Entretien avec le cardinal Huzar,
d'Ukraine
A paraître dans le magazine "France-Catholique"
ROME, lundi 16 février
2004 (ZENIT.org) - “Déchirements et sagesse
d’Ukraine”, c'est le titre d'un entretien avec le cardinal Liubomyr
Huzar réalisé par Antoine Arjakovsky,
professeur à l’université catholique d’Ukraine, à paraître dans le magazine
France Catholique le 20 février prochain.
Héritiers d’une longue
histoire mouvementée, les chrétiens que l’on appelle gréco-catholiques,
ont trop souvent encore à se justifier d’exister. Quand reviendront-ils dans le
giron de l’Orthodoxie, se demandent les Eglises
orientales dont ils partagent notamment les traditions liturgiques. Et quand
cesseront-ils de gêner ? - en s’accrochant à leur identité si particulière - le
dialogue œcuménique, se demandent parfois les Eglises latines dont ils
partagent la fidélité au Pape. En Ukraine, terre des martyrs de toutes les
Eglises - sans oublier les victimes juives ! - le dialogue est plus que jamais
nécessaire entre les hommes de foi. Encore faut-il arriver à mesurer calmement
les enjeux aujourd’hui en cause. Le cardinal Huzar,
archevêque majeur de l'Eglise gréco-catholique
ukrainienne, nous donne son interprétation du présent ukrainien des Eglises.
Derrière de rudes affirmations et réponses, on découvrira des concessions et
des ouvertures qui pourraient bien devenir historiques !
Dans l’interview que vous
avez donné au mensuel catholique international “Trente Jours”, vous expliquez
les raisons du transfert de votre siège à Kiev (le fait qu’il y ait 600 000 de
vos fidèles en Ukraine orientale, l’histoire de votre Eglise qui, en 1596,
était à Kiev, et votre volonté d’œuvrer dans la capitale, auprès des services
centraux de l’Etat comme l’ont fait toutes les autres
religions en Ukraine). Et vous ajoutez que, au fond, ce que l’on reproche à l’Eglise gréco-catholique c’est de
vouloir dépasser le lien entre Eglise et nation. Cela signifie-t-il que votre
ecclésiologie est plus eucharistique que territoriale et nationale ?
Liubomyr Huzar
: Le territoire canonique est un vieux principe parmi les chrétiens.
Pratiquement depuis les origines, il a toujours été affirmé qu’il doit y avoir
un seul évêque pour un territoire. C’est très chrétien, c’est la tradition.
Ceci a cependant un défaut. Pas l’idée elle-même, c’est nous plutôt qui posons
problème. Car l’idée est raisonnable : l’évêque, qui est le père de tous les
chrétiens dans une région donnée, est supposé s’occuper de tous, quelles que
soient les langues et cultures. Ceci supposait, en accord avec la réalité du
début de l’ère chrétienne, que toutes ces personnes aient une foi commune.
L’évêque, comme un bon père, disposant d’un territoire limité, l’échelle d’une
ville par exemple, prenait soin de tous. Aujourd’hui nous ne pouvons plus
appliquer ce principe.
Pourquoi ?
Parce que nous sommes une
Eglise divisée. Prenons l’exemple de l’Allemagne. Nous avons des catholiques et
des luthériens. Ils sont très différents. Est-il possible pour un évêque de
prendre soin de tous ? En Europe orientale aujourd’hui, entre orthodoxes-orthodoxes et orthodoxes-catholiques,
nous sommes plus proches les uns des autres parce que, selon moi, nous avons
une seule foi. On dit souvent que nous différons dans notre foi, mais je ne
pense pas que cela soit vrai. Néanmoins prenons l’exemple du patriarcat de
Moscou et de notre Eglise gréco-catholique d’Ukraine.
Nous différons l’un de l’autre, nous ne sommes plus une seule Eglise. Nous
formons deux Eglises distinctes. Et à cause de cela nous avons pratiquement
deux territoires canoniques.
Quelle serait la
situation idéale aujourd’hui ?
Je parle en tant que
catholique sans souhaiter imposer ma vision à quiconque. Même si j’appartiens à
la tradition orthodoxe (au sens de tradition byzantine), je suis en même temps
en communion avec l’évêque de Rome. En ce sens, je suis en communion
eucharistique. Je veux souligner ceci. Je vais vous donner un exemple concret.
