Le
cardinal Stickler et la réforme liturgique du Concile Vatican II
Le cardinal Stickler, enfin, s’exprime sur la
réforme liturgique issue du Concile Vatican II et entre, à son tour, dans cette
bataille gigantesque.
Son
témoignage est tardif, certes.
Il a du
poids cependant.
Pensez !
En
poste à Rome depuis 1937, le Cardinal est canoniste, canoniste reconnu. Il fut
professeur d’université puis recteur. Préfet de la Bibliothèque vaticane et des
archives secrètes du Vatican. Il a été membre des commissions préparatoires du
Concile Vatican II, puis expert auprès des différentes commissions
conciliaires, en particulier la Commission liturgique.
On ne
peut avoir meilleur témoin de la pensée conciliaire surtout en matière
liturgique.
Or, il
se trouve que cet «expert » autrichien – c’est son origine – vient de
parler… ou du moins que sa pensée vient d’être connue en France grâce à un beau
travail de traduction réalisé par l’équipe du CIEL, le Centre International
d’Etudes Liturgiques.
En
effet, en Mai 2000, le CIEL publie un petit livre –blanc – intitulé :
« Témoignage d’un expert au Concile ». Loïc Mérian, qui m’aime
beaucoup, m’en fait adresser un exemplaire. Je l’ai dévoré dès réception. J’y
ai trouvé des merveilles, des témoignages extraordinaires, des jugements fondés
tels que celui-ci que j’ai déjà plusieurs fois cité :
« Pour
résumer nos réflexions, nous pouvons dire que les bienfaits théologiques de la
messe tridentine correspondent aux déficiences théologiques de la messe issue
de Vatican II ».
C’est
la conclusion de la fameuse conférence qu’il donnait aux USA, à Fort Lee (New
Jersey), le 20 mai 1995, à l’invitation de l’association « Christi
fideles » sur le thème : « Les bienfaits de la messe
tridentine ». Vous trouverez ce jugement intéressant à la page 22 de ce
petit fascicule.
ù
Mon
attention fut attirée par cette conclusion. J’en poursuivais la lecture
sur-le-champ.
J’étais
encore à Gavrus, en Normandie, au Prieuré Saint Jean-Eudes. A la page 23, je
tombais sur l’intégralité de l’interview du Cardinal publiée, aux USA, dans The
Latin mass, en été 1995 et dont nous avions eu connaissance – à cette date
– par un petit entrefilet du journal La Nef de l’époque. Là, à la
bonheur ! je trouvais l’ensemble du texte et la pensée du Cardinal. Je
m’en réjouissais.
C’est
dans cette interview que nous apprenions que le pape Jean Paul II avait nommé,
en 1986, une commission de neuf cardinaux à laquelle il posait deux
questions :
- la
première : Le pape Paul VI a-t-il véritablement interdit l’ancienne
messe ?
La
réponse fut négative, nous dit le cardinal Stickler : « La
réponse donnée par huit (des neufs) cardinaux en 1986 fut que non, la messe de
saint Pie V n’a jamais été interdite. J’étais moi-même l’un des cardinaux. Un
seul était contre (NDLR : c’était le cardinal Benelli). Tous
les autres étaient pour une libre autorisation , pour que tous puissent choisir
l’ancienne messe. Je pense que le Pape a accepté ». (p. 27)
Il y
avait une deuxième question posée par le Pape à cette commission,
celle-ci : Un évêque quel qu’il soit peut-il interdire à un prêtre, en
règle avec les autorités, de célébrer, à nouveau, la messe tridentine ?
(p. 28)
« A
l’unanimité, dit le Cardinal, les neuf cardinaux ont admis
qu’aucun évêque ne pouvait interdire à un prêtre catholique de dire la messe
tridentine. Il n’y a pas d’interdiction officielle et je pense que jamais le
pape ne décrèterait une interdiction officielle » (p. 28)
Vous
imaginez !
Sous la
plume d’un cardinal !
Je
jubilais en lisant cela.
Nous
étions – avec Monsieur l’abbé de La Motte – en plein combat avec Mgr Pican qui
prétendait nous interdire de célébrer la messe tridentine dans le Basilique de
Lisieux.
De quel
droit ?
Oui, de
quel droit ? J’avais en main un argument de poids…Le jugement d’un
cardinal… !
Je
poursuivais la lecture toujours avec la même joie de la découverte et
remerciais, dans mon cœur, Loïc Mérian d’avoir su prendre le temps de traduire
en français la pensée de ce Cardinal.
Un peu
comme hier, je remerciais – dans mon cœur aussi – Dom Gérard d’avoir fait
traduire – pour nous, les francillons, comme aiment à le dire les Belges – le
pensée liturgique de Mgr Gamber dans son fameux livre intitulé « La
réforme liturgique en question », recueil de différentes conférences
prononcées jadis par l’auteur sur la réforme liturgique mais restées ignorées
du grand public français.
ù
Je
poursuivais donc la lecture, toujours passionné, j’arrivais ainsi à la page 31.
Là,
Loïc – je l’appelle par son prénom tant il est gentil (je le trouve un peu
« collet monté » sur sa petite photo de La Nef qui préside à
tous ses papiers) – nous transcrit de l’allemand en français, une conférence du
cardinal qu’il intitule « Souvenirs et expériences d’un expert de la
Commission conciliaire sur la liturgie ».
La
conférence est assez longue. Elle va de la page 31 à 66 du livret que n’en fait
que 99. Elle fut donnée en 1997 à l’ « Internationalen Théolojischen
Sommerakademie 1997 des Linger Priesterkreises ». Elle fut publiée,
d’abord, en allemand par Franz Breid – Die heilige liturgie – Ennsthaler.
Malgré
la longueur, je la dévorais.
Ah quel
brûlot ! Quel brûlot ! Mes amis ! J’étais seul à ma table de
travail et parlais à mon ange… Quel brûlot ! Il faut faire connaître cela,
me disais-je. Je lisais. Relisais. Allais doucement. Prenais des notes.
Tout
d’abord, le Cardinal, se présente. Bigre ! ce n’est pas le dernier
personnage de l’Eglise, pensais-je. Lisez :
« J'ai été professeur de droit canonique et
d'histoire du droit ecclésiastique à l'université salésienne, fondée en 1940,
puis pendant 8 ans, de 1958 à 1966, recteur de cette université. En cette
qualité, j'ai bientôt été nommé consulteur de la Congrégation romaine pour les
séminaires et les universités, puis, depuis les travaux antépréparatoires
jusqu'à la mise en oeuvre des décisions du concile, membre de la commission
dirigée par ce dicastère romain. En outre, j'ai été nommé expert (peritus) de
la commission pour le clergé, et plus spécifiquement pour les problèmes
relatifs aux droits patrimoniaux : il s'agissait surtout de débarrasser le
Droit Canon du système des bénéfices.
« Peu avant le concile,
le cardinal Laraona, dont j'avais été l'élève pendant mes études de droit canon
et de droit ecclésiastique au Latran et qui avait été nommé président de la
Commission conciliaire pour la liturgie, me fit venir chez lui et m'annonça
qu'il m'avait proposé comme expert de cette Commission. Je lui objectai que
j'avais déjà beaucoup à faire en tant qu'expert de deux autres commissions,
surtout celle des séminaires et universités. Pourtant il maintint sa proposition
en faisant remarquer que, considérant l'importance canonique des prescriptions
relatives à la liturgie, il fallait également inclure des canonistes dans cette
commission. C'est par cette fonction non recherchée que j'ai ensuite vécu le
concile Vatican II depuis ses tout débuts puisque, comme on le sait, la
liturgie fut le premier sujet inscrit à l'ordre du jour. Je fus ensuite affecté
à la sous‑commission qui devait rédiger les modifications apportées aux
trois premiers chapitres et aussi préparer l'ultime formulation des textes qui
devaient être soumis, pour discussion et approbation, à la commission réunie en
plénière avant d'être présentés dans l'aula conciliaire. Cette sous‑commission
se composait de trois évêques: Mgr Callewaert, archevêque de Gand, qui en était
le président, Mgr Enciso Viana, de Majorque et, si je ne me trompe, Mgr
Pichler, de Banjaluka (Yougoslavie), ainsi que de trois experts : Mgr
Martimort, le P. Martinez de Antonana, clarétin espagnol, et moi-même. Vous
comprendrez aisément que, dans le cadre de ces travaux, on pouvait se faire une
idée exacte de ce que souhaitaient les Pères conciliaires ainsi que du sens
réel des textes votés et adoptés par le concile »
Puis il donne un témoignage personnel – fort intéressant – sur la
réforme liturgique : son jugement sur « l’édition définitive »
du nouveau missel romain :
« Mais vous pourrez
également comprendre ma stupéfaction lorsque, prenant connaissance de l'édition
définitive du nouveau Missel Romain, je fus bien obligé de constater que, sur
bien des points, son contenu ne correspondait pas aux textes conciliaires qui
m'étaient si familiers, que beaucoup de choses avait été changées ou élargies,
ou allaient même directement au rebours des instructions données par le concile ».
N’y
tenant plus – il doit avoir du caractère – il demande une audience au cardinal
Gut, alors Préfet de la Congrégation des Rites :
« Comme j'avais
précisément vécu tout le déroulement du concile, les discussions souvent très
vives et longues et toute l'évolution des modifications jusqu'aux votes répétés
qui eurent lieu jusqu'à leur adoption définitive, et que je connaissais aussi
très bien les textes contenant les prescriptions détaillées pour la réalisation
de la réforme souhaitée, vous pouvez vous imaginer mon étonnement, mon malaise
croissant et même ma fureur devant certaines contradictions particulières,
surtout considérant les conséquences nécessairement graves que l'on pouvait en
attendre. C'est ainsi que je décidai d'aller voir le cardinal Gut qui, le 8 mai
1968, était devenu préfet de la Congrégation des Rites en remplacement du
cardinal Larraona, qui s'était retiré le 9 janvier précédent.
Je lui demandai une audience
dans son logement au monastère bénédictin de l'Aventin, audience qu'il
m'accorda le 19 novembre 1969. Je ferai remarquer en passant que, dans ses
Mémoires parus en 1983, Mgr Bugnini fait erreur sur la date de la mort de Mgr
Gut, l'avançant d'un an : Mgr Gut est mort le 8 décembre 1970 et non 1969.
Mgr Gut me reçut très
aimablement, bien qu'il fût déjà visiblement malade et, comme l'on dit, j'ai pu
déverser tout ce que j'avais sur le cœur. Il me laissa parler une demi‑heure
sans m'interrompre, puis il me dit qu'il partageait entièrement mes
inquiétudes. Mais, ajouta‑t‑il, la faute n'en incombait pas à la
Congrégation des Rites : en effet, toute la réforme était l’œuvre du Consilium
constitué expressément à cette fin par le pape, dont il avait nommé le cardinal
Lercaro Président et le P. Bugnini Secrétaire. Dans ses travaux, ce Conseil
n'avait eu de comptes à rendre qu'au pape.».
Au
passage, il donne son jugement sur Mgr Bugnini. Il faut le dire, ce n’est pas
sans intérêt :
« À ce sujet, une
précision s'impose : le P. Bugnini avait été Secrétaire de la Commission sur la
liturgie pendant la période préparatoire du concile. Comme son travail,
effectué sous la direction du cardinal Gaetano Cicognani, n'avait pas été jugé
satisfaisant, il fut le seul à ne pas être promu Secrétaire de la commission
conciliaire correspondante ; cette fonction fut attribuée au P. Antonelli,
o.f.m., ultérieurement nommé cardinal. Le groupe des liturgistes, d'inspiration
plutôt moderniste, fit valoir à Paul VI qu'il s'agissait là d'une injustice
faite au P. Bugnini et obtint du nouveau pape, qui était très sensible à ce
genre de choses, que, en compensation de cette injustice, le P. Bugnini fût
nommé Secrétaire du nouveau Consilium chargé d'opérer la réforme.
Ces deux nominations ‑
celles du cardinal Lercaro et celle du P. Bugnini ‑ aux postes clefs du
Consilium offrirent la possibilité de se faire entendre, pour l'exécution de la
réforme, à des gens qui jugeaient ne l'avoir pas suffisamment été pendant le
concile, et aussi d'en faire taire d'autres : en effet, les travaux du
Consilium se déroulaient dans des zones de travail non accessibles aux non‑membres.
Et pourtant : bien qu'ils se
soient consacrés corps et âme aux travaux énormes et délicats réalisés par le
Consilium, notamment sur le cœur même de la réforme, à savoir le nouvel Ordo
Missae Romanum qui fut réalisé dans les délais les plus brefs, seul l'avenir
nous expliquera pourquoi les deux principaux acteurs sont visiblement tombés en
disgrâce : le cardinal dut renoncer à son siège épiscopal, et le P. Bugnini,
nommé archevêque dès 1968 et nouveau Secrétaire de la Congrégation des Rites,
ne reçut pas la pourpre cardinalice qui accompagne une telle fonction ; il
avait été nommé nonce à Téhéran lorsque, suite à une opération, la mort vint
interrompre son activité terrestre le 3 juillet 1982 ».
Ce
préambule étant fait, le Cardinal donne le thème de sa conférence : il
veut juger « de la concordance ou de la contradiction entre les
dispositions conciliaires et la réforme effectivement appliquée » (p.
35).
Le thème me plaisait. J’avançais dans la lecture. Je
laissais le téléphone de côté, je me concentrais.
Jusqu’ici
– pour beaucoup – les critiques adressées contre la réforme liturgique
émanaient, la plupart du temps, de nos milieux.
On
connaissait Le Bref examen critique.
On
connaissait les nombreux articles de Monsieur l’abbé Dulac publiés dans Le
Courrier de Rome, dans la belle collection d’Itinéraires…
On
connaissait les critique du R P. Calmel.
On
connaissait les toujours judicieuse remarques de Jean Madiran, de Luce
Quenette, de Dom Guillou, les conférences de Mgr Lefebvre.
On
lisait tout cela dans nos milieux. On les relisait, les ressassait. On écoutait
les cassettes… On étudiait certes… mais à force, n’arrivait-on pas à un
ronronnement… Et tout ronronnement endort à force de répéter. Et Loïc Merian –
lui-même – ne se gênait pour nous le laisser entendre. Il l’écrivait même dans
son petit papier de La Nef… Il trouvait même qu’on n’avait rien publié
de déterminant en cette affaire… Il se fit « fesser » par Jean
Madiran dans un beau papier – comme sait les écrire Madiran – le remettant
gentiment à sa place ( cf D.I.C.I. n° 10). Des maîtres, des grands avaient
parlé en matière liturgique dans nos milieux. Il semblait l’ignorer… Cependant
à force de répéter, on risquait peut-être de se figer… Et là aussi, tout
fixisme est dangereux !
Bref,
j’étais content de trouver d’autres critiques… Enfin, une
« critique » qui ne venait pas de « chez nous ». Une
critique du « sérail ».
Je
dévorais et me promettais de faire connaître au plus tôt ce texte. L’heure en
est arrivé…enfin !
ù
Tout au
début, le Cardinal nous rappelle quelques grands principes liturgiques
heureusement soulignés par la Constitution Sacrosanctum Concilium. Il
nos rappelle l’article 2 qui affirme que dans la liturgie « tout ce qui
est humain doit être subordonné et soumis au divin, le visible à l’invisible,
l’action à la contemplation, le présent à la cité divine future que nous
recherchons ». C’est à la page 35 du livret.
Qui ne
serait d’accord avec ce principe…fut-il conciliaire !
Et vous
savez le jugement du Cardinal sur ce point. Tout simplement, les réformateurs
ont échoués en cette affaire.
Il
écrit vers la fin : « Ma conférence, mes souvenirs et expériences,
je pense, ont permis d’évaluer dans quelle mesure la réforme avait satisfait
aux exigences d’ordre théologique et ecclésiastique énoncées par le Concile, en
d’autres termes, de voir si, dans la liturgie – et surtout dans ce qui en
constitue le centre : la Sainte Messe – ce qui est humain a véritablement
été ordonné et soumis au divin, ce qui est visible à l’invisible, ce qui relève
de l’action à la contemplation et ce qui est présent à la cité future que nous
recherchons. Et l’on en arrive à se demander si, au contraire, la nouvelle
liturgie n’a pas, souvent, ordonné et soumis le divin à l’humain, le mystère
invisible au visible, la contemplation à l’activisme, l’éternité future au
présent humain quotidien ». (p. 64)
Le
Cardinal fait tout simplement un constat d’échec total.
