Dossier d’Item

Sur l’Europe et la Turquie.

 

 

 

Pourquoi « beaucoup » diront « non »

- et à la Constitution Européenne

- et à l’entrée de la Turquie dans l’UE

 

Car l’entrée de la Turquie en UE et la Constitution Européenne sont deux problèmes intimement liés.

 

A- L’opinion de Nicolas Dupont-Aignan

Exprimée dans le Figaro du samedi 12 février 2005.

 

 

Turquie et Constitution européenne sont liées

PAR NICOLAS DUPONT-AIGNAN * [11 février 2005]

Le traité constitutionnel n'aurait rien à voir avec l'adhésion programmée de la Turquie à l'Union européenne. C'est en tout cas ce que martèlent ses partisans, à tel point qu'on en vient à se demander s'ils ne cherchent pas d'abord à s'en convaincre eux-mêmes. A les en croire, il n'y aurait qu'un malencontreux télescopage de calendrier. Mais comme le pressentent à juste titre de plus en plus de Français, le lien entre les deux questions est en réalité fondamental. Pour la raison simple, tout d'abord, que la Constitution européenne n'est rien d'autre que le contrat de mariage qui propose de lier entre elles les nations d'Europe. Or, comment prétendre inviter nos concitoyens à parapher ce contrat de mariage en leur enjoignant de ne surtout pas se demander avec qui ils le signent ? C'est un peu se moquer du monde, car chacun sait que, quand on se marie, on se soucie bien plus du conjoint que du Code civil ! Or le conjoint est aussi turc.

 «Mais cette adhésion n'est pas certaine !», nous répondra-t-on. Au contraire, deuxième secret de polichinelle, il est bien évident qu'il ne sera pas possible de dire non après une décennie de négociation avec Ankara : la crise qui s'ouvrirait alors avec la Turquie serait trop grave pour que quiconque en prenne le risque. Comme le dit joliment Robert Badinter, on ne dit pas non devant Monsieur le Maire après 10 ans de fiançailles. Ajoutons qu'on nous dira dans 10 ans qu'il serait suicidaire pour la France de bloquer solitairement l'adhésion turque dans le cadre de la constitution, cette dernière faisant dépendre la plupart de nos lois du bon vouloir de la majorité (qualifiée) de nos partenaires. C'est donc seulement en juin prochain, en refusant de signer la constitution, que les Français auront la dernière chance d'empêcher le mariage forcé avec la Turquie. Après, il sera définitivement trop tard.

 «Mais vous allez sacrifier le traité constitutionnel pour une question qui n'a rien à voir avec lui !» Serait-ce vraiment le cas ? A lire la constitution, on a au contraire le sentiment que celle-ci est non seulement l'instrument de l'adhésion turque, mais encore, plus fondamentalement, son complice.

Tout d'abord, omettant délibérément de définir les frontières de l'Europe, la constitution ouvre la voie à l'intégration turque là où le traité de Nice l'empêchait. En effet, ce dernier attribue nominativement aux 27 pays membres (les 25 actuels plus la Roumanie et la Bulgarie) le nombre de sièges au Parlement européen et de voix au Conseil. La Turquie ne figure pas dans cette liste. A l'inverse, la Constitution fait sauter ce verrou en inscrivant seulement le principe de la représentation des pays membres au poids démographique, laissant la porte ouverte à n'importe quelle adhésion future. Ainsi, refuser la Constitution, c'est en rester à un traité de Nice qui paralyse juridiquement et politiquement cette intégration, la possibilité de parvenir dans ce système à un accord taillé sur mesure pour l'entrée de la Turquie étant très problématique à de nombreux égards.

Plus grave, l'adhésion de la Turquie, qui est en soi nocive pour l'Europe, deviendrait franchement dangereuse avec le traité constitutionnel : premièrement, ce pays, bien que le moins européen de l'Union, en deviendrait le plus puissant parce que le plus peuplé (100 millions d'habitants à l'horizon 2025). En effet, la Constitution établit le poids politique relatif des pays membres dans l'Union au prorata de leur population. Ensuite, l'influence prépondérante de la Turquie se ferait sentir dans les 25 nouveaux domaines de compétences (dont l'immigration) auxquels le traité constitutionnel étend la majorité qualifiée : la France prendrait ainsi le risque de se voir infliger des lois européennes fortement inspirées par la Turquie.

