Valeurs Actuelles n° 3654 paru le 8
Décembre 2006
Monde
Vatican-Turquie. Au-delà des raccourcis médiatiques…
Ce que Benoît XVI a vraiment
dit
par Laurent Dandrieu
On l’avait dit pape de transition, incapable d’attirer sur lui les feux
médiatiques comme naguère Jean-Paul II, et Benoît XVI n’a cessé de faire la une
de l’actualité. On avait cru à un doctrinaire rigide et austère, et on a
découvert un timide qui gagne facilement le cœur de ceux qu’il rencontre. On
avait décrit un théologien reclus au Vatican, gaffeur et incapable d’affronter
les subtilités du monde moderne, et aujourd’hui se révèle un diplomate habile,
capable de se tirer à son avantage des situations les plus périlleuses.
Le voyage de Benoît XVI en Turquie était par essence périlleux. Il l’avait
lui-même rendu plus délicat encore par quelques phrases extraites de sa
conférence de Ratisbonne, le 12 septembre dernier, sur les rapports de l’islam
à la violence. Les islamistes avaient menacé, les nationalistes, furieux d’une
déclaration de 2004 du cardinal Ratzinger contre l’adhésion de
L’accueil aura été beaucoup moins glacial que prévu. Les islamistes, qui
avaient espéré un million de personnes dans la rue pour protester contre la
venue du pape, n’ont réussi à en rassembler que 20 000, le 26 novembre. Le
séjour de Benoît XVI s’est déroulé sans incident, à peine troublé par des
manifestations qui n’ont jamais réuni plus de quelques dizaines de personnes.
Une partie de la population semble avoir été séduite par le ton modéré du pape,
bien loin du pourfendeur de l’islam qu’elle s’attendait à trouver, par son
attitude modeste et souriante, et par les quelques gestes qu’il a su faire pour
détendre l’atmosphère, comme ce drapeau turc brandi à Éphèse, cette simple
phrase, reprise à Jean XXIII, qui fut nonce à Ankara : « J’aime les Turcs », ou
encore ses excuses au peuple turc… pour les embarras de circulation causés par
sa visite. Benoît XVI
a emporté l’approbation de certains médias, comme le journal libéral Radikal, qui voit en lui « un ami de
Si Benoît XVI n’a évidemment pas déplacé les foules dans un pays à 99 %
musulman, les médias locaux notaient que la retransmission télévisée de son
voyage aura été suivie attentivement par des millions de Turcs.
Certes, les propos prêtés au pape sur l’adhésion de
La vérité est évidemment plus complexe. Si Benoît XVI ne pouvait pas contredire
son hôte dès le début d’un voyage empli de tensions, il n’a pas prononcé un mot
pour confirmer ses dires. Quant à son porte-parole au Vatican, le père Federico Lombardi, il a précisé :
« Le Saint-siège n’a ni le pouvoir ni la charge d’intervenir sur le point
précis de l’entrée de
Quels sont ces principes et ces valeurs ? Dans sa déclaration commune avec le
patriarche Bartholomée Ier, le pape cite au premier
rang de ceux-ci « la liberté religieuse, témoin et garante du respect de toute
autre liberté. Dans chaque initiative d’unification, les minorités doivent être
protégées, avec leurs traditions culturelles et leurs spécificités religieuses.
» Au cours de son voyage, Benoît XVI a eu l’occasion de constater que c’est
loin d’être le cas en Turquie, où les chrétiens se voient refuser, au nom d’une
laïcité à géométrie variable, toute existence juridique – le pape a obtenu du
gouvernement turc l’ouverture de négociations sur ce thème. Il y est revenu à
maintes reprises au cours de ce voyage. Manière aussi pour lui de marquer que
les conditions de l’adhésion de
À plusieurs reprises également, le pape a insisté sur les racines chrétiennes
de l’Europe, et rappelé la voie étroite entre laïcité et laïcisme. Benoît XVI,
qui a rendu visite au mausolée du fondateur de
Ce dialogue avec l’islam fut le second axe de ce voyage. La visite de Benoît
XVI à
Des journalistes pressés ont prétendu que le pape se serait tourné vers
C
Le pape n’a pas non plus manqué de rappeler que la liberté religieuse suppose
que les religions « renoncent absolument à cautionner le recours à la violence
comme expression légitime de la démarche religieuse ». Ceux qui ont présenté
cette visite comme un démenti de Ratisbonne en sont pour leurs frais.
Comme Jean-Paul II avant lui, Benoît XVI se soucie peu des inévitables raccourcis
journalistiques, de la déformation médiatique qui détourne le sens de ses
paroles et de ses gestes : il trace sa route – et que ceux qui ont des oreilles
entendent. Les infléchissements – sur
Car c’est à l’invitation du patriarche de Constantinople Bartholomée
Ier qu’avait répondu Benoît XVI. Les deux hommes se sont vus à plusieurs
reprises et ont signé une déclaration qui a rappelé l’urgence d’un
rapprochement des chrétiens face à « la montée de la sécularisation, du
relativisme, voire du nihilisme », malgré les divergences persistantes. Aucun
progrès décisif n’a été accompli. Mais la visite aura contribué au
réchauffement des relations entre catholiques et orthodoxes ; elle sera suivie
de la première visite officielle au Vatican du primat de l’église orthodoxe
grecque, S. B. Christodoulos, du 13 au 15 décembre.
Cette attention prêtée aux communautés chrétiennes turques peut paraître
dérisoire au regard de leur importance numérique : 100 000 chrétiens au total,
dont seulement 15 000 catholiques. Mais le nombre n’est rien en regard de
l’importance symbolique et spirituelle d’Églises qui témoignent de
l’universalité du christianisme et incarnent un lien physique avec ses
origines, en ces lieux mêmes où s’opéra la fusion « entre le message biblique
et la pensée grecque », qui constitua l’axe du discours de Ratisbonne.
À Éphèse, haut lieu de l’apostolat de saint Paul, c’est ce lien que Benoît XVI
a voulu célébrer en visitant la maison où vécut
Laurent Dandrieu