Item a été reçu le 28 octobre dernier par le Cardinal Arinze pour une interview.

 

Entretien réalise par l’abbé Claude Barthe et Valérie Houtart

								 

Valérie Houtart, Présidente d'Entraide et Tradition, responsable d'Item

 

Cardinal Arinze, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin

Monsieur l'abbé Claude Barthe, Théologien pour la revue Catholica

 

Peut-on remettre en ordre la liturgie de Vatican II ?

 

La liturgie n’est pas de la « cuisine maison » : un entretien du cardinal Arinze

 

Un manque de foi et de révérence

 

Mgr Arinze, Vous êtes aujourd’hui Préfet de la Congrégation du Culte Divin et vous êtes de langue anglaise. On dit qu’un des problèmes liturgiques qui préoccupent le plus les autorités romaines attentives aux dérives post-conciliaires est celui des traductions défectueuses en matière liturgique et biblique, spécialement en anglais. Pourriez-vous nous en parler ? Par ailleurs, les célébrations sont en elles-mêmes des « traductions » de la foi de l’Eglise. L’encyclique Ecclesia de Eucharistia avertit qu’il y a un grave déficit dans la liturgie telle qu’elle est souvent célébrée. N’est-elle pas souvent une « mauvaise traduction » de la doctrine eucharistique ?

 

Cardinal Francis Arinze – Vous mettez beaucoup de choses dans votre boite à questions !

Parlons d’abord des traductions. Un document de ce dicastère du Culte divin, il y a trois ans, Liturgiam authenticam, avait pour thème principal : l’Eglise approuve les langues locales, dans la liturgie, mais les traductions, dans le rite latin, doit être fidèle au texte originel latin. La directive générale est celle-ci : toutes les traductions faites il y a trente ans doivent être révisées de telle sorte qu’elles soient vraiment fidèles au texte originel. Il est vrai que dans certaines langues, il est très difficile de faire une traduction littérale. Mais on ne doit pas admettre des traductions idéologisées. Par exemple, lorsque le missel latin fait dire au prêtre : Orate fratres ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem [1] , un traducteur qui n’accepte pas de faire la différence entre le peuple et le célébrant dira : « Priez mes frères afin que notre sacrifice, etc. » C’est cette sorte de traductions idéologisées que l’on doit éviter. Mais il ne s’agit pas seulement de la langue anglaise ! Même les Français… Regardez donc comment vous traduisez l’Orate frates…en français : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise ». C’est tout. Ce n’est pas une traduction, c’est une belle phrase, une très belle phrase, mais ce n’est pas une traduction du texte latin. La réponse à l’invitation du prêtre est dans le missel latin : Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis ad laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae [2] . Et que dites-vous en français ? « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Ce n’est pas une traduction.

Mais les traductions ne sont pas la cause principale des difficultés. Leur cause principale est que le célébrant ne suit pas le texte approuvé. Si chaque prêtre suivait les livres liturgiques approuvés par l’épiscopat du pays et par la Congrégation romaine agissant au nom du pape, il y aurait beaucoup moins de problèmes et d’abus. Le problème vient de ce que pas mal de prêtres croient que la créativité est la grande chose à promouvoir. Chaque prêtre, selon eux, doit célébrer la messe pour montrer qu’il a une personnalité propre qui fabrique une chose bien à lui en inventant chaque fois quelque chose de personnel.

 

Mais les rites de la liturgie de Paul VI n’incitent-ils pas eux-mêmes à une grande créativité ? Vous dites qu’il faut réviser les traductions. Ne faudrait-il pas parfois réviser aussi les rites ?

 

Oui, c’est peut-être une bonne idée. Mais le missel n’est pas coupable. Il est vrai qu’il donne de temps en temps des choix, des possibilités, des alternatives. Par exemple, en commençant la messe le prêtre peut dire : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père, et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous ». Il peut dire aussi : « Le Seigneur soit avec vous ». Et il y a d’autres formes de salutation approuvées par les Eglises locales. Cette possibilité de choix est une bonne chose. Réduire à une seule possibilité serait un peu rigide. En ce sens-là, le missel n’est pas rigide. Mais non-rigidité ne veut pas dire créativité, comme si le prêtre imitait une maîtresse de maison qui présente le plat qu’elle a préparé à ses invités, en disant : « C’est de la cuisine maison !» Il ne faut pas inventer, sauf quand c’est permis, comme dans la prière universelle. Mais la collecte, la prière après la communion, la salutation liturgique sont fixées. Si le prêtre commence la messe en disant : « Bonjour à vous tous, j’espère que vous avez bien dormi », ce n’est pas un salut liturgique, c’est une banalisation du sacré. Ce n’est pas inscrit dans les livres liturgiques.