Qu’est-ce que cette communion signifie ? Nous avons dans la cité de Lviv, le cardinal Iaworski, un
évêque de rite latin. Pour ma part je suis un évêque de rite oriental. Et
pourtant nous pouvons concélébrer. Parce que nous sommes en communion l’un avec
l’autre en étant en communion avec l’évêque de Rome. Avec mon frère orthodoxe,
le métropolite Vladimir de Kiev, je partage la même tradition liturgique,
spirituelle, théologique et pourtant nous ne pouvons concélébrer. Car nous ne
sommes pas dans la même communion.
Le Pape a reçu le 29
novembre 2003 une lettre du patriarche Bartholomée
qui répondait à une lettre du cardinal Kasper
adressée au patriarche Alexis. Le cardinal W. Kasper
justifiait la reconnaissance du patriarcat par les canons établissant le droit
patriarcal dans l’Eglise au 4e concile de Chalcédoine
en 451. Le patriarche Bartholomée récuse cette
approche, invoque le Concile de Constantinople en 879-880, et parle de
l’inviolabilité des limites des sièges patriarcaux traditionnels. Mais la
métropole de Kiev, dont votre siège est l’héritier, a pourtant signé l’acte
d’union avec Rome au concile de Florence en 1439 avec Constantinople. Et votre
Eglise ne l’a jamais révoqué à la différence de Moscou et de Constantinople.
N’est-ce pas ici que se trouve la raison du désaccord avec le patriarche Bartholomée qui n’accepte pas la possibilité pour votre Eglise
de devenir un patriarcat ?
J’ai de grandes
difficultés à comprendre son argumentation. Nous avons, nous avions, des
relations très proches avec le patriarcat de Constantinople. Car c’est à
travers ce patriarcat que le christianisme est entré dans ce qui aujourd’hui
est l’Ukraine. Néanmoins son argumentation pour moi n’est pas très claire. Il
n’y a pas le moindre doute que les patriarcats au cours de l’histoire ont été
érigés, créés, et reconnus de façons très différentes. L’ancienne forme
classique était que le concile œcuménique, parmi l’un de ses sept grands et
originels conciles, reconnaisse l’existence de certains patriarcats. C’était au
cours du premier millénaire. Au cours du second millénaire, la situation est très
différente, et lorsqu’on arrive à aujourd’hui la situation est encore plus
différente.
Dans quel sens ?
Au cours du second
millénaire, plusieurs patriarcats ont été établis au sein de l’Eglise orthodoxe et au sein de l’Eglise
catholique. Dans l’Eglise orthodoxe, Moscou, et plus
récemment les patriarcats serbe, roumain, bulgare, etc…
Ils n’ont pas été établis par un concile œcuménique…
mais par une Eglise mère…
Par une Eglise mère ayant
reconnu leur existence, mais pas par un concile œcuménique, parce qu’il n’y a
pas eu de concile œcuménique dans l’Eglise orthodoxe
au second millénaire. Il y avait le désir d’en réunir un, mais cela n’a pas été
matérialisé.
Dans l’Eglise catholique, il faut prendre en considération la
position de l’évêque de Rome. Le second concile de Vatican a reconnu
l’existence de patriarcats à l’intérieur de l’Eglise
catholique, particulièrement au sein de la tradition orientale, de la tradition
byzantine. Mais pas exclusivement, car il y a par exemple l’Eglise
Malabare qui n’est pas byzantine. L’Eglise doit être établie. Qui peut établir l’Eglise ? Classiquement, le concile œcuménique. Mais devons
nous attendre qu’un concile œcuménique se réunisse avant qu’un patriarcat soit
reconnu ou érigé ? Idéalement parlant, peut-être. Mais la vie va de l’avant et
nous ne savons pas quand aura lieu le prochain concile œcuménique. Le concile
œcuménique (de Vatican II) a dit : Que les patriarcats soient établis. S’il y a
un concile œcuménique il sera compétent pour le faire. Mais s’il n’y en a pas,
et qu’il y a un besoin pour établir un patriarcat, que le Pape le fasse avec le
mandat du concile œcuménique. Car c’est lui qui est responsable dans l’Eglise catholique pour faire ce genre de choses. Ce n’est
pas quelque chose qu’il s’est réservé comme s’il était un législateur absolu.
(…) Le Pape lui-même dans sa très récente instruction apostolique pour les
évêques a déclaré encore : les patriarcats doivent être établis. Parce qu’il
est très intéressé de faire ce que le concile œcuménique a désiré et établi.
Donc ce n’est pas, comme certains peuvent le penser, un simple caprice humain.
Non, il œuvre dans le cadre de la vie des Eglises, au sein duquel il joue
lui-même un rôle très important.
