Jean-Pierre Ricard le minot,
promu prince de l'Eglise
LE MONDE | 24.03.06 |
13h47 •
Mis à jour le 24.03.06 | 13h47
Bordeaux s'impatientait.
Bordeaux si fière de compter cette lignée de princes de l'Eglise dont les
portraits en pied trônent dans le palais épiscopal : Pierre Andrieu, qui rompit
des lances avec Charles Maurras et l'Action française ; Marius Maziers, proche des ouvriers, trop à gauche pour être promu
cardinal ; Pierre Eyt, ancien recteur des universités
catholiques de Paris et Toulouse, coqueluche des milieux politiques et
intellectuels de la ville.
A Bordeaux, les catholiques
sont aussi pluriels que les vignobles et les châteaux. Ce vendredi 24 mars à
Rome, l'actuel archevêque, Jean-Pierre Ricard, devait recevoir des mains du
pape la barrette pourpre de cardinal, insigne d'une fonction largement
honorifique, hormis le droit de pouvoir élire le pontife. Des douze cardinaux
électeurs (moins de 80 ans) créés ce jour, il est le seul Français dans la
botte.
Quel cru annonce ce minot
marseillais, promu de Montpellier à l'archevêché de Bordeaux, et que les
producteurs locaux ont aussitôt initié : "Vous connaissez le vin ? Mais
ici, c'est du bordeaux." A Sète, dans son ancien diocèse, le jour de
Jean-Pierre Ricard n'a
accepté qu'une fois l'invitation de ce vignoble béni des dieux où, raconte le
Père Jean Rouet, "il est resté prudent, sur ses gardes". Déjà, à
Montpellier, quand il était reçu à dîner chez le turbulent Georges Frêche, il prenait ses distances. Comme il l'a fait en 2001
en arrivant à Bordeaux avec Alain Juppé, alors maire, avec qui il dut démêler
un sordide conflit d'église - Saint-Eloi, occupée par
l'abbé intégriste Philippe Laguérie. L'évêque a gagné
en justice contre l'ancien maire, qui avait un peu vite cédé l'église
désaffectée, mais n'a pas réclamé l'expulsion. Aujourd'hui, il recueille le
fruit de sa patience et de l'éclatement de la secte traditionaliste, dont des
brebis égarées, y compris Laguérie, veulent rentrer
au bercail.
Rien ne saurait mieux définir
le nouveau cardinal de Bordeaux que cet exercice de prudence et d'autocontrôle
permanent, confinant à la caricature chez ce Méridional à l'accent chanté, à la
silhouette ronde, au léger embonpoint, qui aime la faconde, mais ne déteste
rien tant que d'être observé, dévisagé, récupéré. "Regardez les maisons à
Marseille. On ne voit pas de grandes ouvertures à l'extérieur. Le Marseillais
protège son intérieur. Il est l'homme du pas-de-porte, il a toujours un domaine
privé, une intimité à protéger", confie-t-il dans un livre d'entretiens
(Les Sept Défis pour l'Eglise. Bayard, 2005).
Ajoutez-y l'homme d'Eglise,
bloc d'obéissance et de soumission. Mgr Ricard ne laisse place à aucune
confidence qui risquerait de déplaire à Rome, ni à personne. Après Grenoble,
Montpellier et Bordeaux, sa carrière épiscopale aurait pu le conduire à Paris,
en 2005, pour la succession du cardinal Lustiger, où il était en concurrence
avec André Vingt-Trois. Ce dernier l'a emporté. Son nom avait aussi circulé,
dès 2003, avant la dernière promotion cardinalice de Jean Paul II, celle qui a
pu participer au dernier conclave. En vain. Mais ces blessures narcissiques ne
comptent pas dans la vie d'un évêque formaté par un système qui bannit toute
expression d'un ressentiment personnel.
La carapace ne craque que
lorsque Jean-Pierre Ricard parle de ses parents, Janine et Georges, qu'il ne
manque jamais de visiter lorsqu'il est de passage à Marseille. De son enfance
dans les calanques. De la saveur des goyaves, des mangues, des avocats que son
père, ancien administrateur du Port, ramenait d'Afrique. De ses premières
années de prêtre dans les quartiers populaires de Sainte-Emilie
et Sainte-Marguerite. De ses deux soeurs, éloignées
de l'Eglise, de ses neveux et nièces qui ne sont pas baptisés. De sa ville face
à la mer qui lui a donné le goût des grands espaces. De l'Algérie qu'il aime,
du Mali où il a fait sa coopération et retourne souvent, du Liban et de toutes
ces métropoles, méditerranéennes ou plus lointaines, dans lesquelles il mesure,
dit-il, "l'universalité de la foi chrétienne".
Président de
Ordonné prêtre en 1968, après
avoir fait hypokhâgne et le séminaire universitaire des Carmes, à Paris, son
ascension au mérite récompense la génération "qui n'a pas trahi",
comme l'on désigne encore la classe creuse du clergé, décimée par le départ de
milliers de prêtres dans les années 1968-1970 - une blessure dont l'Eglise en
France ne se remettra jamais.
La première préoccupation de
ce pragmatique concerne le clergé : "Bordeaux n'est pas un diocèse
sinistré, mais dans huit ans, nous n'aurons plus que 90 prêtres de moins de 75
ans." Bien qu'on lui reproche parfois son classicisme, son incapacité à
être percutant en public, il est estimé de tous ses pairs évêques parce qu'il
leur ressemble. Bon pasteur de terrain, il court dans la même journée
d'Arcachon au Médoc, des pêches aux pins et aux vignes, pour des confirmations,
des rencontres de professionnels ou d'élus.
On l'appelle l'"évêque
rafale", toujours entre Bordeaux, Paris et le Vatican, où il siège à
Henri Tincq
Article paru dans l'édition
du 25.03.06
Parcours
1944 :Naissance
à Marseille. :1
1968 : Ordonné prêtre à
Marseille.
2000 :Elu
président de
2001 :Evêque
de Montpellier, il est promu archevêque de Bordeaux.
2006 :Reçoit
la barrette
de cardinal, le 24 mars, des mains
du pape Benoît XVI.