 

Mais ce qui est inscrit dans les livres liturgiques est-il intangible ? Ne pourra-t-on pas y inscrire autre chose ?

 

Oui, on peut avoir des opinions sur ce point. Certains peuvent dire que le missel d’il y a trente ans laisse trop de liberté, etc… Ce missel a été fait par des hommes et non par des anges.

 

Vous savez, Eminence, à quel point le clergé français est sinistré : il est presque en voie de disparition dans certains diocèses. Mais les jeunes prêtres sont d’une sensibilité liturgique très différente de celle de leurs aînés, qui ont « fait » le concile et Mai 68. Ils sont souvent très proches de la sensibilité liturgique traditionnelle. Ne croyez-vous pas qu’arrive le moment d’amorcer justement « une réforme de la réforme », un retour à une liturgie plus transcendante ?

 

Votre question présuppose que la liturgie actuelle n’est pas transcendante. Sur cela il est permis d’avoir des opinions, mais je crois que le problème principal est un manque de foi, de dévotion et de révérence suffisantes. Si chaque prêtre avait foi et amour pour l’Eglise et fidélité au sens liturgique, s’il célébrait avec beaucoup de conviction et une grande révérence sans rien inventer, il y aurait beaucoup moins de problèmes et le sens de la transcendance divine ne serait pas perdu. Il y a des problèmes quand il y a trop de ce que j’ai qualifié de banalisation, de désacralisation. Mais il faut dire que beaucoup de jeunes prêtres ordonnés il y a dix ans ont plus le sens de l’Eglise. Les grands séminaires ont beaucoup d’importance. Il faut voir un peu comment se passent les choses dans les grands séminaires : il faut y donner une formation et pas seulement une information.

 

La disparition, en bien des endroits, des confessionnaux manifeste la carence du sens du péché et le mépris des dispositions pour s’approcher du Corps du Seigneur. Par exemple, en France, dans les enterrements, il arrive que tout le monde communie, même les incroyants ou les non-catholiques, et quand le prêtre explique qu’il est bon de se confesser quelquefois, il se fait traiter de « fanatique ».

 

Dieu est saint, trois fois saint. Il habite dans la lumière inaccessible. Que reste-t-il de notre religion si nous ne reconnaissons pas que nous sommes des créatures et des créatures pécheresses ? Nous disons dans le Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi… » Nous devons accepter d’avoir péché et nous devons accepter d’avoir besoin de pardon. La foi catholique n’a pas changé, et notre foi nous dit que pour recevoir la sainte communion avec fruit, on doit être en état de grâce sanctifiante et non pas en état de péché mortel. Péché mortel veut dire offense grave contre Dieu ou le prochain. Les dix commandements n’ont pas changé. Celui qui a violé l’un ou l’autre des dix commandements en matière grave a commis un péché grave. Cet homme-là n’a plus la grâce de Dieu en lui. S’il reçoit le Corps du Christ, il le fera comme Judas. Car il est vrai que Judas a reçu le Corps et le Sang du Christ lors de la Cène, mais il est vrai aussi qu’il n’était pas dans les bonnes dispositions. Non seulement celui qui communie ainsi ne reçoit pas la grâce, mais il fait un nouveau péché, un sacrilège, qui s’ajoute à celui qu’il avait avant de venir. C’est terrible ! On ne doit jamais faire cela et si un prêtre collabore en disant : « Venez tous communier », et que quelqu’un qui n’est pas en état de grâce s’approche de la sainte communion à cause de cela, ce prêtre au lieu de l’aider à aller vers Dieu, l’entraîne au sacrilège. Le sacrilège n’est pas une invention de l’Eglise, c’est quelque chose d’objectif. Saint Paul nous a dit que le discernement est nécessaire : « Qui mange le pain ou reçoit la coupe du Seigneur indignement sera coupable à l’égard du Corps et du Sang du Christ ». Il serait beau que tout le monde soit en état de grâce et puisse recevoir la communion. Mais chacun doit s’examiner lui-même et non examiner autrui. S’il ne se trouve pas en état de grâce, il ne doit pas recevoir le Christ, mais d’abord se confesser en acceptant d’être pécheur. Il doit dire : « C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. Ce n’est pas la faute du gouvernement ce n’est pas la faute de mon épouse, de mon fils ». Il faut accepter cela tout simplement, et demander le pardon de Dieu, avec la résolution de ne pas recommencer. Si vous n’acceptez pas de vous confesser à un prêtre, c’est que vous n’acceptez pas la volonté du Christ qui a dit à ses Apôtres : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux ; tout ce que vous lierez sur la terre… » L’Eglise comprend ces paroles comme exprimant le pouvoir qu’elle a de remettre les péchés dans le sacrement de pénitence. Ce sacrement reste très important. On peut même juger de la santé spirituelle d’un peuple au fait que les fidèles le pratiquent. Si d’ailleurs personne n’allait se confesser, j’aurais envie de demander : « Etes-vous immaculés comme l’était la Vierge Marie, conçue sans péché originel, ne commettant aucun péché personnel ? » Si les plus grands saints allaient se confesser fréquemment, pourquoi n’irions-nous pas nous aussi, nous confesser ? Les prêtres doivent donc encourager les fidèles dans ce sens. C’est une manière de faire sentir la sainteté de Dieu. Sinon, quelque chose manquerait à la religion du Christ.

