Flash-Info au 15 mai 2008.

L’abbé Lorans, de la FSSPX, analyse le dernier livre de Henri Tincq.

C’est une excellente présentation.

Le commentaire est à lire mais le livre n’est pas à acheter.

L’ouvrage d’Henri Tincq, responsable des informations religieuses du quotidien français Le Monde depuis 1985, est un ouvrage ambitieux. Il a le projet de présenter les catholiques au plan historique, au niveau institutionnel, dans le domaine doctrinal et moral, mais aussi liturgique, et également sociologique et géographique. Bref, une vision encyclopédique en 460 pages.

 Cette ambition quasi-universitaire n’a pas contraint Henri Tincq à adopter le langage aseptisé des scientifiques. Il est du Monde, il est progressiste et il garde un ton engagé. Au chapitre VII, la présentation sociologique des « tribus » qui composent le catholicisme contemporain, lui permet de jouer au « jeu des sept familles ». Il énumère ainsi : les « traditionalistes », les « fantassins » (Opus Dei, Légionnaires du Christ…), les « inspirés » (les charismatiques), les « silencieux » (les moines contemplatifs), les « engagés » (les prêtres séculiers ou les religieux exerçant un apostolat), les « observants-zappeurs » (les pratiquants plus ou moins réguliers, aux croyances plus ou moins sélectives), les « rebelles » (les contestataires comme la revue Golias…)

 La famille traditionaliste est caricaturée en ces termes : « Chez les catholiques traditionalistes, l’horloge du temps s’est comme arrêtée. La Rome qu’ils vénèrent est celle du XIXe siècle, montagne d’arrogance et d’intransigeance dressée contre les idées révolutionnaires, bastion du dogme le plus conservateur opposé au rationalisme du temps, citadelle de la seule foi légitime, la foi catholique, élevée contre les aventures du monde moderne » (p. 304).

On devine ainsi que l’Eglise, selon Henri Tincq, est a contrario ouverte aux idées révolutionnaires, au rationalisme du temps et aux aventures du monde moderne. Une question se pose : cette Eglise est-elle encore catholique ?

 Pour mieux discréditer les prêtres et les fidèles attachés à la Tradition, Tincq n’hésite pas à écrire : « Les traditionalistes sont ceux qui au nom d’une conception plutôt fixiste de la ‘tradition’ catholique, ne se résignent pas à l’idée qu’on ait pu changer à Vatican II, dans les années 1960, la seule religion qui vaille, ‘leur’ messe, ‘leurs’ prêtres, et la foi ‘de toujours’» (p. 302). Il ne s’embarrasse pas d’une « herméneutique de la continuité », et avoue sans ambages : la religion a été changée à Vatican II. Mais il se trompe et trompe ses lecteurs en laissant croire que la Tradition est la propriété des traditionalistes. Mgr Fellay demande, dans toutes ses déclarations, un retour de Rome à sa Tradition bimillénaire.

 Pour faire bonne mesure, Henri Tincq s’emploie à ridiculiser la liturgie traditionnelle : « La liturgie traditionnelle à l’ancienne est le centre de la vie de ces catholiques traditionalistes. Jusqu’au concile ‘renégat’ (Vatican II), c’est celle que le prêtre célébrait dans des envolées de chasubles, de bannières et d’oriflammes, quand les cuivres sonnaient dans les églises et les cathédrales, les orgues ronflaient, les chantres épuisaient leur répertoire de grégorien. Dans le chœur de l’église, autour de l’unique officiant – le rite ancien abhorre la ‘concélébration’, innovation conciliaire -, une armée de diacres, sous-diacres, de porte-insignes en surplis blancs et soutane, archétype d’une Eglise autoritaire et hiérarchisée, exécutait un ballet compris des seuls initiés. » (p. 305)

 Et pour finir, il présente Mgr Lefebvre comme assiégé physiquement et intellectuellement  dans un bunker : « à Ecône dans le Valais suisse où il s’est replié, dont il fera, jusqu’à sa mort en 1991, le bastion de sa résistance… » (p. 309).

