Flash-Info au 17 avril
2009-04-17
Lu dans le « Salon Beige »
Comment la France prépare l'adhésion
de la Turquie
La Turquie
membre de l'UE en 2023 ? En annonçant ce week-end qu'il soutenait l'adhésion de
la Turquie à
l'Union européenne, le Président américain Barack Obama a mis l'Elysée et l'Ump
dans un certain embarras, à deux mois des élections européennes. Au point que
Philippe de Villiers a proposé un face à face télévisé à Nicolas Sarkozy pour
débattre de la question turque. Le leader du "non" accuse en effet le
Président de la
République de "contradictions totales entre les discours
et les actes depuis deux ans."
Certes Nicolas Sarkozy et le parti présidentiel ont répété avec une belle
constance leur opposition à cette adhésion. Le problème est que sur ce sujet
comme sur bien d'autres, la rhétorique du Président et de son parti s'effondre
devant leurs actes : la France
de Nicolas Sarkozy a accepté depuis 2007 l'ouverture de 8 nouveaux chapitres de
négociation dont les deux derniers sous présidence française, l'UMP vote au
Parlement les crédits de préadhésion à la Turquie (plus de 560 millions annuels, soit 96
millions par la France),
le Président et sa majorité ont supprimé en juillet 2008 le verrou référendaire
pour tout nouvel élargissement, ils soutiennent le plus ardent avocat de
l'adhésion turque, M. Barroso, pour un nouveau mandat de Président de la Commission et l'UMP
siège au sein du Parti populaire européen aux côtés de l'AKP, le parti du
Premier ministre turc Erdogan. Ce n'est plus du grand écart, c'est de la
schizophrénie. Puisque Le Figaro annonce aujourd'hui que le débat est réouvert,
le moment est venu d'aller au-delà des mots.
I - L'engagement ferme du candidat
Sarkozy contre l'adhésion turque
"Je demande la suspension de toutes
les négociations avec la
Turquie pour une raison très simple : La Turquie n’applique pas le
protocole d’Ankara, la Turquie
n’accepte pas que des avions venant de Chypre se posent sur ses aéroports, ou
que des bateaux venant de chypre rentrent dans ses ports, Chypre est un des 25
état de l’union européenne. Comment peut on discuter de l’adhésion éventuelle
d’un pays qui ne reconnaît pas l’Europe des 25 et qui décide unilatéralement
que l’Europe ce n’est pas 25 pays mais 24. Ce n’est pas négociable et ce n’est
pas acceptable" (Emission, "A vous de juger, France 2, 30
novembre 2006)
"La Turquie est un pays d'Asie mineure (...) « A s'élargir sans limite,
on prend le risque de détruire l'union politique européenne, je ne l'accepterai
pas." (Congrès de l'UMP, 14 janvier 2007)
II - Elu, le Président Sarkozy ouvre
les portes de l'Union européenne à la Turquie
1) Huit chapitres de négociation ont
été ouverts avec l'accord de Nicolas Sarkozy
Dix chapitres sur trente-cinq ont été ouverts en trois ans, depuis le début des
négociations d'adhésion en octobre 2005, dont deux sous la présidence de
Jacques Chirac et huit sous celle de Nicolas Sarkozy.
- 26 juin 2007 : chapitre 18 (Statistiques) et chapitre 32 (Contrôle
financier)
- 17 décembre 2007 : chapitre 21 (réseaux transeuropéens) et chapitre 28
(consommateurs et santé)
- 17 juin 2008 : chapitre 6 (droit des sociétés) et chapitre 7 (droit
de la propriété intellectuelle).
Sous présidence française de l'Union européenne par Nicolas Sarkozy :
- 19 décembre 2008 : chapitre 4 (libre circulation des capitaux) et chapitre 10
(société de l’information)
2) La consultation obligatoire des Français
par référendum a été supprimée le 21 juillet 2008
Depuis mars 2005, l'article
88-5 de la Constitution
dispose : « Tout projet de loi autorisant
la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne
et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.
