Flash-Info
au 24 avril 2008
Mgr
Claude Dagens — L'aumônier de l'Académie
Henri Tincq dans le Monde du 19 avril nous fait un portrait de Mgr Dagens, l’évêque d’Angoulême, élu, le jeudi 17 avril, à l’académie Français, au siège de l’historien
René Rémond.
L'évêque d'Angoulême devient le seul ecclésiastique de l'Académie française.
Ce normalien, pasteur de terrain, est convaincu qu'un vrai dialogue est
possible entre la tradition catholique et la tradition laïque de la France
Claude Dagens, l'une des plus fines pointures de l'épiscopat français - son
seul normalien, agrégé, docteur en lettres et en théologie -, l'un de ses
auteurs les plus féconds, a été élu dès le premier tour, à l'Académie
française, jeudi 17 avril, au siège de l'historien René Rémond,
un autre grand intellectuel catholique. Son nom avait été signalé à Hélène Carrère d'Encausse et à
Sous le cheveu taillé court et en brosse, l'homme semble un peu raide. Il peut
décourager ses interlocuteurs par un tempérament parfois volcanique. Il déteste
le carriérisme d'Eglise : « Devenant prêtre, j'avais renoncé à une carrière
universitaire. Devenant évêque, j'avais renoncé à tout calcul hiérarchique. »
En fait, l'évêque d'Angoulême aura souffert des tendances les plus
conservatrices à l'oeuvre chez les catholiques et de cette condescendance,
aussi cruelle dans l'Eglise que dans la société civile, à l'égard de tout ce
qui ne vient pas de Paris - surtout quand un Lustiger y est la référence quasi
unique.
Souffert aussi de cette « dépréciation, consciente ou inconsciente », qui règne
à Rome à l'égard de
Il est bordelais jusqu'au bout des ongles, mais bordelais des quartiers
populaires. Ses parents étaient croyants. Son père, fonctionnaire municipal,
lisait Anatole France et une presse socialisante. Ce même père - qui n'a que
son certificat d'études - dactylographie la thèse volumineuse du futur
académicien sur Grégoire le Grand (540-604), corrigeant ses fautes, discutant
ses arguments. Fils unique, Claude Dagens se souvient
d'avoir été « très aimé » de ses parents, fiers de ce sujet brillant du lycée
Montaigne, dirigé très tôt vers l'Ecole normale supérieure, puis l'Ecole
française de Rome. Sa grande épreuve restera l'hostilité radicale de sa mère à
sa vocation sacerdotale. Elle se réconciliera avec lui le jour de son
ordination.
Car, dans ces années 1960 d'ébranlement pour l'Eglise et la société, quand tant
de ses condisciples de Normale choisissent les carrières les plus brillantes de
l'Université, lui fait le choix de la prêtrise. Il le doit, entre autres, à sa
passion pour les sources chrétiennes et à des maîtres comme l'historien Henri
Marrou, l'un des plus grands spécialistes de saint Augustin. Dans l'exemple des
Pères de l'Eglise des premiers siècles - Origène, Grégoire, Augustin -, il
puise le fil rouge de toute sa vie, confirmé par la lecture de Péguy : inscrire
la foi chrétienne dans la culture de son temps ; croire et espérer malgré « le
mélange inextricable du bien et du mal, de l'héroïsme et de la violence, des
signes de sclérose et des germes de renouvellement » ; bref, discerner les «
signes du royaume de Dieu » dans des temps éprouvants.
Très tôt, il a une sorte de prescience des ruptures à venir. Dans l'Eglise,
d'abord, dont il est convaincu que les réformes institutionnelles seules ne suffiront
pas à résoudre la crise. Il quitte
« Depuis, je n'ai pas changé de musique », dit-il. Quand il rédige pour
l'épiscopat un rapport qui deviendra, en 1996,
Ni reconquête ni repli : la voie étroite qu'il propose - et renouvelle dans sa
récente Méditation sur l'Eglise catholique en France (Edition du Cerf, 150 p.,
15 euros) - passe par l'acceptation des règles du jeu laïque et pluraliste. La
foi chrétienne n'est plus majoritaire mais ne doit pas pour autant se taire, se
résigner à n'être plus qu '« un humanisme sans morale et sans Eglise ». Elle ne
doit pas davantage se replier comme dans un « ghetto » ou s'imposer par la
réaffirmation de disciplines et de dogmes. Le catholicisme ne peut plus
afficher d'attitude de supériorité ni ignorer les autres traditions. Il doit «
proposer » ses convictions à la société laïque et plurireligieuse,
non plus chercher à les « imposer ».
Ouvrir l'accès aux sources de la foi, approfondir la formation chrétienne : tel
est le credo de cet intellectuel mû en évêque de province, réjoui devant ces
jeunes adultes qui viennent se faire baptiser ou confirmer à l'église, alors
même qu'ils ne sont pas issus d'un milieu croyant : « Etre chrétien est
devenu un acte de liberté personnelle, non plus de conformisme social,
dit-il. Alors, n'ayons pas peur de dialoguer large avec des gens qui ne
partagent pas notre foi, mais sont capables de voir de quelles énergies
celle-ci est porteuse. »
Ce pasteur ne fut pas toujours prophète dans son propre pays, l'Eglise. Il
préfère aux mondanités le silence bénédictin de Bellocq
ou Ligugé. Il raffole des livres d'histoire autant que des romans, de Frédéric Vitoux à François Cheng. « Ma
plus grande joie à l'Académie sera de participer au dialogue effectif entre la
tradition laïque et la tradition catholique qui fait partie de notre histoire
commune », dit-il. Il risque, demain, d'être plus à l'aise Quai Conti qu'à la
Curie.
Henri Tincq