Et il y a encore un élément à ajouter. J’ai l’impression qu’on en fait trop
autour de cette question du patriarcat. Comme si c’était quelque chose
d’exceptionnel. Pour moi, le patriarcat est la forme normale d’existence dans
la tradition byzantine et orientale. Il s’agit simplement d’un développement de
la structure de l’Eglise. Et je ne pense pas que cela
doive être surévalué. Nous ne le désirons pas comme une forme de prestige ou
une récompense pour nos souffrances et nos martyrs. Nous le considérons
premièrement comme un instrument pastoral et deuxièmement comme un instrument
oecuménique.
Le patriarche Alexis II a
déclaré le 20 janvier dernier à l’AFP qu’en Ukraine des ‘centaines de milliers
de croyants orthodoxes se retrouvent dans une situation de minorité
persécutée’, qu’il y a une ‘expansion de l’Eglise gréco-catholique dans le Sud et l’Est
de l’Ukraine’, que la majorité des Ukrainiens n’acceptera pas l’érection d’un
patriarcat gréco-catholique, etc.
Quelle est votre réaction ? Et plus profondément, il est assez tragique que
l’an dernier, dans l’une de ses déclarations publiques, le patriarche Alexis
n’ait pas reconnu le fait qu’en 1946 l’Etat
soviétique a éliminé l’Eglise gréco-catholique
avec le soutien de l’Eglise orthodoxe russe. Je
suppose qu’il est difficile pour vous de parler avec quelqu’un qui, treize ans
après la fin de l’URSS, ne reconnaît toujours pas la tragédie qu’a vécue votre
Eglise. Comment est-ce possible d’avoir un dialogue avec Moscou dans ces
conditions ?
La situation est très
complexe. Il y a deux compréhensions de l'orthodoxie. D'un point de vue
historique, nous aussi nous nous comprenons comme orthodoxes au sens où nous
appartenons à cette tradition byzantine. Nous ne le sommes pas en revanche au
sens confessionnel puisque nous sommes en communion avec le pape de Rome. Aux XVIIIe-XIXe siècles, et cela a été maintenu au XXe siècle malheureusement, l'orthodoxie confessionnelle a
affirmé que vous ne pouvez pas être un vrai Russe ou un vrai Ukrainien si vous
n’êtes pas un orthodoxe. Et inversement : un vrai orthodoxe est un Russe, ou un
Ukrainien, ou un Grec, etc. Cela signifie une
identification intégrale, je dirais même ontologique, de l’appartenance
nationale et de la foi. Notre existence est un déni de cela. Nous sommes des
Ukrainiens, nous sommes des chrétiens, nous sommes de tradition orientale, et
nous sommes aussi en communion avec le siège apostolique de Rome. Cela signifie
qu’être dans cette communion ne fait pas de !
nous des êtres moins ukrainiens, moins chrétiens,
moins orthodoxes dans le sens d’appartenance à la tradition byzantine. Ceci a
toujours été impensable pour le patriarcat de Moscou et pour beaucoup d’autres
Eglises orthodoxes. Et je pense que cela devient excessif. Cela doit être
dépassé.
Deuxièmement, revenons à
1946. Le gouvernement soviétique, sous l’ordre direct de Staline, élimine notre
Eglise. Je ne souhaite pas faire une condamnation générale car pour nous qui
n’avons pas vécu dans le système soviétique de l’époque cela n’est pas facile
de comprendre.
Vous êtes né en 1933 ?
Oui mais j’ai quitté
l’URSS en 1944. Je n’ai pas vécu les années les plus noires. Cependant le fait
est que l’Eglise orthodoxe russe a été utilisée comme
un instrument dans cette liquidation et malheureusement a collaboré jusqu’à un
certain point. Je ne juge pas, car l’époque était très difficile. Les faits
sont néanmoins ce qu’ils sont. Le gouvernement soviétique a donné au patriarcat
de Moscou un très grand nombre d’églises. C’était la seule Eglise qui était
autorisée à exister. Les gens qui voulaient prier à l’église devaient aller à
l’Eglise orthodoxe russe. Et beaucoup l’ont fait. En
1989, le gouvernement soviétique permet à l’Eglise gréco-catholique de se faire enregistrer à nouveau. Et
entre 1990 et 1991 beaucoup de ces communautés qui étaient passées à l’Eglise russe ont déclaré qu’elles n’en avaient plus besoin.
Redevenons ce que nous étions auparavant, des grecs-catholiques.
Et plus de mille communautés se sont enregistrées comme gréco-catholiques.
Il y a eu alors des difficultés avec les bâtiments des églises. Et cette
question n’est pas entièrement résolue jusqu’à nos jours.
Combien d’églises sont
encore discutées ?
