Benoît
XVI et l’Université «
Voici les paroles que le
pape Benoît XVI a prononcées, le dimanche 20 janvier 2008, pour remercier les 200.000 fidèles, qui
étaient rassemblés place Saint-Pierre en signe de solidarité suite aux
évènements de cette semaine, qui ont obligé le Saint-Père à renoncer à se
rendre à l'Université "
Ces paroles seront suivies
du texte de la conférence que le saint Père devait donner lors de sa visite et
qu’il a, malgré tout, adressée au Recteur de l’Université.
A- Paroles du Saint-Père à l’Angelus du dilmanche 20 janvier.
Chers amis,
Je désire maintenant saluer les jeunes universitaires - merci de votre présence
- les professeurs et vous tous qui êtes venus aujourd'hui si nombreux Place
Saint Pierre pour participer à la prière de l'Angélus et pour m'exprimer votre
solidarité ; ( Ndlr: Benoît XVI est interrompu par une longue ovation )
- c'est beau de voir cette fraternité et cette foi - je salue aussi tous ceux
qui s'unissent à nous spirituellement. Je vous remercie de tout cœur, chers
amis et je remercie le Cardinal Vicaire promoteur de ce moment de rencontre - (
Ndlr: longue ovation).
Comme vous le savez, j'avais accueilli très volontiers l'aimable invitation qui
m'avait été adressée pour intervenir jeudi dernier à l'inauguration de l'année
académique de la « Sapienza - Université de Rome ». Je connais bien cette Université,
je l'estime et suis attaché aux étudiants qui la fréquentent : tous les ans à
plusieurs occasions, beaucoup d'entre eux viennent me rencontrer au Vatican,
avec des collègues des autres Universités. Malheureusement, comme vous le
savez, le climat qui s'était créé, a rendu inopportune ma présence à la
cérémonie. J'ai renoncé bien malgré moi, - ( Ndlr: Benoît XVI est encore
interrompu par une longue ovation) - mais j'ai voulu quand même envoyer le texte que j'avais préparé pour l'occasion.
Je suis lié au milieu universitaire, qui pendant de longues années, a été mon
univers, pour l'Amour pour la recherche de la vérité, pour la confrontation, pour
le dialogue franc et respectueux des positions réciproques - ( Ndlr: longue
ovation).
Tout cela est aussi la mission de l'Église, engagée à suivre fidèlement Jésus,
Maître de vie, de vérité et d'Amour. En tant que professeur émérite, pour ainsi
dire, qui a rencontré beaucoup d'étudiants tout le long de sa vie, je vous
encourage tous, chers universitaires, à être toujours respectueux des opinions
d'autrui et à rechercher - ( Ndlr: longue ovation) -, avec un
esprit libre et responsable, la vérité et le bien. À vous tous et à chacun
d'entre vous, conclut Benoît XVI, je renouvelle l'expression de toute ma
gratitude, vous assurant mon affection et ma prière. Merci ( Ndlr: très
longue ovation) (© traduction E.S.M.)
B- Texte de la conférence du Saint Père.
« C’est
une joie profonde pour moi de rencontrer la communauté de la « Sapienza –
Université de Rome » à l’occasion de l’ouverture de l’année académique. Depuis
des siècles, cette université marque le parcours et la vie de Rome, en faisant
fructifier le meilleur des énergies intellectuelles dans tous les domaines du
savoir. Tant à l’époque où l’institution, après la fondation par le pape
Boniface VIII, était sous la dépendance directe de l’autorité ecclésiastique,
qu’ensuite, lorsque le ‘Studium Urbis’ s’est développé comme institution
de l’État italien, votre communauté académique a maintenu un haut niveau
scientifique et culturel qui la situe parmi les universités les plus
prestigieuses du monde. Depuis toujours, l’Église de Rome regarde avec
sympathie et admiration ce centre universitaire, saluant son engagement,
parfois ardu et éprouvant, dans la recherche et dans la formation des nouvelles
générations. Ces dernières années, les moments significatifs de collaboration
et de dialogue n’ont pas manqué. Je voudrais en particulier mentionner
Je tiens, en cette circonstance, à exprimer ma gratitude pour l’invitation qui
m’a été adressée à venir dans votre université pour y donner une conférence.
