Flash-Info au 1 mars 2009.

 

Peut-être un des plus beaux textes de Jean Madiran

 

Eglise du silence :pourquoi ?

 

Quand nous disons que la seule Eglise est celle des évêques en communion avec le Pape et sous son autorité (cum Petro et sub Petro), nous récusons tout schisme et tout syncrétisme, quelles que soient les défaillances de la hiérarchie ecclésiastique. Quand nous disons que « l’Eglise est malade », nous désignons en son sein la prolifération cancéreuse d’un néo-modernisme dominateur, mais ce n’est pas « l’Eglise » (et son mystère : une, sainte, catholique, apostolique) qui est malade. Ce sont, à divers

degrés, les individualités du clergé et de sa hiérarchie.

 

 

 

 

La tentation du silence est celle à laquelle une Eglise « séparée » de l’Etat risque de céder dans une mesure plus ou moins grande, parce qu’elle a le sentiment que si elle ne se censure pas sur certains points contestés, elle finira par se trouver directement persécutée.

 

 

 Ce n’est pas l’Eglise, c’est l’Etat qui a voulu la « séparation ». Il l’a voulue et il a pu l’imposer parce que la société, ses mœurs, ses institutions, se sont « sécularisées », c’est-à-dire sont devenues sans Dieu, par indifférence voire par hostilité. Et l’Eglise y a consenti parce qu’elle a eu le sentiment qu’elle n’y pouvait rien ; ou même parce qu’une trop grande partie du clergé et de sa hiérarchie a cru que dans ce qui les a opposés l’une à l’autre, c’est l’Etat qui avait raison et l’Eglise qui avait tort. La religion devrait donc se modifier selon l’exemple de l’évolution démocratique et du progrès profane.

 

Cela seul qui évite à l’Eglise d’être soit persécutée, soit réduite au silence, c’est l’existence d’un Etat, autonome dans son domaine, mais assez chrétien pour se concerter avec l’Eglise en vue du bien commun naturel et surnaturel de la société, en reconnaissant une primauté ecclésiastique en matière de religion et de morale. Mais un « Etat chrétien » est une notion abstraite et qui paraît bien vague. L’histoire de l’humanité depuis la venue du Christ, et spécialement l’histoire de France, répond à cette objection : un Etat chrétien, concrètement, cela veut dire un Prince chrétien.

 

 

Annoncer dans une société sans Dieu la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ, ce n’est pas forcément préparer un coup d’Etat ni fomenter une révolte. C’est annoncer l’Evangile. Requête concrètement chimérique, politiquement irréalisable ? Peut-être pour longtemps. Mais ce n’est pas une raison pour la taire, et pour en détourner l’enseignement catholique. Ce n’est pas une raison pour cesser d’en faire une intention de prière. Ce n’est pas une raison pour laisser le peuple chrétien s’accoutumer à penser que l’essentiel et l’urgent sont ailleurs, et que la Vérité révélée est pour le moment inopportune. Et Jésus facultatif.

 

 

Etant supposé qu’on ne peut rien faire politiquement contre le règne légal des avortements en masse, il restait possible de convier les fidèles à des cérémonies de réparation. Les évêques français ont laissé ce soin à l’initiative privée du docteur Dor ; ou plutôt la plupart d’entre eux l’ont discrédité, condamné, méprisé, et sont demeurés installés dans leur silence

sur l’avortement, à l’abri d’avoir tout de même murmuré jadis quelques chuchotements désapprobateurs d’un tel génocide. Il en va de même pour les défilés triomphalistes et la promotion juridique du prosélytisme homosexuel : il s’étale et il s’impose sans provoquer aucune cérémonie de pénitence et de réparation, ni aucune mise au point d’une égale insistance.

 

 

En l’absence d’un prince chrétien, en présence d’un Etat « séparé », l’Eglise ne peut éviter la persécution (une persécution sournoise, discrète ou fracassante) que par un silence coupable. Le fameux concile Vatican II a consenti, dans son discours sur le monde de ce temps, à un total silence sur le communisme : il y avait trop de risque médiatique à en parler. Cet exemple déclaré aujourd’hui « non négociable » a été largement suivi et développé en tous domaines où la démocratie moderne a décrété ses dogmes intouchables. Depuis quarante ans, les seules mises en garde solennelles véritablement insistantes de l’épiscopat français ont été contre les « intégristes » et contre l’« extrême droite », car il se sentait là en profonde complicité avec l’Etat « séparé ». Le silence peut être apostasie. « Apostasie immanente », disait Maritain au lendemain de Vatican II. « Apostasie silencieuse », a dit le Pape.

 

JEAN MADIRAN