Ainsi, non seulement le traité constitutionnel permet l'intégration turque, mais, de surcroît, il en aggrave l'impact. Il n'y a là aucun hasard, puisque... la Turquie a participé à l'élaboration du projet de constitution et l'a signée en octobre dernier à Rome, comme si elle était déjà membre à part entière de l'UE ! Plus généralement, la complicité de la Constitution avec l'adhésion turque n'est pas fortuite dans la mesure où l'Europe qu'organise le traité constitutionnel est exactement la même, mais dans une version aggravée, que celle qui a, d'ores et déjà, conduit à l'ouverture des fatales négociations d'adhésion : ce sont en effet les mêmes hommes, la même logique institutionnelle et donc la même vision de l'Europe qui ont conduit, d'un côté, à la signature de la Constitution européenne fin octobre et, de l'autre, à l'accord de Bruxelles du 17 décembre, un mois et demi plus tard. Les Français ne doivent donc avoir aucun état d'âme à dire non en juin 2005.

Ce serait épargner à l'Europe une fatale dislocation et lui offrir une ultime chance de sursaut : la Turquie n'a pas vocation à entrer dans l'Union, moins parce qu'elle est musulmane que parce qu'elle n'est pas européenne. Sa taille, sa situation géographique, sa culture, son économie, sa démographie, son insertion géopolitique dans l'Asie centrale turcophone, sa contiguïté avec le Moyen-Orient arabo-musulman, sa laïcité bottée et ambiguë, son nationalisme incapable de reconnaître le génocide arménien, en font un pays non européen dont l'adhésion mettrait en péril non seulement la pérennité de l'UE mais aussi, en tout état de cause, sa propre cohésion.

Dire non, ce serait ensuite contraindre les dirigeants européens à négocier un nouveau traité qui délimiterait une fois pour toutes la construction européenne au continent européen... Dire non en juin 2005, ce serait plus généralement récuser un système antidémocratique qui cherche à imposer ses orientations par la politique du fait accompli, la dilution des responsabilités et le détournement de la souveraineté populaire au travers de mécanismes de contrôle démocratique fallacieux (droit de pétition artificiel, renforcement factice du contrôle parlementaire sur la Commission).

Dire non, ce serait en définitive refuser la perspective d'une Europe très affaiblie à l'intérieur, ouverte à tous les vents de la mondialisation (article 314 CE) et réintégrée dans le giron de l'Otan (article 41 CE). Bref, ce serait refuser l'Europe-impuissance sur laquelle misent les États-Unis en favorisant l'adhésion de la Turquie, leur deuxième cheval de Troie après la Grande-Bretagne, et qu'anticipe le Parlement européen en préconisant la communautarisation du siège de la France au Conseil de sécurité des Nations unies (rapport Laschet).

Dire non, en fin de compte, ce serait ouvrir la voie à une nouvelle organisation de l'Europe, qui délimiterait ses frontières, démocratiserait ses institutions en instaurant une confédération d'États respectueuse de la souveraineté démocratique des peuples et qui organiserait les coopérations scientifiques et industrielles à géométrie variable (type Airbus) seules capables de rendre au continent toute sa place et son rayonnement sur la scène mondiale.

Le choix historique qu'offre le référendum ne consiste pas à approuver ou à rejeter l'Europe, mais à dire laquelle nous voulons : l'Europe condamnée d'avance de la Turquie et de la Constitution ou l'espoir d'une Europe réellement européenne au service des peuples.

* Député et maire UMP d'Yerres dans l'Essonne, président de Debout la République.

 

 

 

 

 

B- L’opinion de « Correspondance Européenne »

Exprimée dans CE n° 122 du 20 novembre 2004.

 

a- Turquie: une nation née d'une purification ethnique

(Correspondance européenne) Les territoires de la Turquie actuelle sont pendant des siècles des terres gréco-romaines puis chrétiennes, tant que règne l'Empire byzantin. Au Xe siècle, cette situation commence à changer avec l'arrivée des Turcs Seldjoukides qui conquièrent peu à peu cette région. En 1299, un Empire ottoman se constitue et son pouvoir se confirme lorsqu'il s'empare, en 1453, de la capitale byzantine Constantinople. Depuis, comme le montre Gérard-François Dumont dans un dossier titré La Turquie, géopolitique et populations, publié à Paris dans la revue "Population et Avenir" (n° 670, novembre-décembre 2004), les territoires de la Turquie actuelle sont passés d'un empire dominant plusieurs peuples à un Etat-nation homogénéisé par la force.

Au cours des siècles, la géographie humaine de cette région change avec la "déshellénisation" du plateau d'Anatolie, et la présence croissante de populations turques musulmanes, tandis que les peuples auparavant installés deviennent des minorités. Mais des minorités dont l'importance restante est telle que l'Empire ottoman décide de les gérer en s'appuyant sur les hiérarchies religieuses. L'Empire distingue ainsi l'ensemble des musulmans, formant l'umma, qui sont les seuls à pouvoir exercer certaines fonctions, et les millet, terme qui désigne les " nations " non musulmanes de l'Empire.

