Le Pape interpelle l'Europe

 

 

Le Pape a rendu publique, samedi 28 juin, l'exhortation apostolique post-synodale "Ecclesia in Europa"

 

Les cardinaux Schönborn, Lustiger, Danneels et Policarpo n’ont pas attendu. À Vienne, en mai dernier, avant Paris à la Toussaint 2004, Bruxelles en 2005 et Lisbonne en 2006, ils ont lancé un grand mouvement pour une nouvelle évangélisation des grandes métropoles.

 

L’exhortation apostolique postsynodale que vient de publier Jean-Paul II est en effet d’abord un nouvel appel à l’évangélisation. Il s’agit aussi bien d’«une première annonce de l’Évangile», «véritable mission ad gentes» parce que «le nombre des personnes non baptisées grandit», que d’«une annonce renouvelée» : «Beaucoup d’Européens pensent savoir ce qu’est le christianisme mais […] souvent, les notions et les éléments les plus fondamentaux de la foi ne sont plus connus.»

 

Le second mouvement important de ce texte concerne l’idée même de l’Europe. «Pour annoncer à l’Europe l’Évangile de l’espérance», Jean-Paul II a «pris pour guide le livre de l’Apocalypse», comme icône d’une «attitude de confiance fondamentale, qui découle de la foi dans le Ressuscité, présent et agissant dans l’Histoire». Et cette exhortation, Ecclesia in Europa, n’a sans doute jamais si bien porté son nom.

 

Le Pape s’adresse clairement à «l’Europe en tant que communauté de citoyens», pacifiée, unie, nouvelle, qu’il ne craint pas, toujours en se guidant sur l’Apocalypse – «révélation prophétique qui révèle à la communauté des croyants le sens caché et profond de ce qui arrivera» – de rapprocher de la Jérusalem céleste.

 

Alors que sont encore en cours les débats sur l’héritage chrétien de l’Europe, on trouve, tout au long de ces pages, la démonstration tranquille et sans polémique de la manière dont l’apport de toutes les traditions européennes a «trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. […] En prendre acte, écrit Jean-Paul II, tourne à l’avantage de tous». Ou encore : «L’Église, dépositaire de l’Évangile, a contribué à répandre et à affermir les valeurs qui ont donné un caractère universel à la culture européenne.»

 

Le synode de 1999 devinait «une Europe en train de naître»

 

Le synode européen d’octobre 1999 s’était ouvert sur un rapport des plus moroses de l’archevêque de Madrid, le cardinal Rouco Varela, avant que les participants ne cherchent à lutter contre le pessimisme ; l’archevêque de Lublin (Pologne) avait même rejeté avec humour l’argument statistique en soulignant que, le Vendredi saint, il ne restait qu’un apôtre, soit 8,5 %, au pied de la croix du Christ.

 

Puis les évêques avaient pris conscience que les problèmes étaient désormais les mêmes en Europe, à l’Est comme à l’Ouest – «nous avons été très naïfs», avait dit à La Croix le cardinal Vlk, archevêque de Prague – avant d’appeler dans leur message à la « conversion des baptisés » et au témoignage de la foi.

 

Le cardinal Lustiger, s’appuyant sur les multiples échanges entre évêques, voyait à l’issue de ce synode souvent ressenti de l’extérieur comme un peu décevant, «une Europe en train de naître».

 

Dans La Croix, Bruno Chenu osait même une comparaison avec le deuxième concile de Jérusalem « qui avait permis un passage décisif, l’entrée des païens dans l’Église ».

 

On retrouve évidemment dans l’exhortation postsynodale les traces de cet itinéraire. D’abord, les traces de « l’obscurcissement de l’espérance » dans la société européenne : « On a l’impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d’une légitimation sociale qui n’est ni évidente ni escomptée », d’où une peur d’affronter l’avenir malgré des signes d’espérance, mais aussi la certitude qu’il faut «revenir au Christ», «l’espérance qui seule offre une plénitude de sens à la vie».

 

Vient ensuite, dans un second chapitre, l’appel à la conversion et la mobilisation de l’Église pour la mission. Il s’agit en premier lieu de sauvegarder le patrimoine du passé – les racines chrétiennes – puis de «façonner un véritable visage d’Église» : loin de «l’activisme, même pastoral, il est demandé aux chrétiens en Europe de continuer à être un vrai reflet du Ressuscité, en vivant dans une communion intime avec lui»

 

Le Pape insiste sur le rôle de «lieu et instrument de communion» des Églises locales, cultivant «la charité fraternelle vécue avec une radicalité évangélique», et une pastorale qui, «mettant en valeur toutes les légitimes diversités, favorise en même temps une collaboration cordiale entre tous les fidèles et leurs différentes organisations».