»
Le 21 juillet 2008, Nicolas Sarkozy faisait adopter par le Parlement une
révision de cet article permettant de faire sauter ce "verrou
référendaire" :
"Toutefois, par le vote d'une motion
adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois
cinquièmes, le Parlement peut autoriser l'adoption du projet de loi selon la
procédure prévue au troisième alinéa de l'article 89." (celle
du Congrès du Parlement)
Il en résulte que pour tout élargissement, la consultation des Français peut
être écartée, au profit du Parlement, si ce même Parlement - c'est à dire le
pouvoir politique du moment auquel obéit une majorité - le décide.
3) Depuis l'élection de Nicolas
Sarkozy, les déclarations se multiplient pour laisser la porte ouverte à
l'adhésion de la Turquie
- Nicolas Sarkozy, Président de la République, s'adressant pour la première fois aux
Ambassadeurs de France :
"La France ne s'opposera pas à ce que de nouveaux chapitres de
la négociation entre l'Union et la
Turquie soient ouverts dans les mois et les années qui
viennent, à condition que ces chapitres soient compatibles avec les deux
visions possibles de l'avenir de leurs relations: soit l'adhésion, soit une
association aussi étroite que possible sans aller jusqu'à l'adhésion"
(28 août 2007, Conférence des ambassadeurs)
- Bernard Kouchner, nommé Ministre des affaires étrangères par Nicolas Sarkozy
:
"La Turquie est en Europe (...) Les opposants à l'adhésion avancent
de faux prétextes. En réalité, ils veulent maintenir une Europe conçue comme un
club chrétien, réservé aux pays de tradition chrétienne. De même qu'on a
souhaité l'adhésion de pays de l'Est parce qu'ils sortaient du communisme, il
convient de tendre la main à la
Turquie, le seul pays musulman à avoir su organiser la
séparation entre la religion et l'Etat (...) Jusqu'à nouvel ordre, le parti
islamiste modéré, vainqueur des dernières élections turques, est comparable aux
partis démocrates-chrétiens ancrés dans une série de démocraties européennes.
L'adhésion devrait cependant être assortie de conditions claires, notamment sur
le respect des droits de l'homme (et singulièrement de la femme) et de la
minorité kurde." (Le Soir, 11 décembre 2002)
- Jean-Pierre Jouyet, nommé secrétaire d'Etat aux affaires européennes par
Nicolas Sarkozy:
La France
« n’a pas l’intention de briser le
processus de négociation actuellement en cours » (juin 2008)
Bruno Le Maire, nommé secrétaire d'Etat aux affaires européennes par Nicolas
Sarkozy (succédant à M. Jouyet) :
"Je ne suis pas favorable,
actuellement, à l’adhésion de la
Turquie à l’Union européenne. (...) Aujourd’hui les
conditions ne sont pas réunies." (RTL, 15 décembre 2008)
José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne soutenu pour un nouveau
mandat par Nicolas Sarkozy et l'UMP :
« Aujourd’hui, la Turquie est une part
intégrante de notre agenda pour l’élargissement. Notre objectif communément
partagé est que la Turquie
devienne un membre à part entière de l’UE. Beaucoup de gens dans les Etats
membres comme en Turquie, veulent s’attarder sur ce qui ne fonctionne pas dans
nos relations, sur les obstacles à court terme et les difficultés que nous
pouvons rencontrer. Dans l’UE ils peuvent dire que la Turquie n’est pas prête
pour l’adhésion ; tandis que beaucoup de gens en Turquie disent qu’au
final l’UE ne voudra pas de l’entrée de la Turquie. A tous ceux
là, je déclare que notre présent et notre futur sont intimement liés. »
(devant le Parlement Turc à Ankara, avril 2008)
III - Le Parti de Nicolas Sarkozy n'a
cessé de donner des gages à l'adhésion turque
1) Le 21 juillet 2008, les députés et sénateurs UMP ont voté "pour"
la suppression du référendum obligatoire (article 88-5) de soumettre au référendum
toute nouvelle adhésion d'un Etat à l'Union européenne (voir I. 2)
2) La majorité UMP vote chaque année, dans le projet de loi de finances, les
crédits de préadhésion à la
Turquie. Elle aura touché à ce titre :
- 2,13 milliards de 1996 à 2006
- 2,256 milliards de 2007 à 2010, soit 564 millions par an
Des crédits qui ne vont cesser d'augmenter : "S'agissant de la
Turquie, compte tenu de la taille et de la capacité
d'absorption du pays, l'aide augmentera progressivement sur la période
2007-2013". (Communication de la Commission européenne
sur l'Instrument de Préadhésion du 8 novembre 2006, téléchargeable ci-dessous)
Pour la France,
qui contribue à hauteur de 17% au budget européen (2ème contributeur net), cela
représente 96 millions d'euros par an versés à la Turquie via le budget
européen.