Dans cette perspective, je me suis posé avant tout cette question : que peut
dire un pape dans une occasion comme celle-là ? Lors de ma conférence de
Ratisbonne, j’ai parlé bien sûr en tant que pape, mais surtout je me suis
exprimé en tant qu’ancien professeur de cette université, cherchant à
rapprocher les souvenirs et l’actualité. Mais, à l’université Sapienza, la
vénérable université de Rome, je suis invité précisément en tant qu’évêque de
Rome et je dois m’exprimer comme tel. Certes,
Je reviens à ma question de départ : que
peut et que doit dire le pape en rencontrant l’université de sa ville ? Réfléchissant
à cette question, il m’a semblé qu’elle devait en comprendre deux autres, dont
la clarification doit conduire naturellement à une réponse. Il faut en effet se
demander : quelle est la nature et la
mission du pape ? Et aussi : quelle est la nature et la mission de l’université
? Je ne voudrais pas en cette circonstance nous entraîner, vous et moi,
dans une longue dissertation sur la nature de la papauté. Juste un bref rappel.
Qu’est-ce que le pape ?
Le pape est avant
tout évêque de Rome et en tant que tel, en vertu de la succession de l’apôtre
Pierre, il a une responsabilité épiscopale à l’égard de toute l’Église
catholique. Le mot “évêque” (episkopos), dont la signification
immédiate renvoie à “surveillant”, a été fusionné dès le Nouveau Testament avec
le concept biblique de Pasteur : celui
qui, d’un point d’observation élevé, surveille l’ensemble, prenant soin du
juste chemin et de la cohésion de l’ensemble. Une telle définition de la
tâche oriente le regard avant tout vers l’intérieur de la communauté croyante.
L’évêque – le pasteur – est l’homme qui prend soin de cette communauté, la
maintient unie sur le chemin qui mène à Dieu, indiqué selon la foi chrétienne
par Jésus – pas seulement indiquée : pour nous, il est lui-même le chemin.
Mais cette communauté dont l’évêque a la charge, aussi grande ou petite
soit-elle, vit dans le monde. Ses
conditions de vie, son évolution, son exemple et sa parole ont inévitablement
une influence sur tout le reste de la société humaine dans son ensemble. Plus
elle est grande, et plus sa bonne santé ou son éventuel affaiblissement se
répercutent sur l’ensemble de l’humanité. On voit aujourd’hui très
clairement comment l’état des religions et comment la situation de l’Église –
ses crises et ses renouveaux – agissent sur l’ensemble de l’humanité. Ainsi le pape, précisément en tant que
pasteur de sa communauté, est-il devenu, toujours davantage, une voix de la
raison éthique de l’humanité.
Ici, cependant, émerge immédiatement l’objection selon laquelle le pape, en
fait, ne parlerait pas vraiment sur la base de la raison éthique mais tirerait
ses jugements de la foi et ne pourrait donc leur donner une valeur pour ceux
qui ne partagent pas cette foi. Nous devrons encore revenir sur ce débat, parce
qu’il pose la question absolument fondamentale : qu’est-ce que la raison ?
Comment une affirmation – surtout s’il s’agit d’une norme morale – peut-elle se
démontrer rationnelle ? Pour l’instant, je voudrais seulement relever
brièvement que John Rawls, tout en niant aux doctrines religieuses
compréhensives le caractère de raison “publique”, voit néanmoins dans leur
raison “non publique” une raison qu’on ne peut pas, au nom d’une rationalité durcie
par la sécularisation, refuser à ceux qui la soutiennent. Il voit un critère de
cette rationalité entre autres dans le fait que de telles doctrines sont issues
d’une tradition responsable et motivée, au sein de laquelle ont été développées
de très longue date des argumentations suffisamment bonnes pour soutenir la
doctrine en question. Dans cette affirmation, ce qui me semble important est la
reconnaissance que l’expérience et la démonstration à travers les générations,
le fonds historique de la sagesse humaine, sont aussi un signe de rationalité
et de signification pérenne. Face à une raison anhistorique (Ndlr dépourvu d'un
contexte historique) cherche à s’auto-construire seulement dans une rationalité
anhistorique, la sagesse de l’humanité comme telle – la sagesse des grandes
traditions religieuses – doit être reconnue comme une réalité que l’on ne peut
pas impunément jeter dans la poubelle de l’histoire des idées.
