Communautarisme et
laïcisme : pour sortir de l'aporie
De son (mauvais) point de vue laïciste, Eddy Khaldy, responsable du secteur laïcité-liberté
au sein de l'UNSA (ex-FEN), pose bien le problème du
communautarisme à propos de l'école et de l'intégration éventuelle de Diwan (l'école spécifiquement bretonne) dans le service
public :
« Si on fait
éclater le service public en plusieurs services publics sur la base d'une
appartenance linguistique ou religieuse, on débouche sur le communautarisme, et
c'est la fin de la laïcité républicaine ».
Mais en quoi un communautarisme serait-il condamnable
s'il est explicitement ordonné au bien commun national ? N'y a t-il pas
aussi place temporelle pour plusieurs demeures
dans l'« Education nationale » comme dans celle de la Maison de
France ? Si le communautarisme est la
reconnaissance par l'Etat de certaines communautés et l'adoption d'un certain
comportement à leur égard, il faut bien comprendre qu'il y a :
— des communautés
légitimes, naturelles ou artificielles, de droit inné ou acquis, qui
répondent diversement au bien commun national, par exemple le peuple corse, les
Portugais ou les Tunisiens habitant en France, la communauté des harkis, un
club de joueurs de pétanque... ;
— des communautés
illégitimes, toujours artificielles ou contre-nature, parce que fondées sur
un désordre moral ou religieux, par exemple la mafia, le lobby homosesexuel, la secte du temple solaire...
La diversité linguistique, culturelle, folklorique des
différentes provinces n'est pas plus nuisible à la France que la pluralité des
couleurs à la lumière :
« Oui à la diversité, écrit Soljénitsyne
(dans Les pluralistes), ce sont les
couleurs de la vie, nous avons soif d'elles, nous n'imaginons pas la vie sans
elles. Mais si la diversité devient principe suprême, on ne peut plus parler de
valeurs universelles ». Or, ajoute-t-il : « Sans fondements
universels, il n'est pas de morale possible. Le pluralisme en tant que principe
se dégrade en indifférence, perd toute profondeur et se dilue dans le relativisme,
dans le non-sens, dans le pluralisme des errements et des mensonges. »
Tel est exactement le pluralisme
idéologique des laïcistes qui s'oppose au fait concret, souvent bénéfique, de
la pluralité. Le
« pluralisme », résume Jean Madiran, c'est « la pluralité
systématique et obligatoire en matières de dogmes, et donc leur
destruction ». C'est la décomposition artificielle des couleurs naturelles
en une couleur unique, comme incolore et inodore ! Quand tout se vaut,
rien ne vaut. Et l'identité des communautés provinciales comme celle de la
communauté nationale, riche de cette palette des provinces qu'elle ordonne
organiquement, s'estompent peu à peu pour disparaître dans l'uniformité et le
non sens. C'est, hélas, le grand rêve incolore du mondialisme qui est d'arriver
à supprimer tous les conflits en supprimant toutes les identités, par une
citoyenneté apatride qui exclue toute autre référence ou appartenance que celle
des droits de l'homme... sans coin de terre et sans Dieu.
Communautarisme,
laïcisme et identité nationale
Paradoxalement, s'il existe un communautarisme dangereux
pour la concorde nationale, c'est précisément celui engendré par un certain
mondialisme et un certain laïcisme d'Etat, indifférents aux couleurs
nationales, culturelles, religieuses : celui qui, par une immigration sans
limite quantitative ni tri qualitatif, donne sa place sans discernement, dans
un même pays, à des populations, des cultures, des civilisations, des religions
antagonistes (comme le ferrysme le fait à son niveau
dans une même école) pour aboutir au bouillon
de cultures...
Comme le laïcisme d'école oscille entre laïcité négative
ou positive, le laïcisme d'Etat oscille entre le multiculturalisme (mettant toutes les communautés sur pied
d'égalité) ou jacobinisme (ignorant la plupart des communautés essentielles,
intermédiaires entre l'individu et l'Etat).
« Dans la
République, il ne doit y avoir ni particularismes, ni féodalités, ni
communautarismes, mais seulement des citoyens, femmes et hommes, avec leurs
droits et leurs devoirs, égaux pour tous, partout en France », affirme par exemple le très
jacobin Jacques Chirac (le 20 novembre 2001 au congrès des maires de France).
Mais on n'échappe pas en vérité au communautarisme :
le laïcisme ne fait que remplacer les diverses communautés naturelles et
surnaturelles (fondées sur le droit naturel et surnaturel) par des communautés
artificielles fondées sur l'arbitraire et le mythe égalitaire. Il construit utopiquement une communauté scolaire, politique et
mondialiste sur le modèle de la société
(surnaturelle) de personnes qu'est l'Eglise, substituant peu à peu aux
communautés naturelles (familles, provinces, nations, corps intermédiaires) des
communautarismes artificiels fondés sur son individualisme foncier :
partis politiques, lobbies (homosexuels, drogués, immigrationnistes...).
