, 79 : « Aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’autorité  internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements le droit de légitime défense ». Si dans chaque Etat l’autorité sociale rend périmé le droit individuel de se faire justice, le droit de chaque Etat à se faire justice serait périmé aussi dans la société internationale qu’il faudrait constituer en consortium non plus d’Etats souverains mais d’Etats associés, tous, sujets de la super nationale Il faut que, sortant de l’état sauvage où gît encore la communauté des peuples, le genre humain s’organise en une parfaite « société des peuples » telle que la souhaitait Léon XIII et la décrivait concrètement Benoît XV selon la tradition de la théologie catholique depuis les auteurs du Moyen Age jusqu’à Suarez et depuis Campanella jusqu’à Taparelli d’Azeglio. La guerre alors ne sera pas éliminée, qu’on y prenne garde, mais l’on saura que celui , qui fait la guerre pour faire respecter ses droits par ses propres moyens comme s’il était  le souverain, est injuste, et la guerre que lui fera l’unique autorité aura le caractère de la justice. L’emploi de la force par l’autorité ethnarchique en vue de réprimer le violateur de la justice est le principe de l’ordre et de la paix internationale. Les sociétés nationales se désagrègent dans l’anarchie quand l’autorité perd l’usage de la force : la société ethnarchique tout autant.

La solution de l’aporie de la juste guerre moderne n’est possible qu’en reconnaissant une autorité ethnarchique : c’est ce qu’enseigne Jean-Paul II dans son message pour la Journée de la Paix (OR, 21 déc.1981). Mais le Pape voit la société des nations comme une institution de dialogue et de négociations, ce qu’elle est déjà et ne dit mot de la force qui est pourtant le nerf essentiel de l’autorité. Il ne semble pas, d’ailleurs, que le Pape proscrive la guerre défensive, car s’il la proscrivait ce serait inaugurer une « vacatio legis », absence de légalité, où tout le monde serait abandonné aux initiatives des méchants. Ce que condamnent les paroles du Pape à Coventry, ce n’est pas la guerre défensive que le Concile non plus n’a pas condamné, mais l’initiative de celui qui prend les armes, peu importe qu’elles soient atomiques ou conventionnelles, pour résoudre par lui-même les controverses. Au contraire, celui qui, étant attaqué, se défend, emploie la force de plein droit. Malgré tout, à cause de l’obligation d’y mettre de la mesure, l’aporie reste posée.

La nécessité d’organiser le genre humain en « ethnarchie » découle du principe auquel tient tout notre raisonnement, celui de la dépendance de tout ce qui dépend, que ce soit dépendance des droits, dépendance du droit naturel, ou dépendance de Dieu. Chaque partie doit être réduite à n’être qu’une partie. Comme le dit suggestivement M. Smuts, théoricien avec Wilson de la Société des Nations, et en qui des esprits supérieurs comme Joseph Motta ont vu un modèle chrétien de philanthropie internationale universelle, les Etats doivent être réduits à leur vraie nature, n’étant chacun nullement un tout mais un simple holoïde, non souverain mais sujet, non petit dieu (microthée) mais créature ».(Iota Unum.p.378)

 

Quoiqu’il en soit de cette question et de toute façon pour essayer d’ éviter ce recours à la guerre, toujours dramatique, le Saint Siège développe  toute une activité diplomatique en faveur du respect du droit et de la justice. C’est le troisième genre d’activité du Saint Siège.

 

c) Le respect du droit et de la justice

 

« La paix, nous dit Mgr Tauran, qui est beaucoup plus que l’absence de conflits,  repose sur un ordre social et international fondé sur le droit et la justice ». D’où les efforts constants que déploient le Saint Siège pour que tous les Etats respectent les droits internationaux, les conventions signées, que tous respectent leur signature, en un mot, le « corpus juridique » que les Etats ont accepté.. Aussi le Saint Siège développe-t-il la thèse que la solution donnée au problème de la guerre repose sur l’organisation d’une société ethnarchique. D’où son estime pour  l’O.N.U. D’où l’intérêt, en cette question, des considérations que nous venons de lire sous la plume du Professeur Romano Amerio.

 

d) de la démocratie

 

Enfin, et en conclusion, Mgr Tauran rappelle que le Saint Siège s’est toujours opposé à tout pouvoir totalitaire, et à ses diverses formes et à toutes les raisons invoquées pour le légitimer. Il cite diverses raisons : que ce soit par l’obsession de la sécurité ; que ce soit pour des raisons idéologiques ; que ce soit par la recherche de privilèges pour certaines catégories de citoyens.

Et c’est pourquoi, sous ce rapport et en opposition au pouvoir totalitaire, « personne ne s’étonnera, dit Mgr Tauran,, que  l’Eglise catholique nourrisse une estime pour la démocratie » et d’en donner deux justifications :

-« Ce système politique répond au désir des individus de participer à la vie politique et sociale de leur pays »

-« Ce système de gouvernement oblige également les responsables politiques à répondre, face à leurs concitoyens, de ce qu’ils disent et de ce qu’ils font . Démocratie signifie toujours participation et responsabilité, droits et devoirs ».

 J’ai du mal à partager ces deux idées. Participation ! Comme si le seul bulletin de vote était la meilleure manière de participer au bien commun d’un pays. Responsabilité ! Que de malhonnêtetés, aujourd’hui, au sommet de nos gouvernements. Et tous,  de se faire protéger par des mesures d’exception.

L’enseignement  traditionnel de l’Eglise me semble plus nuancé sur ce sujet. Léon XIII n’écrivait-il pas dans « Libertas praestantissimun » :« Préférer  pour l’Etat une constitution tempérée par l’élément démocratique n’est pas en soi contre le devoir, à condition toutefois qu’on respecte la doctrine catholique sur l’origine et l’exercice du pouvoir public ». C’est la question fondamentale qu’il faut poser pour juger de l’idonéité d’un gouvernement et de sa forme. Il poursuit : « Des diverses formes de gouvernement, pourvu qu ‘elles soient en elles-mêmes aptes à procurer le bien des citoyens, l’Eglise n’en rejette aucune,( Il n’est donc pas très juste de dire comme le fait Mgr Tauran, que «  l’Eglise nourrisse une estime pour la démocratie »…) mais elle veut, et la nature s’accorde avec elle pour l’exiger, que leur institution ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de l’Eglise. » 

 Voilà une belle remarque qu’on serait heureux de voir sous la plume de Mgr Tauran ! Qu’elles sont aujourd’hui les gouvernements, - tous  démocratiques  et le Pape craint pourtant aujourd’hui le danger d’un nouveau totalitarisme, - qui respectent les droits de la personne et les droits de l’Eglise. Est-ce la France démocratique ? Quelle difficulté le Saint Siège ne rencontre-t-il pas pour, seulement, faire admettre une simple allusion aux racines chrétiennes de notre belle Europe pour sa future constitution. Qu’elle est l’Etat, pour démocratique qu’il soit, qui n’a pas légiféré pour l’avortement ! Les remarques que posent  Léon XIII  sur le pouvoir politique permettent de porter de bons jugements sur ce sujet. Je ne suis pas sur qu’il en soit de même avec les réflexions de Mgr Tauran.

 

Bonne lecture, maintenant, de la lettre que j’adresse à Mgr Tauran.

 

Abbé Paul Aulagnier