Revenons à la question initiale. Le pape
parle en tant que représentant d’une communauté croyante au sein de laquelle, à
travers les siècles de son histoire, a mûri une sagesse déterminée de la vie ;
il parle comme représentant d’une communauté qui garde en son sein un trésor de
connaissance et d’expérience éthique qui s’avère important pour l’humanité
entière : en ce sens, il parle comme représentant d’une raison éthique.
Qu’est-ce que l’Université ?
Mais maintenant il faut se demander: qu’est-ce que l’université ? Quelle est sa tâche ? C’est une
question gigantesque à laquelle, encore une fois, je ne peux répondre que dans
un style presque télégraphique, avec quelques observations. Je crois que l’on peut dire que l’origine
véritable, profonde, de l’université se situe dans la soif de connaissance qui
est le propre de l’homme. Il veut
tout savoir de ce qui l’entoure. Il veut la vérité. En ce sens, on peut
voir le questionnement de Socrate comme l’impulsion dont est née l’université
occidentale. Je pense par exemple, pour ne mentionner qu’un seul texte, à la
discussion avec Euthyphron qui, face à Socrate, défend la religion mythique et
sa piété. Ce à quoi Socrate oppose cette question : “Tu crois qu’entre les
dieux existent vraiment une guerre réciproque, de terribles inimitiés et des
combats… Devons-nous, Euthyphron, vraiment dire que tout cela est vrai ?” (6
b-c).
Dans cette question qui manque apparemment de piété – Socrate la tirait
cependant d’une religiosité plus profonde et plus pure, de la recherche du Dieu
vraiment divin –, les chrétiens des premiers siècles se sont reconnus et ont
reconnu leur chemin. Ils ont accueilli leur foi non pas de manière positiviste
ou comme échappatoire à des désirs non satisfaits ; ils l’ont comprise comme la
dissipation de la brume de la religion mythologique pour laisser place à la
découverte de ce Dieu qui est raison créatrice et en même temps raison-amour. C’est pourquoi l’interrogation de la raison
sur Dieu comme sur la vraie nature et sur le sens véritable de l’être humain
n’était pas pour eux une forme problématique de manque de religiosité, mais
faisait partie de l’essence de leur manière d’être religieux. Ils n’avaient
donc pas besoin de nier ou d’écarter l’interrogation socratique, mais pouvaient
et même devaient l’accueillir et reconnaître comme une partie de leur identité
la difficile recherche de la rationalité en vue d’atteindre l’entière vérité.
Ainsi, dans l’univers de la foi chrétienne, dans le monde chrétien, pouvait –
et même devait – naître l’université.
Il faut maintenant aller plus loin. L’homme est avide de connaissance – de
vérité. La vérité est avant tout une chose à voir, à comprendre, qui relève de
la ‘theoria’ selon les termes de la tradition grecque. Mais la vérité
n’est jamais seulement théorique. Augustin,
mettant en relation les Béatitudes du Sermon sur
Mais vérité veut dire davantage que
savoir : la connaissance de la vérité a comme objectif la connaissance du bien.
C’est aussi la signification de l’interrogation socratique : quel est ce bien
qui nous rend vrais ? La vérité nous rend bons, et la bonté est vérité : tel
est l’optimisme qui s’exprime dans la foi chrétienne, parce qu’elle a eu la
vision du Logos, de
Dans la théologie médiévale, il y a eu une dispute approfondie sur le rapport
entre théorie et pratique, sur la juste relation entre connaître et agir – une
dispute que nous n’allons pas développer ici. Mais l’université médiévale, avec
ses quatre facultés, présentait cette corrélation. Commençons par la faculté
qui, dans la mentalité de l’époque, était la quatrième, la faculté de médecine.
Même si la médecine était considérée davantage comme un « art » que comme une
science, son insertion dans le monde universitaire signifiait cependant
clairement qu’elle était considérée comme appartenant à l’univers de la
rationalité, que l’art de guérir était placé sous la conduite de la raison, et
donc soustrait à l’univers de la magie. Guérir est une tâche qui réclame plus
que la simple raison, et c’est justement pour cela qu’il lui faut ce lien entre
« savoir » et « pouvoir », il lui faut appartenir à la sphère de la ‘ratio’.
