Flash-Info au 9 février 2008

 

Le drame du Kosovo

 

 

Benoît XVI a reçu le président du Kosovo Fatmir Sejdiu

 

 

Le 3 février 2008,  le Pape Benoît XVI recevait, le président du Kosovo Fatmir Sejdiu. Suite à cette rencontre le Vatican a diffusé un communiqué de presse indiquant "la position du Saint-Siège sur le statut juridique définitif du Kosovo''.

Cette entrevue a permis au pape Benoît XVI de recevoir des informations directes sur la situation actuelle et sur les perspectives futures.

C'est dans cette perspective que nous publions la chronique internationale de François Dreyfus : le drame du Kosovo.

Le pape Benoît XVI a souhaité dans son
Discours au Corps Diplomatique, du 7 janvier 2008, qu'on garantisse la sécurité et le respect des droits de ceux qui habitent sur cette terre, pour que soit dissipé définitivement le spectre d'un conflit violent et que la stabilité européenne soit renforcée.

Le drame du Kosovo

En ce 90e anniversaire des 14 articles du président Wilson de 1918, on peut voir aujourd’hui une dramatique conséquence de ces propositions utopiques. En effet, l’idéologie du président Wilson, en invitant au dépècement de l’Empire des Habsbourg, en proclamant comme vérité politique fondamentale le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en imposant au monde entier des régimes démocratiques comme une fin en soi, est à l’origine de nombre de catastrophes humaines et politiques du xxe siècle – on l’oublie un peu trop souvent.

Cette fois-ci, c’est dans les Balkans que se prépare un drame humain et politique, la vraisemblable proclamation de l’indépendance du Kosovo qui se produira sans doute dans les jours à venir avec la bénédiction des États-Unis et de l’Union européenne, au mépris du droit international : en effet les Nations Unies ont souhaité que l’on arrache le Kosovo à la Serbie au prétexte que la majorité de la population est albanophone.

Le Kosovo est le berceau culturel et spirituel de la Serbie. En juin 1914, on comptait au Kosovo 300 000 habitants dont moins de 130 000 étaient musulmans et albanophones. De 1914 à 1938, la population serbe, profitant de son niveau général supérieur à celui des Albanais, refusant la misère du Kosovo ruiné par quatre siècles d’oppression ottomane, puis par la Grande Guerre, a fortement émigré vers la région de Belgrade, mais aussi vers les États-Unis et le Canada (environ 35 000). Ayant une démographie plus dynamique, les albanophones représentent un peu plus de la moitié de la population (58 %). Le coup de grâce au Kosovo serbophone est donné par le maréchal Tito. Croate, se méfiant des Serbes, il fit du Kosovo une province autonome de la République serbe, un des États fédérés constituant la Yougoslavie : de 1948 à 1981, la population albanophone croît de 15 %, les serbophones s’accroissent de 5 % seulement. En 1990, il ne reste que 27 % de Serbes. La politique de Milosevic pousse en 1999 les albanophones à fuir vers l’Albanie : au nom des grands principes, les puissances, au lieu d’aider les Kosovars albanophones à s’installer en Albanie, qu’ils auraient contribué à moderniser et développer, obligent manu militari (on se souvient des bombardements de Belgrade) les Serbes à laisser les albanophones revenir au Kosovo. Les albanophones, triomphants, réclament leur indépendance du Kosovo, entraînant l’exode des 2/3 de la population serbophone. Il reste environ 10 % de serbophones au Kosovo aujourd’hui. Depuis les dernières élections, le gouvernement albanophone du Kosovo veut proclamer l’indépendance, avec l’accord complice de Washington. L’Union européenne se résignera à l’accepter ! Mais quelle sera la réaction de Moscou, allié depuis toujours de Belgrade qui refuse le démantèlement de l’État serbe ?

Les ressorts de la politique US

Pourquoi Washington joue-t-elle de cette manière ? Il y a, à cela, plusieurs raisons : tenant à l’amitié avec la RFA protectrice des Croates et des Slovènes, elle n’a pas d’objection à ce démantèlement de la Serbie. Les États-Unis, pas plus d’ailleurs que la France, n’ont compris que chez les Slaves du Sud, les appartenances ethniques et religieuses sont bien plus importantes qu’une relation avec un État. Rappelons-nous les conflits entre Serbes et Croates dans la Yougoslavie d’avant-guerre, les oppositions ethnoculturelles dans l’État de Tito.

Au surplus, les États-Unis s’intéressent au Kosovo, car un Kosovo indépendant dépendra financièrement d’eux et cela leur permettra de contrôler de très près le débouché du gazoduc Caspienne-Grozny-Novosibirsk-Bulgarie-Monténégro. Les Russes de surcroît envisagent de reconstituer leur flotte en Méditerranée en la basant dans le fjord de Kotor au Monténégro.

D’autres solutions ?

Ainsi Washington, une fois de plus, joue avec le feu. Le monde orthodoxe, profondément attaché au symbole que représente le Kosovo dans le conflit millénaire entre chrétiens et musulmans, est hostile à cette volonté américaine. Outre les Serbes et les Russes, leurs éternels alliés, Bulgares et Macédoniens, sont fondamentalement hostiles à la mainmise musulmane sur ces trésors chrétiens du Kosovo. C’est là que se trouvent les importants monastères et églises de Gracanika, de Lieviska et de Pec, qui soulignent le poids de la chrétienté orthodoxe dans les conflits avec les Ottomans dans les Balkans depuis l’ère byzantine. Pour nombre d’orthodoxes, abandonner le Kosovo aux albanophones musulmans est un crime d’autant plus grand qu’églises et monastères, aujourd’hui toujours, ne sont pas des monuments, mais des lieux vivants, vibrant de foi, héritiers d’une longue histoire.

Y avait-il d’autres solutions pour le Kosovo, en dehors de l’indépendance ? On pouvait envisager un partage de la province en regroupant la population serbophone dans le Nord-Est de la région à proximité de la Serbie traditionnelle et donner le Kosovo albanophone à l’Albanie : cela paraît dangereux à plusieurs titres, plus précisément car cela confortait le rêve d’une Grande Albanie annexant le tiers occidental de la Macédoine et la province grecque d’Epire, grande Albanie envisagée par les Italiens en 1915 et plus tard au temps de Mussolini.

Naturellement la vraie solution était de laisser le Kosovo à la Serbie, mais de faire du Kosovo albanophone une région jouissant d’une grande autonomie garantie par l’Union européenne. Cette solution complétée par le rattachement de la Bosnie serbophone à Belgrade, la Bosnie musulmane et catholique étant rattachée à la Croatie. Cela éviterait l’existence de micro-États qui pourraient constituer de vrais précédents dans l’Union : l’Ecosse, la Flandre, le Pays Basque, la Corse et bien d’autres.

Une fois encore, pour tancer Moscou et interdire l’extension de Gazprom, les États-Unis ouvrent des vannes dangereuses. Le drame est que les États membres de l’Union européenne se tiennent cois, n’osant pas faire de peine même légère à Washington.

François-Georges Dreyfus