L'administration impériale distingue principalement trois millet. La première est celle des chrétiens orthodoxes. Pour les Arméniens grégoriens, l'empire fonde à Constantinople un patriarcat. Enfin, l'Empire organise les juifs avec l'instauration progressive d'un grand rabbinat.

Les territoires de l'actuelle Turquie sont donc plurireligieux, même si l'une des religions, majoritaire au plan démographique, domine l'espace politique, faisant de l'Empire ottoman une grande puissance musulmane, qui prélève par exemple une taxe sur les chrétiens et les juifs dispensés de l'armée.

Ce système de protection des populations s'inspire d'un fort conservatisme qui obère l'ouverture de l'Empire aux évolutions des pays européens et notamment à l'amélioration des conditions de vie due aux révolutions sanitaires et industrielles. La Première Guerre mondiale lui est fatale et sa fin est officiellement consommée en 1922.
La majorité musulmane turque craint alors de voir ses territoires dominés sous l'effet de la dislocation de l'Empire, chaque minorité (grecque, arménienne, kurde…) étant porteuse de revendications, d'ailleurs aisées à justifier au regard de l'histoire de ces peuples.

Après une suite d'actions et de décisions, relevant rétrospectivement de ce qu'on n'appelait pas alors une " purification ethnique ", des territoires pluriethniques deviennent l'espace d'un Etat-nation homogénéisé dans son peuplement. Au début du XXe siècle, les Arméniens sont sans doute plus de 2 millions, soit 15 à 20 % de la population de l'époque sur le territoire actuel. L'Empire ottoman déclinant, prétextant que les Arméniens de l'Empire seraient prêts à se ranger du côté des Russes, décide de déporter les populations arméniennes de l'est de l'Anatolie vers les déserts de Mésopotamie et de Syrie.

Après l'arrestation, le 24 avril 1915, de l'élite arménienne d'Istanbul, c'est l'ensemble de la population arménienne qui est décimée au cours du premier génocide du XXe siècle, reconnu comme tel par le Parlement français en janvier 2001. D'une part, le nombre de victimes est considérable. Les autorités turques actuelles reconnaissent 300 000 morts arméniens. Selon les historiens, le chiffre se situe dans une fourchette entre 600 000 et 1,5 million de morts. D'autre part, ceux qui le peuvent émigrent, notamment vers le Caucase, la Syrie, la France et les Etats-Unis.

Concernant les Grecs, les mouvements de population résultent d'une guerre perdue. En 1920, l'armée grecque tente en effet l'annexion des territoires ottomans de l'Asie Mineure encore peuplés de grecs, notamment ceux des côtes d'Asie mineure. Mais au cours des années 1921-1922, les troupes de Mustafa Kemal Atatürk l'emportent et le conflit conduit au traité de Lausanne de 1923. Celui-ci organise des déplacements massifs de populations. 1,3 million de grecs doivent abandonner leur terre d'origine pour aller habiter dans les frontières de l'Etat grec, tandis que 300.000 Turcs vivant sur ces territoires partent vivre à l'intérieur de la Turquie.

Le traité de Lausanne prévoit également l'acceptation par la Turquie de l'existence de minorités non musulmanes et l'assurance d'une liberté de culte, d'éducation et d'expression, tout particulièrement à Istanbul, ville alors à minorité musulmane où devait régner la liberté religieuse. Mais l'engagement n'est nullement tenu. A la suite d'une sorte de volonté d'épuration, la politique liberticide menée par Ankara provoque l'exode des chrétiens grecs, des Arméniens survivants du génocide et de nombreux israélites. En 1971, le pouvoir turc ferme le seul séminaire orthodoxe existant encore, le collège théologique de Haiki, île proche d'Istanbul et en interdit tout autre. Les Turcs de confession orthodoxe ne sont donc plus qu'une poignée, environ 3.000, même s'ils comptent parmi eux le patriarche œcuménique de Constantinople.

En conséquence, l'Etat turc a considérablement homogénéisé sa population par rapport à la diversité religieuse existant auparavant. Sa proportion de musulmans est de 99,8 %, contre 99% en Iran, 95 % au Pakistan, 90 % en Egypte, 88 % au Bangladesh, 87 % en Indonésie…(F. B.) (CE 122/02 du 20/11/04)

 

b- Turquie: les arguments pour

(Correspondance européenne) Dans son numéro du 18-24 septembre 2004, le magazine britannique "The Economist" publiait un long article intitulé Pourquoi l'Europe doit dire oui à la Turquie. C'est un bon condensé des arguments en faveur de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne et une excellente démonstration de leur faiblesse.