La question de la relation entre pratique et théorie, entre connaissance et
agir, se pose aussi inévitablement pour
Ici s’impose un saut dans le présent. C’est toute la question de la recherche
d’une justice normative qui puisse conduire à un ordre de liberté, de dignité
humaine et des droits de l’homme. C’est la question dont s’occupent aujourd’hui
les processus démocratiques de formation de l’opinion, et qui préoccupe en même
temps comme questionnement pour l’avenir de l’humanité. Jürgen Habermas
exprime, me semble-t-il, un vaste consensus de la pensée actuelle lorsqu’il dit
que la légitimité d’une charte constitutionnelle, qui est le présupposé de la
légalité, provient de deux sources : de la participation égale de tous les
citoyens, et aussi d’une “forme raisonnable” dans laquelle sont résolues les
contradictions politiques.
À propos de cette « forme raisonnable », il note que celle-ci ne peut pas
seulement être le résultat d’une majorité arithmétique, mais doit se
caractériser comme « un processus d’argumentation sensible à la vérité »
(‘wahrheitssensibles Argumentationsverfahren’). C’est bien dit, mais c’est très
difficile à transformer en pratique politique. Les représentants de ce «
processus d’argumentation » public sont, nous le savons bien, avant tout les
partis, comme responsables de la formation de la volonté politique. Donc, ils
auront immanquablement comme objectif de parvenir à la majorité, et
s’occuperont inévitablement des intérêts qu’ils ont promis de satisfaire.
Cependant, ces intérêts sont souvent des intérêts particuliers et ne sont pas
vraiment pas au service de tous.
La sensibilité pour la vérité sera toujours écrasée par la sensibilité aux
intérêts particuliers. Je trouve significatif que Habermas parle de la
sensibilité pour la vérité comme d’un élément nécessaire dans le processus
d’argumentation politique, réinsérant ainsi le concept de vérité dans le débat
philosophique et dans le débat politique.
Mais vient alors, inévitable, la question de Pilate : Qu’est ce que la vérité ?
Et comment la reconnaître ? Si on renvoie à la “raison publique”, comme Rawls
le fait, vient alors nécessairement une nouvelle question : qu’est-ce qui est
raisonnable ? Dans chaque cas, on s’aperçoit de manière évidente que, dans la
recherche du droit de la liberté, de la vérité de la juste vie en commun, il
faut écouter des instances autres que les partis et les groupes d’intérêts,
sans du tout vouloir minimiser leur importance.
Revenons à la structure de l’université médiévale. À côté de la faculté de
droit, il y avait la faculté de théologie, à laquelle était confiée la
recherche sur l’être humain dans sa totalité, et donc le devoir de tenir
éveillée la sensibilité pour la vérité. On pourrait certes dire que cela est
l’objectif permanent et profond des deux facultés : être garant de la
sensibilité pour la vérité, ne pas permettre que l’homme soit détourné de la
recherche de la vérité. Mais comment peuvent-elles répondre à ce devoir ? C’est
une question sur laquelle nous devons à nouveau nous pencher, et qui ne peut
jamais être posée et résolue de manière définitive. Ainsi, à ce point, même moi
je ne peux offrir à proprement parler une réponse, mais plutôt proposer de
cheminer avec cette question – un chemin où nous accompagneront les grands qui
ont, tout au long de l’histoire, lutté et cherché, avec leurs réponses et leur
inquiétude, une vérité qui reste continuellement au-delà de leur propre
réponse.