De
sorte que, lui aussi, avec le cardinal Ratzinger, forme des vœux pour lancer la
réforme de la réforme. La première aurait donc échoué ?
« C’est
précisément parce que l’on se rend toujours plus clairement compte de la
situation actuelle (NDLR - ie.de la déconfiture de la réforme liturgique et
son infidélité à la pensée conciliaire…mais à qui la faute…) que se renforce
l’espoir d’une éventuelle restauration que le cardinal Ratzinger voit dans un
nouveau mouvement liturgique qui éveillera à une vie nouvell,e le véritable
héritage du Concile Vatican II ». Et de citer le livre du Cardinal Ma
vie, op cit. p. 135. Mais c’est peut-être Loïc qui a rajouté cette
citation… !
Intéressant, intéressant, me disais-je. Enfin un cardinal de l’Eglise
romaine qui parle et enseigne clairement.
Je
poursuivais ma lecture. Je le fais, aujourd’hui, pour vous.
ù
Le Cardinal survole et résume quelques articles fondamentaux du
Concile. Des rappels tout à fait évidents et traditionnels.
L’article
21, l’article 23 qui affirme qu’il ne faut rien changer – en matière liturgique
– « avant que ne soit élaborée une soigneuse étude théologique,
historique, pastorale, en s’assurant d’un développement organique harmonieux ».
Qui ne
serait d’accord !
L’article
33 qui rappelle la finalité de la liturgie : « La liturgie est
principalement le culte de la majesté de Dieu » A la bonheur !
L’article
34, l’article 54 sur la langue latine. Là, le Cardinal donne son témoignage.
C’est fort instructif !
« Au
bout de quelques jours de débat au cours duquel tous les arguments pour et
contre furent vivement discutés, on en est arrivé à la conclusion bien claire –
tout à fait en accord ave le Concile de Trente – qu’il fallait conserver le
latin comme langue cultuelle du rite latin mais que des exceptions étaient
possibles et même souhaitables » (p. 38-39)
Sur le
chant grégorien, sur les orgues, le Cardinal rappelle l’article 116 de la
Constitution : « Le grégorien est le chant propre de la liturgie
catholique romaine depuis l’ époque de Grégoire le Grand et qu’en tant que
tel, il doit être conservé ». (p. 39)
Il
rappelle l’article 108 qui souligne spécialement l’importance des fêtes du
Seigneur et surtout celles du propre du temps, lequel doit avoir la priorité
sur les fêtes des saints pour ne pas affaiblir la pleine efficacité de la
célébration des mystères du salut (p. 39).
Mais
c’était l’enseignement qu’à Ecône, Dom Guillou, professeur de liturgie,
dispensait aux séminaristes avec énergie et conviction. J’en fus marqué –
personnellement – pour toujours.
Ces
principes liturgiques – et d’autres encore – rappelés, le Cardinal passe à la
critique de la réforme liturgique – l’œuvre conciliaire par excellence – c’est
la deuxième partie de la conférence.
ù
Sans
vouloir être exhaustif en cette affaire, le Cardinal aborde cette critique avec
énergie et fraîcheur. Sous sa plume, je retrouvais l’enseignement de mes maîtres.
J’étais heureux.
J’avais
appris chez Dom Guillou, chez Monsieur l’abbé Dulac que la liturgie devait
exprimer la foi catholique. Que de fois, en effet, avais-je entendu de la
bouche de Mgr Lefebvre, cet axiome : legem credendi, lex statuit
supplicandi ou plus simplement dit : lex orandi, lex credendi
Je
retrouvais dans ces pages que je lisais même doctrine, la doctrine de toujours.
Le cardinal écrivait : « La liturgie contient et exprime la foi de
façon juste et compréhensible » (p. 40). De sorte que « la
pérennité de la liturgie participe de la pérennité de la foi, elle contribue
même à la préserver ». Et comme la foi est immuable, la liturgie qui
l’exprime, l’est aussi. « C’est pourquoi il n’y a jamais eu de rupture,
de re-création radicale dans aucun des rites chrétiens, catholiques, y compris
dans le rite romain latin »
(p. 40-41). L’évolution liturgique – dès lors – est lente, nécessairement
organique.
J e me
régalais en lisant ces rappels. « Dans tous les rites, la liturgie est
quelque chose qui s’est développée et continue de croître lentement ;
partie du Christ et reprise par les Apôtres, elle a été organiquement
développée par leurs successeurs, en particulier par les figures les plus
marquantes tels les Pères de l’Eglise, tout cela en préservant
consciencieusement la substance, ie. le corpus de la liturgie en tant que tel »
Mais
Dom Guillou nous enseignait la même chose ! Il écrivait en 1975, en la
fête de la Pentecôte, dans un texte merveilleux qui constitue la préface du
livre Le livre de la Messe, édité par Philippe Héduy – ce grand poète
- : « La Messe est d’institution divine et apostolique. Mais elle
ne nous est pas parvenue telle que les Apôtres l’ont célébrée (bien qu’elle
n’ait jamais été une pure imitation de la Cène…), elle est maintenant la fleur
d’une croissance « sui generis ». Ses éléments constitutifs se sont
développés sans évolution, ni changement (substantiel) au cours des siècles…
sous la conduite de l’Esprit-Saint dont l’assistance a été promise à
l’Eglise » (p. 17-18).
L’Esprit-Saint est Un et Véridique. Ce qu’il inspire ne peut-être que
un et véridique, le même à travers les temps.
J’aime
cette expression du cardinal. C’est clair, c’est net : « C’est
pourquoi, il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale… dans le rite
latin romain ».
J’applaudis
et aime.
Il
poursuivais cependant : « Il n’y a jamais eu de rupture dans le
rite romain latin à l’exception de la liturgie post-conciliaire actuelle, en
application de la réforme…bien que le Concile…ait toujours réaffirmé que cette
réforme devait préserver absolument la tradition » (p. 40-41).
Jamais
de rupture…à l’exception de la liturgie post-conciliaire actuelle. Mais c’est
l’enseignement du cardinal Ottaviani, me disais-je. Je me régalais.
Je
courais prendre la lettre du cardinal Ottaviani à Paul VI et lisais :
« Le
nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles
d’appréciation fort diverses qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloigne
de façon impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie
catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la 22ème
Session du Concile de Trente ».
C’est
donc bien à une rupture que l’on assiste avec le nouvel Ordo Missae. Cet
éloignement est une véritable rupture avec la Tradition. Du reste, le cardinal
Ottaviani utilise lui-même le mot : « Les raisons pastorales
avancées pour justifier une si grave rupture… »
Le
cardinal Stickler a la même analyse. Avec le nouvel Ordo Missae, on assiste à
une véritable rupture avec la Tradition, « à une véritable et radicale nouveauté ». Il
l’affirme tout de go : « L’Ordo Missae (est) radicalement nouveau ».
Et ceci
est une véritable nouveauté, la nouveauté par excellence… « Alors que
toutes les réformes antérieures adoptées par les papes et tout particulièrement
celles entreprises sous l’impulsion du Concile de Trente et mise en œuvre par
le pape Pie V et jusqu’à celles de Pie X, de Pie XII et de Jean XXIII, ne
furent pas des révolutions mais uniquement des corrections qui ne touchaient
pas à l’essentiel, des ajustements et des enrichissements » (p. 41).
C’est
ce que demandait – du reste – le Concile en son article 23 : « Le
Concile a expressément dit, à propos de la restauration souhaitée par les
Pères, qu’aucune innovation ne devait être faite qui ne fut vraiment et
certainement exigée par l’utilité de l’Eglise ».
Non !
L’Ordo Missae est radicalement nouveau !
Je me
souvenais de notre savant abbé Dulac qui, dans l’analyse qu’il faisait de la
Bulle Quo primum ne cessait de rappeler les termes de la Bulle :
restaurata, restaurata.
Non ! nous n’avons rien de tel avec Paul VI. Nous avons un Novus
Ordo Missae. Rien de comparable.
J’étais,
vous dis-je, aux anges en lisant tout cela… Mais je me souvenais aussi des
affirmations du cardinal Medina et du cardinal Castrillon Hoyos… et même,
aujourd’hui, du cardinal Ratzinger - il va, il vient, il est déroutant – qui
parlent, eux, de continuité dans le
rite romain, d’un Ordo à l’autre. Le cardinal Castrillon Hoyos – en particulier
– ne disait-il pas qu’il en fallait pas « contra poser les deux rites.
Ils seraient, substantiellement, identiques… »
Le Pape
- lui-même – alors qu’il recevait les communautés relevant du Motu Proprio Ecclesia
Dei, le 26 Octobre 1998 – venues à Rome en action de grâces, leur tenait
même langage : « Les derniers Conciles œcuméniques – Trente, Vatican I,
Vatican II – se sont particulièrement attachés à éclairer le mystère de la Foi
et ont entrepris des réformes nécessaires pour le bien de l’Eglise, dans le
souci de la continuité avec la Tradition apostolique déjà recueillie par
saint Hippolyte » (La Nef, n° 89, Déc 1998).
Que les
choses sont bizarres !
Même au
plus haut niveau du gouvernement ecclésiale… les jugements des autorités
divergent fondamentalement sur le même objet : la réforme liturgique.
Pour
les uns, nous aurions « une nouveauté radicale ».
Pour
les autres, « une continuité parfaite ».
Le
magistère est vraiment divisé. C’est un des éléments de la crise de l’Eglise. Qui
croire ?
ù
Mais
poursuivons la pensée de notre Cardinal autrichien.
Il nous
dit :
« Nous
allons maintenant présenter quelques exemples marquants (sans vouloir être
exhaustif) de ce qui a été créé dans la réforme post-conciliaire et en
particulier dans son cœur : l’Ordo Missae radicalement nouveau »
(p. 41).
Alors
le Cardinal passe en revue le nouvel Ordo. Il feuillette le nouvel Ordo. Il
n’insiste pas sur l’introduction de la messe. Elle est « nouvelle »
dit-il page 42 et surtout comporte de « multiples variantes »
(id) ce qui souvent aboutît à une diversité presque illimitée mais il en vient,
tout de suite, à l’Offertoire. Là, il parle à ce sujet de révolution.
« L’Offertoire,
dans sa forme et sur le fond, constitue une révolution : il n’est, en
effet, plus prévu d’offrande préalable des dons mais simplement d’une préparation
des oblats avec une teneur nettement humanisée mais qui, en fin de compte,
donne tout de suite, une impression de dépassé »
(p. 42). Il parle même de symbolisme « malheureux »…
L’industrialisation a envahi l’agriculture et la culture des céréales…
Il
poursuit : « Quant aux signes hautement loués par le Concile de
Trente et exigés par le Concile de Vatican II tels que les nombreux signes de
croix qui renvoient à la Très Sainte Trinité, les baisers de l’autel et
les génuflexions, de tout cela, on a fait table rase » (p. 42).
Il
parle ensuite du sacrifice qui est l’essence de la Messe. Il écrit :
« Le
centre essentiel de la messe qui était précisément l’action sacrificielle
elle-même, a été déplacé au profit de la communion dans la mesure où, tout le
sacrifice de la messe a été transformé en un repas eucharistique. Ce faisant,
si l’on considère les termes utilisés, la communion est devenue, dans la
conscience des fidèles, la seule partie de la messe ayant une effet intégrateur
en lieu et place de la partie essentielle qui est l’action sacrificielle de
transsubstantiation »… « Il est faux de faire de
l’Eucharistie un repas, ce qui se produit presque toujours dans la nouvelle
liturgie » (p. 43).
On a
envie de dire au Cardinal : alors quoi ! Cette nouvelle messe
est-elle sacrifice ou repas. L’un est-il l’autre ou y a-t-il une différence
essentielle entre l’un et l’autre ? Le sacrifice n’est pas un repas, ni un
repas, un sacrifice. Mais le cardinal Castrillon-Hoyos vous dit qu’il ne faut pas
« contra poser » les deux rites…
J’allais
d’étonnement en étonnement, d’émerveillement en émerveillement.
Je me
souvenais du Bref examen critique, de la critique du fameux article 7
qui, dans cette affaire liturgique, est capital.
Je
relisais :
« La
définition de la messe est réduite à celle de la Cène et cela apparaît
continuellement (aux nos 8-48-55-56). Cette Cène est, en outre,
caractérisée comme étant celle de l’Assemblée présidée par le prêtre, celle de
l’Assemblée réunie afin de réaliser « le mémorial du Seigneur » qui
rappelle ce qu’il fit le Jeudi Saint ».
« Tout
cela n’implique ni la présence réelle, ni la réalité du Sacrifice, ni le
caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du
sacrifice eucharistique indépendamment de la présence de l’Assemblée ».
« En
un mot, cette nouvelle définition ne contient aucune des données dogmatiques
qui sont essentielles à la Messe et qui en constituent la véritable définition.
L’omission, en un tel endroit, de ces données dogmatiques, ne peut qu’être
volontaire. Une telle omission volontaire signifie leur dépassement et au
moins, en pratique, leur négation » (Bref examen critique).
J’avais
encore en mémoire toutes ces phrases quand j’arrivais au § 2 de la page 43, je
tombais sur ces paroles fulgurantes :
« Ainsi,
sont posés les fondements d’un autre détournement de fonction : à la place
du sacrifice présenté à Dieu par le prêtre ordonné en tant
qu’ « alter Christus », s’instaure la communauté de repas des
fidèles assemblés sous le présidence du prêtre » (p. 43).
Mais
attention, le Cardinal poursuit :
« La
définition de la Messe qui, dans la première édition du N.O.M. confirmait cette
conception, a pu être supprimé, au dernier moment, grâce à la lettre écrite à
Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci : cette édition fut mise au
pilon sur ordre du Pape. Pourtant, la concession de cette définition n’a
entraîné aucune modification de l’Ordo Missae en lui-même »
(p. 43)
J’étais
estomaqué !
Avouez, sous la plume d’un Cardinal, c’était cinglant, court, bref. Les
mots choisis particulièrement exemplaires. J’espère que Loïc Merian a bien
traduit.
On comprend que le cardinal Stickler puisse – lui aussi – parler
« de bouleversement du cœur même, du sacrifice de la messe ».
Il insiste. Il veut enfoncer le clou.
« Ce bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe fut confirmé
et accentué par la célébration, « versus populum »,
pratique autrefois interdite et renversement de toute la
tradition de la célébration vers l’orient et dans laquelle le prêtre n’était
pas l’interlocuteur du peuple mais se tenait à asa tête pour le guider ver s le
Christ avec le symbole du soleil levant à l’est ». (p. 43)
Je n’en
croyais pas mes yeux.
Je
retrouvais tout l’enseignement d’Ecône, celui que nous avait donné Dom Guillou
dans des pages célèbres qui ne le sont pas assez même dans nos milieux :
en voici un exemple à faire exalter de joie :
«
Toute l’histoire de l’Eglise elle-même, est une montée de lumière dans
l’accroissement du nombre des élus et dans l’épanouissement du développement de
ses dogmes et de son mystère propre, jusqu’à son achèvement dans les
éblouissantes splendeurs de la Jérusalem éternelle où l(introduira, toute
blanche, lavée dans le sang de l’Agneau, l’Epoux divin, revenu en gloire pour
établir son règne définitif, apparaissant sur les nuées du Ciel comme un éclair
qui part de l’Orient « sicut fulgur exit ab oriente… ».
Faut-il
redire ici, après ce bref aperçu, le dommage causé à l’esprit et à la manière
liturgique par l’abandon de la règle de l’orientation des églises et de la
messe et de la prière orientée, règle qui se relie à un immense contexte
éminemment humain, biblique et chrétien. Les Anciens voulaient que le
sanctuaire de leurs églises soit comme un Orient spirituel que la lumière matinale
inonde à cette première heure de l’office de Laudes qui se termine, chaque jour
par le chant du « benedictus » de Zacharie, célébrant l’Orient
« ex alto », illuminant ceux qui sont assis à l’ombre de la mort…
Comme elle est significative ensuite, dans la joyeuse clarté de l’aurore, cette
prière du prêtre au bas des degrés lorsqu’il s’apprête à monter dans le nuée
lumineuse de l’autel : « Emitte lucem tuam et veritatem
tuam : ipsa me deduxerunt et adduxerunt in montem sanctum tuum … et
introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam » (Ps.
42). Sera-t-il dit que tout ce poème des choses, que toutes des
correspondances merveilleuses échapperont à la myopie réformiste ?