Dissoudre et coaguler, selon la
devise franc-maçonne...
Le communautarisme laïciste de l'Etat rejoint le laïcisme
scolaire en ce que, sous couvert d'égalité systématique, il fait coïncider non
plus le soi-disant respect des individus (neutralité de l'école) mais celui des
minorités (neutralité d'Etat) avec « le
non-respect de la majorité et l'élimination de ce qui est acquis et
traditionnel dans une communauté humaine », comme le constatait le cardinal-archevêque de Bologne, Mgr Giacomo
Biffi, lors de sa remarquable intervention à la
Fondation Migrants (le 30 septembre 2000).
Un
communautarisme artificiel
L'égalitarisme entre communautés est aussi aberrant que
l'égalitarisme entre individus. Même les communautés légitimes, de différentes
natures, ne sont pas égales en droit. Quant aux communautés illégitimes, sans
droit bien évidemment, elles peuvent seulement bénéficier d'une tolérance plus
ou moins étendue, selon l'état de la société.
N'ayant ni morale ni religion, refusant même jusqu'à
l'idée d'un ordre moral, l'Etat laïciste, n'ayant de ce fait pas d'échelle
stable des valeurs (sauf dans des domaines très limités), est incapable de
distinguer sérieusement entre communautés légitimes et communautés illégitimes.
Il reste encore pour lui quelques communautés considérées comme illégitimes
(les réseaux pédophiles ou la mafia par exemple) mais de moins en moins...
C'est tout le problème du mythe égalitaire (laïciste ou
pluraliste) qui est posé dans ses diverses applications (école, immigration,
mœurs, religions...) en opposition avec la logique réaliste, naturelle et
identitaire. Le pacs constitue aussi à cet égard (avec le communautarisme homosexuel) un exemple criant de cette vision
contre-nature proprement anti-majoritaire.
Le mythe égalitaire, du laïcisme scolaire au laïcisme
d'Etat, s'exerce en effet toujours au détriment de la nature et de la majorité.
Pour le pacs, il s'exerce en l'occurrence au détriment de la majorité la plus
souhaitable et la plus utile au pays et aux bonnes mœurs : celle des
familles. On peut dire à son propos ce que le cardinal Biffi
disait dans la même intervention de « la religion nationale
historique » : « Il est
tout à fait incongru de l'assimiler socialement aux autres formes religieuses
culturelles... ».
Il est en effet tout à fait incongru et même pervers
d'assimiler socialement l'union la plus commune et la plus naturelle — la
famille : fruit du mariage monogamique, fondé sur l'union
hétérosexuelle — avec d'autres « modèles » d'union
(homosexuelle, lesbienne, pluri-mono-homo-parentale...).
Ces unions très minoritaires ont toujours plus ou moins existé et le pouvoir
politique peut les tolérer plus ou moins. Mais il ne peut en aucun cas les
promouvoir institutionnellement dans un nivellement contre-nature et une
annihilation de ce qui fait le principe même de la politique familiale et de la
bonne politique tout simplement.
Un
communautarisme organique
Le communautarisme n'est donc pas une notion univoque. S'il est
souvent légitime en droit ou en fait, préférable au laïcisme niveleur et aliénant, il nécessite discernement et mesure
de la part du pouvoir politique. En fonction des réalités, mais aussi de
l'identité nationale et religieuse du pays qui n'est pas autre chose que le
signe de son être. Selon une hiérarchie des valeurs, avec un sens de la vérité
et du bien commun. Contre le jacobinisme laïciste, le communautarisme peut et
doit être une bonne chose pour l'Etat s'il ne tombe pas dans le multiculturalisme
(tout aussi laïciste), si les règles auxquelles il répond sont bonnes.
Le bon « communautarisme » se fonde :
— sur la distinction entre communautés légitimes et
communautés illégitimes, qui suppose précisément ce sens de la vérité et du
bien commun ;
— sur la reconnaissance des droits acquis par les
communautés légitimes et qui varient d'une communauté à l'autre : la
communauté des harkis a par exemple plus de droits normalement que la
communauté des Algériens récemment immigrés ;
— sur une claire vision de ce qu'il faut faire vis-à-vis
des communautés illégitimes : répression ou tolérance légale ou de fait.
Si la France peut et doit ainsi reconnaître les
communautés naturelles ou les peuples (corse, breton, provençal, alsacien...)
qui la constituent historiquement comme nation, elle n'a pas à reconnaître a
priori, par exemple, un peuple arabe, n'ayant (jusqu'à présent) aucun
territoire arabe (!), comme l'explique Yves Daoudal
dans une « Contribution au débat sur la communautarisme » (Reconquête de juin 2003). Elle peut
certes reconnaître sur son territoire national des communauté étrangères, à
condition de les considérer comme telles, pourvues de droits distincts des
nationaux, tant qu'elle n'ont pas fait la preuve de leur intégration, voire de
leur assimilation. Si la France, par son histoire, est aussi formée de
plusieurs communautés religieuses essentiellement rattachées au christianisme,
elle peut tolérer mais n'a pas intérêt à favoriser institutionnellement, sous
prétexte de laïcisme, des mœurs étrangères à sa culture radicalement
chrétienne. Si enfin, selon le principe
de subsidiarité, elle doit laisser agir et faciliter toutes les entreprises
et initiatives communautaristes (plus ou moins) utiles au bien commun (groupes
de travail, écoles, scoutismes, clubs de loisirs...) elle ne saurait favoriser
celles qui lui font objectivement du tort (comme le lobby gay par exemple).