Je dirais qu’en Ukraine
occidentale il y a environ 300 points où on se dispute les bâtiments.
Avec le patriarcat de
Moscou ?
Surtout avec le
patriarcat de Kiev et l’Eglise autocéphale. Il n’y en
a pas avec Moscou dans la province de Lviv par
exemple. Je dirais que sur ces 300 lieux d’achoppement, il y a 25 conflits
particulièrement vigoureux.
Peut-on parler de guerre
religieuse à leur sujet ?
Pas du tout. Je crois qu’il
est vraiment injuste de parler de ‘persécutions’. Néanmoins je peux comprendre
l’Eglise orthodoxe russe. Ils étaient ici pendant 45
ans. Et quand l’opportunité est apparue, les gens les ont quittés. Cela
signifie un véritable échec pastoral. Ces gens ne sont pas restés orthodoxes.
C’est une blessure pour l’Eglise russe orthodoxe qu’il
est difficile de soigner.
Mais y a-t-il un espoir
de redécouverte mutuelle ?
Voyez-vous, de notre
côté, de la part de mon prédécesseur, le cardinal Lubatchivsky,
nous avons proposé à l’Eglise orthodoxe russe de nous
pardonner mutuellement. Notre peuple, même s’il a beaucoup souffert, même si
certains n’apprécient pas le terme d’orthodoxe, n’a pas de véritable antipathie
contre les orthodoxes russes. Moi-même, il y a un certain temps, j’ai célébré
un jour dans une localité où se déroulait le même dimanche la consécration
d’une nouvelle église orthodoxe par Mgr Vladimir Sabodan
(chef de l’Eglise orthodoxe ukrainienne). Il n’y
avait absolument aucune opposition de la part des grecs-catholiques.
Les gens disaient : ‘Ils l’ont construite, qu’ils en prennent soin !’ Les
conflits ont lieu là où il y a une église qui nous a appartenu et qui nous a
été ensuite retirée, quand le gouvernement a donné telle église à des
orthodoxes du patriarcat de Moscou ou du patriarcat de Kiev qui l’ont
conservée.
Aujourd’hui adressez-vous
les mêmes paroles de pardon mutuel du cardinal Lubatchivsky
au patriarche Alexis et à l’Eglise russe ?
Oui absolument, même
s’ils ne l’ont pas souhaité jusqu’à présent, nous sommes toujours prêts à cet
acte de pardon mutuel.
Je peux comprendre que
les fidèles de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, le
métropolite Vladimir Sabodan, puissent supposer que,
dès lors que vous vous trouvez désormais à Kiev, vous puissiez revendiquer
certains hauts lieux de la tradition orthodoxe, comme la laure des Grottes de
Kiev, la laure de Potchaiev, ou d’autres églises. Il
y a quelque chose d’effrayant dans cela. De plus, votre popularité est grande
et vous avez fait le choix d’utiliser l’ukrainien comme langue liturgique.
Quelles garanties pouvez-vous donner à l’Eglise
orthodoxe d’Ukraine ? Quels sont vos critères pour dire que telle église ne
vous appartient pas ?
Il y a certaines églises,
certains sanctuaires, qui sont des biens nationaux, qui appartiennent à
l’Ukraine. Notre position est la suivante. Quelqu’un doit prendre soin de
ceux-ci. L’Eglise gréco-catholique
ne revendique absolument pas la laure des grottes de Kiev ou celle de Potchaiev. Que le patriarcat de Moscou prenne soin de ces
lieux. Mais ce n’est pas leur propriété. Ils sont les gardiens de sanctuaires
nationaux.
Parlons du dialogue
international autour de l’Eglise gréco-catholique.
A Balamand (1993), la commission mixte catholique-orthodoxe, - à laquelle l’Eglise
gréco-catholique d’Ukraine n’a pas été conviée -, on
a d’un côté condamné l’uniatisme compris comme une forme de prosélytisme, et
d’un autre côté on a reconnu l’existence de l’Eglise gréco-catholique comme Eglise. Quelle est votre position
par rapport à cette résolution et comment aujourd’hui voyez-vous l’avenir
puisque la discussion internationale a été interrompue à Baltimore en 2000 ?