Pourtant, même au strict point de vue pastorale, quelle plus belle illustration
de cette vérité : notre vie toute entière est comme une messe qui nous
conduit à l’union au Christ, à la céleste illumination où tout sera renouvelé
dans une jeunesse éternelle, par les mérites de la Passion et de la
Résurrection du Sauveur » (Lumen Christi – Nouvelles de Chrétienté
– numéro spécial de Pâques 1952). Oh, merveille de culture !
Puis le
Cardinal en arrive à la formule de la consécration du pain et du vin.
Là, sur
ce sujet, il est également très sévère. Jugez vous même !
Il
parle de la très grave atteinte à la formule de consécration du vin en le sang
du Christ en raison de la suppression des mots « Mysterium fidei ».
« Les
mots « Mysterium fidei » en ont été supprimés pour être ajoutés à
l’appel du peuple à la prière, après la consécration, ce qui fut présneté comme
un gain majeur du point de vue de la « participatio actuosa » »
(p. 44).
Là, le Cardinal part en guerre, il se déchaîne. C’est le cardinal,
recteur d’université, archiviste, qui parle. Il enseigne. Il cite ses sources.
Il démontre que « Mysterium fidei » - ces deux mots – sont d’origine
apostolique. Il ne fallait en rien y toucher.
Saint
Basile l’enseigne. Saint Augustin aussi. Le « Sacramentarium
Gelasianum » également. « Le « Sacramentarium
Gelasianum » qui est le livre de messe le plus ancien de l’Eglise romaine,
dans le Codex Vaticanus, Reg. Lat. 316, in folio 181v, dans le texte original
(il ne s’agit donc pas d’une addition postérieure) inclus clairement le mysterium
fidei » (p.45).
Il
poursuit – on sent le Cardinal en colère, sainte colère – il cite la
lettre de Jean de Lyon, en 1202, au pape Innocent III et donne la réponse du
Pape avec les références. C’est argumenté :
« En
décembre de la même année, dans une longue lettre, le Pape répondait que ces
paroles et d’autres encore du Canon que l’on ne trouvaient pas dans les
Evangiles, devaient être crues en tant que paroles transmises par le Christ aux
Apôtres et par ceux-ci, à leurs successeurs » (p. 45).
Il
donne les références historiques. C’est le professeur qui enseigne. Son
affirmation est incontournable. Elle est scientifique. Vous la trouverez là,
dit-il : X, III, 41, 6 ; Friedberg III, p. 636, sq.
C’est
net.
Il
continue :
« Le
fait que cette décrétale qui fait partie du recueil de décrétales d’Innocent
III dans le grand recueil du liber X, établi par Raymond de Pegnafort à la
demande de Grégoire IX, n’ait pas été abandonnée comme dépassée, ce qui fut le
cas de bien d’autres mais ait continué à être transmise par la Tradition,
prouve qu’une valeur durable était attribuée à cette déclaration de ce grand
Pape » (p. 45).
Nul doute que l’on ne pouvait toucher à ces deux mots dans la forme de
la consécration du vin, les supprimer, les déplacer en en changeant le sens. On
ne le pouvait pas sans être infidèle à la tradition catholique et de toute
évidence, en rupture avec elle.
C’est
la pensée du Cardinal.
Il
invoque aussi l’autorité de saint Thomas d’Aquin. Vraiment, le Cardinal
veut enfoncer le clou…veut régler l’affaire définitivement. Il veut prouver –
vraiment – que cette réforme liturgique est en rupture non seulement avec les
prescriptions demandées par le Concile Vatican II mais même avec la Tradition
toute entière que le Concile ne faisait, ici, que rappeler. Il écrit :
«
Saint Thomas s’exprime clairement sur cette question dans sa « Somme
théologique » (III, 78, 3 ad nonum) : à propos des paroles de
consécration du vin, rappelant la nécessaire discipline secrète de l’Eglise
ancienne dont parle aussi Denis l’Aéropagyte, il écrit : « les
paroles ajoutées « éternelle » et « mystère de foi »
viennent de la tradition du Seigneur qui est parvenue à l’Eglise par
l’intermédiaire des Apôtres » ; il renvoie lui-même à 1 Cor., 10, 23
et 1 Tim, 3, 4. En note de ce texte de saint Thomas, le commentateur, se référant
à DD Gousset dans l’édition Marietti de 1939 (V. p. 155), ajoute « sanebbe
un grandissimo errore sustituire un’altra forma eucharistiea a quella del
Missale Romano… Si sopprimere ad esempio la parola aeterni et quella mysterium
fidei che abbiamo della tardizione » (p.46).
Et
puis, il invoque l’autorité du Concile de Florence – le XVIIème
Concile œcuménique - :
« Dans
la bulle d’union avec les Coptes, le Concile œcuménique de Florence complète
expressément les formules de consécration de la Sainte Messe qui n’avaient pas
été incluses en tant que telles dans la Bulle d’union avec les Arméniens et que
l’Eglise romaine avaient toujours utilisées sur la base de l’enseignement et de
la doctrine des Apôtres Pierre et Paul (conc.oecu. decreta, ed herder, 1962, p.
557) » (p.46).
Ayant
le document, je suis allé vérifier. C’est bien exact. Le concile de Florence,
dans le décret pour les Grecs – qui suit celui d’avec les Arméniens – cite bien
expressément le mystérium fidei dans la formule de consécration. Il y
est dit : « mais parce que dans le décret des Arméniens rapporté
ci-dessus, n’a pas été expliqué la formule qu’a toujours en coutume d’employer,
dans la consécration du Corps et du Sang du Seigneur, la sacro-sainte Eglise
romaine, affermie par la doctrine et l’autorité des apôtres Pierre et Paul, nous
pensons qu’i faut l’introduire dans les présentes » - en latin –
« illam praesentibus duximus inserendam ». « Duximus »,
c’est le parfait du verbe « ducere ». Il vaudrait mieux
traduire : nous estimons, nous commandons. « Nous pensons » me
paraît un peu faible. « Ducere », c’est le commandement, c’est le
chef qui affirme. Peu importe…
Mais ce
n’est pas tout. Le Cardinal ne s’en tient pas pour satisfait… Il poursuit sa
démonstration de théologie positive. Là, pour le coup, il est exhaustif.
Il
invoque, cette fois, le catéchisme – le catéchisme « de référence »,
dit-il, - ce sont ses mots. Je m’attendais à voir citer le nouveau catéchisme
de l’Eglise catholique. Mais pas du tout ! Il cite le catéchisme du Concile
de Trente. A la bonheur ! Il donne toutes les références.
Manifestement, quand il préparait sa conférence, le Cardinal est allé chercher,
dans sa bibliothèque, ce catéchisme. Il vous dit qu’au chapitre 9, au n° 21, à propos de l’Eucharistie…le catéchisme enseigne que « les
mots « mysterium fidei » et « aeterna » viennent de la
Sainte Tradition qui est l’interprète et la gardienne de la vérité catholique »
(p. 46).
Je
regrette que le Cardinal n’ait pas poursuivi sa lecture du catéchisme car il
aurait aussi rappeler qu’en changeant de place cette expression très
traditionnelle, les auteurs de la réforme liturgique en changeait le sens.
Alors que le « mysterium fidei » placé dans la formule de la
consécration porte sur la présence réelle qui vient d’être réalisée par l’énonciation
de la formule consécratoire, le « mysterium fidei » mis après la
consécration – comme acclamation populaire – dirige l’attention du peuple, non
plus sur le mystère de la Transsubstantiation réalisée « hic et
nunc », mais bien sur le retour en gloire du Seigneur qui est aussi
l’objet de notre foi : « douce deniat ». Il y a, là, dans ce
changement de place, une malice, une duplicité, une ruse, une équivoque. La foi ici affirmée ne porte plus
sur la Transsubstantiation mais sur le retour en gloire du Seigneur. Ainsi
l’attention des fidèles – et leur « participatio actuosa » est
détournée de la présence du Christ réalisée par la Transsubstantiation. Ils
devraient adorer la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ sur l’autel,
on leur fait acclamer le retour en gloire du Seigneur.
Voyez
l’enseignement du catéchisme du Concile de Trente, p. 216 de l’édition d’Itinéraires.
Fort de
cet exposé très savant, le Cardinal ne mâche pas ses mots et ses critiques
contre les réformateurs. Il parle de « légèreté souveraine » d’un
Lercaro, d’un Bugnini et de leurs collaborateurs.
« On
peut à juste titre s’interroger sur la légèreté dont on fait preuve, ici, les
collaborateurs du cardinal Lercaro et du Père Bugnini, avec nécessairement leur
accord » (p. 46). « Ils ont purement et simplement
« ignorés », non seulement ignorés mais aussi « méprisés »
l’obligation de procéder à une recherche historique et théologique exacte »
(p. 46). C’est ce que réclamait expressément le Concile du Vatican II dans son
article 23 de la Constitution liturgique (cf p.36). Mais rien de tel n’a été
fait et le Cardinal de conclure et de lancer la suspicion sur l’ensemble
de l’œuvre réformée.
« Si
cela s’est produit dans ce cas qu’en aura-t-il été de cette importante
obligation pour les autres modifications » (p. 46).
C’est
terriblement grave !
Nous
nous trouvons devant une réforme infidèle à la Tradition…
Enfin,
laissant la théologie positive, le Cardinal s’élève à une considération
doctrinale et pastorale tout à la fois que je pourrais résumer ainsi : cet
oubli du « mysterium fidei » de la forme eucharistique, loin de
favoriser et de développer le sens de la piété et de la vie théologale chez le
peuple fidèle, favorise, au contraire, la « démystification »
constatée aujourd’hui ainsi que l’ « anthropomorphisation ». Rien ne
vaut. Rien n’est vrai que ce qui est rationnel. L’Eucharistie n’est pas à la
portée de la raison. Elle est peut-être un simple symbole.
« Mais
c’est aussi la raison pour laquelle l’exclusion du « mysterium
fidei » de la formule eucharistique devient – elle aussi – le symbole de
la démystification et donc de l’anthropomorphisation de ce qui constitue le
centre du culte divin : la Sainte Messe » (p. 47).
Ce
retrait du « mysterium fidei » est pour le moins malheureux.
ù
Le
cardinal en arrive enfin aux décisions des réformateurs quant à « la
participation vivante et active des
fidèles à la célébration de la messe » (p. 47).
On sait
qu’on se plaignait beaucoup, avant le Concile, du manque de participation des
fidèles à la messe. Aussi le Concile Vatican II a-t-il abordé le sujet
dans deux articles importants : l’article 30 et l’article 48. Il en a
donné les principes : « Le Concile a insisté particulièrement –
dit le Cardinal - sur la participation
intérieure qui seule permet de rendre fructueux le culte » (p.
38).
Le
Cardinal donne alors son jugement sur cette fameuse participation active telle
qu’aménagée par nos réformateurs.
Il
est terrible.
Il
s’exprime avec une pointe d’humour sarcastique et légèrement méprisante… Le
pauvre Bugnini n’a vraiment pas fait une œuvre excellente… On comprend pourquoi
il est resté sur le carreau… Au témoignage du Cardinal : « Le Père
Bugnini avait été secrétaire de la Commission sur la liturgie pendant la
période préparatoire du Concile. Comme son travail, effectué sous la direction
du cardinal Gaetano Cicognani, n’avait pas été jugé satisfaisant, il fut le
seul à ne pas être promu secrétaire de la Commission conciliaire
correspondante ; cette fonction fut attribuée au Père Antonelli, ofm,
ultérieurement nommé cardinal » (p. 34).
Lisez,
vous dis-je. Je ne peux me résoudre à résumer. Il faut tout citer :
« Nous en arrivons
ainsi au mandat donné aux réformateurs de promouvoir la participation vivante
et active des fidèles à la célébration de la messe, un mandat qui, trop
souvent, a été mal interprété et adapté à la mentalité actuelle. Comme toute la
liturgie, ainsi que le dit expressément le Concile, le but principal de la
messe est le culte de la divine majesté. Aussi le cœur et l'âme des
participants doivent‑ils en premier lieu être élevés et s'élever vers
Dieu. Cela n'exclut pas que la participation se manifeste concrètement à
l'intérieur de la communauté et vis-à-vis d'elle. Et c'est la raison pour
laquelle, pour pallier l'absence de participation des fidèles dont on se
plaignait si souvent avant le Concile, ce dernier a instamment demandé cette
« actuosa participatio ». Mais si celle-ci dégénère en un
enchaînement ininterrompu de paroles et d'actions, avec une distribution des
rôles aussi large que possible afin que tous aient leur part à l'action,
lorsque l'on en arrive à un activisme qui relève plutôt d'un rassemblement
humain purement externe et qui, pire encore, juste avant le moment le plus
sacré pour les participants : dans la rencontre individuelle de chaque fidèle
avec le Dieu‑homme eucharistique, est plus bavarde et distrayante que
jamais, la mystique contemplative de la rencontre avec Dieu, le culte qui lui
est rendu avec la crainte respectueuse, la révérence qui doit l'accompagner
toujours ‑ tout cela ne peut que mourir : alors l'humain tue le divin et
emplit le cœur de vide et de désolation. Ce moment appartient au silence, qui
est expressément prévu, et qui n'a gardé ‑ difficilement ‑ sa place
qu'après l'action que constitue la distribution de la communion, comme une
petite feuille de vigne sur un grand corps nu. C'est ainsi que, reflétant la
tendance actuelle de la conscience du monde à se limiter aux apparences, on
voit se développer dans l'Église un agir cultuel de conception humaine et projeté
vers l'extérieur ».
ù
Voilà
donc un jugement général du cardinal sur la réforme liturgique bugninienne.
Mais
après ce jugement général qui est une vraie condamnation de la réforme, le
Cardinal aborde des points plus particuliers : le latin, le grégorien,
l’orgue…
Sur le
latin : Le Cardinal exprime sur ce sujet – du latin comme
langue liturgique – son étonnement. Il ne comprend pas comment, après ce que
demandèrent les Pères conciliaires sur ce point, on en soit arrivé à la
suppression générale et au triomphe des langues vernaculaires.
Ce
passage de la conférence est fort intéressant. Quand je le découvris pour la
première fois, j’étais moi-même dans l’étonnement…admiratif. Il faut le citer
aussi dans son intégralité. Il donne un témoignage historique, puis
l’enseignement magistériel, enfin les arguments théologiques. Notre Cardinal
fut vraiment – durant le Concile – au cœur du problème.
Et tout d’abord, son témoignage personnel :
« A ce stade, il
convient de mentionner une disposition du concile qui a été non seulement mal
comprise mais, plus encore, complètement répudiée : la langue cultuelle. Je me
permettrai ici, une fois encore, d'étayer mon argument par un souvenir
personnel. En qualité d'expert de la Commission pour les séminaires, on m'avait
confié le rapport sur la langue latine. Il fut clair et bref et, après mûre
discussion, rédigé sous une forme qui correspondait aux souhaits de tous les
membres avant d'être soumis à l'aula conciliaire. C'est alors que, sans que
l'on s'y attendît, le pape Jean XXII1 signa en toute solennité, à l'autel de
saint Pierre, la lettre apostolique « Vetera, Sapientia », ce qui, de
l'avis de la Commission, rendait superflue la déclaration conciliaire sur le
latin dans l'Église : cette lettre présentait non seulement le rapport entre la
langue latine et la liturgie mais encore toutes les autres fonctions de cette
langue dans la vie de l'Église.
Lorsque, plusieurs jours
durant, la question de la langue du culte fut discutée dans l'aida conciliaire,
je suivis avec beaucoup d'attention tout ce débat, ainsi d'ailleurs que la
discussion, jusqu'au vote final, des différentes formulations incluses dans la
Constitution sur la Sainte Liturgie. Je me rappelle très bien que, à la suite
de quelques propositions radicales, un évêque sicilien se leva et adjura les
Pères de procéder, sur cette question, avec prudence et intelligence car,
sinon, le risque était que la messe fût dite dans sa totalité en langue
vernaculaire, ce qui fit bruyamment éclater de rire toute l'aula conciliaire.
Et c'est pourquoi je n'ai jamais compris comment, dans ses Mémoires publiés en
1983, Mgr Bugnini, à propos du passage radical et complet du latin obligatoire
à la langue vernaculaire comme langue cultuelle exclusive, ait pu écrire que le
concile avait pratiquement dit que la langue vernaculaire était, dans toute la
messe, une nécessité pastorale (op. cit., pp. 108‑121 dans l'édition
italienne originale).