 Pourquoi cette hargne ? Pour conjurer une peur ! Tincq parle d’un « paradoxe des ‘tradis’ », mais c’est un euphémisme, il pense plutôt à une menace des traditionalistes. Le paradoxe est, à ses yeux le suivant : « La famille des traditionalistes dont l’importance numérique, minime à l’échelle des cinq continents, est inversement proportionnelle au tapage qu’elle fait et aux passions qu’elle soulève.» (p. 302). Mais un peu plus loin on découvre en quoi consiste la menace : « Les traditionalistes occupent des églises, mais aussi les esprits, plus qu’ils ne le méritent. La question du rite de la messe, qui n’est pas mineure, mais n’est pas l’essentiel de la foi catholique, de même celle du maintien de la soutane et de l’usage du latin ne sont que des prétextes à des désaccords autrement plus sérieux sur l’orientation de l’Eglise catholique ». (p. 312)

Ce que Tincq redoute, c’est une remise en cause des changements, réformes ou révolutions opérés dans l’Eglise depuis une quarantaine d’années. Il se rassure en disant que cette contestation est celle d’une minorité, mais il craint que ces minoritaires ne trouvent un écho au sein d’une majorité pas assez compacte, insuffisamment monolithique à son goût, alors qu’il s’agit de faire front contre le danger traditionaliste : « Les ‘tradis’ sont donc au cœur de stratégies menées, avec plus ou moins de transparence et de succès, par le Vatican. Ils sont la cible d’un jeu, apparemment sans fin, d’attraction et de répulsion dans des milieux catholiques qui n’ont pas digéré tous les changements du dernier concile et pour qui les ‘tradis’ incarnent une sorte de mauvaise conscience. » (pp. 312-313)

Tincq qui a un solide estomac, a tout digéré et sans aucune mauvaise conscience. C’est pourquoi il ne comprend pas les états d’âme de certains, et il alerte ses lecteurs sur le péril traditionaliste : « Ils vont chercher à récupérer ceux, de plus en plus nombreux, qui, dans les autres ‘familles’ catholiques, regrettent aussi que le clergé et l’épiscopat semblent avoir perdu leur autorité, peinent à attirer de jeunes prêtres, font trop de politique, ne défendent plus assez de certitudes théologiques, morales et dialoguent trop avec les juifs, les musulmans ou même les protestants. Au lieu de chercher, comme autrefois, à les convertir ! » (p. 315)

On peut se dire que tout cela relève du phantasme – le complot traditionaliste ! - ou de la rhétorique d’une agitprop post-soixante-huitarde. Des mots, rien que des mots ! Mais il y a la réalité que Tincq rappelle… en note de bas de page seulement. Tout à l’heure, il parlait pudiquement de la crise des vocations : « (les évêques) peinent à attirer de jeunes prêtres », ici ce sont les faits qui parlent : « en France, 96 prêtres diocésains ont été ordonnés à la fin juin 2007. Au début des années 1950, ils étaient plus d’un millier… Le nombre des ordinations se stabilise, mais pour un nouveau prêtre par an, il en meurt 7 ou 8. Entre 1996 et 2005, 161 auraient quitté le ministère. Sur 20.000 prêtres, 13.000 seulement sont encore actifs. A l’horizon de 2014, le nombre de prêtres de moins de 65 ans devrait être de 4.500. (Sources : Ifop-La Croix du 14 août 2006, Le Monde de religions de janvier-février 2007) » (p. 353, note 2). - Les paroles s’envolent, les faits restent. Les chiffres sont là et ils ne sont pas « traditionalistes » !

L’ouvrage d’Henri Tincq a le mérite de montrer comment la tradition conciliaire, du haut de ses quarante ans, juge la Tradition catholique bimillénaire.  Elle la juge dangereuse pour elle. Et elle n’a pas tort.

                                                                                                            Abbé Alain Lorans

date : 10/5/2008