 

Eminence, vous avez laissé entendre, en divers entretiens accordés à des revues, qu’un plus grand espace de liberté devait être accordé au rite traditionnel Pouvez-vous nous en dire ou nous en laisser entendre davantage ?

 

Après le Concile Vatican II, l’Eglise a reçu le missel de Paul VI, comme après le Concile de Trente, elle avait reçu le missel de Pie V. Mais le pape Jean-Paul II a dit que s’il existait des groupes qui préféraient la messe que nous appelons tridentine, l’évêque la permettait en indiquant le lieu et le temps. C’est la pratique d’aujourd’hui.

Cette célébration de la messe tridentine relève de la Commission Ecclesia Dei. Notre Congrégation du Culte divin est pour sa part chargée de la célébration du missel d’aujourd’hui. Le souci de notre Congrégation est la fidélité au rite sacré. Pour le reste l’Eglise de France et les Eglises de tous les autres pays examinent les solutions. Il ne serait pas juste que je donne une recette, ni pour la France, ni pour chaque pays du monde, mais notre Congrégation est ouverte à toute discussion.

 

Le primat de la mission

 

Eminence, vous venez d’un pays, le Nigeria, qui a cette singularité, avec l’ensemble du catholicisme africain, d’être aujourd’hui en croissance numérique. Le renouvellement du clergé y est assuré, puisque votre pays est celui qui a le plus de séminaristes par prêtre (1,19 séminaristes par prêtre, selon les statistiques de la Congrégation du Clergé). La sécularisation qui frappe l’Occident ne touche-t-elle pas le Nigeria ?

 

Cardinal Francis Arinze – La sécularisation touche plus ou moins tous les pays du monde. Il est vrai cependant que la croissance du christianisme est la plus élevée en Afrique, non pas en chiffre total, mais en pourcentage. Il ne manque pas de problèmes en Afrique : l’instabilité de tel ou tel pays, des conflits, des guerres quelquefois. Mais les gens acceptent le christianisme : devenir chrétien y est considéré comme une bonne chose, ce qui est réconfortant. Il y a cependant beaucoup de différences de l’Algérie, au Nord, à l’Afrique du Sud, de la Mauritanie, à l’Ouest, à la Tanzanie. Mais puisque vous me parlez de mon pays, le Nigeria, en effet, le nombre de chrétiens y est en croissance. Les églises bâties il y a vingt ans ne suffisent plus. Quand un prêtre dit la messe les gens accourent, quand un autre confesse ils font la queue. Beaucoup de prêtres n’en peuvent plus, car ils ont énormément de travail. Le nombre de jeunes entrant au séminaire est si élevé que nous parlons de boom. C’est vrai aussi pour les religieuses. Par exemple, j’ai fondé à Umuoji, dans l’archidiocèse de Onitsha, au Nigeria, une communauté de bénédictines cloîtrées venant du Monte Mario à Rome, il y a vingt-cinq ans, avec trois Italiennes et une Nigériane. Elles sont maintenant cent quarante moniales professes à Umuoji, sans compter celles qui ont été refusées et celles qui sont parties. Ce monastère, au Nigeria, a fondé un autre monastère, avec quarante moniales, et envoyé en Italie sept religieuses pour aider un monastère italien qui n’a plus de candidates. Oui, le Seigneur nous donne la croissance. L’archidiocèse d’Onitsha, avant d’être divisé l’année dernière, avait trois cent cinquante séminaristes en philosophie et théologie et huit cents petits séminaristes. La paroisse de la cathédrale envoie chaque année au moins vingt-cinq jeunes au petit séminaire, presque tous enfants de chœur bien formés au service de l’autel. Un bon prêtre ne manquera jamais de faire éclore des vocations, spécialement s’il porte attention à la formation des enfants de chœur.