 

Au passage, «nouveaux mouvements et nouvelles communautés d’Église» sont invités à «progresser sur le chemin d’une plus authentique communion entre eux» et à «vivre avec amour dans la pleine obéissance aux évêques».

 

L’envoi en mission de «l’Église entière» ne contient aucune proposition spectaculaire. Le célibat des prêtres est réaffirmé, «signe de l’amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son peuple» : «Une révision de la discipline actuelle en ce domaine ne permettrait pas de résoudre la crise des vocations.» Celle-ci est clairement constatée et une pastorale des vocations qualifiée d’«indispensable» tant par le rappel de «la nature et de la dignité» du sacerdoce que par «l’encouragement des familles à vivre comme de véritables «Églises domestiques» afin que les diverses vocations puissent y être discernées».

 

Les laïcs, dont « la participation est unique », se voient, par ailleurs, proposer comme modèles les Pères de l’Europe, et les femmes «dont l’Église est bien consciente de l’apport spécifique» doivent voir «leurs talents davantage mis en valeur, y compris par l’attribution de fonctions ecclésiales qui reviennent de droit aux laïcs».

 

Les Européens doivent témoigner d’une foi «personnelle et adulte

 

L’évangélisation, première ou seconde, est, on l’a vu, au cœur de l’exhortation postsynodale, comme elle avait déjà été au centre du premier synode pour l’Europe en 1991.

 

«Église en Europe, écrit Jean-Paul II, la nouvelle évangélisation est le devoir qui t’attend !» Et encore : «L’Europe réclame des évangélisateurs crédibles dans la vie desquels resplendisse la beauté de l’Évangile.»

 

Ils seront des témoins plus que des maîtres, formés à une foi «personnelle et adulte», pour proposer «une catéchèse adaptée aux différents itinéraires spirituels des fidèles». Cette annonce sera collective à travers la collaboration de toutes les Églises particulières d’Europe et «l’impératif imprescriptible d’une collaboration œcuménique fraternelle et convaincue», avec le souci de «rejoindre la culture européenne contemporaine», c’est-à-dire de s’inculturer.

 

Après un court chapitre sur la liturgie et les sacrements et avant celui sur l’Europe nouvelle publié ci-contre, l’exhortation examine «le service de la charité». La priorité donnée aux pauvres à qui il faut «redonner espérance», comme aux chômeurs ou aux malades, inclut «l’usage correct des biens de la terre», autrement dit la préoccupation écologique de la qualité de la vie.

 

Aux Églises européennes est demandé d’«annoncer avec une vigueur renouvelée ce que dit l’Évangile sur le mariage et la famille», mais aussi de «rencontrer avec une bonté maternelle» les familles disloquées.

 

Concernant les divorcés remariés, Jean-Paul II écrit : «Ils ne sont pas exclus de la communauté, ils sont même invités à participer à sa vie, en accomplissant un chemin de croissance dans la ligne des exigences évangéliques. Sans leur taire la vérité du désordre moral objectif dans lequel ils se trouvent et des conséquences qui en découlent quant à la pratique sacramentelle, l’Église entend leur montrer toute sa proximité maternelle.»

 

La partie sur «Servir l’Évangile de la vie» réaffirme les engagements de l’Église sur les questions bioéthiques, l’avortement, «l’utilisation détournée» du diagnostic prénatal et de l’euthanasie.

 

Enfin, «bâtir la cité de l’homme» incite à confronter à la doctrine sociale de l’Église la valeur morale de la civilisation européenne. Ainsi, face aux défis de l’immigration, l’exhortation postsynodale incite chacun à «s’employer à la croissance d’une solide culture de l’accueil […] à «découvrir les formes possibles d’une véritable intégration des immigrés» : «Église en Europe, écrit encore le Pape, libre de toute entrave et de toute dépendance, sois pauvre et amie des plus pauvres, accueillante envers toute personne et attentive à toute forme de pauvreté, qu’elle soit ancienne ou nouvelle.»

 

Yves PITETTE

 

PARU DANS LA CROIX