  • " La Turquie est déjà membre de toutes les autres organisations européennes comme le Conseil de l'Europe et l'OTAN ". Les Américains seront charmés d'apprendre que l'OTAN est une organisation européenne.
  • " Pourquoi se poser des questions dès qu'un pays candidat remplit les conditions d'admission ? " Justement la Turquie ne remplit pas encore toutes les conditions d'admission (voir le respect de certains droits de l'homme) tandis que le Japon ou l'Australie les remplissent déjà mais ne sont pas candidats.
  • Reste donc à savoir si la Turquie a un quelconque droit de se dire européenne. " Les traités européens - poursuit "The Economist" - sont vagues en ce qui concerne les limites de l'Europe, mais personne ne discute le fait qu'un morceau de la Turquie et sa plus grande ville Istanbul se trouvent sur le continent européen. La plus grande partie de Chypre, qui vient d'entrer dans l'UE est à l'est d'Ankara, la capitale de la Turquie. Bruxelles a estimé depuis 1963 que la Turquie était assez européenne pour se porter candidate. On ne peut donc revenir en arrière pour des questions de géographie ".
  • L'impact démographique. " Il est vrai que la Turquie est très peuplée et qu'avec ses 71 millions d'habitants, elle aura dépassé l'Allemagne et sera le premier pays de l'UE en population et aura donc un nombre proportionnel de sièges au Parlement européen. Mais même à ce stade elle ne représentera que 15 % de la population européenne et sera face à une trentaine de pays membres. Ce qui ne lui permettra pas de dominer l'Union ". La question démographique ne doit cependant pas être négligée. La population turque croît d'un million chaque année et sera forte de 82 millions en 2015 dépassant ainsi l'Allemagne qui non seulement va commencer à décroître, mais en plus devra compter avec une minorité turque toujours croissante. Cela s'ajoute aux quelque 20 millions de musulmans qui peuplent actuellement l'Europe. En outre la population turque est largement plus pauvre que celle de l'Union européenne, ce qui laisse augurer un transfert financier massif vers la Turquie et, en échange, une émigration massive des Turcs vers l'Union européenne.
  • Concernant l'islam, "The Economist" s'appuie sur l'argument que l'Europe n'est pas un "club chrétien". Il ajoute que " la Turquie est le seul pays (avec la France) à interdire le voile dans les écoles ", ce qui ne saurait suffire à rassurer les Européens tant qu'on essaie de punir l'adultère par la prison, tant qu'on nie les génocides arménien, grec et kurde et tant qu'on interdit la construction des églises. Enfin, il conclut que l'admission de la Turquie dans l'Union convertira les Turcs à la démocratie libérale, tandis qu'un 'non' risque de la jeter dans le camp opposé - argument qui se retourne contre lui-même et justifie les craintes des opposants. (C. B. C.) (CE 122/3 du 20/11/04)

 

c- Turquie : les arguments contre

(Correspondance européenne) L'inconsistance des arguments en faveur de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne apparaît encore plus clairement quand on fait la liste - interminable - des arguments contre. Les pourparlers d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne risquent de devenir inéluctables lors du prochain sommet européen, en décembre 2004. Ensuite, il faudra que les parlements des pays de l'Union ratifient l'accord. Comme les mêmes politiciens siègent à l'Europe et dans les aréopages nationaux, il ne fait aucun doute que, si le traité est signé à la fin de l'année, nous entamerons un processus difficilement réversible. Pourtant un sursaut de prudence et même de méfiance s'est manifesté ces derniers temps, renforcé par les propos intransigeants et agressifs du Premier ministre Erdogan. Il reste donc une chance.

