Une nouvelle analyse
du Motu Proprio de Benoît XVI : Summorum Pontificum
Sous la signature de Denis
CROUAN docteur en théologie, Pdt
de Pro Liturgia, on lit, sur son
site, l’analyse suivante du Motu Proprio de Benoît XVI Summorum
Pontificum :
« Dans les jours
qui ont précédés et suivis la publication du Motu Proprio
Summorum pontificum, des sondages ont
révélé que seulement 1% des fidèles catholiques étaient intéressés par le
retour de la forme "extraordinaire" du rite romain. Mais dans le même
temps, on a entendu des évêques se déclarer inquiets de ce que la
libéralisation de l'ancienne liturgie romaine pourrait devenir un facteur de
divisions au sein des communautés de fidèles.
Ainsi, 1% des fidèles allaient devenir des "diviseurs"... dans une
Eglise déjà passablement fractionnée en chapelle qui souvent s'ignorent les
unes les autres.
Curieusement, on n'avait jamais vu nos évêques tirer le signal d'alarme quand
les prêtres se sont mis à accommoder la liturgie à leurs façons, ce qui fut
pourtant la première cause de divisions dans l'Eglise. Tout aussi curieusement,
on ne les avait jamais entendus parler de "divisions" lorsque des
groupes charismatiques ont inventé leurs propres liturgies...
En réalité, ce qui a ennuyé - ou agacé - les évêques, c'est le fait que le Motu
proprio de Benoît XVI allait permettre aux fidèles de redécouvrir tout ce que
les promoteurs de la pastorale post-conciliaire s'étaient évertués à faire
disparaître de la liturgie actuelle, et ce malgré les directives
magistérielles: le sens du sacré, le goût pour le mystère, le latin et le chant
grégorien, la célébration face à l'Orient, les servants de messe, l'agenouillement,
les marques de respect, la communion reçue sur la langue, l'adoration
silencieuse... etc.
Et pour bien comprendre cet "agacement épiscopal", il faut bien voir
qu'il se trouve, dans la Lettre
aux évêques qui accompagne le Motu proprio Summorum pontificum, un petit
passage qui semble révélateur de la pensée profonde - et d'un certain humour -
du Saint-Père. Il s'agit des lignes dans lesquelles le pape assure les évêques
que leur autorité en liturgie ne leur sera pas enlevée... alors que quelques
lignes plus loin, on voit que les évêques n'ont, en réalité, plus grand chose à
dire en matière de liturgie. Relisons ce passage:
"(...) Pour conclure, chers Confrères, il me tient à cœur de souligner que
ces nouvelles normes ne diminuent aucunement votre autorité et votre
responsabilité, ni sur la liturgie, ni sur la pastorale de vos fidèles. Chaque
Evêque est en effet le "modérateur" de la liturgie dans son propre
diocèse (cf. Sacrosanctum
Concilium, n. 22: "Sacrae liturgiae moderatio ab
Ecclesiae auctoritate unice pendet: quae quidem est apud Apostolicam Sedem et,
ad normam iuris, apud Episcopum"). Rien n'est donc retiré à
l'autorité de l'Evêque dont le rôle demeurera de toute façon celui de veiller à
ce que tout se passe dans la paix et la sérénité."
Avec beaucoup d'habileté, Benoît XVI commence ici par rappeler le rôle de
l'évêque en allant jusqu'à citer
Puis le Saint-Père précise bien quel est le premier rôle de l'évêque: veiller à
ce que tout se passe dans la paix et la sérénité. Il n'est donc nulle part
question d'autoriser ou d'interdire quoi que ce soit: telle n'est pas la
mission première de l'évêque, si tant est qu'il s'agisse de célébrer
l'Eucharistie selon une forme liturgique pleinement reconnue par l'Eglise.
Enfin, dans sa Lettre aux évêques, le Saint-Père poursuit: "Si quelque
problème devait surgir et que le curé ne puisse pas le résoudre, l'Ordinaire
local pourra toujours intervenir, en pleine harmonie cependant avec ce
qu'établissent les nouvelles normes du Motu Proprio."
Nous lisons bien: l'évêque pourra intervenir "en pleine harmonie cependant
avec ce qu'établissent les nouvelles normes du Motu proprio". L'évêque ne
saurait donc en aucun cas prendre des décisions qui ne relèveraient que de sa
façon de voir les choses en liturgie ou en pastorale.
A présent, si l'on remonte quelques lignes plus haut, on voit que dans sa
Lettre aux évêques, Benoît XVI a écrit: "Il est bon pour nous tous, de
conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de
l'Eglise, et de leur donner leur juste place."
En clair: rien n'a été enlevé à l'autorité de l'évêque... laquelle autorité
doit consister à conserver et à donner une juste place aux richesses
liturgiques qui ont grandi dans la foi et la prière de l'Eglise. Autrement dit,
l'évêque ne peut avancer aucun argument pour interdire la forme
"extraordinaire" du rite romain aux fidèles qui en font la demande...
à la condition, bien entendu, que ces fidèles reconnaissent la pleine validité
de la liturgie restaurée à la suite de Vatican II. Ce qui ne devrait pas leur
poser de problèmes de conscience puisqu'ils peuvent toujours faire remarquer
aux évêques qu'on ne trouve cette liturgie nulle part.
En fait, si l'on suit bien la pensée de Benoît XVI, on voit qu'il rappelle aux
évêques qu'ils n'ont pas un pouvoir absolu sur la liturgie, mais simplement la
mission de vérifier si les prêtres qui la célèbrent font correctement ce qu'ils
doivent faire. Ceci apparaît davantage encore dans le paragraphe introductif du
Motu proprio, où le Saint-Père souligne que la liturgie de l'Eglise est
déterminée par les Souverains Pontifes et non par les évêques diocésains ou par
leurs responsables en pastorale liturgique. Par conséquent, le premier souci
des communautés paroissiales ou religieuses qui célèbrent la liturgie n'est pas
d'être en harmonie avec les décisions de telle commission ou de telle
Conférence épiscopale, mais de demeurer en communion avec l'Eglise universelle.
Ce point important est rappelé à tous les évêques par l'emploi, par Benoît XVI,
de termes très forts comme le "nous" magistériel: decernimus (NOUS
décidons) ou encore servari iubemus (NOUS ordonnons).
En conclusion, on peut dire qu'au-delà de la question de la libéralisation de
la forme "extraordinaire" du rite romain, le Motu proprio Summorum
pontificum aura été pour Benoît XVI l'occasion de rappeler aux évêques que,
comme l'a très clairement enseigné Vatican II, ils n'ont aucune capacité à
accepter ou à interdire des façons légitimes de célébrer la liturgie. Leur seul
rôle consiste à vérifier si les prêtres célèbrent partout conformément à ce qui
a été établi par le Souverain Pontife et qui est précisé dans les livres
liturgiques officiels. Bien entendu, pour que leur rôle puisse être crédible et
fructueux, les évêques doivent eux-mêmes se montrer irréprochables et
exemplaires lorsqu'ils célèbrent la liturgie de l'Eglise.
Denis CROUAN docteur en théologie, Pdt de Pro Liturgia