Par Me Jean
PAILLOT
Vice-président du Centre Français pour
Avocat au barreau de Strasbourg.
Transcription
de la conclusion d’une conférence donnée au colloque de bioéthique de Paray-le-Monial
le 13 novembre 2004 publié sur le sitedu Centre Français pour
J’ai
déjà eu l’occasion, dans cette enceinte, de préciser qu’à mon sens, seule
pourrait être légitime, comme étant conforme au droit actuel, mais encore à la
nature humaine, et donc à la justice :
·
une législation
qui définirait juridiquement l’euthanasie comme l’action ou l’omission dont
l’intention première vise la mort d’un malade pour supprimer sa douleur, et
donc
·
une législation
qui interdirait strictement le recours à l’euthanasie, mais également
·
une législation
qui préciserait que l’abstention thérapeutique n’est pas une euthanasie, dans
le cas où le traitement en cours ou envisagé est disproportionné, eu
égard à l’état du patient et aux souffrances qui risquent de lui être
infligées.
C’est,
à peu de choses près, l’angle qu’envisage cette proposition de loi, et je ne
peux donc qu’y souscrire. Mais je n’y souscris pas totalement.
3.3.1.1. Eléments
fondés :
Le premier point
important dans cette proposition de loi est la démarche entreprise :
réunir un ensemble de parlementaires, de tous horizons, entendre, pendant près
de 8 mois, des intervenants de tous bords (politiciens, religieux,
franc-maçons, philosophes, représentants d’associations et professionnels de la
santé et du droit).
Cette
démarche a abouti à une tentative de définition stricte de ce qu’est
l’euthanasie, et de ce qu’elle n’est pas.
Ensuite, il a été
constaté la nécessité d’éclairer les esprits sur le sujet : dire ce qu’est
une euthanasie, et ce qu’est une abstention thérapeutique, tout en se plaçant
délibérément du côté du patient ou de la personne en fin de vie. Ainsi cette
proposition de loi a surtout un rôle pédagogique : elle ne modifie
pas radicalement le droit en la matière : elle ne le modifie d’ailleurs
assez peu : il s’agit surtout de préciser le droit, en levant les zones
d’ombre qui peuvent exister.
La
proposition de loi consiste ainsi à renforcer les droits du malade,
d’une part et à accorder des droits spécifiques aux malades en fin de vie d’autre
part.
L’essentiel
des textes dont il est proposé la modification sont ainsi divers articles du
Code de
Le
renforcement des droits du malade (pas nécessairement en fin de vie) consiste
à :
·
refuser
l’obstination déraisonnable, définie comme le moment où « il n’existe
plus aucun espoir d’obtenir une amélioration de l’état de la personne et qu’ils
entraînent une prolongation artificielle de la vie »,
·
définir les
procédures d’arrêt de traitement,
·
rappeler la
nécessité de prendre en compte un refus de traitement par le malade conscient,
dès lors que si le refus de traitement met en jeu la vie du patient, son refus
devra être réitéré si le malade est conscient,
·
si le malade est
inconscient, la décision d’arrêt de traitements disproportionnés sera
collégiale,
·
la démarche
palliative devant par ailleurs se traduire par l’attribution de lits
spécifiques et la création de référents en soins palliatifs.
La
reconnaissance de droits spécifiques aux malades en fin de vie consiste
à :
·
refuser là encore
l’obstination déraisonnable, par la limitation ou l’arrêt de tout traitement.
La différence est que le malade n’aurait pas à réitérer ici sa décision. Le
médecin serait tenu de respecter sa volonté, mais devrait alors continuer à
dispenser les soins palliatifs,
·
la personne de
confiance (notion créée par la loi de 2002) aurait voix prépondérante si le
malade est inconscient,
·
enfin, les
directives anticipées pourraient être prises en compte à titre indicatif, si
elles ont été signées dans un délai de moins de trois ans.
3.3.2.2. Trois points me
semblent n’avoir pas été suffisamment réfléchis :
3.3.2.2.1.
L’oubli total de la jurisprudence du Conseil d’Etat :
La
proposition de loi Leonetti reprend à son compte la rédaction de l’article L.
1111-4 CSP et ne fait aucun cas de la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui considère
pourtant comme légitime de ne pas prendre en considération le consentement du
patient dans le cas où il s’agirait d’« un acte indispensable à sa
survie et proportionné à son état ».
Il
y aurait lieu, pour le législateur, de tenir compte de cette jurisprudence qui
apparaît comme à la fois respectueuse des droits du patient et des devoirs du
médecin.
3.3.2.2.2.
L’absence de définition du traitement, qui peut être arrêté en
cas d’obstination déraisonnable :
On
peut regretter que la notion de traitement ne soit pas définie. Or l’exposé des
motifs laisse entendre que l’alimentation artificielle pourrait être considérée
comme un traitement, le texte évoquant à cet égard que les autorités
religieuses admettraient une telle position. Il appartient aux autorités
religieuses de répondre ici, mais je doute que les autorités catholiques
admettent cette position. En tout état de cause, ceci ne me paraît pas
exact : l’alimentation artificielle me paraît devoir relever d’un soin
normal, de la même façon que l’hydratation artificielle.
Considérer
que l’hydratation artificielle et l’alimentation artificielle sont des
traitements impliquerait qu’ils peuvent être arrêtés dès lors qu’« il
n’existe plus aucun espoir d’obtenir une amélioration de l’état de la personne
et qu’ils entraînent une prolongation artificielle de la vie ».
Or,
tel que le projet de loi est rédigé, ce cas serait ouvert à tout malade, et pas
seulement aux malades en fin de vie. Ce serait donc admettre qu’une personne
tétraplégique qui ne pourrait déglutir pourrait demander à ce que son
alimentation artificielle soit arrêtée. Ce serait, au sens strict du terme, un
cas d’euthanasie par omission.
Pour
remédier à ces deux premiers points, il suffirait simplement de
modifier l’article 1er de la proposition de loi Leonetti, et le
rédiger ainsi :
« Ils ne doivent pas être poursuivis par une
obstination déraisonnable. L'interruption
de ces actes est possible en cas de disproportion entre les moyens et le
but recherché.
L'arrêt des soins minimaux (hydratation, alimentation, hygiène
corporelle...) n’est jamais possible sauf si ces soins constituent par
eux-mêmes un danger pour le patient ».
3.3.2.2.3.
Le problème du consentement :
« Aucun
acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement
libre et éclairé de la personne, et ce consentement peut être retiré à tout
moment ». Ceci résulte de
l’article 1111-4 CSP.
Si
le consentement peut être retiré à tout moment, encore faut-il que ce retrait
soit également libre et éclairé. Il aurait été prudent de le préciser dans ce
code. En effet, le médecin n’est fort probablement pas conscient qu’il y aurait
ici lieu de se reporter au Code civil et à sa jurisprudence, et une insertion,
dans le Code de
A
titre d’exemple, la législation de l’Oregon (par le Death with Dignity Act de
1994) précise qu’un malade souffrant de dépression doit être soigné pour ladite
dépression et sa demande d’euthanasie systématiquement écartée, celle-ci ne
pouvant être considérée comme éclairée. Il nous semble nécessaire qu’en cas de
volonté affichée d’arrêts de traitements, il en aille de même.