  • La Turquie est un pays d'Asie dont 3 % du territoire se trouve accidentellement en Europe. Si l'argument géographique n'est pas pertinent, il n'y a pas lieu de parler d'Union européenne. Cet argument a comme corollaire que la Turquie est au centre d'une zone de conflits dans lesquels l'Europe serait irrémédiablement impliquée (Irak, Tchétchénie, Kurdistan, tensions avec la Syrie…) sans oublier que les frontières de l'UE seraient désormais communes avec l'Iran, l'Irak et la Syrie sans qu'on ait les moyens de les contrôler contre la pression des flux migratoires.
  • La Turquie compte 72 millions d'habitants et jouit d'un taux de natalité de 3,1 %. Elle serait le pays le plus peuplé de l'UE en 2015 sans compter les expatriés en Europe. Cette population jouira de la libre circulation dans tout le territoire de l'Union. Ce sera le renforcement des réseaux islamistes et la généralisation des conflits entre Turcs, Arméniens et Kurdes. C'est l'aggravation de tous les trafics du crime organisé, qui sont les plaies du continent : trafic de stupéfiants, trafics humains, prostitution et prostitution enfantine. En outre, c'est l'entrée en contact de l'Europe avec le courant panturque qui veut unifier l'espace turcophone, soit 200 millions de personnes. La Turquie accorde la double nationalité à tout ressortissant de cinq républiques turcophones qui en fait la demande (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Turkménistan). Les 130 millions de personnes concernées pourraient ainsi obtenir une carte d'identité turque et ensuite migrer sans entraves vers l'Europe, en application des accords de libre échange et de circulation des personnes au sein du "marché" européen.
  • La Turquie est un pays instable en proie à de grandes tensions internes. L'armée, détentrice de l'héritage de Mustapha Kemal, et qui possède la moitié de l'économie nationale, affronte la montée en puissance de l'islamisme qu'elle est en théorie chargée de contenir. Cependant le parti du Premier ministre lui-même est favorable à l'islamisme et de nombreux membres y prônent l'application, fût-elle progressive, de la Charia. Dans le contexte actuel, un retour en force de l'islam est à prévoir dans un pays laïcisé en surface et par la force. Cela alourdirait considérablement la présence musulmane dans l'UE et consoliderait avec l'Albanie, le Kosovo et la Bosnie, les pièces du puzzle musulman sur le continent européen.
  • Officiellement, la Turquie demande son adhésion à l'Union européenne pour aider son économie à décoller grâce à l'ouverture des marchés et aux subsides communautaires. Actuellement, l'UE lui accorde déjà un milliard d'euros d'aides annuelles. Il faut croire que de nombreuses puissances financières européennes espèrent tirer profit de cet élargissement et lorgnent à la fois vers un marché en expansion et un réservoir de main-d'œuvre à bon marché. Cela signifie aussi dans un premier temps la délocalisation de nos industries. Mais c'est aussi l'entrée du petit - mais performant - complexe militaro-industriel israélo-turc en concurrence directe avec les industries européennes. C'est encore la libre circulation d'une main-d'œuvre concurrentielle habituée aux bas salaires. Tout cela sans compter l'avertissement de Franz Fischler, Commissaire européen à l'Agriculture : " Le coût annuel de cette admission pour le budget européen dans le seul secteur agricole serait plus important que pour les 10 nouveaux membres réunis " ("Financial Times", 10 septembre 2004).
  • En outre, cela signifie la négation du génocide arménien (de 1 à 1,5 million de morts), la perpétuation de l'occupation et de la division de Chypre, la négation des droits culturels des minorités (Kurdes, Grecs, Arméniens), l'importation de mœurs politiques étrangères à nos conceptions occidentales. (C. B. C.) (CE 122/04 du 20/11/04)

 

Turquie: l'enjeu stratégique

(Correspondance européenne) En appuyant la candidature turque à l'Union européenne, les Etats-Unis ne font que répondre à des évidences dictées par la géopolitique. La Turquie est un coin enfoncé dans le monde musulman. Il vaut mieux l'avoir dans son camp que contre soi. Si la Turquie est membre de l'UE, sa fidélité au monde occidental est consolidée. Si elle ne l'est pas, elle développera irrésistiblement une réaction anti-occidentale - donc islamiste - dirigée contre l'Europe et les Etats-Unis. Il importe peu aux Etats-Unis que ce soit l'Europe qui fasse les frais de ce plan. Une autre façon de voir le projet est de prêter aux Etats-Unis le dessein d'affaiblir l'Europe par l'entrée de la Turquie, en ruinant sa cohésion.

Il est vrai que la Turquie est le seul allié de l'Etat d'Israël au Moyen Orient. C'est mettre tous les alliés américains dans le même camp et refermer ainsi la pince sud du dispositif militaire américain en Méditerranée. Mais il n'est pas sûr que ce calcul soit réellement favorable aux Etats-Unis à long terme. Au lieu de l'occidentalisation de la Turquie, c'est plutôt l'islamisation de l'Europe qui est à craindre et cela peut se retourner contre eux. Alors c'est l'isolement de l'Etat d'Israël et de la Russie par la formation d'un formidable bloc musulman ou simplement pro-musulman en Europe.

Les déclarations récentes ont vu revenir à la surface le souvenir des glorieuses batailles que la chrétienté a soutenues contre l'islam : Lépante, Vienne, guerres balkaniques. Le Commissaire européen Frits Bolkenstein a lui-même évoqué l'inutilité de la victoire chrétienne de Vienne en 1683 si la Turquie venait à être admise dans l'Union. Avec ces souvenirs, remonte aussi à la surface l'antique "peur turque" qui, depuis le Moyen Age, a habité les peuples et dirigé la politique étrangère de l'Europe. La récente béatification de l'empereur Charles d'Autriche-Hongrie a ici une portée providentielle car l'Autriche a été pendant des siècles le rempart contre les Turcs et l'âme de la reconquête.