Si on comprend
l’uniatisme de cette manière classique, comme un moyen de ré-établir
l’unité, nous ne sommes pas non plus en sa faveur. Nous avons été joués par
cette conception. Ce n’était pas l’intention de nos évêques à la fin du XVIe siècle. Mais c’était la situation politique à
l’intérieur du royaume polonais de cette époque. Et c’était aussi la
compréhension théologique de l’Eglise latine après le
concile de Trente. Mais ceci est le passé. Et nous n’aimerions pas que
l’uniatisme soit un chemin de ré-établissement de
l’unité. Néanmoins nous sommes un fait et notre existence ne peut pas être
déniée. Personne ne peut nous dire : disparais ! Le patriarche Bartholomée, dans sa lettre au Pape, lui écrit qu’il doit
tout faire pour diminuer l’Eglise gréco-catholique.
Quel droit a-t-il pour dire cela ? Nous sommes ici. Nous avons fait ce choix.
Si j’avais vécu il y a 400 ans, je n’aurais certainement pas fait le choix qui
a été fait à l’époque. Le métropolite Szeptitzki mon
prédécesseur a dit de façon très explicite en 1942, dans une lettre à des
orthodoxes : ‘Ceci n’est pas une voie vers laquelle nous aimerions aller
aujourd’hui’. Il a donc condamné un chemin que nous ne voulons pas suivre
aujourd’hui. Mais nous sommes les enfants du passé. Nous n’en sommes pas
responsables, pourtant nous sommes ce que nous sommes. On ne peut pas nous dire
: ‘deviens latin !’ ou ‘retourne dans la confession orthodoxe !’ Nous
souhaitons être orthodoxes, être dans cette tradition. Nous ne lui avons pas
toujours été parfaitement fidèles. Je pense que nous avons perdu quelque chose
de cette tradition que nous devons regagner. Mais nous souhaitons également
rester en communion avec le pape de Rome, le successeur de saint Pierre, le
symbole de l’unité. Nous espérons, nous souhaitons, que toutes les Eglises
entrent dans cette communion. Et nous considérons, bien que cela ne soit pas de
notre propre mérite, que nous pourrions être un bon exemple de ce que signifie
être catholique : être en communion avec le successeur de Pierre et ne perdre
en aucun cas ni sa religiosité ni son identité nationale.
Mais les orthodoxes
disent que vous avez été fortement latinisés aux XVIII-XIXe
siècle ! Quelles sont les garanties, au XXIe siècle,
que vous n’allez pas perdre votre liberté ?
C’est vrai que nous avons
été latinisés. Le grand mérite du métropolite Szeptitzki
au début du XXe siècle a été d’essayer de renverser ce
processus. Personnellement je me considère comme un continuateur du métropolite
Szeptitski. Avec beaucoup d’autres, je voudrais que
nous nous débarrassions de ce qui est entré de façon illégale dans notre
héritage spirituel, théologique, liturgique, canonique. On nous disait : ‘si
vous voulez devenir de vrais catholiques, vous devez devenir latins’. Et nous
avons été poussés dans cette direction. C’est seulement le métropolite Szeptitzki qui a pu dire : ‘Chers frères romains, on peut
être catholique sans forcément être latins.’ Nous avons été attaqués sur deux
fronts, catholique-latin et orthodoxe-byzantin.
Et nous avons dit : ‘Non, chers frères, on peut être Ukrainien, byzantin et
catholique, ces éléments ne se contredisent pas mutuellement’. C’est cela qui a
provoqué du ressentiment du côté latin comme du côté orthodoxe.
Quelles sont les
conditions selon vous pour accéder à une communion eucharistique entre des
fidèles appartenant à l’Eglise orthodoxe et à l’Eglise catholique ? Est-il nécessaire d’avoir au préalable
la même théologie du mariage, du filioque, du purgatoire, etc.
?
Non. Notre attitude est
pratique. Avec les orthodoxes, nous considérons que nous n’avons pas de
différences dans la foi. Des questions comme le purgatoire, l’immaculée conception,
ou le filioque sont des questions qui relèvent de la théologie et non de la
foi. Il y a des interprétations différentes de la foi bien sûr, mais elles sont
complémentaires. En tout cas, elles ne représentent pas une foi différente.
Elles représentent une compréhension différente du don de la foi. Sur l’inter-communion notre position est la suivante. Si un
catholique se trouve dans un lieu où il n’y a pas d’église catholique, il peut
librement aller dans une église orthodoxe et y recevoir les sacrements.
Inversement, si un orthodoxe ne peut trouver de prêtre orthodoxe, nous ne lui
refusons pas les sacrements, notamment la sainte confession et la sainte
communion. Le seul problème dans cette attitude, c’est le scandale qu’une telle
attitude peut provoquer. Il ne faut pas donner l’impression que nous ne
reconnaissons pas l’altérité. Tu es ce que tu es. Mais les circonstances sont
telles que tu as un besoin, que tu peux m’aider, ou être aidé.