NEUVIEME LECON

LE PECHE DU LIBERALISME : PECHE DE L’EUROPE ET DU MONDE.

Première question. - Le libéralisme est-il un péché ?
Réponse. - Incontestablement. Il faut tenir compte des bonnes intentions, du défaut de lumières et de l’ambiance qui diminuent les responsabilités, mais à considérer les choses en elles-mêmes, le libéralisme est un péché de l’esprit.


Deuxième question. - Expliquez-vous. Comment faut-il comprendre ce péché de l’esprit ?
Réponse. - Rappelez-vous ce qui a été dit, en réponse à la deuxième leçon, question dixième. Le péché que nous avons signalé à cet endroit, est un péché de l’esprit. Ce péché, qui est celui du Libéralisme, comporte à l’égard de Dieu une injustice et une suprême injure. En effet, dans la Déclaration des Droits de l’homme et dans les libertés qui en découlent, l’homme s’est substitué à Dieu.
Voici comment les choses se sont passées. De par les principes et le droit modernes, seul l’homme doit et peut se trouver là où Dieu, précisément parce qu’il est Dieu, doit être. Créateur et Maître absolu, de par la nature même des choses, Il est le Dieu de la conscience individuelle, le Dieu de la Société, des Nations et de l’Univers. On le supprime et, en sa place, l’esprit humain établit l’homme et la pensée de l’homme, en tant que substitué à Dieu, c’est-à-dire déifié, maître absolu et arbitre de ses destinées personnelles, familiales et sociales, nationales, internationales et mondiales.
L’homme est, et s’est déclaré la maître. Si, dans sa sagesse, il juge opportun de se soumettre à ce que dans sa pensée il estime « Dieu », « le Christ », « l’Eglise », il ne sera pas molesté parce qu’il est maître de sa conscience. Il en doit être tout autrement de l’introduction de ce Dieu et de son Eglise dans la Société et les Etats.
L’homme étant officiellement substitué à Dieu, quiconque veut rendre à Dieu sa place devient ennemi de l’homme qui est maître de l’Univers et de l’Ordre Social.
Dieu est nécessairement usurpateur. L’Eglise est usurpatrice. Tout effort de la part de l’Eglise pour accomplir sa mission dans l’Ordre Social est inévitablement une main-mise cléricale sur la Société. La laïcisation générale et universelle est une nécessité. L’individu est laïcisé. On ne veut connaître en lui qu’une grandeur humaine, faite des principes naturels d’humanité, de justice, de bonté, etc. Toute institution sociale doit être laïcisée : les Etats, les Constitutions des Peuples et leur législation, les Gouvernements, les Parlements, les Sénats, tout organisme officiel, toute institution publique et même les institutions privées, dès qu’elles entrent en rapport avec un organisme officiel, doivent porter le caractère de l’homme seul.
L’empreinte surnaturelle est effacée de partout. L’Ordre surnaturel doit être non-existant. L’Eglise, si elle survit en raison de volontés individuelles, sera, tout au plus, une société privée sans aucun droit public. Elle ne peut jouir au point de vue social, que des droits et privilèges que l’homme estime pouvoir lui accorder. Un gouvernement composé d’individualités catholiques pourra lui être favorable, mais cette faveur relèvera nécessairement de l’homme, qui, de droit, la refusera ou l’octroiera à son gré.
C’est l’injustice suprême, puisqu’on prive l’Etre Suprême de son droit absolu ; c’est l’injure souveraine puisque, après l’avoir dépouillé injustement, on le déclare usurpateur.