A
l'encontre de cela, je puis témoigner que les formulations de la constitution
conciliaire sur ce point, tant dans sa partie générale (Art. 36) que dans les
dispositions particulières relatives au sacrifice de la messe (Art. 54) ont été
approuvées quasiment à l'unanimité dans les discussions des Pères conciliaires
et surtout lors du vote final : 2 152 oui et 4 non ».
Ensuite
l’enseignement magistériel sur le latin :
« Au cours des
recherches que j’ai effectuées pour préparer le rapport sur la tradition sur
lequel devait s'appuyer ce décret conciliaire sur la langue latine, j'ai
constaté que toute la tradition était absolument unanime sur ce point, jusqu'au
pape Jean XXIII : elle s'est toujours prononcée clairement contre toutes les
tentatives antérieures visant à renverser cet ordre des choses. Je pense ici en
particulier à la décision du concile de Trente, sanctionnée d'un anathème,
contre Luther et le protestantisme, à Pie VI contre l'évêque Ricci et le Synode
de Pistoïé, et à Pie XI qui, à propos de la langue cultuelle de l'Église, a
prononcé un clair « non vulgaris » ».
Là, le Cardinal ne fait que citer mais ses citations sont parfaitement
fondées ? Jugez en effet.
Le
Concile de Trente enseigne bien dans son canon 9 dans sa 22ème
session : « Si quelqu’un dit…que la messe ne doit n’être célébrée
qu’en langue vernaculaire…qu’il soit anathème ». Et dans son chapitre doctrinal
– au chapitre 8 de la même session – on lit : « Bien que la messe
contienne un riche enseignement pour le peuple fidèle, il n’a cependant pas
paru bon aux Pères qu’elle soit célébrée indistinctement en langue vulgaire ».
Toutefois, ordre était donné aux pasteurs d’âmes de donner régulièrement des
instructions pour expliquer le sens des belles pièces du missel romain.
Quant
au pape Pie VI invoqué par le Cardinal, on peut, de fait, citer entre autres,
la proposition 66 :
« La
proposition qui affirme qu’il est contraire à la pratique apostolique et aux
conseils de Dieu, de ne pas préparer au peuple des voies plus faciles pour
joindre sa voix à la voix de toute l’Eglise, si elle est entendue en ce sens
qu’il faut introduire l’usage de la langue vulgaire dans les prières
liturgiques, est fausse, téméraire, perturbe l’ordre présent pour la
célébration des mystères, produit facilement de nombreux maux ».
Voici
qui est bien dit. Voilà la vraie tradition catholique que Mgr Bugnini et son
personnel devaient défendre et respecter et qu’ils n’ont pas défendu, ni
respecté.
Vraiment,
le Cardinal prouve bien son jugement : « L’ordo missae – celui
issu du Concile Vatican II – est radicalement nouveau », ne
respectant pas la tradition catholique.
Il
donne, enfin, les raisons justifiant le nécessaire maintient du latin dans la
liturgie et dans l’Eglise :
« Il faut bien voir que
la raison n'en est pas uniquement d'ordre cultuel, même si cet aspect est
toujours mis en avant. C'est aussi une question de révérence, de crainte
respectueuse : comme le voile recouvre les vases sacrés, le latin sert de
protection contre la profanation ‑ à la manière de l'iconostase des
Églises orientales derrière laquelle s'accomplit l'anaphore ‑ et aussi
contre le danger de vulgariser, en utilisant la langue vernaculaire, toute
l'action liée au mystère, ce qui se produit effectivement souvent de nos jours.
Mais cela tient aussi à la précision du latin, qui sert comme nulle autre
langue la doctrine dogmatiquement claire ; au danger d'obscurcir ou de fausser
la vérité dans les traductions, ce qui d'ailleurs pourrait aussi porter
gravement préjudice à l'élément pastoral, si important ; et aussi à limité qui
est ainsi manifestée et renforcée dans toute l'Église ».
« Toujours
du point de vue pastoral, l'abandon du latin comme langue liturgique, à
l'encontre de la volonté expresse du concile, engendre une deuxième source
d'erreurs, plus grave encore: je veux parler de la fonction de langue
universelle qu'assume le latin, qui unit toute l'Église, justement, dans le
culte public, sans déprécier aucune langue vernaculaire vivante. Et précisément
à notre époque où le concept d'Église qu'on voit se développer met l'accent
sur l'ensemble du peuple de Dieu considéré comme Corps mystique un du Christ,
aspect d'ailleurs toujours souligné dans la réforme, il se fait que, par
l'introduction de l'usage exclusif des langues vernaculaires, et même de dialectes,
l'unité de l'Église universelle est remplacée par une diversité d'innombrables
chapelles populaires, jusqu'au niveau des communautés villageoises et églises
paroissiales, qui sont séparées les unes des autres par une véritable
différence de tension naturelle qui, entre elles, est et ne peut qu'être
insurmontable. D'un point de vue pastoral, comment alors un catholique peut‑il
retrouver sa messe dans le monde entier, et comment peut‑on abolir les
différences entre races et peuples dans un culte commun, grâce à une langue
liturgique sacrée commune, ainsi que l'a expressément souhaité le concile,
alors qu'il y a tant d'occasions, dans un monde devenu si petit, de prier
ensemble ? Dans quelle mesure alors chaque prêtre a‑t‑il la
possibilité pastorale d'exercer le sacerdoce suprême de la sainte messe
n'importe où, surtout dans ce monde où les prêtres sont devenus si rares ? »
ù
Enfin,
le cardinal critique « l’introduction d’un cycle liturgique de 3 ans.
C’est là un péché contre nature » dit le Cardinal. « Il ne
fallait pas abolir le déroulement d’un cycle annuel naturel » (p. 53).
Toutes ces modifications, ces changements « ont condamné les
remarquables mélodies grégoriennes variables à une mort lente ». Ce
qu’il déplore : « Au mandat donné par le Concile de préserver et
promouvoir le chant liturgique romain typique, très ancien, a répondu une
épidémie pratiquement mortelle » (p. 53). Comme il déplore la
disparition de l’orgue : « remplacé par une multitude
d’instruments (qui) ont favorisé l’introduction dans la musique
religieuse d’éléments reconnus comme diaboliques » (p. 55).
Comme
il déplore enfin les nombreuses « variantes autorisées » -
vrai principe constitutif de la réforme liturgique – qui « risquent de
mener à l’anarchie qu’avait toujours si bien maîtriser l’ancien ordo latin »
(p. 56).
« C’est
ainsi que le nouveau garant de l’ordre – le Cardinal veut dire : le nouvel
Ordo missae – devient, de soi, facteur de désordre. « Aussi ne faut-il
pas s’étonner que chaque paroisse, pour ne pas dire chaque église, semble avoir
adopté un ordo différent. C’est là une constatation que l’on peut faire
partout ». (p. 55) Et qui entraîne l’irrévérence actuelle, la perte du
sens du sacré et la superficialité. Tout cela étant grandement dommageable à la
dignité du nouveau rite.
ù
Quoiqu’il
en soit de toutes ses critiques, le Cardinal ne va pas jusqu’à affirmer
l’invalidité du nouveau rite. Ce que nul d’entre nous n’a jamais affirmé.
« Pour
éviter tout malentendu à propos de cette présentation de la réforme…je voudrais
préciser expressément que je n’ai jamais mis en doute que ce soit
dogmatiquement ou juridiquement la validité de cet Ordo : sans doute, d’un
point de vue juridique, ai-je ressenti des doutes sérieux qui tiennent à
ce que j’ai intensivement étudié les canonistes médiévaux, lesquels sont
unanimes à dire que les papes peuvent tout changer à l’exception de ce que prescrit
la Sainte Ecriture, de ce qui touche aux décisions doctrinales de plus haut
niveau déjà adoptés et du « status ecclesiae » ».
Et ses doutes venaient – viennent-ils encore, je ne sais, il n’en dit
rien – de ce que l’on « peut penser » que la liturgie relève du
« status ecclesiae ». Elle serait alors, sous ce rapport, immuable
dans sa substance, immuable par essence. Mais le Cardinal n’insiste pas. Il dit
la chose. Il passe et en profite même pour dire immédiatement après, sa
position pratique :
« Je
m’empresse de préciser que lorsque la nouvelle liturgie est célébrée avec révérence
– ce qui est toujours le cas, par exemple,
à Rome et par le Pape lui-même – les abus regrettables qui relèvent
essentiellement de la divergence entre la Constitution conciliaire et le nouvel
ordo, n’ont pas lieu » (p. 57/58).
Là,
j’étais étonné du jugement du Cardinal. Je le suis encore en relisant. Il me
semble contradictoire à tout son exposé précédant.
Que le
nouvel « ordo missae » soit valide, nul ne le contestera mais que
parce qu’il est célébré avec révérence, cela fasse tomber tous les abus
regrettables et qu’ils n’aient même plus lieu…là, je ne comprends plus.
La
langue vernaculaire reste la langue vernaculaire qu’elle soit utilisée avec
révérence ou non.
L’Offertoire
nouveau reste l’offertoire nouveau – le cardinal l’a décrit comme une vraie
révolution dans l’Eglise – qu’il soit dit avec révérence ou non.
La
prédominance du repas sur le sacrifice demeure quelque soit la révérence du
célébrant, fut-ce le Pape.
La
modification de la formule de consécration du vin reste ce qu’elle est :
une véritable infidélité à toute la Tradition qu’elle soit prononcée avec
révérence ou non.
Et
pensez-vous que l’abolition du grégorien et du chant polyphonique, de l’orgue,
du silence, de la contemplation intérieure, pensez-vous vraiment que tout cela
favorise, nourrisse la révérence du peuple ?
Pensez-vous
que l’abolition des signes de croix, des baisers de l’autel, des génuflexions –
ce que la Cardinal déplore – puissent favoriser plus grande révérence pour les
mystères célébrés ?
Tout
cela, Eminence, me paraît contradictoire et peut-être même pusillanime.
Je
préfère la mâle autorité du cardinal Ottaviani demandant à Paul VI – après
l’exposé fait dans le Bref examen critique – l’abrogation du nouvel
« Ordo missae » ou tout au moins « la possibilité de
continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V ».
Je
trouve cela plus cohérent.
Et je
constate – là encore – une diversité pratique, concrète, du magistère actuel
dans l’application de la réforme :
-
certains demandant purement et simplement son abrogation,
-
d’autre se contentant de demander – malgré les insuffisances doctrinales graves
– qu’il soit célébré mais « avec révérence ».
ù
Malgré
l’immense joie que j’ai eu à lire la conférence du cardinal Stickler,
j’exprime, ici, ma déception profonde
devant l’attitude pratique du Cardinal.
Il nous
démontre que cette réforme liturgique n’est pas fidèle à la Tradition
catholique sur des points majeurs,
-
qu’elle s’en éloigne,
-
qu’elle est, sur bien des points, une vraie révolution,
-
qu’elle est « nouvelle »
- que
l’aspect sacrificielle de la messe est presque éliminé…
Et
comme attitude pratique : il se contente de dire – ici – que si elle est
célébrée avec « révérence », il n’y a plus de problème. Tout rentre
dans l’ordre !
Cela me
paraît très léger, voir insignifiant.
Et je
préfère le jugement pratique – o combien pastoral – d’un abbé Dulac se
plaignait, lui aussi, de l’aspect équivoque de cette réforme.
Il
écrivait en 1975 :
« Nous
avons été les premiers à dénoncer le défaut radical, inguérissable du nouvel
« ordo missae ». C’était le 25 juin 1969, quelques jours après
l’apparition, en France, de « l’édition typique » de cette messe
réformée.
« Nous
y sommes revenus bien des fois depuis cette date. (NDLR :
j’ai en mémoire ses critiques sur le nouvel Offertoire qui rejoignent largement
celles du Cardinal, je publierai bientôt tout cela)
« Nos
critiques étaient assez graves pour que nous ayons pu, dès le début, y trouver
le motif d’un refus.
« Mais
jamais, nous n’avons dit que la nouvelle mess était hérétique.
« Hélas !
Elle est, pourrait-on dire, pis que cela : elle est équivoque. Elle est
flexible en des sens divers. Flexible à volonté. La volonté individuelle qui
devient ainsi la règle et la mesure des choix ».
Ne
serait-ce pas la « révérence » dont nous parle le cardinal
Stickler ?
ù
L’hérésie
formelle et claire agit à la manière d’un coup de poignard.
L’équivoque
agit à la manière d’un poison lent.
L’hérésie
attaque un article précis du dogme.
L’équivoque,
en lésant l’ « habitus » lui-même de la foi, blesse ainsi tous les
dogmes.
On ne
devient formellement hérétique qu’en le voulant.
L’équivoque
peut ruiner la foi d’un homme à son insu.
L’hérésie
affirme ce que nie le dogme ou nie ce qu’il affirme.
L’équivoque
détruit la foi aussi radicalement en s’abstenant d’affirmer et de nier :
en faisant de la certitude révélée, une opinion libre.
L’hérésie
est ordinairement un jugement contradictoire à l’article de la foi.
L’équivoque
est dans l’ordre de ce que les logiciens appellent « le disparate ».
Elle est à côté de la foi. A côté même de la raison, de la logique.
Eh
bien, nous oserons le dire : il y a pire encore peut-être que l’équivoque.
Il y a le substitut de la foi théologale, sa contrefaçon, son ersatz : son
succédané sentimental.
Ce que
le cardinal Stickler appelle – peut-être – la « révérence » dans la
célébration du rite.
Et le
plus détestable de ces succédanés, c’est celui qui dissimulerait l’artifice
sous le vernis mystique, celui qui, dans le cas de la messe, marquerait l’indigence
théologique ou sa carence formelle sous le sucre d’un mystère frelaté. Ce
que notre Cardinal appelle – peut-être – « révérence », piété comme
si l’émotion, « l’expérience », « l’action » pouvait
suppléer aux omissions et aux équivoques de la foi intellectuelle.
« La
sagesse mystique goûtant dans l’amour cela même que la foi atteint comme caché,
nous fait jugés et estimés de façon merveilleuse ce que nous connaissons par la
foi mais ne nous découvre aucun objet de connaissance que la foi
n’atteindrait pas. Elle perfectionne la foi quant au mode de connaître, non
quant à l’objet connu ».
C’est
Jacques Maritain qui écrivait ces excellentes choses en 1932. Le Maritain, non
point de l’ « Humanisme intégral » mais celui des « Degrés du
savoir » (3ème ed., p. 524)
Et il
ajoutait : « C’est une désastreuse illusion de chercher
l’expérience mystique – ce que le Cardinal appelle peut-être
« révérence » - en dehors de la foi, d’imaginer une expérience
mystique affranchie de la foi théologale ».
Appliquer
ces principes au nouvel « Ordo missae », conclut notre bon abbé
Dulac, vous le condamner d’une façon irrémédiable (Courrier de Rome, n° 47).
Là,
chez Monsieur l’abbé Dulac, vous avez un jugement solide, pratique, fondé surla
meilleure théologie.
Ici,
avec le cardinal Stickler et sa « révérence », vous avez un jugement
mou, équivoque, libéral qui conduit la chrétienté à la mort.
Vous
avez ainsi, aujourd’hui, un magistère non seulement divisé mais également inconséquent.
Objectivement.
C’est
bien le moment – à mon avis – de pénétrer plus profondément dans l’Eglise au
bénéfice – par exemple – de l’octroi d’une « administration
apostolique » comme le proposait, en son temps, Mgr Lefebvre, en Janvier
1988.
Alors, nous
pourrions donner plus facilement qu’aujourd’hui, un peu de nerf à une
restauration, o combien nécessaire, de la liturgie catholique.
C’est
ce que ne doit pas vouloir celui qui est la « main cachée » de la
Secrétairerie d’Etat…
C’est
pourquoi je ne suis pas absolument certain que les contacts entretenus par Mgr
Rangel avec Rome aboutissent à un accord même s’il est souhaitable, en raison
de leur intransigeance sur la messe…
Et si
par aventure et providentiellement cet « accord » aboutissait, il ne
serait pas un accord mais bien une entrée, une poussée, un « cheval de
Troie » dans l’Eglise… C’est ce que certains doivent examiner,
aujourd’hui, à Rome…
ù
Le
Cardinal conclut enfin son exposé en parlant des « réalités officielles
négatives, quoi que dans une mesure limitée, à la réforme de la messe telle que
publiée » (p. 57).
