Jean Paul II alerte l'Europe
sur l'abandon de sa culture chrétienne
Le pape
rappelle l'Union à son héritage religieux.
Dans une
longue exhortation apostolique intitulée Ecclesia in Europa, rendue
publique samedi 29 juin à Rome, le pape exprime à la fois son pessimisme
pour le destin du Vieux Continent sécularisé et son "espérance"
dans la réunification, les progrès de l'Union et les chances qu'il croit
réelles pour le christianisme.
Jean
Paul II, qui a tant écrit sur l'Europe, publie là son document le plus
achevé.
Une "époque
d'égarement", une "espérance obscurcie" : l'auteur
partage le pessimisme des analyses entendues au synode des évêques européens
d'octobre 1999 (dont ce document est la synthèse finale) sur la montée de
l'indifférence religieuse et de l'"agnosticisme pratique" :
"Beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau
spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été
légué." La perte de la mémoire chrétienne du continent s'accélère. Les
symboles chrétiens risquent de devenir de "purs vestiges du passé".
Le christianisme est "mis au défi et menacé". "Il est
plus facile de se dire athée que croyant. La non-croyance va de soi, tandis que
la croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni
escomptée".
Ce texte
alarmiste s'adresse aux Eglises, appelées à se ressaisir, à refaire leur unité
et favoriser une "nouvelle évangélisation", mais aussi à tous
les responsables européens. C'est toute la culture d'un continent en situation
d'"apostasie silencieuse" qui est en danger, affirme son
auteur.
"L'oubli
de Dieu conduit à l'abandon de l'homme."
Il a pour conséquences le "vide intérieur" et la perte du sens
de la vie. Pour le pape, la chute de la natalité, le refus des choix définitifs
(dans le mariage ou le sacerdoce), la montée des "solitudes"
et des "divisions" traduisent un climat d'incertitude, de
désarroi, d'angoisse. Il fait un lien entre la perte des repères chrétiens et "la
réactivation des conflits ethniques, la résurgence de certaines attitudes
racistes, les tensions interreligieuses, la croissance d'une indifférence
éthique générale et la crispation excessive sur ses intérêts et
privilèges ."
"SOIS TOI-MÊME"
C'est
dans ce contexte que s'inscrit la polémique sur l'absence de référence à
l'héritage chrétien dans le projet de Constitution de l'Union. Pour Jean
Paul II, c'est une injustice au regard de l'Histoire : "A
partir de la conception biblique de l'homme, l'Europe a forgé sa culture
humaniste dans ce qu'elle a de meilleur. Elle y a puisé son inspiration pour
ses créations intellectuelles et artistiques. Elle a élaboré ses normes de
droit et a promu la dignité de la personne humaine."
Il ne
s'agit pas de porter atteinte à la "laïcité" des institutions
européennes, ni de monopoliser les sources de la culture ou du droit, et Jean
Paul II cite les racines grecques et latines, l'apport des peuples
germaniques, slaves, la culture juive et celle de l'islam. Mais c'est la
tradition chrétienne qui a eu le mérite d'"harmoniser, de consolider,
de promouvoir" ces inspirations.
Le pape
prend acte du pluralisme éthique et religieux du continent, mais rappelle que
le christianisme a une expérience à faire valoir sur des questions disputées
comme l'immigration, les manipulations génétiques, la crise de la natalité et
de la famille. Si ses condamnations (avortement, euthanasie active, unions
homosexuelles) sont renouvelées, il invite les Européens à une lutte renforcée
contre le chômage, à une "culture de l'accueil" des immigrés,
à une solidarité accrue avec les démunis, à un "juste dialogue" avec
l'islam. Les chrétiens sont appelés à éviter le relativisme, le syncrétisme
religieux, à retrouver les exigences de leur baptême et la pleine conscience de
leur filiation au judaïsme. Mais la conclusion du pape a une portée plus
large : "Europe, ouvre les portes au Christ ! Sois toi-même.
Redécouvre tes origines. Revis tes racines."
Henri Tincq
ARTICLE PARU DANS LE MONDE (EDITION
DU 01.07.03)