L’intimidation judiciaire
devient une pratique courante
pour les associations
chargées d’une « cause » à défendre
Le
Monde du samedi 3 décembre 2005
Renaud Camus, Michel Houellebecq, Oriana Fallaci, Edgar Morin, Olivier Pétré-Grenouilleau,
Max Gallo, Elisabeth Lévy, Paul Nahon, Alain Finkielkraut… la liste devient longue et inquiétante des
journalistes, écrivains, universitaires et intellectuels poursuivis ou menacés
de poursuites pénales par des association vindicatives et sectaires pratiquant
l’intimidation judiciaire soit pour faire taire toute opposition à leur cause,
soit tout simplement pour interdire à l’avance le moindre débat sur
leur conception particulière de l’amitié entre les peuples.
Ces lobbies, que l’écrivain Philippe Muray qualifie à juste titre de « groupes d’oppression », défendent le plus souvent un communautarisme narcissique dégénérant
en paranoïa identitaire et victimaire et
prétendent détecter des atteintes à leur dignité à tous les coins de rue. Le terrorisme de ces croisés de Phygiénisme
mental consiste désormais à qualifier
de « phobie » (homophobie, lesbophobie, handi-phobie, islamophobie, judéophobie,
méla-nophobie, etc.) toute expression d’une opinion contraire à leurs prétentions ou revendications.
Une phobie étant l’expression d’un trouble
mental, on comprend bien qu’il s’agit
de traiter le dissident en malade dont
l’accompagnement psychiatrique devrait
sans doute être recommandé en parallèle
à la répression pénale.
Cette situation ridicule est indigne d’une démocratie
libérale et donne de
La responsabilité première de cette dérive incombe aux gouvernements successifs, de gauche comme de droite, qui, par lâcheté, complaisance, clientélisme et aliénation
aux oukases médiatiques, ont multiplié
à l’infini ce qu’il faut bien appeler les délits d’opinion. Le législateur français semble ainsi avoir oublié que « la libre
communication des pensées et
des opinions est un des droits les
plus précieux de l’homme » (article
11 de
Politiquement correct
Cette tendance lourde du législateur français, ajoutée à sa propension parallèle à décréter des vérités officielles (reconnaissance à portée rétroactive de génocides ou de
crimes contre l’humanité, prescriptions de contenus pédagogiques à caractère idéologique ou moralisateur,
logorrhée normative à vocation
compassionnelle, etc.), soulève de très sérieuses questions mettant en
cause nos principes constitutionnels.
Outre leur caractère liberticide plusieurs
fois dénoncé par
C’est aussi le principe d’égalité et d’universalité des droits
qui est remis en cause par la multiplication de groupes de personnes faisant l’objet
de protections juridiques spécifiques. Le Conseil constitutionnel a jugé en 1999,
au sujet de
D devient urgent que nos gouvernants et
représentants politiques, et notamment ceux qui prétendent se réclamer de la droite
« libérale » ou de la gauche « libertaire », se
ressaisissent et prennent conscience de la gravité des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils
ont contribué à introduire au pays de Voltaire et de Zola. Une remise à plat de
l’arsenal répressif accumulé depuis la loi Pleven de 1972 et un retour aux principes
initiaux et libéraux de la loi de 1881 sur la presse doit être envisagée. Il en va de la
crédibilité de
Qu’on ne nous rétorque surtout pas que cet arsenal serait
nécessaire pour enrayer la montée en puissance de partis extrémistes. L’expérience a
parfaitement montré la vanité et les effets pervers de ce type de législation. La
liberté d’expression étouffée dans le prétoire se venge plus tard dans l’isoloir.
Anne-Marie
Le Pourhiet est professeur de droit public à l’université Rennes-I et juriste.