Certains
ont pu reprocher « la hâte incompréhensible » dans laquelle cette
réforme a été « expédiée et rendue obligatoire ». Il cite le
témoignage du cardinal Dopfner, archevêque de Munich (p. 57).
Il
invoque l’autorité du cardinal Ratzinger et tout spécialement ses jugements
exprimés dans son dernier livre : Ma vie (Fayard, 1998) et Le Sel de la Terre.
Il
invoque également l’épiscopat allemand et surtout « le responsable des
questions liturgiques auprès de la Conférence épiscopale d’Autriche – il ne
donne pas son nom – qui aurait déclaré, déjà en 1995, dans une conférence
donnée à Cracovie, « que le Concile avait voulu, non pas une
révolution, mais une restauration dans la liturgie qui fut fidèle à la
tradition. Au lieu de quoi – ajoutait-il – nous avons eu un culte de la
spontanéité et de l’improvisation qui a sans aucun doute, contribué à la
diminution du nombre des participants à la messe » (p. 60).
Il
invoque le cardinal Danneels.
En Italie,
il invoque aussi l’auteur de la Tunique déchirée (1967), Tito Casini.
Et
aussi la réaction des laïcs d’ « Una voce ». Des laïcs canadiens. Il
cite une revue canadienne « Preciois Blood Banner » : on y
lit : « Il apparaît toujours plus clairement que l’extrémisme des
réformateurs post-conciliaires a consisté, non pas à réformer la liturgie
catholique depuis ses racines mais à la déraciner de son sol
traditionnel ; selon cet article, ils n’ont pas restauré le rite romain,
ce que leur demandait le Concile Vatican II, ils l’ont déraciné » (p.
61).
Il
invoque le témoignage de Max Thurian « ancien prieur calviniste de Taizé,
passé au catholicisme et ordonné prêtre » (p. 61). Celui-là même qui, au
temps de la réforme, avait déclaré que les Protestants pourraient bien célébrer
la Cène avec ces nouvelles prières. Il cite et résume son article critique paru
dans L’Osservatore Romano quelques temps avant sa mort. Il avait bien
évolué !
Il
invoque le témoignage de Mgr Gamber. Vous en connaissez beaucoup de lui.
Puis,
il termine évoquant l’attitude pratique du Pape en cette affaire liturgique.
Il y
a une évolution de l’autorité
indéniablement en faveur de l’ancienne messe. Le Cardinal pense le voir dans
les textes récents du pontife : la lettre Quattuor abhinc annos et
le Motu proprio Ecclesia Dei.
Chers
lecteurs, vous connaissez tous ces textes, nous les avons analysés de
différentes manières. Il y a une lueur d’espoir de gagner. Le cardinal Stickler
conclut, en effet :
« Ce
texte (Ecclesia Dei adflicta) adressé aux évêques, beaucoup plus
libéral, nous permet de penser avec une confiance justifiée que, dans ses
efforts pour rétablir l’unité de la paix, le Pape ne reviendra pas sur ce qu’il
a déjà fait mais qu’au contraire, il ira plus loin encore dans la voie amorcée,
en particulier aux paragraphes 5 et 6 du Motu proprio de 1988 pour instaurer
une juste réconciliation entre la tradition inaliénable et un développement
justifié par le temps » (p. 66).
A toi,
Cher lecteur,
de la
constance,
de la
force,
de la
détermination.
La Tradition retrouvera
avec l’aide de Dieu, un jour prochain,
toute sa place dans
l’Eglise.
*****
Souvenirs et expérience d'un expert
de
la commission conciliaire sur la liturgie
Conférence
donnée l’ « Internationalen Theologischen Sommerakadernie 1997 des Linzer
Priesterkreises » en août 1997 par le Cardinal Stickler
(publiée
par Franz Breid ‑ Die Heilige Liturgie – Ennsthaler)
Introduction
1. Ma position au concile‑
qu'on me pardonne d'entamer mon exposé par quelques détails personnels, mais
ceux-ci sont nécessaires pour que l'on comprenne bien ce que j'ai à vous dire.
J'ai
été professeur de droit canonique et d'histoire du droit ecclésiastique à
l'université salésienne, fondée en 1940, puis pendant 8 ans, de 1958 à 1966,
recteur de cette université. En cette qualité, j’ai bientôt été nommé
consulteur de la Congrégation romaine pour les séminaires et les universités,
puis, depuis les travaux antépréparatoires jusqu'à la mise en oeuvre des
décisions du concile, membre de la commission dirigée par ce dicastère romain.
En outre, j'ai été nommé expert (peritus) de la commission pour le
clergé, et plus spécifiquement pour les problèmes relatifs aux droits
patrimoniaux : il s'agissait surtout de débarrasser le Droit Canon du système
des bénéfices.
Peu avant le concile, le
cardinal Laraona, dont j'avais été l'élève pendant mes études de droit canon et
de droit ecclésiastique au Latran et qui avait été nommé président de la
Commission conciliaire pour la liturgie, me fit venir chez lui et m'annonça
qu'il m'avait proposé comme expert de cette Commission. Je lui objectai que
j'avais déjà beaucoup à faire en tant qu'expert de deux autres commissions,
surtout celle des Séminaires et universités. Pourtant il maintint sa
proposition en faisant remarquer que, considérant l’importance canonique des
prescriptions relatives à la liturgie, il fallait également inclure des
canonistes dans celle commission. C'est par cette fonction non recherchée que
j'ai ensuite vécu le Concile Vatican 11 depuis ses tout débuts puisque, comme
on le sait, la liturgie fut le premier sujet inscrit à l'ordre du jour. Je fus
ensuite affecté à la sous-comission qui devait rédiger les modifications
apportées aux trois premiers chapitres et aussi préparer l'ultime formulation
des textes qui devaient être soumis, pour discussion et approbation, à la
commission réunie en plénière avant d'être prescrites dans l’aula
conciliaire.Cette sous‑comission se composait de trois évêques: Mgr
Callewaert, archevêque de Gand, qui en était le président, Mgr Enciso Viana, de
Majorque et, si je ne me trompe, Mgr Pichler, de Banjaluka (Yougoslavie), ainsi
que de trois experts : Mgr Martimort, le P. Martinez de Antoñana, clarétin
espagnol, et moi-même. Vous comprendrez aisément que, dans le cadre de ces travaux,
on pouvait se faire une idée exacte de ce que souhaitaient les Pères
conciliaires ainsi que du sens réel des textes votés et adoptés par le concile.
2. Mais vous pourrez également
comprendre ma stupéfaction lorsque, prenant connaissance de l'édition définitive
du nouveau Missel Romain, je fus
bien obligé de constater que, sur bien des points, son contenu ne correspondait
pas aux textes conciliaires qui m'étaient si familiers, que beaucoup de choses
avait été changées ou élargies, ou allaient même directement au rebours des
instructions données par le concile.
Comme j'avais précisément vécu
tout le déroulement du concile, les discussions souvent très vives et longues
et toute l'évolution des modifications jusqu'aux votes répétés qui eurent lieu
jusqu'à leur adoption définitive, et que je connaissais aussi très bien les
textes contenant les prescriptions détaillées pour la réalisation de la réforme
souhaitée, vous pouvez vous imaginer mon étonnement, mon malaise croissant et
même ma fureur devant certaines contradictions particulières, surtout
considérant les conséquences nécessairement graves que l'on pouvait en
attendre. C'est ainsi que je décidai d'aller voir le cardinal Gut qui, le 8 mai
1968, était devenu préfet de la Congrégation des Rites en remplacement du
cardinal Laraona, qui s'était retiré le 9 janvier précédent.
Je lui demandai une audience
dans son logement au monastère bénédictin de l’Aventin, audience qu'il
m'accorda le 19 novembre 1969. Je ferai remarquer en passant que, dans ses
Mémoires parus en 1983, Mgr Bugnini fait erreur sur la date de la mort de Mgr
Gut, l'avançant d'un an : Mgr Gut est mort le 8 décembre 1970 et non 1969.
Mgr Gut me reçut très
aimablement, bien qu'il fût déjà visiblement malade et, comme l'on dit, j'ai pu
déverser tout ce que j'avais sur le cœur. Il me laissa parler une demi‑heure sans m’interrompre, puis il me dit qu'il partageait entièrement
mes inquiétudes. Mais, ajouta‑t‑il, la faute n'en incombait pas à
la Congrégation des Rites: en effet, toute la réforme était l'oeuvre du
Consilium constitué expressément à cette fin par le pape, dont il avait nommé
le cardinal Lercaro Président et le P. Bugnini Secrétaire. Dans ses travaux, ce
Conseil n'avait eu de comptes à rendre qu'au pape.
3. A ce sujet, une précision
s'impose : le P. Bugnini avait été Secrétaire de la Commission sur la liturgie
pendant la période préparatoire du concile. Comme son travail, effectué sous la
direction du cardinal Gaetano Cicognani, n'avait pas été jugé satisfaisant, il
fut le seul à ne pas être promu Secrétaire de la commission conciliaire
correspondante; cette fonction fut attribuée au P. Antonelli, o.f.m.,
ultérieurement nommé cardinal. Le groupe des liturgistes, d'inspiration plutôt
moderniste, fit valoir à Paul VI qu'il s'agissait là d'une injustice faite au
P. Bugnini et obtint du nouveau pape,
qui était très sensible à ce genre
de choses, que, en compensation de cette injustice, le P. Bugnini fut nommé
Secrétaire du nouveau Consiliurn chargé
d'opérer la réforme.
Ces deux nominations ‑celles
du cardinal Lercaro et celle du P. Bugnini‑ aux postes clefs du Consiliurn offrirent la possibilité de
se faire entendre, pour l'exécution de la réforme, à des gens qui jugeaient ne
l'avoir pas suffisamment été pendant le concile, et aussi d'en faire taire
d'autres : en effet, les travaux du Consilium se déroulaient dans des zones de
travail non accessibles aux non‑membres.
Et pourtant : bien qu'ils se
soient consacrés corps et âme aux travaux énormes et délicats réalisés par le Consilium. notamment sur le coeur même
de la réforme, à savoir le nouvel Ordo Missae Romanus qui fut réalisé dans les délais les plus
brefs, seul l'avenir nous expliquera pourquoi les deux principaux acteurs sont
visiblement tombés en disgrâce : le cardinal dut renoncer à son siège
épiscopal, et le P. Bugnini, nommé archevêque dès 1968 et nouveau Secrétaire de
la Congrégation des Rites, ne reçut pas la pourpre cardinalice qui accompagne
une telle fonction; il avait été nommé nonce à Téhéran lorsque, suite à une
opération, la mort vint interrompre son activité terrestre le 3 juillet 1982.
I : la constitution conciliaire
Pour pouvoir maintenant juger
de la concordance ou de la contradiction entre les dispositions conciliaires et
la réforme effectivement appliquée, il
convient tout d'abord de rappeler
brièvement quelles étaient les directives les plus importantes données par
la constitution conciliaire pour l'ensemble des travaux de restauration.
1. Les dispositions générales,
qui concernent surtout les bases théologiques, sont pour l'essentiel contenues
dans le Préambule, à l'Art. 2, où sont présentées, dans une claire synthèse, la
nature à la fois terrestre et céleste de l'Église, ainsi que son mystère, tel
qu'il doit s'exprimer dans la liturgie : dans celle‑ci, « tout ce qui est
humain doit être subordonné et soumis au divin, le visible à l'invisible,
l'action à la contemplation, le présent à la cité divine future que nous
recherchons ». C'est pourquoi le renouveau de la liturgie devait aussi aller de
pair avec le développement et le renouveau du concept d' Église.
Au chapitre III de la Partie I : la restauration de la liturgie, l'Art. 21 indique qu'un présupposé de
toute réforme de la liturgie est que celle‑ci comporte une partie
immuable, car instituée par Dieu, et des parties qui peuvent être modifiées
parce quelles y ont été indûment introduites au cours des temps ou qu'elles
sont apparues inadaptées. Sur ce point le concile demandait, dans le deuxième
paragraphe, que l'on veille en premier lieu à organiser les textes et rites
selon le principe hiérarchique établi à l'Art. 2 mais aussi d'une façon telle
que le peuple puisse mieux les comprendre et y participer.
Puis l'Art. 23 énonce les
directives pratiques les plus importantes et les principes à respecter pour
satisfaire au juste équilibre entre tradition et progrès. A cette fin, la
révision de chacune des parties devait être précédée d'une soigneuse étude
théologique, historique et pastorale. Il fallait en outre prendre en
considération les lois générales de la structure et de l'esprit de la liturgie
ainsi que l'expérience déjà acquise en application des autorisations
particulières et indults accordés par l'Église. En conclusion, cet article
établit comme norme générale que l'on ne devait introduire des innovations que
si l'utilité de l'Église, confirmée par l'expérience, les exigeait vraiment,
précisant que les formes nouvelles devaient, d'une façon ou d'une autre,
toujours se développer organiquement à partir de ce qui existait déjà.
En outre, je me permettrai
encore de mentionner les normes pratiques applicables à l'ensemble du travail
de réforme, qui découlent de la nature pédagogique et pastorale de la liturgie.
II faut en particulier remarquer que, selon l'Art. 33, la liturgie est
principalement le culte de la majesté de Dieu, lequel y entre cependant en
relation avec ceux qui le révèrent et ce, par des signes visibles dont la
liturgie se sert pour signifier les réalités invisibles et qui ont été choisis
soit par le Christ lui‑même soit par l'Église. On trouve ici un vif écho
de ce que le concile de Trente avait déjà recommandé à l'Église catholique pour
la préserver du vide rationaliste et profane du culte protestant et que le
Saint Père a présenté, dans sa lettre sur la liturgie des Églises orientales,
comme leur richesse propre, ajoutant que l'Église catholique devrait elle aussi
mettre à profit cette richesse. La liturgie des Églises orientales se
caractérise en effet par une riche symbolique qui, complétée par les éléments
pédagogiques et pastoraux mentionnés précédemment, convient remarquablement à
l'orientation mystique du culte, y compris pour les simples fidèles.
Si l'on considère que, quoique
étant séparée du rocher de l'Église, les Églises orthodoxes ont conservé la
juste foi et les sacrements précisément
grâce à l'expression
symbolique et au développement de leur théologie, qui tous deux ont toujours
trouvé leur juste place dans leur liturgie, toute réforme catholique‑romaine
de la liturgie devrait augmenter plutôt que réduire ‑parfois radicalement
‑ la richesse symbolique de ses formes cultuelles.
2. Pour ce qui est des
directives applicables aux parties spécifiques de la liturgie, et en
particulier à ce qui en constitue le centre : la messe, nous nous contenterons
de mentionner quelques points qui sont importants pour la réforme de l'Ordo Missae et sur lesquels nous
concentrerons notre attention.
a) À propos de cette réforme de
l'Ordo Missae, il convient de souligner plus particulièrement deux instructions
du concile. À l'Art. 50, il est tout d'abord indiqué de façon générale que,
pour la révision, il fallait veiller à ce que se manifestent plus clairement
« le rôle propre » [proprio ratio‑ en allemand : la nature
spécifique] de chacune des parties de la messe ainsi que leur connexion
mutuelle afin que soit facilitée la participation pieuse et active des fidèles.