Il faut dire que les missionnaires d’Irlande qui ont évangélisé notre pays ont fait du bon travail : catéchèse de base, vie ecclésiale, sacrements. Il est vrai aussi que la providence divine avait préparé les gens à recevoir l’Evangile. Les Européens parlent d’« animisme » à propos des religions d’Afrique, pensant que les Africains étaient persuadés que les arbres, les fleurs, la foudre avaient une âme. Il faut parler plutôt de « religion traditionnelle », dans laquelle les gens croyaient à un Dieu suprême, à un monde de bons et de mauvais esprits et d’un monde des ancêtres. Quand les missionnaires sont venus, ils ont trouvé le terrain préparé à la prédication de l’Evangile. Il y a eu une « préparation évangélique ».

 

A ce propos, vous avez été précédemment président du Conseil pour le Dialogue interreligieux. Le Nigeria, où se produit cette explosion du nombre des catholiques, où les vocations sont nombreuses, est un pays musulman. On entend souvent dire qu’il faut éviter le « prosélytisme », qu’il ne faut pas proposer la conversion, mais uniquement dialoguer dans le respect de toutes les options religieuses.

 

Je précise que le Nigeria n’est pas un pays musulman. La majorité des Nigérians sont chrétiens, et leur nombre augmente toujours. Il y a une majorité de musulmans dans certaines régions, comme autour de Sokoto, Maiduguri et Kano. Mais il y a des diocèses du nord du Nigeria qui ont cent prêtres autochtones. La réalité est en fait très diverse.

Le Concile Vatican II nous a donné seize documents. Le document de base est Lumen gentium sur l’Eglise et sa nature de maison où sont invitées à entrer toutes les nations, comme le dit son numéro 13. Le numéro 14 précise que c’est par la foi et le baptême que nous entrons dans l’Eglise. Celui qui a pleine connaissance de cela et refuse d’entrer dans l’Eglise ne peut être sauvé. Qui en a connaissance et sort de l’Eglise sera perdu. Autrement dit, l’Eglise est nécessaire au salut, selon l’adage extra Ecclesiam, nulla salus, « hors de l’Eglise point de salut », bien expliqué et avec toutes les précisions qui s’imposent. Vatican II nous a aussi donné la constitution Gaudium et spes : l’Eglise a les mains tendues vers le monde. Le même Concile nous rappelle dans le décret Ad gentes qu’il faut évangéliser toutes les nations. Saint Paul nous a dit : « Malheur à moi si je n’évangélise pas ! » Jésus n’a pas fondé son Eglise pour être une académie de dialogue, dans laquelle on argumenterait de manière acrobatique sur le thème : « Nous sommes tous des amis ; nous restons où nous sommes ; restez où vous êtes ; et à la fin nous nous retrouverons tous comme des fils de Dieu ». Si les missionnaires avaient fait de tels raisonnements, ils n’auraient jamais quitté leur pays, saint Boniface ne serait jamais allé en Allemagne, saint Augustin de Cantorbéry n’aurait jamais été envoyé de Rome en Angleterre, et les missionnaires irlandais ne seraient jamais venus au Nigeria. Nous devons vraiment partager l’Evangile que nous avons reçu. D’ailleurs, comme le pape Jean-Paul II l’a dit dans l’encyclique Redemptoris missio, la mission du salut ne fait encore que commencer : les catholiques ne sont que 18 % de l’humanité ; les autres chrétiens 15 % ; et tous les chrétiens ensemble ne sont que 33 % de la population du monde. Et les autres ? Ils ne seraient pas appelés à devenir fils de Dieu ? Jésus ne serait-il pas mort sur la croix pour eux ?