Il est peut-être temps de l'invoquer d'ici le 13 décembre. Il est temps aussi de lire ou de relire La Chute de Constantinople de Steven Runciman où se trouvent racontés les derniers moments d'un autre empereur, Constantin XI, qui voyant des remparts sa ville investie par les hordes turques, ne put soutenir la vue de ce spectacle. Il se dépouilla des insignes impériaux et, après s'être signé, se rua dans la mêlée avec quelques fidèles. On ne retrouva jamais son corps. (C. B. C.) (CE 122/5 du 20/11/04)

 

 

 

 

L’opinion du FN

Exprimée dans Rivarol du vendredi 7 janvier 2005

 

 

Jean-Marie Le Pen : « Disons résolument non à la Constitution, à Chirac et à la Turquie ! »

 

RIVAROL : Comme avez-vous réagi à la décision prise à l’unanimité par le Conseil européen d’ouvrir la porte à la Turquie après que la Commission de Bruxelles et le Parlement européens eurent donné eux aussi leur feu vert?

 

Jean-Marie LE PEN : Ce 17 décembre 2004 restera dans l’histoire comme le jour où vingt-cinq dirigeants de pays européens auront applaudi leur propre reniement de ce qui constitue l’être même de l’Europe, en programmant les négociations d’adhésion d’un pays qui n’a rien d’européen. L’affaire est certes ficelée depuis longtemps. La position des européistes qui cachaient leurs intentions il y a trente ou quarante ans a toujours induit l’entrée de la Turquie un jour ou l’autre. En partie à l’époque parce que l’Europe vivait sous la menace imminente d’une ruée de l’armée soviétique. Et il est vrai que dans le cadre de la stratégie de défense de l’Europe, pendant près d’un demi-siècle, la Turquie a joué un grand rôle par sa position géographique, par la résolution de son gouvernement et de son peuple. C’était une bonne manière que l’on faisait à cet allié privilégié. Mais pour ma part, dès 1986, tout en manifestant ma considération et mon estime pour ce pays que je connais pour avoir navigué dans ses eaux depuis plusieurs décennies et avec lequel nous avons intérêt à développer les relations économiques, sociales et culturelles les plus fructueuses, je signalais, au moment où la Turquie demandait à entrer dans ce qui s’appelait alors le Marché Commun en même temps d’ailleurs que le Maroc, qu’il ne saurait être question que ces pays entrent dans un organisme européen pour une raison fondamentale : ils ne sont européens ni par la géographie, ni par l’histoire, ni par la sociologie, ni par la culture. L’académicien Giscard le disait lui-même, en pinçant les lèvres, « La Turquie s’appelait l’Asie mineure ». La mer Egée est une ligne de fracture entre les civilisations.

 

LE DANGER DE L’IMMIGRATION TURQUE ET MAHOMETANE

 

Par ailleurs, l’intégration de la Turquie à l’Union, c’est pour ses ressortissants la possibilité de circulation et d’établissement. La Grèce qui dans le passé a été au premier rang de la résistance à l’invasion asiatique, que ce soit celle des Perses, des Turcs ou d’autres peuples, ne doit pas se faire d’illusions : elle sera très rapidement envahie parce qu’elle compte huit à dix fois moins que la Turquie. De plus, les Turcs n’ont jamais accepté le partage des îles de la mer Egée. La Thrace grecque est déjà à majorité turque et l’on voit quelles pourraient être les conséquences géopolitiques de l’avancée turque qui pourrait rejoindre par la Macédoine, l’Albanie et la Bosnie, coupant la Grèce de l’arrière-pays européen. C’est ce qui rend proprement stupéfiante l’unanimité des mouvements politiques grecs, à l’exception de notre parti frère, le Front hellénique de Makis Voridis, en faveur de l’accueil de la Turquie dans l’Union européenne.

J’ajoute qu’il y a une profonde malhonnêteté intellectuelle à prétendre que le pays d’Erdogan est en train de se laïciser alors que c’est exactement le phénomène inverse qui se produit, comme RIVAROL l’a souvent souligné. A la suite des pays laïques musulmans de cette région qui ont tous perdu leur laïcité, que ce soit l’Afghanistan, l’Iran voire l’Irak, la Turquie à qui a été imposée par Mustapha Kemal la férule de la laïcité en 1923 est clairement en voie de délaïcisation. C’est si vrai que le parti qui est actuellement au pouvoir avec les deux tiers de l’Assemblée nationale est bel et bien islamiste. On objecte que c’est un parti islamique modéré. Mais personne n’a jamais dit que tous les musulmans se jetaient à la gorge des gens qui ne l’étaient pas !  Il n’empêche que dans la société, chez les jeunes cadres d’une armée dont on dit pourtant qu’elle est le garant de la laïcité, on observe une incontestable remontée de la conscience collective mahométane.