C'est pourquoi (quamobrem‑
un lien était donc clairement établi) les rites devaient être simplifiés mais,
souligne le texte, en gardant fidèlement leur substance, et l'on devait omettre
ce qui, au cours des âges, avait été redoublé ou ajouté sans grande utilité [minus
utiliter addita], alors que d'autres, qui s'étaient perdus avec le temps,
devaient être rétablis selon l'ancienne norme des Pères, dans la mesure où cela
apparaîtrait opportun ou nécessaire.
b)
Quant à la participation active des fidèles, l'Art.30
mentionne déjà les différents éléments de la participation extérieure, et une
ligne particulière est consacrée à la nécessité d'observer le silence en son temps. Mais le concile y revient plus en détail à l'Art. 48,
en insistant particulièrement sur la participation intérieure qui seule permet
de rendre fructueux le culte et l'obtention de la grâce, en communion avec le
prêtre qui offre le sacrifice et avec les autres participants.
c) La question de la langue
liturgique est mentionnée, de façon générale, à l'Ar t.36 et, pour la messe en
particulier, à l'Art. 54. Au bout de quelques jours de débat, au cours duquel
tous les arguments pour et contre furent vivement discutés, on en est arrivé à
la conclusion bien claire ‑tout à fait en accord avec le concile de Trente‑ qu'il fallait conserver le latin comme langue cultuelle
du rite latin, mais que des
exceptions étaient possibles et même souhaitables. Nous reparlerons plus en
détail de ce point important dans la deuxième
partie.
d) Le chant grégorien est
longuement traité à l'Art. 116, qui établit que c'est le chant propre de la
liturgie catholique romaine depuis l'époque de Grégoire le Grand et que, en
tant que tel, il doit être conservé. La musique sacrée polyphonique fait aussi
l'objet d'une mention particulière. Quant à la musique et aux chants
inappropriés, dans l'Église et dans la liturgie, il en est question dans les
autres articles du chapitre VI, qui traite de la musique sacrée et qui souligne
expressément le rôle important et même fondamental, tant par lu passé
qu'aujourd'hui encore, de l'orgue à tuyaux dans la liturgie catholique.
e) Dans la ligne de notre
réflexion sur une réforme liturgique vue à la lumière de nos souvenirs et
expériences, une mention spéciale mérite d'être faite de l'Art. 107 sur la
réforme de l'année liturgique : il y est question d'une révision qui, souligne
le texte, devra affirmer et garder ou restituer les éléments traditionnels en
maintenant leur caractère statif. Quant aux adaptations aux conditions locales,
le texte renvoie aux règles générales des Articles 39 et 40.
L'Art. 108 souligne
spécialement l'importance des fêtes du Seigneur et surtout celles du propre du
temps, lequel doit avoir la priorité sur les fêtes des saints pour ne pas
affaiblir la pleine efficacité de la célébration des mystères du salut.
II : La réforme effective à la lumière des
dispositions conciliaires
les plus importantes que nous venons de rappeler
brièvement
Avant d'aborder cette
présentation de la réforme liturgique au regard de la Constitution sur la Sainte Liturgie
du concile Vatican II, il me faut préciser que cet exposé ne peut et ne veut
pas être complet, tant pour ce qui concerne les différents objets de cette
réforme que dans la façon dont ils seront traités ici. Nous sélectionnerons
donc des exemples aussi nombreux et différents que nécessaire pour arriver à
des conclusions convaincantes.
I.
Nature de l'Église et de la liturgie
La croissance et le développement de l'Église et de la liturgie
vont de pair, mais toujours d'une manière telle que le terrestre soit orienté
vers le céleste. Dans tous les rites, la liturgie est quelque chose qui s'est
développé et continue à croître lentement; partie du Christ, et reprise par les
Apôtres, elle a été organiquement développée par leurs successeurs, en
particulier par les figures les plus marquantes tels que les Pères de l'Église,
tout cela en préservant consciencieusement la substance, c'est‑à-dire le corpus
de la liturgie en tant que tel. Ces deux évolutions, à savoir celle de la
liturgie et celle de la foi qui la sous‑tend et s'exprime en elle, vont
de pair, ce pour quoi nous pouvons toujours dire avec le pape Célestin Ier,
pour reprendre l’expression qu'il employait dans sa lettre aux évêques de la
Gaule en 422 « Legem credendi lex statuit supplicandi », en d'autres
termes : la liturgie contient et exprime la foi d'une façon juste et
compréhensible. Dans ce sens, la pérennité de la liturgie participe de la
pérennité de la foi, elle contribue même à la préserver. C'est pourquoi il n'y
a jamais eu de rupture, de re‑création radicale dans aucun des rites
chrétiens‑catholiques, y compris dans le rite romain‑latin, à
l'exception de la liturgie post‑conciliaire actuelle en application de la
réforme, bien que le concile, comme nous l'avons souligné dans la précédente
partie, ait toujours réaffirmé que
cette réforme devait préserver absolument la tradition. Toutes les
réformes, à commencer par celle de Grégoire 1er et tout au long du moyen‑âge
‑ alors qu'entraient dans l'Église les peuples les plus divers avec leurs
us et coutumes - ont maintenu cette règle fondamentale. C'est là d'ailleurs une
caractéristique de toutes les religions, même non révélées, et qui prouve que
l'attachement à la tradition est l'une des caractéristiques essentielles de
tout culte religieux et qu'il lui est donc inhérent.
Il est donc typique que toutes
les scissions hérétiques qui se sont produites dans l'Église catholique se
soient accompagnées d'une révolution liturgique, comme le prouve clairement
l'exemple des protestants et des anglicans, alors que les réformes adoptées par
les papes, et tout particulièrement celle entreprise sous l'impulsion du
concile de Trente et mise en oeuvre par le pape Pie V, et jusqu’à celles de Pie
X, de Pie XII et de Jean XXIII, ne furent pas des révolutions mais‑
uniquement des corrections qui ne touchaient pas à l'essentiel, des ajustements
et des enrichissements. À l'Art. 23, le concile a expressément dit, à propos de
la restauration souhaitée par les Pères, qu'aucune innovation ne devait être
faite qui ne fût vraiment et certainement exigée par l'utilité de l'Église.
2. Nous allons maintenant
présenter quelques exemples marquants de ce qui a été créé par la réforme post‑conciliaire
et en particulier dans son cœur, l’Ordo Missae radicalement nouveau.
a) Après la nouvelle introduction de la messe qui déjà, fait la
part belle à de multiples variantes et qui, avec les licences supplémentaires
laissées à l'imagination du célébrant avec ses communautés, aboutit à une
diversité presque illimitée, viennent les lectures, dont nous
reparlerons dans un autre contexte.
Nous avons ensuite l'Offertoire
qui, dans la forme et sur le
fond, constitue une révolution : il n'est en effet plus prévu d'offrande
préalable des dons mais simplement une préparation des oblats avec une teneur
nettement humanisée mais qui en fin de compte, donne tout de suite une
impression de dépassé. En italien, on appelle cela l'offrande des coltivatori
diretti, c'est‑à-dire des rares personnes qui cultivait encore
personnellement leur petit bout de terrain, le plus souvent comme activité
annexe ou secondaire. Désormais, avec les énormes moyens techniques qui ont
envahi jusqu'à l'agriculture, laquelle ne survit qu'en étant industrialisée, la
production de pain n'exige, outre les nombreuses machines que peu de travail
humain pour produire le grain qui servira à la fabrication de la farine et du
pain lui-même. Depuis les labours jusqu'à la moissonneuse-batteuse qui remplit
directement les sacs de grain mûr, l'intervention humaine est très limitée...
Le remplacement de l'offrande des dons
pour le sacrifice à venir relève donc plutôt d'un
symbolisme malheureux, dépassé, qui ne peut guère suppléer les nombreux
symboles éliminés par ailleurs.
Quant
aux signes hautement loués par le concile de Trente et exigés par le concile Vatican II, tels que
les nombreux signes de Croix qui renvoient à la Très Sainte Trinité, les
baisers à l'autel et les génuflexions‑ de tout cela on a fait table rase.
b) Le
centre essentiel de la messe, qui était précisément l'action sacrificielle
elle-même, a été nettement déplacée au profit de la communion dans la mesure où
tout le sacrifice de la messe a été transformé en un repas eucharistique : ce
faisant, si l'on considère les termes utilisés, la communion est devenue, dans
la conscience des fidèles, la seule partie de la messe ayant un effet
intégrateur, en lieu et place de la partie essentielle qu'est l'action
sacrificielle de transsubstantiation. S'appuyant en particulier sur les
recherches dogmatiques et exégétiques
les plus récentes, le cardinal
Ratzinger a expressément établi que, théologiquement, il est faux de
faire de l'Eucharistie un repas, ce qui se produit presque toujours dans
la nouvelle liturgie.
c) Ainsi sont posés les
fondements d'un autre détournement de fonction : à la place du sacrifice
présenté à Dieu par le prêtre ordonné, en tant qu' alter Christus,
s'instaure la communauté de repas des fidèles assemblés sous la présidence du
prêtre. La définition de la messe qui, dans la première édition du Novus Ordo
Missae, confirmait cette conception a pu être supprimée au dernier moment grâce
à la lettre écrite à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci : cette
édition fut mise au pilon sur ordre du pape. Pourtant, la correction de cette définition n'a entraîné aucune modification l’Ordo Missae lui-même
Ce
bouleversement du cœur même du sacrifice de la messe fut confirmé et accentué
par la célébration versus populum, pratique autrefois interdite et
renversement de toute la tradition de la célébration vers l'orient, et dans
laquelle le prêtre n'était pas l'interlocuteur du peuple mais se renait à sa
tête pour le guider vers le Christ, avec le symbole du soleil se levant à
l'est.
d) Il y a lieu de mentionner
ici une très grave atteinte à la formule de consécration du vin en le Corps du
Christ: les mots « mysterium fidei » en ont été supprimés pour être
ajoutés a l'appel du peuple à la prière, après la consécration, ce qui fut
présenté connue un gain majeur du point de vue de la participatio actuosa.
Que nous révèlent à ce sujet
les recherches historiques prescrites par le concile avant toute modification ?
Ces deux mots remontent art début de la tradition que nous connaissons de
l’Eglise romaine, à qui elle aurait été donnée par saint Pierre. A propos des
formes de tous les sacrements, Saint Basile, que ses études à Athènes avaient
grandement familiarisé avec la tradition occidentale, dit que les Apôtres et
leurs successeurs et disciples ne les avaient pas mises par écrit dans les
saintes Écritures connues en raison de la discipline secrète qui régnait alors,
selon laquelle les mystères les plus sacrés de l’Eglise ne devaient pas être
révélés aux païens. Comme tous les témoins de l'Église primitive, qui font état
de la même conviction, il dit expressément à ce sujet que, outre les doctrines
transmises par écrit, nous avons des doctrines qui « in mysterio tradita sunt »
et qui ont leur origine dans la tradition des Apôtres, que les deux ont la même
valeur et que nul n'a le droit de les récuser. A titre d'exemple, il mentionne
expressément les mots par lesquels sont réalisés le pain eucharistique et le
breuvage salvifique : quel est donc le saint qui nous les aurait transmis
par écrit? Selon lui, nous avons aussi reçu de la tradition non écrite la forme
des mêmes sacrements, les Apôtres et les Pères ayant prescrit les rites de
l'Église tout en voulant conserver aux mystères leur dignité dans le secret et
l'occulte (St Basile : De Spiritu Sancto, a.375, 27, 66). Le Décret Gratien
attribue aussi à saint Augustin le même texte
que celui repris par saint Basile.
Toutes
les périodes suivantes confirment expressément cet héritage historique dans la
formule de consécration eucharistique : le Sacramentarium Gelasianum, qui est
le livre de messe le plus ancien de l'Église romaine, dans le Codex
Vaticanus Reg. lat. 316, au folio 181v dans le texte original (il ne s'agit
donc pas d'une addition postérieure) inclut clairement le mysterium fidei.
Par la
suite, on s'est toujours interrogé sur l'origine de ces mots. C'est ainsi que,
en 1202, Jean de Lyon, archevêque émérite, écrivait au pape Innocent III, dont
les connaissances en matière de liturgie étaient bien connues, pour lui
demander, à propos des paroles du Canon qui n'avaient pas été écrites pas les
évangélistes, si l'ont devait croire qu’elles avaient été transmises par le
Christ et les Apôtres à leurs successeurs. Eu Décembre de la même année, dans
une longue lettre, le pape répondait que ces paroles et d'autres encore du
Canon que l'on ne trouvait pas dans les évangiles devaient être crues en tant
que paroles trasmises par le Christ aux Apôtres et par ceux‑ci à leurs
successeurs (X, 111, d I, 6 ; Friedberg 111, pp. 636 sq.). Le fait que cette
décrétale‑qui fait partie du recueil de décrétales d'Innocent III, dans
le grand recueil du Liber X établi par Raymond de Peynafort à la demande de
Grégoire IX ‑ n'ait pas été abandonnée comme dépassée, ce qui fut le cas
de bien d’autres, mais ait continué à être transmise par la tradition prouve qu'une valeur durable était attribuée à
celle déclaration de ce grand pape.
Saint Thomas s’exprime
clairement sur cette question dans sa Somme théologique (III, q. 78, Art. III,
ad nonum) : à propos des paroles de consécration du vin, rappelant la
nécessaire discipline secrète de l'Église ancienne, dont parle aussi Denis
l'Aréopagyte, il écrit: « Les paroles ajoutées: "éternelle" et
"mystère de la foi" viennent de la
tradition du Seigneur, qui est parvenue à l'Église par l'intermédiaire des
Apôtres » ; il renvoie lui-même à I Co 10, 23 et 1 'Fin 3, 9. En note de
ce texte de saint Thomas, le commentateur, se référant à DD Gousset dans
l'édition Marietti de 1939 (V, p. 155), ajoute: «Sarebbe un grandissimo errare sustituire un'altra forma eucharistica a
quella del Missale Romano... di sopprimere ad essempio la parola aeterni et
quella mysterium fidei che abbiamo della tradizione » . Dans la bulle d'union avec les Coptes, le concile oecuménique de
Florence complète expressément les formules de consécration de la sainte messe
qui n'avaient pas été incluses en tant que telles dans la bulle d’union avec
les Arméniens et que l'Église romaine avait toujours utilisées sur la base de
l'enseignement et de la doctrine des Apôtres Pierre et Paul (Conc. Oec. Decreta, éd. Herder, 1962, p. 557).
Le catéchisme de référence qu'est, pour l'Église catholique, le Catéchisme
du concile de Trente dit, au chap. IX, n° 21, à propos de l'Eucharistie‑
appelée « mysterium fidei » à propos de la consécration du calice (n° 7)‑que
l'on doit croire à la forme contenue dans ces mots. Les mots mysterium fidei et aeterna « viennent de
la [sainte] tradition, qui est l'interprète et la gardienne de la vérité
[catholique] ».
On peut
à juste titre s'interroger sur la légèreté souveraine dont ont fait preuve ici
les collaborateurs du cardinal Lercaro et du P. Bugnini, avec nécessairement
leur accord. en constatant comment ils ont pu ignorer et mépriser l'obligation
de procéder à une recherche historique et théologique exacte pour une modification
aussi importante. Si cela s'est produit dans ce cas, qu'en aura‑t‑il
été de cette importante obligation pour les autres modifications !
Et ce
n'est pas par hasard que nous abordons ici la question du mystère.
L'Eucharistie n'est pas seulement le mystère unique en son genre de notre foi,
c'est un mystère qui se poursuit et que nous devons en conséquence toujours
garder présent à l'esprit. Pour notre quotidien eucharistique, cela exige qu'il
y ait quelque chose pour soutenir, étayer note conscience, en particulier à
notre époque où l'autonomie, l'auto‑souveraineté de l'homme moderne
s'oppose à tout concept qui dépasse la capacité humaine de compréhension et qui
rappelle à l'homme qu'il est limité. C'est pourquoi. pour l'homme moderne, tout
concept théologique devient un problème et, en particulier, la liturgie, qui
soutient la foi, devient un objet permanent de démythification , de
rationalisation; il s'agit de réduire de tels concepts à des dimensions
humaines afin de les rendre absolument compréhensibles. Mais c'est aussi la
raison pour laquelle l'exclusion du mysterium
fidei de la formule eucharistique devient, elle aussi, le symbole de la
démythification et donc de l’anthropomorphisation de ce qui constitue le centre
du culte divin : la sainte messe.
3. Nous en arrivons ainsi au
mandat donné aux réformateurs de promouvoir la participation vivante et active
des fidèles à la célébration de la messe, un mandat qui, trop souvent, a été
mal interprêté et adapté à la mentalité actuelleComme toute la liturgie, ainsi
que le dit expressément le concile, le but principal de la Messe est le culte
de la divine majesté. Aussi le coeur, et l'âme des participants doivent‑ils
en premier lieu être élevés et s'élever vers Dieu. Cela n'exclut pas que la
participation se manifeste concrètement à l'intérieur de la communauté et vis‑à-vis
d'elle. Et c'est la raison pour laquelle, pour pallier l’absence de
participation des fidèles dont on se plaignait si souvent avant le concile, ce
dernier a instamment demandé cette actuosa
participatio. Mais si celle‑ci dégénère en un enchaînement
ininterrompu de paroles et d'actions, avec une distribution des rôles aussi
large que possible pour que tous aient leur part à l'action, lorsque l'on en
arrive à un activisme qui relève plutôt d'un rassemblement humain purement
externe, ce qui, pire encore, juste avant le moment le plus sacré pour les
participants : dans la rencontre individuelle de chaque fidèle avec le Dieu‑homme
eucharistique, est plus bavarde et distrayante que jamais, la mystique
contemplative de la rencontre avec Dieu, le culte qui lui est rendu avec la
crainte respectueuse, la révérence qui doit l'accompagner toujours ‑ tout
cela ne peut que mourir : alors l’humain tue le divin et emplit le coeur de vide
et de désolation. Ce moment appartient au silence, qui est expressément prévu,
et qui n'a gardé difficilement sa place qu'après l'action que constitue la
distribution de la communion, comme une petite feuille de vigne sur un grand
cops nu. C'est ainsi que, reflétant la tendance actuelle de la conscience du
monde à se limiter aux apparences, on voit se développer dans l'Eglise un agir
cultuel de conception humaine et projeté vers l'extérieur.