Loin du totalitarisme laïciste, mais avec autorité et
souci du bien commun national, une saine politique doit ordonner, superposer et
hiérarchiser tout cela organiquement dans la cité, entre les légitimes
communautés de familles et les légitimes communautés de personnes aux origines
et aux finalités multiples. Selon une logique et un ordre qu'avait résumé
Maurras et qu'il faudrait adapter à notre temps : « En bas les républiques, en haut la royauté et par delà tous les
domaines la Papauté. »
Communautaristes ou communautariens?
Le communautarisme que rejette le laïcisme est, en
réalité, celui que défendent aux Etats-Unis les philosophes dits communautariens (Charles Taylor, Alasdair Mac Intyre, Michael
Sandel, Richard Nibset...) contre la Théorie de la justice (1971) du libéral
John Rawls inspiré des Lumières. Confrontés à une société multiculturelle et pluriethnique
fondée sur l'individualisme libéral, ces penseurs ont renoué, dans la deuxième
moitié du XXe siècle, avec l'héritage aristotélicien et thomiste sur la
communauté humaine et les divers biens communs. Pour eux, sans méconnaître le
rôle décisif et unitaire de l'Etat-nation, la
politique passe par ce que Gustave Thibon appelait aussi les communautés de
destin : le primat des solidarités de proximité et des divers liens sociaux sur la recherche d'intérêts
individuels.
En théorie, le libéralisme d'un Rawls
(aux Etats-Unis) ou d'un laïcisme de stricte observance (en France) ne
supportent aucun communautarisme : la seule appartenance légitime est
l'appartenance à l'Etat (qui est de moins en moins un Etat-nation),
les individus étant tous tenus dans une stricte égalité de droit sous une loi
commune et impersonnelle (les autres rapports entre les hommes devant tous être
fondés sur le mode contractuel).
Cette théorie fait que certains
« souverainistes » par exemple, de droite ou de gauche, adoptent le
laïcisme d'un Chevènement repoussant tous les communautarismes extra-républicains, majoritaires ou minoritaires, régionaux
ou ethniques, et surtout religieux (catholicisme, sionisme, islamisme...). Le
Président de la République lui-même, on l'a vu, se recommande volontiers de
cette théorie qu'il étend en fait à l'Europe et même au monde des droits de
l'homme sans Dieu... Dans la pratique cependant, le laïcisme est contraint,
comme on l'a vu aussi, de recomposer des communautarismes artificiels, tant il
est vrai que « naître enfant – ou plutôt adulte – trouvé et
mourir célibataire » (selon le mot de Renan) demeure un rêve bien
désincarné pour un citoyen. On refait donc du social avec de l'individuel,
contrairement au principe aristotélicien de la politique.
En signant le pacs, Chirac confirme bien, en dépit de ses
dires, qu'il y a dans la République des particularismes,
des communautarismes, avec des lois
d'exception, qu'il y a des hommes et des femmes, avec des droits et des devoirs
qui ne sont pas les mêmes pour tous, partout en France. Idem pour le concept de
discrimination positive qui constitue
une sorte de préférence étrangère. Comme le constate Pierre Chaunu, si l'Ancien
Régime était quelquefois sévère avec les minorités, c'est l'inverse qui a lieu
depuis la Révolution très peu respectueuse en fait de la communauté majoritaire.
Non, on n'échappe pas au communautarisme, même dans la
République qui reconstitue, sous son laïcisme, des touts accidentels (les départements et les régions par exemple)
dont l'unité d'ordre n'est plus souvent fondée sur une réalité naturelle ou sur
une tradition mais sur un arbitraire. Aussi, devant l'ambiguïté et les diverses
acceptions du terme communautarisme –
lequel est plutôt connoté péjorativement aujourd'hui, comme le terme intégrisme – ,
Guillaume de Lacoste Lareymondie propose une certaine
prudence sémantique :
« il faut se garder d'être
dupe des mots, et ne les employer que si leur sens est bien établi. On peut
légitimement parler de “communautarien” pour désigner
une certaine école de philosophie politique en Amérique du Nord ; mais mieux
vaut se garder d'employer le mot “ communautarisme ”, dont la
signification est trop floue. Il importe surtout de ne pas mélanger ces deux
mots afin de ne pas contribuer à jeter le discrédit sur toute une philosophie
que nous gagnerions plutôt à découvrir et à faire connaître. » (Site web : libertepolitique.com ).
Rémi Fontaine