Prenons garde aussi à l’évolution exponentielle de la population turque : 13 millions d’habitants en 1927, 72 millions en 2001. En à peine soixante-quinze ans, la population a quasiment sextuplé. Quel pays d’Europe peut afficher une telle vitalité démographique ?

Dernièrement j’ai fait une déclaration à la télévision turque dans laquelle je disais : « Je suis un turcophile tout à fait adversaire de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ». Alors le présentateur de m’objecter : « Mais comment cela se fait-il ? » Et moi de répondre : « C’est très simple. Comme je suis contre la participation de la France à l’Union européenne, vous comprendrez que je sois aussi contre l’entrée de votre pays dans l’Union ! C’est un service que je vous rends. »

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R. : Comment expliquez-vous l’attitude dans cette affaire de Jacques Chirac que vous avez qualifié dans un communiqué de « partisan extrémiste de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne » et dont vous avez stigmatisé « le fanatisme euromondialiste » ?

 

J.- M. L. P. :  Il est connu que Jacques Chirac se prend de passions pour les sujets qu’il ne connaît pas. C’est ainsi qu’il est un grand amateur de japonaiseries ou d’arts extrême-orientaux.  Cette fascination pour la Turquie est peut-être aussi un moyen de se remettre en grâce avec les Etats-Unis dont on sait que l’intégration du pays d’Erdogan à l’Union est une exigence constante. George W. Bush a d’ailleurs dit qu’il ne fallait faire aucune référence aux racines chrétiennes de l’Europe, ce qui peut paraître étonnant de la part d’un homme qui  affecte de nourrir pour la religion une grande considération.

 

EN ATTENDANT ISRAEL ET LE MAGHREB

 

Pourtant bien des personnalités athées ou agnostiques jugent tout à fait naturel que le Vieux Continent se réfère à ce qui a été l’essence de sa culture et de sa civilisation.

Quant à l’idée chiraquienne d’un référendum en France dans dix ou quinze ans sur l’entrée de la Turquie dans l’Union, c’est une astuce vulgaire. M. Chirac vend des fruits qui ne lui appartiennent pas. L’action qu’il pourra avoir dans dix ou quinze ans sur la politique française est en effet très aléatoire. Mais comme il sait qu’une assez large majorité du peuple français est  contre l’entrée de la Turquie, il craint que cette hostilité ne se traduise par un refus de la Constitution. Il tente donc de découpler les deux questions. Mais les Français doivent savoir que s’ils votent oui à la Constitution, ils auront au bout du compte non seulement l’entrée de la Turquie dans l’Union mais aussi l’arrivée de beaucoup d’autres pays, dont Israël (que certains eurodéputés voudraient voir adhérer), la Syrie, l’Egypte et le Maghreb. Les Etats-Unis ne seraient pas mécontents de mettre les pays d’Afrique du Nord, cent millionnaires en population, à la charge de l’Europe plutôt que de devoir eux-mêmes en assumer l’équilibre financier.

Bref, cette Union européenne, c’est l’explosion de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Car, à la définition qu’en donne M. Chirac (la démocratie, les droits de l’homme, la tolérance, la liberté religieuse), il y a de nombreux pays dans le monde qui peuvent aspirer à entrer en son sein. Pourquoi pas le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Sénégal voire la Thaïlande ? D’où l’on voit que la marche vers l’Union européenne implique la destruction des nations. Et quand l’Europe elle-même, à l’instar de la tour de Babel, se sera effondrée, il ne restera  alors que la mort des nations qui la composaient. Preuve que l’idéologie qui sous-tend cette Union est antinationale et aussi antichrétienne.

 

 

R. : Quels points vous paraissent les plus critiquables dans la Constitution de Giscard ?

 

J. - M. L. P. : L’adoption de la Constitution, c’est l’annihilation des indépendances nationales. Il y a quand même quelque chose de formidablement paradoxal dans le fait qu’on salue et qu’on exalte la volonté d’indépendance des peuples et que nous bradions notre souveraineté nationale plus que millénaire sans autre contrepartie que de fuligineux espoirs d’amélioration matérielle qu’on ne voit d’ailleurs pas. Les sectateurs de l’Union disent ainsi que l’on réalise un pourcentage considérable d’échanges avec l’Europe. Mais savez-vous que le pourcentage de volume des échanges franco-allemands n’a pas changé depuis 1900 ? Par conséquent, pour commercer, il n’est nul besoin de l’Union européenne.