4. A ce stade, il convient de
mentionner une disposition du concile qui a été non seulement mal comprise
mais, plus encore, complètement répudiée: la langue cultuelle. Je me permettrai
ici, une fois encore, d'étayer mon argument par un souvenir personnel. En
qualité d'expert de la Commission pour les séminaires, on m'avait confié le
rapport sur la langue latine. Il fut clair et bref et, après mûre discussion,
rédigé sous une forme qui correspondait aux souhaits de tous les membres avant
d'être soumis à l'aula conciliaire. C'est alors que, sans que l'on s'y attendît,
le pape Jean XXIII signa en toute solennité, à l'autel de saint Pierre, la
lettre apostolique Vetera Sapientiae, ce qui, de l'avis de la
Commission, rendait superflue la déclaration conciliaire sur le latin dans
l'Église: cette lettre présentait non seulement le rapport entre la langue
latine et la liturgie mais encore toutes les autres fonctions de cette langue
dans la vie de l'Église.
Lorsque, plusieurs jours
durant, la question de la langue du culte fut discutée dans l’aula conciliaire,
je suivis avec beaucoup d'attention tout ce débat, ainsi d'ailleurs que la
discussion, jusqu'au vote final, des différentes formulations incluses dans la Constitution
sur la Sainte Liturgie. Je me rappelle très bien que, à la suite de
quelques propositions radicales, un évêque sicilien se leva et adjura les Pères
de procéder, sur cette question, avec prudence et intelligence car, sinon, le
risque était que la messe fut dite dans sa totalité en langue vernaculaire, ce
qui fit bruyamment éclater de rire toute l’aula conciliaire. Et c'est pourquoi
je n'ai jamais compris comment, dans ses Mémoires publiés en 1983, Mgr Bugnini,
à propos du passage radical et complet du latin obligatoire à la langue
vernaculaire comme langue cultuelle exclusive, ait pu écrire que le concile avait
pratiquement dit que la langue vernaculaire était, dans toute la Messe, une
nécessité pastorale (np. cit., pli. 108‑121 dans l'édition italienne
originale).
A l'encontre de cela, je puis
témoigner que les formulations de la constitution conciliaire sur ce point,
tant dans sa partie générale (Ail. 36) que dans les dispositions particulières
relatives au sacrifice de la messe (Art. 54) ont été approuvées quasiment à
1'unanimité dans les discussions des pères conciliaires et surtout lors du vote
final : 2 152 oui et 4 non. Au cours des recherches que j’ai effectué pou
rpréparer le rapport sur la tradition sur lequel devait s'appuyer ce décret
conciliaire sur la langue latine, j'ai constaté que toute la tradition était
absolument unanime sur ce point, jusqu'au pape Jean XXIII : elle s'est toujours
prononcée clairement contre toutes les tentatives antérieures visant à
renverser cet ordre des choses. Je pense ici en particulier à la décision du
concile de Trente, sanctionnée d'un anathème, contre Luther et le protestantisme,
à Pie VI contre l'évêque Ricci et le Synode de Pistoïé, et à Pie XI qui, à
propos de la langue cultuelle de l'Église, a prononcé un clair «non vulgaris».
II faut bien voir que la raison n’en est pas uniquement d'ordre cultuel, même
si cet aspect est toujours mis en avant. C'est aussi une question de révérence,
de crainte respectueuse : comme le voile recouvre les vases sacrés, le latin
sert de protection contre la profanation ‑ à la manière de l'iconostase
des Églises orientales derrière laquelle s'accomplit l'anaphore ‑et aussi
contre le danger de vulgariser, en utilisant la langue vernaculaire, toute
l'action liée au mystère, ce qui se produit effectivement souvent de nos jours.
Mais cela tient aussi à la précision du latin, qui sert comme nulle autre
langue la doctrine dogmatiquement
claire; au danger d'obscurcir ou de fausser la vérité dans les traductions, ce
qui d’ailleurs pourrait aussi porter gravement préjudice à l'élément pastoral,
si important; et aussi à l'unité qui est ainsi manifestée et renforcée dans
toute l'Église.
A propos de ces deux derniers
points en particulier, compte tenu de leur importance pratique, je voudrais
citer quelques exemples. L'un de mes bons amis me fait régulièrement parvenir
la Deutsche Tagepost. Je lis toujours l’avant dernière page de ce journal, où
la rédaction , très louablement, donne la possibilité d’exprimer eux aussi leur
avis – même contraires – dans la rubrique des lettres des lecteurs . On y
trouve ainsi toute une série d’échanges ininterrompus et très fouillés sur le
« pro multis » du texte latin de la formule consécratoire et sa
traduction allemande par « pour tous ». On ne cesse de recourir à la
philologie, qui finit souvent par régner en maîtresse au lieu de n'être que la
servante de la théologie. Dans ses Liturgiereformerinnerungen (Souvenirs sur la
réforme liturgique), publiés en 1993, dix ans donc après les Mémoires de Mgr
Bugnini, Johannes Wagner dit que les Italiens ont été les premiers à introduire
cette traduction, alors que lui‑même était plutôt pour une traduction littérale : « pour beaucoup ». Je
n'ai malheureusement jamais trouvé personne pour se référer à un argument
théologique décisif et de la plus haute importance pastorale, provenant de la
plus haute autorité en l'occurrence le Catéchisme du Concile de Trente. Ce qui
établit clairement la distinction théologique: le «pro omnibus» vaut pour la
force qu’a la Rédemption « pour tous ». Cependant, si l’on considère le fruit
effectif qui en est accordé aux hommes, le Sang du Christ n'est pas pour tous
mais seulement pour beaucoup, à savoir pour ceux qui en tirent profit. II est
donc juste de ne pas dire « pour tous » car il n'est question, à ce
moment, que des fruits de la Passion du Christ , lesquels ne sont accordés
qu'aux élus. Ici s'applique ce que dit l'Apôtre, à savoir que le Christ s'est
offert lui-même une seule fois « pour enlever les péchés d'un grand nombre »
(He 9,28), le Christ ayant lui‑même dit : « C'est pour eux que je
prie, je ne prie pas pour tous le monde,mais pour ceux que tu m’as donnés, car
ils sont à toi » (Jn 17, 9). Pour le concile de Trente, toutes ces paroles
de la consécration renferment de nombreux mystères que, avec l'aide de Dieu.
les pasteurs devraient découvrir par la méditation et l'étude.
II est
facile de voir que des verités pastorales extrêmement importantes sont
couronnés dans ces éléments dogmatiques relatifs au latin langue liturgique,
vérités qui, consciemment ou inconsciemment, disparaissent dans une traduction
inexacte.
Toujours du point de vue pastoral, l'abandon
du latin comme langue liturgique, à l’encontre de la volonté expresse du
concile, engendre une deuxième source d'erreurs, plus grave encore : je veux
parler de la fonction de langue universelle qu'assume le latin, qui unit toute
l'Église, justement, dans le culte public, sans déprécier aucune langue
vernaculaire vivante. Et précisément à notre époque où le concept d'Église
qu’on voit se développer met l'accent sur l'ensemble du peuple de Dieu
considéré comme Corps mystique un du Christ, aspect d'ailleurs toujours
souligné dans la réforme, il se fait que, par l'introduction de l'usage
exclusif des langues vernaculaires, et même de dialectes, l'unité de l'Église
universelle est remplacée par une diversité d'innombrables chapelles populaires,
jusqu'au niveau des communautés villageoises et églises paroissiales, qui sont
séparées les unes des autres par une véritable différence de tension naturelle
qui, entre elles, est et ne peut qu'être insurmontable. D'un point de vue
pastoral, comment alors un catholique peut‑il retrouver sa messe dans le
monde entier, et comment peut‑on abolir les différences entre races et
peuples dans un culte commun, grâce à une langue liturgique sacrée commune,
ainsi que l'a expressément souhaité le concile, alors qu'il y a tant
d’occasions, dans un monde devenu si petit, de prier ensemble ? Dans
quelle mesure alors chaque prêtre a‑t‑il la possibilité pastorale
d'exercer le sacerdoce suprême de la sainte messe n'importe où, surtout dans ce
monde où les pierres sont devenus si rares ?
5. Dans la constitution
conciliaire, il n'est nulle part question d'introduire un cycle liturgique de
trois ans : c’est là, de la part de la Commission de réforme, un péché contre
une nature qui assure tous les besoins de changement en une année solaire. On
aurait pu en rester au cycle annuel de l'année liturgique et assurer
l'enrichissement des lectures par autant de recueils que l'on veut,
aussi épais que l'on veut, mais sans pour autant abolir le déroulement d'un
cycle annuel naturel unique dans l'ordre des lectures ; au lieu de quoi, en a
abolit l'ancien ordre des lectures pour en introduire un nouveau, avec tout ce
que cela implique comme poids de papier et de frais d'achat de livres, dans lesquels
on a fourré le maximum de textes qui, d'ailleurs, ne sont pas tirés uniquement
de sources ecclésiales mais aussi d'auteurs profanes, offerts au libre choix,
comme cela se pratique souvent. Outre les difficultés pastorales qu’implique
la compréhension, par ceux qui assistent au culte, de textes qui, pour la
plupart, exigent une exégèse spéciale, cette réforme a en même temps donné
l'occasion ‑ ce qui se passe fréquemment ‑ de manipuler les textes
qui demeurent encore pour introduire de nouvelles vérités à la place des
anciennes, sort subi par un grand nombre de collectes du dimanche. Ou bien
encore on a exclu des rappels, souvent d'une importance théologique et morale essentielle mais qui, pastoralement, ne
plaisaient pas. Un exemple classique en est le texte de saint Paul tiré de I
Cor II, 27‑29 : dans ce passage, en conclusion du récit de l'instauration
de l'Eucharistie ‑ le sérieux avertissement donné par l'Apôtre, à propos
des graves conséquences auxquelles s'exposent ceux qui reçoivent l’Eucharistie
Indignement, est régulièrement omis, même lors de la Fête‑Dieu, alors que
cela serait précisément si nécessaire du point de vue pastoral, maintenant que
le pasteur accueille son troupeau sans confession et sans révérence.
Nous
savons que, avec les nouvelles lectures, et en particulier le choix des
paroles d'introduction et de conclusion, il peut se produire des déraillements,
ce que montre l'exemple, déjà relevé par Klaus Gamber, de la fin de la lecture
du premier dimanche de Carême de l'Année A, qui parle des conséquences du péché
originel : « Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils virent qu'ils étaient nus »,
ce à quoi, tenu de participer activement, le peuple doit répondre [en allemand]
: « Grâce à Dieu ! ».
Quant à
la réforme du calendrier, elle est d’une certaine manière liée au problème
précédent. pourquoi était‑il nécessaire de modifier, du fond d'un bureau,
le déroulement des fêtes des saints? Sil fallait faire preuve de considération,
c'eût été plutôt pour manifester une sollicitude pastorale pour l’attachement
du peuple aux fêtes ecclésiales locales, dont le déplacement dans le temps ne
pouvait qu'avoir une influence très négative sur la piété populaire, si
importante. Mais il semblerait que les artisans de la réforme n'aient guère eu
de considération pour cet aspect, malgré les Art. 9. 12, 13 et 37 de la
Constitution sur la Sainte Liturgie.
6. Il convient encore de
mentionner brièvement la mise en oeuvre des dispositions conciliaires sur la
musique liturgique. II est certain que nos réformateurs ne partageaient pas
l'éloge contenu dans ce passage pour le chant grégorien typique, que d'ailleurs
même les observateurs et mélomanes profanes apprécient de plus en plus. Ici
encore, avec en particulier l'introduction des nouvelles prières intercalaires
prolixes remplaçant l’Introït, le Graduel. le Trait, l'Alléluia, l’Offertoire
et la Communion (et cela, et, plus et surtout, comme prières de la communauté),
la supression radicale de tous ces chants a condamné les remarquables mélodies
grégoriennes variables à une mort lente, à laquelle ont seules échappé les
mélodies simples des parties fixes, à savoir le Kyrie, le Gloria, le Credo, le
Sanctus avec le Benedictus et l'Agnus Dei ‑ et encore, pour quelques
rares messes seulement. Au mandat donné par le concile de préserver et
promouvoir ce chant liturgique romain typique très ancien a répondu une
épidémie pratiquement mortelle.
Le même
sort est advenu à l'orgue à tuyaux, instrument de musique religieuse hautement
loué, remplacé par une multiplicité d’instruments - je laisse à votre riche expérience
en la matière le soin d'en faire la liste et de les qualifier, me contentant
de faire remarquer que‑ à maintes occasions sans doute, ils ont favorisé
l'introduction, dans la musique religieuse, d'éléments reconnus comme
diaboliques.
7. Je voudrais maintenant
aborder une dernière partie importante de
cette présentation des éléments concrets de la réforme : les
variantes autorisées. Sans doute cette
faculté existaient déjà dans l'Ordo Missae romain latin originel. Entre autres
ordies nationaux, on citera en particulier l'ordo allemand, qui se caractérise
par de multiples concessions de ce genre. De facto, cependant, cela va à
l'encontre de l'interdiction stricte et absolue énoncée à l'Art. 22 § 3 de la
constitution conciliaire, selon lequel absolument personne, « même
prêtre,ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce
soit dans la liturgie » . Les violations de plus en plus fréquentes, au cours
de la Messe, de cette interdiction du concile, sans parler de l'usage et de l'abus
fait des libertés déjà accordées dans le Novus Ordo, risquent de mener à
l'anarchie qu'avait toujours si bien maîtrisé l’ancien ordo latin, grâce
précisément à la rigidité qu'on lui reprochait. C'est ainsi que le nouveau
garant de l'ordre devient facteur de désordre, aussi ne faut‑il pas
s'étonner que chaque paroisse, pour ne pas dire chaque église, semble avoir
adopté un ordo différent ‑c'est là une constatation que l’on peut faire
toujours et partout. La principale victime de ce désordre est la révérence, le
sens du sacré, facteur premier de distinction entre le culte divin et le culte humain, celui‑ci contribuant fortement
à transformer celui‑là pour le réduire à ses éléments superficiels.
III : Réactions
officielles négatives à la réforme de la messe
Nous en arrivons ainsi
aux réactions officielles négatives, quoique dans une mesure limitée, à la
réforme de la messe telle que publiée. Dans ses Mémoires, précédemment cités,
sur la réforme de la liturgie, Mgr Bugnini lui‑même en fait un premier
constat, aux pages 108 à 121, avec d'ailleurs une remarquable franchise, sans
pouvoir les contester. Certaines de ses remarques sont assurément irritantes,
par exemple lorsqu'il cherche à justifier l'emploi de la langue vernaculaire
dans toute la messe. On y perçoit cependant, comme d'ailleurs dans les
remarques de Mgr Wagner dans ses mémoires. l'embarras du Consilium à l'égard de
la mise en oeuvre aussi rapide de cette réforme de l'Ordo Missae, ainsi que son
quasi total dédain pour les recherches «théologiques, historiques et
pastorales» qui devaient accompagner tout changement, ainsi que l'avait exigé
le concile. Des experts de premier plan, tels que Mgr Gamber, le spécialiste
allemand de l'histoire de la liturgie dans les Églises latines et orientales, furent
complètement ignorés. La hâte incompréhensible pour un sujet aussi délicat,
avec laquelle la réforme fut expédiée et rendue obligatoire avait déjà fait se
poser des questions à des évêques influents et tout sauf traditionalistes : un
monsignore allemand, en fut plus tard accrédité à l'ambassade d’Allemagne
auprès du Saint‑Siège, et qui avait accompagné à Salzburg, en qualité de
secrétaire, le cardinal Döpfner lors de la réunion des évêques des pays de
langue allemande au cours de laquelle devaient être adoptées les modalités de
mise en oeuvre du nouvel Ordo dans ces pays, m'a raconté que, lors du voyage de
retour à Munich, le cardinal était resté très silencieux et avait fini par
exprimer en quelques mots sa crainte que l'on n'ait agi avec précipitation dans
cette question pastoralement si délicate.