En cela, théologie et philosophie forment un couple de jumeaux caractéristique,
où aucun des deux ne peut être détaché totalement de l’autre même si,
toutefois, chacun doit conserver son propre devoir et sa propre identité. Saint
Thomas d’Aquin a ce mérite historique – face à la réponse différente des Pères
[de l’Église] liée à leur contexte historique – d’avoir mis en lumière
l’autonomie de la philosophie et, avec elle, le droit et la responsabilité
propre de la raison qui se pose des questions sur la base de ses forces. Se
démarquant des philosophies néoplatoniciennes où religion et philosophie
étaient inséparablement liées, les Pères avaient alors présenté la foi
chrétienne comme la vraie philosophie, soulignant aussi que cette foi
correspondait aux exigences de la raison cherchant la vérité ; que la foi était
le « oui » à la vérité par comparaison aux religions mythiques réduites au rang
de simples coutumes. Mais plus tard, au moment de la naissance de l’Université,
ces religions n’existaient plus en Occident mais seulement le christianisme. Il
fallait donc souligner à nouveau la responsabilité propre de la raison, qui ne
saurait être absorbée par la foi.
Thomas est intervenu à un moment privilégié : pour la première fois, les écrits
philosophiques d’Aristote étaient accessibles dans leur intégralité ; de même,
on disposait des philosophies hébraïques et arabes, avec leur manière spécifique
de s’approprier et de prolonger la philosophie grecque. Ainsi, le
christianisme, dans un nouveau dialogue avec la raison des autres qu’il
rencontrait alors, a-t-il dû lutter pour sa propre rationalité. C’est alors que
la faculté de philosophie – appelée « faculté des artistes » – qui n’était
qu’une propédeutique à la théologie, est devenue une vraie faculté, un
partenaire autonome de la théologie et de la foi.
Nous ne pouvons pas nous arrêter ici sur les différents débats qui s’en sont
suivis. Je dirais que l’idée de Saint Thomas sur le rapport entre la
philosophie et la théologie pourrait être exprimée dans la formule trouvée pour
la christologie au Concile de Calcédoine : philosophie et théologie doivent se
comporter l’une par rapport à l’autre “sans confusion et sans séparation”.
“Sans confusion” : chacune doit conserver sa propre identité. La philosophie
doit rester vraiment une recherche de la raison dans sa propre liberté et dans
sa propre responsabilité ; elle doit aussi voir ses limites et, ce faisant, sa
grandeur et son amplitude. La théologie doit continuer à puiser dans un trésor
de connaissances qu’elle n’a pas inventées par elle-même, qui la dépasse
toujours et que la seule réflexion ne peut jamais totalement épuiser, ce qui
explique que la réflexion commence toujours à frais nouveaux. Mais à côté du
“sans confusion” se tient le “sans séparation”. La philosophie ne recommence
pas à chaque fois du point zéro d’un sujet pensant et vivant de façon isolée ;
elle vit dans un grand dialogue avec la sagesse historique, qu’elle accueille à
nouveau, développe, de façon critique et docile à la fois. Mais elle ne doit
pas non plus se fermer devant ce que les religions et en particulier la foi
chrétienne ont reçu et donné à l’humanité comme indications du chemin.
Plusieurs choses, dites par des théologiens au cours de l’histoire et mises en
pratique par les autorités ecclésiales ont été ensuite démontrées fausses et
sont tombées dans la confusion. Mais, dans le même temps, il est vrai que
l’histoire des saints et l’histoire de l’humanisme qui ont grandi sur la base
de la foi chrétienne, démontrent la vérité de cette foi dans son noyau
essentiel, lui donnant par cela, le statut d’instance pour la raison publique.
Certes, beaucoup disent que la théologie et la foi ne peuvent être pratiquées
qu’à l’intérieur de la foi, et ne peuvent par conséquent se présenter comme
exigence pour ceux à qui cette foi demeure inaccessible. En même temps, le
message de la foi chrétienne n’est jamais seulement une “comprehensive religious
doctrine” au sens de Rawls, mais une force purificatrice pour la raison
elle-même, qui l’aide à être encore plus elle-même. Le message chrétien, sur la
base de ses origines, devrait toujours être un encouragement pour la vérité et,
ainsi, une force contre les pressions du pouvoir et des intérêts.
Je n’ai, jusque-là, parlé que de l’université médiévale, en cherchant toutefois
à laisser transparaître la nature permanente de l’université et de sa mission.