 

VERS LA DISPARITION DE L’AGRICULTURE, DE LA PECHE ET DU TEXTILE FRANCAIS  

 

Cela dit, le libre-échange, véritable dogme de cette Constitution européenne, s’il offre quelques avantages, présente surtout de graves inconvénients, notamment dans la spécialisation des productions qui enlèvent beaucoup d’indépendance aux pays qui en sont privé. Prenez l’exemple du textile. Depuis le 1er janvier, il n’y a plus de quotas. La liberté générale du commerce va donc faire disparaître l’industrie textile de nos pays qui est pourtant l’une des activités humaines les plus essentielles. On vendra donc désormais des chemises africaines et des pantalons hindous. Cet appauvrissement n’est pas seulement financier ou technique ; il est mental. Plus l’on remplit les exigences de l’autosuffisance, plus l’on est indépendant. Cette indépendance a certes un prix. Pour conserver une agriculture, nous avons payé, mais nous allons la perdre puisque nous ne payerons plus. De même les Suisses payent cher l’avantage de conserver un élevage car ils considèrent à juste titre que c’est un élément indispensable à leur sécurité alimentaire. Le fait de ne vouloir s’approvisionner que sur le marché mondial nous met à la merci de mécomptes tels grèves, conflits, famines. De même la pêche est-elle en train de disparaître dans notre pays. Cette espèce de fusion mondialiste que précipite la Constitution Giscard va à l’inverse de toutes les règles de sécurité. C’est un peu comme si dans les bateaux on interdisait de faire des cloisons étanches sous prétexte que c’est plus joli de voir dans la coque d’un bout à l’autre du bateau. A ceci près que ce sont les cloisons étanches qui, en cas d’avarie, permettent d’isoler une partie de l’accident et d’éviter le naufrage.

 

L’EUROPE A LA REMARQUE DE L’OTAN

 

Il y a quelque chose de  monstrueux dans cette Constitution européenne, c’est que l’appartenance à l’OTAN y est institutionnalisée. Il est acquis pour les siècles des siècles que l’Europe fera partie de l’alliance militaire qui est dominée par les Etats-Unis. J’ai certes été partisan de l’OTAN au moment où ce traité militaire représentait une nécessité de défense et de survie face au communisme agressif mais actuellement il n’y a plus aucune raison que ce traité existe et a fortiori qu’il soit constitutionnalisé. Cette raison à elle seule suffirait à répondre non au référendum qui nous est proposé et dont je parie qu’il aura lieu le plus tôt possible.

 

R. : Comment analysez-vous la prise de position pour le non de Laurent Fabius et à votre avis quel sera le candidat du Parti socialiste à la prochaine présidentielle ?

 

J. - M. L. P. : La position de Fabius était une gesticulation politicienne. Voyant qu’il était quelque peu distancé par ses concurrents socialistes dans la course à l’investiture présidentielle, il n’a trouvé d’autre solution que de choisir, de manière contrainte et au dernier moment, d’appeler les militants du PS au rejet de la Constitution européenne. Ce qui est un virage à 180 degrés par rapport à ses positions précédentes en faveur de l’Acte unique et des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice. Il est certes toujours possible de se convertir mais je doute que la grâce soit tombée sur M. Fabius.

Cependant, que 41% des militants aient voté non n’est pas quantité négligeable. Et je pense que les électeurs socialistes, moins proches de l’Etablissement que les cadres du parti, seront plus fortement en faveur du non. Ce qui me rend raisonnablement optimiste pour l’issue du référendum.

 

         LA SOLUTION SEGOLENE

 

Concernant la prochaine élection présidentielle où je serai candidat, quelle qu’en soit la date, si Dieu me prête vie, j’ai déjà eu l’occasion de prédire qu’à mon sens le candidat du PS sera une candidate, Mme Ségolène Royal qui a d’ailleurs épousé civilement, au début de l’année dernière, François Hollande, ce qui est un signe. Le PS n’a plus rien de nouveau à proposer. Or, aux élections, il faut avoir un aspect novateur. La seule novation que les socialistes peuvent proposer, c’est celle de leur candidat. Jospin, c’est du réchauffé. Quant aux éléphants (Fabius, Strauss-Kahn, Lang, Hollande), ils n’arrivent pas vraiment à se départager et sont profondément divisés. A un moment donné, le compromis pourrait se faire de façon assez élégante en présentant une dame qui me semble depuis quelque temps être mise sur orbite pour jouer ce rôle. Les orthodoxes auraient certes préféré que le choix se portât sur Martine Aubry mais elle ne semble pas très présentable dans ce rôle.