4) Au sein du Parti Populaire Européen (parti européen regroupant un grand
nombre de partis de centre-droit membres ou candidat à l'Union européenne),
l'UMP de Nicolas Sarkozy siège depuis 2005 aux côtés de l'AKP, le parti au
pouvoir issu de la mouvance islamiste dirigé par M. Erdogan et qui est
membre observateur du PPE.
5) Le 11 mars 2004, l'UMP
au Parlement européen votait le rapport Brok déclarant, en son paragraphe 64
que si Chypre est réunifiée, l'Union européenne serait prête à immédiatement
"accepter le turc en tant que langue
officielle".
6) Le 27 septembre 2006, le Parlement européen adoptait le rapport Eurlings
déclarant : "Les négociations visent à
faire de la Turquie
un membre de l'UE et que la concrétisation de cet objectif dépendra des efforts
des deux parties. (...) La capacité d'absorption de la Turquie par l'UE tout en
maintenant le rythme de l'intégration est une considération importante dans
l'intérêt général tant de l'UE que de la Turquie"
Ce rapport a été adopté par 429 voix, avec celles du PS français et
l'abstention des eurodéputés UMP.
Le même jour, la quasi totalité de l'UMP et le PS [1] ont en revanche voté
contre l'amendement Villiers déposé au nom du groupe Indépendance et Démocratie
"- 1 demande au Conseil et au
gouvernement turc, étant donné l'opposition à l'adhésion de la Turquie d'une grande
majorité des peuples de l'Union européenne, régulièrement confirmée par les
sondages d'opinion Eurobaromètre, et les réserves croissantes du peuple turc à
cet égard, de s'en tenir à l'objectif d'une coopération privilégiée
"
Les déclarations tonitruantes du Président de la République et de
l'UMP contre l'entrée de la
Turquie n'y changeront rien : toutes leurs décisions à
Paris, Bruxelles et Strasbourg depuis deux ans déroulent tranquillement le
tapis rouge de l'adhésion turque à l'Union européenne.
Christophe Beaudouin
[1] Résultat du vote par appel nominal
Pour :
MPF : de Villiers, Louis
UDF : Beaupuy, Bourlanges,
Cavada, de Sarnez, Fourtou, Laperrouze, Lehideux, Morillon
UMP : Bachelot, Descamps, de Veyrac
FN : Gollnisch, Lang, JM Le Pen, Marine Le
Pen, Le Rachinel, Martinez, Schenardi
Contre :
PC : Henin, Wurtz
UMP : Audy, Daul, Fontaine, Gaubert, Gauzès,
Grossetête, Guellec, Lamassoure, Mathieu, Saïfi, Sudre, Toubon, Vlasto
PS : Arif, Bono, Bourzai, Carlotti, Castex,
Cottigny, Désir, Douay, Ferreira, Fruteau, Guy-Quint, Hamon, Patrie, Peillon,
Poignant, Reyndaud, Rocard, Roure, Savary, Trautmann, Vaugrenard, Vergnaud,
Weber.
Verts: Aubert, Bennahmias, Flautre, Isler
Béguin, Lipietz, Onesta