Pour éviter tout malentendu à propos‑ de
cette présentation de la réforme, dont l'objet essentiel est d'exposer la
convergence ou la divergence entre la constitution conciliaire et le Novus Ordo
Missae, je voudrais préciser expressément que je n'ai jamais mis en doute, que
ce soit dogmatiquement ou juridiquement, la validité de cet Ordo; sans doute,
d'un point de vue juridique, ai‑je ressenti des doutes sérieux, qui
tiennent à ce que j'ai intensivement étudié les canonistes médiévaux, lesquels
sont unanimes à dire que les papes peuvent tout changer à l'exception de ce que
prescrit la sainte Écriture, de ce qui touche aux décisions doctrinales de
plus haut niveau déjà adoptées, et du status Ecclesiae. Mais la définition
précise de ce dernier concept est difficile. Il est certain que le rattachement
à la tradition, pour les choses essentielles qui ont marqué l'Église de façon
définitive au cours des temps, relève de ce statut fixe et irréformable, sur
lequel le pape n'a aucun pouvoir discrétionnaire. Considérant l'importance de
la liturgie en rapport avec tout le concept d'Église et son évolution,
importance d'ailleurs particulièrement soulignée par le concile Vatican II, qui
la considère comme immuable par essence, on peut penser que, pour ce qui est de
son essence transmise au cours de l'histoire, la liturgie relève du status
Ecclesiae.
Cela dit, je m'empresse de préciser que, lorsque
la nouvelle liturgie est célébrée avec révérence, ce qui est toujours le cas, par
exemple, à Rome et par le pape lui-même, les abus regrettables qui relèvent
essentiellement de la divergence entre la constitution conciliaires et le
Novus Ordo n'ont pas lieu. Mais ceux qui connaissent l'ancienne liturgie ne
manqueront pas de remarquer la grande différence entre le corpus traditionum
qui vivaient dans l'ancienne messe et le Novus Ordo fabriqué, une différence
qui est, non seulement dans l'abstrait mais aussi dans le vécu, très nettement
en défaveur du Novas Ordo Missae.
Dans
notre conclusion, nous allons présenter quelques continuations de ce dernier
point, an travers de réactions de nombreux responsables de l'Église, de
personnalités compétentes et distinguées mais aussi du peuple fidèle de
l'Église.
De
nombreuses voix contraires se sont immédiatement élevées, que Mgr Bugnini
lui-même a généreusement mentionnées, mais
avec le temps, loin de diminuer, elles se multipliées. C'est ainsi que notre Saint‑Père lui‑même,
dans la lettre apostolique Dominicae Coenae du 24 février 1980 consacrée au
mystère et au culte de la sainte Eucharistique, soulignait en conclusion qu'il
tenait beaucoup à ce que les questions relatives à la liturgie, et en
particulier au sacrifice eucharistique, ne deviennent jamais « une
occasion de division pour les catholiques et de menace pour l'unité de l'Église
», rappelant que l'Eucharistie est, selon saint Augustin, « sacramentum
pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis » [La Documentation catholique n°
1783 du 6 avril 1980, p. 310].
Dans sa lettre apostolique publiée le 14 mai 1989 à l'occasion du 25°
anniversaire de la Constitution sur la Sainte Liturgie (4 décembre 1963), après
avoir fait l'éloge du renouveau dans la ligne de la tradition, Jean‑Paul
II attire l'attention dans la quatrième partie consacrée à l'application
concrète de la réforme, sur les difficultés qu'elle soulève, ses résultats
positifs mais aussi, en détail, ses applications erronées; enfin, dans la
sixième partie, il dit expressément que la Congrégation pour le Culte divin et
la Discipline des sacrements a le devoir de veiller aux grands principes de la
liturgie catholique tels qu'exprimés et développés dans la Constitution sur la
Sainte Liturgie et de s'en inspirer, ce qui, ajoute‑t‑il, relève
aussi de la responsabilité des conférences épiscopales et des évêques.
Le
cardinal Ranzinger, président de la Congrégation pour la Doctrine de la foi,
qui, après le pape, est le principal gardien de la foi et donc du culte,
indissociable de celle‑ci, s'est luu aussi prononcé à plusieurs reprises
sur la réforme liturgique postconciliaire et, avec la profondeur et la clarté
qui lui sont propres, a soumis les problèmes théologiques et pastoraux posés
par cette réforme à une critique constructive. Je me contenterai, à ce sujet,
de rappeler son livre: La célébration de la foi (Fayard, 1985), dans
lequel sont rassemblés plusieurs exposés traitant de la liturgie, ainsi que
l'introduction à la traduction française du petit livre fondamental de Klaus
Gamber: La réforme liturgique een question (Éditions Sainte‑Madeleine,
1992), et enfin les indications fondamentales qu'il donne dans ses deux
derniers livres en date : Ma vie (Fayard, 1998) et Le sel de la terre
(Flammarion‑Cerf, 1997).
Parmi
les évêques du langue allemande, le responsable des questions liturgiques
auprès de la Conférence épiscopale d'Autriche, que nous avons entendu ici hier,
indiquait déjà en 1995, dans la conférence qu’il a donnée à Cracovie, que le
concile avait voulu non pas une révolution mais une restauration de la
liturgie qui fût fidèle à la tradition. Au lieu de quoi, ajoutait‑il,
nous avons eu un culte de la spontanéité et de l'improvisation qui a sans aucun
doute contribué à la diminution du nombre des participants à la messe.
Enfin,
le cardinal Danneels, primat de Belgique, que nul ne pourra ranger parmi les
jusqu'auboutistes de la tradition, a soumis la toute nouvelle réforme à une
critique impitoyable : « Ce passage d'une obéissance primaire
aux rubriques à une attitude manipulatrice est une révolution à 180 degrés. »
[...] (in : Pasloralia, bulletin officiel de l'archevêché de Bruxelles, 10
décembre 1995 ; La Documentation catholique, 18 février 1996, n° 2132, pli. 172‑175).
Descendant maintenant de
quelques degrés sur l'échelle du peuple de Dieu, nous trouvons. même parmi les
membres du Consilium, un collaborateur que Mgr Bugnini considérait déjà comme difficile : P.-L. Bouyer qui, entre‑temps, n'est pas devenu plus
silencieux.
En
Italie, utile critique savoureuse: La tunique
déchirée (1967), due à la plume d'un écrivain laïc très respecté : Tito
Casini, et préfacée par le cardinal Bacci, a été très remarqué.
Et puis
des groupes de laïcs, toujours plus nombreux, se sont lentement organisés,
auxquels appartenaient d'ailleurs nombre d'intellectuels réputés, pour devenir
des mouvements nationaux surtout en Europe, aux États‑Unis et au Canada,
qui ont fini par se rejoindre, en Europe puis au‑delà, dans l'association
internationale Una voce, et dans lesquels les problèmes de la réforme étaient
discutés, en particulier dans des revues dont la plus importante, en Allemagne,
est Una‑Voce‑Korrespondanz.
Je
voudrais encore citer quelques témoignages caractéristiques sur certains
points de détail. Ainsi, dans le numéro d'octobre 1995 de la revue canadienne
Precious Blood Banner, on lit qu'il apparait toujours plus clairement que
l'extrémisme des réformateurs post-conciliaires a consisté non pas à réformer
la liturgie catholique depuis ses racines mais à la déraciner de son sol
traditionnel; selon cet article, ils n'ont pas restauré le rite romain, ce que
leur demandait le concile Vatican II, ils l'ont déraciné.
Sans doute n'est‑il pas Superflu de
mentionner ici l'avis porté sur la réforme liturgique par Max Thurian, ancien
prieur calviniste de Taizé passé au catholicisme et ordonné prêtre, dans un
long article paru peu avant sa mort, dans l'Osservatore Romano daté des 23
juillet 1996, p. 6, et intitulé : La liturgie, contemplation du mystère.
Après avoir, comme il se doit, rendu hommage au concile et au Consilium de
Liturgie, qui constituent pour lui un événement important et qui
« portent des fruits
merveilleux
» ‑ ce qui. pris à la lettre est difficilement conciliable avec la suite
de sa réflexion‑ Max Thurian dit expressément que toute la célébration
actuelle se déroule souvent comme « un discours et un dialogue ou la contemplation et le silence n'ont plus de
place ». pour lui, « le constant face‑à‑face des officiants et des
fidèle, referme la communauté sur elle-même. Au contraire, une saine
célébration, tenant compte de la prééminence de l'autel, de la discrétion du
ministère des officiants, de l'orientation de toits vers le Seigneur et de
l’adoration de sa présence, signifiée par les symboles et réalisée par le
sacrement, donne à la liturgie la respiration contemplative sans laquelle
risque d'être un fatigant bavardage religieux, une vaine agitation
communautaire, una specie de filastrocca ».
Max Thurian soumet ensuite, à
l'intention de l'autorité, toute une série de suggestions très intéressantes et
purement personnelles dans le cas d'une éventuelle révision de la présentation
générale du Missel Romain (on voit qu'il nourrit l'espoir
qu'elle sera possible), dans lesquelles transparaît clairement son
insatisfaction de la situation actuelle. Sous le titre : « Le prêtre au service
de la liturgie» est ensuite présentée toute une série de critiques
fondamentales contre de cette situation, qui coïncident pratiquement avec tous
les graves reproches que nous avons évoques ici et qui mériteraient d'être
étudiés chacun en détail. Dans une dernière partie intitulée : « Le Christ
toujours présent », Max Thurian souhaite que soient restaurés la place centrale
qu'occupait autrefois le tabernacle ainsi que le rôle essentiel réservé à la
prière privée dans l’église, devant JésusEucharistie, à l'encontre de la
pratique moderne qui se reflète et s'implante dans les églises modernes; ainsi
se termine cette critique remarquable, à la fois claire et profonde ‑je
dirais même fondamentale ‑de la
situation liturgique de notre temps.
A ce
témoignage en quelque sorte oecuménique je voudrais ajouter brièvement deux
souvenirs personnels en relation avec les Églises orientales. Lorsque, à la fin
du concile, en qualité de membre de la Commission liturgique, j'ai rendu visite
aux représentants du Patriarcat orthodoxe de Constantinople pour discuter de
la levée de la sentence d'excommunication prononcée par l'Église catholique
romaine au milieu du XIe siècle (que l'on assimile d'ailleurs erronément à la
scission de l'Église entre l'Est et l'Ouest), dès lors que nous avons pu
discuter plus personnellement, ces représentants me dirent que, au Patriarcat,
on ne comprenait pas pourquoi l'Église catholique tenait tant à changer la
liturgie; cela ne devait pas se faire. Pour eux, si l'Église orthodoxe avait
conservé sa foi intacte, elle le devait à sa fidélité à la tradition liturgique
et au sain développement de celle‑ci. Quelque chose de semblable m'a été
dit, en 1970, par des représentants du Patriarcat de Moscou, lorsque celui‑ci
avait pris en charge la Commission d'historiens du Vatican qui participait au
Congrès international d'historiens de Moscou.
Encore
deux témoignages importants, en Europe, provenant du monde des petits et des
sans‑grade. et qui expriment au mieux le véritable sensus fidei des enfants de Dieu. Tout d'abord,
celui de deux jeunes scouts de 10 et 12 ans, de la Légion de Sienne, qui, en
application du privilège de l'évêque de Sienne, pouvaient assister à la messe
dite tridentine chaque samedi soir; je leur ai demandé, avec un peu de provocation,
quelle était la messe qu'ils préféraient, ce à quoi ils m'ont répondu que,
depuis qu'ils assistaient à l'ancienne Messe, la nouvelle ne leur plaisait
plus du tout.
Un
simple paysan d'un certain âge, originaire de la Molise, région plutôt pauvre
de l'Italie méridionale, me dit un jour spontanément qu'il assistait uniquement
à la Messe tridentine de six heures, célébrée par un vieux prêtre, parce que le
changement de la liturgie lui apparaissait comme un changement de la foi qu'il
voulait conserver.
Mgr
Klaus Gamber, que j'ai déjà mentionné, était un remarquable spécialiste en la
matière ; dans de nombreux articles et ouvrages et surtout dans sa synthèse : la
réforme lilurgique en question (Éditions Sainte‑Madeleine, 1992), il a publié des considérations
strictement scientifiques qui, en pratique, ont été complètement ignorées par
les revues spécialisées mais que l'on ne cesse dz redécouvrir aujourd'hui en
raison de leur clarté et de leur clairvoyance. Dans cet ouvrage, il parvient à
la conclusion que, aujourd'hui, nous contemplons les ruines d'une tradition
presque bimillénaire et qu'il est à craindre que les multiples réformes n'aient
déjà tant détruit la tradition qu'il devrait être difficile de la ranimer. De
nos jours, on n'ose plus guère se demander si après ce démantèlement viendra
une restauration de l'ordre ancien. Mais, selon lui, il ne faut pas désespérer.
Pour ce qui est de ce démantèlement, nous
voyons combien il est peu dans la ligne du mandat donné par le concile. On lit
en effet dans la Constitution sur la Sainte
Liturgie : « On ne fera des innovations que si l'utilité de l'Eglise
les exige vraiment et certainement» après avoir procédé à « une soigneuse étude théologique, historique et pastorale » et «
après s'être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà
existantes par un développement en quelque sorte organique ». Savoir si cela a été fait et dans quelle mesure, ces Souvenirs
et expériences ont pu vous en donner une idée, quoique limitée. Mais ils nous
ont en outre permis d'évaluer dans quelle mesure la réforme avait satisfait aux exigences d'ordre
théologique et écclésiologique énoncées par le concile, en d’autres termes de
voir si, dans la liturgie ‑et
surtout dans ce qui en constitue le centre : la sainte messe‑, ce qui
est humain a véritablement été ordonné et
soumis au divin ce qui est visible à l'invisible, ce qui relève de l'action à la contemplation, et ce qui est
présent à la cité future que nous recherchons. Et l'on en arrive à se demander
si, au contraire, la nouvelle liturgie n'a pas, souvent,ordonné et soumis le
divin à l'humain, le mystère invisible au visible, la contemplation à
l'activisme, l’éternité future au présent humain quotidien. C'est précisément
parce que l'on se rend toujours plus clairement compte de la situation réelle
que se renforce l'espoir d’une éventuelle restauration, que le cardinal
Ratzinger voit dans un nouveau mouvement liturgique qui éveillera à une vie
nouvelle le véritable héritage du concile Vatican II (Ma vie, op. en., p. 135).
Je
voudrais conclure par une perspective consolante : avec sa profonde sensibilité
pastorale, son souci pour les problèmes provoqués, en particulier chez les
fidèles de notre vieille Europe, par le changement de la liturgie dans l'Église
catholique, notre Saint‑Père avait lancé en 1980 un clair appel aux
évêques, qui n'a guère trouvé d'écho notable chez eux. Aussi a‑t‑il
décide en 1984- et ce fut sans doute une décision difficile à prendre ‑
d'accorder un indult apostolique à l’intention de tous ceux qui se sentaient
attachés à l'ancienne liturgie pour toutes les raisons énoncées et répétées ici
et ailleurs, et surtout du fait que les innovations liturgiques, loin de
reculer, allaient toujours plus loin. Cet indult ayant été accordé, comme il se
doit, aux évêques mais dans des conditions étroites que le pape laissait à
leur libre appréciation, le résultat pastoral en a été, en pratique, très
limité.
Après
la consécration illégale d'évêques par Mgr Lefèvre, et sans doute aussi pour
éviter un schisme qui irait plus loin encore, Jean‑Paul II a publié, le 2
juillet 1988; un nouveau motu proprio: Ecclesia Dei afflicta, dans
lequel non seulement il assurait aux membres de la Fraternité Saint Pie X
disposés à la réconciliation la possibilité de rester fidèles à l'ancienne
tradition liturgique, mais encore il donnait
cette fois aux évêques un privilège bien plus large encore qui devait
satisfaire les voeux légitimes des fidèles, leur recommandant spécifiquement
d'imiter sa propre générosité vis‑à‑vis des fidèles qui se
sentaient attachés à certaines formes de la liturgie et de la discipline
anciennes, et leur demandant, de façon générale, de respecter l'attitude
intérieure de ceux qui se sentent attachés à l'ancienne liturgie.