Les temps modernes ont vu s’entrouvrir de nouvelles dimensions du savoir qui,
dans l’université, ont été surtout valorisées en deux grands domaines. Avant
tout, dans les sciences naturelles, qui se sont développées sur la base de la
rencontre entre l’expérimentation et une rationalité présupposée de la matière
; en second lieu, dans les sciences historiques et humaines, dans lesquelles
l’homme, scrutant le miroir de son histoire et clarifiant les dimensions de sa
nature, cherche à mieux se comprendre lui-même. Ce développement a ouvert à
l’humanité, non seulement un espace immense de savoir et de pouvoir mais aussi
un développement de la connaissance et la reconnaissance des droits et de la
dignité de l’homme, et de cela nous ne pouvons qu’être reconnaissants.
Le péril moderne
Mais le chemin de l’homme ne peut jamais se dire totalement
accompli, le danger de la chute dans l’inhumanité n’est jamais conjuré, comme
nous le voyons dans le panorama de l’histoire actuelle ! Le péril dans le monde occidental – pour ne parler que de celui-ci –
est aujourd’hui que l’homme, considérant la grandeur de son savoir et de son
pouvoir, laisse tomber la question de la vérité. Et cela signifie, dans le même
temps, que la raison se plie, pour finir, aux pressions des intérêts et à
l’attraction de l’utilité, contrainte de la reconnaître comme le critère
ultime. Ce qui, du point de vue de la structure de l’université, peut
s’exprimer ainsi : le danger existe que la philosophie, ne se sentant plus
capable d’accomplir son propre travail, se dégrade en positivisme ; que la théologie,
dont le message s’adresse à la raison, soit confinée dans la sphère privée d’un
groupe plus ou moins grand. La raison – sollicitée par sa présumée pureté –
devient alors sourde au grand message qui lui vient de la foi chrétienne et de
sa sagesse, desséchant comme un arbre ses racines, et ne rejoignant plus les
eaux qui lui donnent vie. Elle perd le courage pour la vérité et ne grandit
plus, devenant ainsi plus petite. Appliqué à notre culture européenne, cela
signifie ceci : si elle ne veut s’auto-construire que sur la base du cercle de
ses propres argumentations, et sur ce qui la convainc sur le moment, si
préoccupée de sa laïcité, elle se coupe des racines qui la font vivre. Non
seulement elle ne gagne pas en rationalité et en pureté, mais elle se décompose
et se brise.
Alors finalement, le rôle du Pape est le suivant :
Je reviens ainsi au
point de départ. Qu’est-ce que le pape a à faire et à dire à l’université ? Il
ne doit sûrement pas chercher à imposer aux autres la foi sur un mode
autoritaire, elle qui ne peut être seulement donnée en liberté. Au-delà de son
ministère de Pasteur de l’Église, et sur la base de la nature intrinsèque de
son ministère pastoral, il est de sa mission de maintenir éveillée la
sensibilité pour la vérité, d’inviter toujours la raison à se mettre à la
recherche du vrai, du bien, de Dieu, et, sur ce chemin, de la solliciter à
apercevoir les lumières utiles venant de l’histoire de la foi chrétienne et à
percevoir ainsi Jésus-Christ comme
Lettre du Secrétaire d'Etat au Recteur
de "
Monsieur le Recteur Magnifique,
Le Saint-Père avait volontiers accepté l'invitation que vous lui aviez adressée
à accomplir une visite à cette Université des études "
Malheureusement, à l'initiative d'un groupe véritablement minoritaire de
professeurs et d'élèves, les conditions d'un accueil digne et serein ayant
disparu, il a été jugé opportun de remettre la visite prévue, pour ôter tout
prétexte à des manifestations qui se seraient révélées fâcheuses pour tous.
Etant toutefois conscient du désir sincère, cultivé par la grande majorité des
professeurs et des étudiants, d'une parole culturellement significative, dont
tirer des orientations stimulantes sur le chemin personnel de recherche de la
vérité, le Saint-Père a décidé de vous faire parvenir le texte qu'il avait
personnellement préparé pour l'occasion. Je me fais volontiers l'intermédiaire
de cette haute décision, en vous joignant le discours en question, avec le vœu
que tous puissent trouver dans celui-ci des éléments de réflexions et
d'approfondissements enrichissants.
Je saisis volontiers l'occasion pour vous présenter, avec des sentiments de
profond respect, mes salutations cordiales.
Du Vatican, le 16 janvier 2008
Card. Tarcisio BERTONE
Secrétaire d'Etat