Jésus est le seul sauveur et il n’en est pas d’autre. Le Nouveau Testament est le dernier mot que Dieu avait à dire aux hommes en son Fils unique fait homme, Jésus-Christ. Jésus est mort sur la croix pour la rédemption de tous les hommes. Saint Paul dit à Timothée que Dieu désire le salut de toute l’humanité. Or, il n’y a qu’un seul médiateur de salut entre Dieu et les hommes : Jésus-Christ, dans lequel Dieu veut que tous arrivent à la Vérité. Vatican II, dans la déclaration Nostra aetate, au numéro 2 a dit que l’Eglise respecte tout ce qui est bon et vrai et saint dans toutes les religions, mais qu’elle annonce et doit toujours annoncer Jésus-Christ, qui est la plénitude de toute la vérité. Ceci est pour dire que le dialogue ne s’oppose pas à l’annonce du Christ.

 

Vous interprétez donc Nostra aetate, le document sur le dialogue interreligieux, à la lumière d’Ad gentes, le document sur la mission de l’Eglise ?

 

On doit interpréter Nostra aetate à la lumière de Lumen gentium, naturellement, parce que Lumen gentium est le grand document sur la mission totale de l’Eglise. Nostra aetate doit d’ailleurs être interprété aussi à la lumière de Ad gentes, de Gaudium et spes, de Presbyterorum ordinis, le document sur le sacerdoce. Ad gentes c’est l’ordre du Christ : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création ! » Ou encore, en saint Matthieu : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples ! » Le dialogue est une des activités de l’Eglise, mais il n’est pas toute l’activité de l’Eglise. Le service social est une autre activité de l’Eglise – pensez au service des pauvres de la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta – mais le service social n’est pas tout l’Evangile. Il faut aussi catéchiser, baptiser. C’est le même Jésus qui a donné à manger le pain multiplié qui a dit aussi : « Qui ne croira pas, sera condamné ». Oui, c’est le Jésus doux et humble de cœur qui a dit cela.

D’ailleurs, j’ai dix-huit ans d’expérience du dialogue interreligieux et je dois dire que je n’ai jamais eu de problèmes avec les membres d’autres religions de bonne volonté, qui comprennent que nous avons notre identité catholique, et que puisque nous considérons que notre foi est une bonne chose, il est normal que nous voulions la faire partager. Non pas l’imposer, mais la proposer en toute liberté. Si celui auquel je propose la foi en Jésus-Christ ne veut pas l’accepter, je n’utiliserai pas la force physique, psychologique ou économique, pour le forcer à devenir chrétien. Si j’utilisais la force pour l’obliger à croire, ce serait du « prosélytisme » et je serais condamnable. Mais proposer le message évangélique et faire que celui qui le reçoit l’accepte en toute liberté, ce n’est pas du « prosélytisme », c’est de l’évangélisation. Tous les hommes ont le droit d’entendre parler de l’Evangile et nous avons, nous chrétiens, le devoir de l’annoncer. L’Eglise n’est pas notre propriété. Elle appartient au Christ.

C’est pourquoi le pape écrit dans l’encyclique Redemptoris missio, au numéro 55, que le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Eglise. C'est-à-dire qu’il est un élément du témoignage que nous donnons du Christ. Si l’autre ne veut pas devenir chrétien au moins établissons-nous des contacts et la grâce de Dieu travaille en lui comme en moi. Il est une créature de Dieu et Jésus-Christ est mort pour lui. Nous pouvons écouter un musulman ou un bouddhiste, travailler avec lui pour que le monde soit un peu meilleur. Si un jour, il accepte de devenir chrétien, le dialogue cesse et l’annonce commence. Et s’il ne veut pas devenir chrétien, nous devons continuer à dialoguer avec lui : nous restons ainsi pour lui témoins du Christ. Que l’autre croit ou ne croit pas, c’est Dieu qui jugera de son attitude vis-à-vis de la grâce qu’il lui a donnée. Dieu n’a pas besoin de nous pour juger ; il ne nous a pas faits membres de son conseil. Mais il est clair que le salut vient uniquement par le Christ : chacun de ceux qui parviennent au ciel y arrivent par la grâce de Jésus-Christ. Et si quelqu’un arrive au ciel sans connaître expressément Jésus-Christ, il connaît alors qu’il a été sauvé lui aussi par la grâce du Christ.

 

 

 (publication dans L’Homme Nouveau, 7 décembre 2003)



[1] . « Priez mes frères, afin que ce sacrifice mien et vôtre soit rendu acceptable auprès de Dieu le Père Tout Puissant. »

[2] . « Que le Seigneur reçoive par vos mains ce sacrifice pour l’honneur et la gloire de son nom, pour notre utilité et pour celle de toute sa sainte Eglise. »