Troisième question. - Comment les libertés modernes aboutissent-elles à cette conclusion fatale ?
Réponse. - Nous l’avons dit, pour l’homme moderne la seule vérité existante c’est la pensée de l’homme. Par le fait, toute Société et tout Etat, qui sont bâtis sur les Principes de 89 se sont établis dans l’impossibilité de reconnaître ou de professer aucune vérité ; de reconnaître ou de professer aucun culte. C’est la conséquence logique des grandes libertés modernes. Je m’explique : prenons comme exemple la liberté d’enseignement. Tel maître enseigne les propositions que voici : « Dieu existe ». – « Jésus-Christ est Dieu ». – « L’Eglise catholique est une œuvre divine ». En vertu de ses principes, l’Etat doit le laisser faire. Tel autre maître enseigne les doctrines contradictoires des premières : « Dieu n’est pas ». – « Jésus-Christ n’a pas existé, ou n’est qu’un halluciné ». – « L’Eglise est une vaste conspiration ». En vertu des mêmes principes, l’Etat doit laisser faire. C’est dire que l’Etat n’adhère à aucun de ces enseignements et doit n’en reconnaître aucun comme vrai. Il doit les protéger tous deux au même titre constitutionnel et au même degré.
La seule vérité pour lui, c’est que chacun est libre d’enseigner. Au point de vue strictement logique, l’Etat moderne est donc nécessairement athée et libre-penseur, parce que les Constitutions des Etats sont libres-penseuses, athées ou plus exactement a-vraies, « sans vérité », c’est-à-dire pratiquement : contre la vérité, contre Dieu.
En effet, quand l’Etat moderne se trouve en face d’une vérité réellement existante, telle la vérité première : Dieu, - Quelle doit donc être son attitude sous peine de renier ses principes ? Il faut qu’il ne sache pas que dans la proposition « Dieu est » se trouve la vérité. Il faut qu’il n’adhère pas à cette proposition. S’il y adhérait, il exprimerait sa connaissance de la vérité et sa volonté de lui être attaché. Il ne peut faire ni l’un, ni l’autre. Son attitude doit être semblable devant chacun de ces deux enseignements : « Dieu est », « Dieu n’est pas ». Socialement, l’Etat moderne doit ne pas savoir s’il y a vérité. Il doit s’opposer à ce qu’un enseignement pénètre chez lui au titre de vérité. Cette introduction de la vérité serait une supériorité de celle-ci sur l’Etat et la Constitution des pays. Ce qui ne peut être.
Les Etats et les Constitutions des Peuples doivent s’opposer à l’action de la Vérité afin qu’ils restent ce qu’ils sont, c’est-à-dire, a-vrais, athées, opposés à tout principe qui ne les laisse pas maîtres et arbitres de leurs destinées, et pratiquement contre Dieu, contre le Christ et contre l’Eglise.
Au contraire, toute pensée, en tant que pensée de l’homme, est de droit enseignable. Elle obtient le suffrage de l’Etat. Le motif est péremptoire. L’Etat ne connaît que l’homme. La pensée humaine et toute idée sont un produit de l’esprit humain. En les enseignant, rien de supérieur à l’homme n’est introduit dans la Société.
Les pensées : « Dieu est », « l’Eglise catholique est divine » peuvent être enseignées de droit, non parce qu’elles sont l’expression de la vérité objective, mais parce que des sujets de l’Etat estiment ces pensées bonnes et d’utilité privée ou publique. Les pensées : « Dieu n’est pas », « l’Eglise catholique est une fourberie » peuvent être enseignées au même titre.
Ainsi en doit-il être logiquement de l’enseignement du vol, du meurtre, de l’immoralité et de l’assassinat. Une législation en contradiction avec les principes de l’Etat, condamne et exécute le malheureux qui en vient aux voies de fait, mais n’interdit pas un enseignement qui conduit à ces voies. Bref, l’Etat enseigne, par ses sujets, la pensée de ses sujets. Il en doit être ainsi, parce qu’il ne connaît que l’homme et ce qui est de l’homme (1).
Voilà comment les Principes et le Droit Modernes aboutissent fatalement à une injustice souveraine à l’égard de Dieu et à une injure suprême à son adresse.
Voici en quels termes s’exprime Léon XIII dans sa lettre à l’Archevêque de Bogota :
« Lorsqu’il s’agit de la façon de se comporter vis-à-vis de la chose publique, les catholiques sont sollicités par des intérêts contraires et s’exaspèrent en de violentes discordes qui proviennent le plus souvent de divergences dans l’interprétation de la doctrine catholique au sujet du libéralisme.
« … Le Souverain Pontife enseigne que le principe et le fondement du libéralisme est le rejet de la loi divine : « Ce que veulent en philosophie les partisans du naturalisme ou du rationalisme, les fauteurs du libéralisme le veulent dans l’ordre moral et civil, puisqu’ils introduisent dans les mœurs et la pratique de la vie, les principes posés par le naturalisme. Or, le point de départ de tout rationalisme, c’est la souveraineté de la raison humaine qui, refusant l’obéissance due à la raison divine et éternelle et prétendant ne relever que d’elle-même, se considère elle-même et elle seule, comme étant le principe suprême, la source et le juge de la vérité. Telle est la prétention de ceux que nous avons appelés sectateurs du libéralisme : selon eux, il n’y a aucune puissance divine à laquelle on soit tenu d’obéir dans la pratique de la vie, mais chacun est à soi-même sa propre loi. De là procède cette morale


(1) Voir : A Dieu et à son Christ la Société et les Nations.