Le nihilisme culturel imprègne les émeutes banlieusardes

 

Le Figaro du 28 novembre 2005

 

 

Vous lirez avec plaisir cet article de Robert Redeker,  philosophe, publié dans le Figaro du 28 novembre 2005.  Vous pourrez en discuter heureusement en famille avec vos grands  enfants…Ils pourraient très bien comprendre alors  l’importance du Christ et de sa Lumière dans toute vie sociale. Ce n’est pas l’ordre républicain et son seul rationalisme qui pourra remettre de l’ordre dans les cœurs…A ces barbares, il faut leur donner le Christ. Jean-Paul II avait raison de nous appeler à une nouvelle évangélisation. Mais pour ce faire, il faudrait cesser de vouloir « caresser » sans cesse le monde et ses valeurs qui sont précisément « nihilistes ».

 

Résumé :

 

« Caractérisées par l’absence de sens, les émeutes des banlieues s’expliquent avant tout par le nihilisme auquel a conduit une politique culturelle inspirée de la sociologie plutôt que de la philosophie. »

 

 

 

« Les événements enflammant les banlieues françaises en cet automne sont d’un genre inédit dans notre histoire sociale et politique.

 

Un aspect nouveau les singularise : une violence aveugle venant semer la désolation dans des cités populaires, alors que les mouvements sociaux ont toujours fait preuve, historiquement, d’une violence discriminée.

 

La violence s’est déchaînée contre la culture, écoles et bibliothèques ont été brûlées, comme en temps de barbarie alors que les mouvements de révolte, par le passé, reconnaissaient dans la culture un ordre des choses inviolable.

 

L’absence de sens caractérise ces événements. Nul discours ne les porte. Voyons-y les premières émeutes postdiscursives, sans discours théorique articulé apte à les justifier, à les placer dans une stratégie historique.

 

La justification est venue des médias et des commentateurs, faisant dire à ces événements ce qu’ils ne disaient pas par eux-mêmes. Dans les médias, la révolte des banlieues, comme elle était muette, a été ventriloquée. Elle a été commentée en voix off, ou, en sous-titrage sur un film muet.

 

On a ainsi accompagné un mouvement aussi violent que muet du discours habituellement tenu par les révoltes sociopolitiques. Ce silence de la théorie et des revendications dans le fracas des nuits d’affrontements est pourtant une des données les plus stupéfiantes de ce mouvement.

 

Il s’agit également des premières émeutes postprogressistes, n’exprimant pas l’attente d’une société parfaite, d’un avenir radieux où toutes les causes de déchirements entre les hommes auraient été effacées.

 

Elles sont les premières émeutes se manifestant, en France, dans un « dehors » absolu par rapport au grand récit progressiste dont le registre s’ouvrit avec les Lumières.

 

La réponse en termes sociaux est vouée à l’échec dans la mesure où ces émeutes n’expriment aucun programme. Ce type de réponse fait écho non pas aux émeutiers mais au sous-titrage par lequel les médias accompagnèrent leurs forfaits.

 

Les violences urbaines, au rebours de ce que la réponse sociale attendrait, s’en prennent avec une rage destructrice aux symboles de ces mêmes programmes sociaux : crèches, pompiers, ambulances, cabinets médicaux, cabinets dentaires, écoles et bibliothèques. La réponse sociale se formule dans le langage de l’imaginaire de l’État français, mais elle manque de prise sur l’imaginaire des émeutiers. La réponse sociale s’incruste dans une vision historique. Du coup, elle ne peut se révéler efficace qu’à la seule condition que les jeunes issus de l’immigration s’incorporent à l’histoire de France, finissant par admettre que l’histoire de France est, jusqu’au plus profond d’eux-mêmes, leurs histoire. Autrement dit : que l’histoire, de nationale, devienne leur histoire personnelle.

 

L’incompréhension, par les jeunes de banlieue, de cet imaginaire national, et le déchaînement de violence appuyé sur cette incompréhension, trouve son explication dans la victoire de la conception sociologique de la culture sur sa conception philosophique.

 

Pour la sociologie, servant de base à tous les travailleurs sociaux, médiateur, intervenants en banlieue, « la » culture n’existe pas ; seules existent « les » cultures, toutes également légitimes. A force de marteler que « la » culture est oppression, élitisme, qu’une pièce de Shakespeare n’a pas plus de valeur qu’une chanson et qu’un vers de Racine ne vaut pas mieux qu’un couscous, comment s’étonner qu’on brûle des bibliothèques ?

 

On ne cesse de dévaluer « la » culture (sens philosophique du mot) et de surévaluer, au nom du différentialisme, « les » cultures (sens sociologique), dans leur pluralité. Les travailleurs sociaux ne cessent, dans leur banlieues, d’incriminer la France, au nom de l’anticolonialisme, de l’antiesclavagisme, et son histoire.

 

Ils ne cessent de rendre la France non désirable.

 

Comment s’étonner de la non-intégration, alors que ces jeunes se sentent justifiés dans ce qu’ils sont, autorisés à refuser les règles de la citoyenneté puisque tout est légitimé ?

 

Dans ce cadre, il devient impossible de poser des idéaux régulateurs : un modèle idéal de l’homme, un modèle idéal du citoyen.

 

Les définitions de l’homme et du citoyen entrent, du fait du pluralisme culturel, en concurrence aux dépens des jeunes de banlieue, qui ne savent plus à quoi il faut essayer de ressembler puisqu’on leur a enseigné que tout se vaut.

 

Le nihilisme est la situation d’égalisation des cultures dans laquelle le travail social enferme depuis trop longtemps les populations des banlieues.

 

Ce n’est pas la pauvreté, c’est-à-dire une situation sociale, qui engendre la violence anomique et insensée, mais le nihilisme, c’est-à-dire une construction culturelle.

 

Par la faute d’un type d’intervention culturelle trop complaisant avec toutes les différences, les jeunes de banlieue ne disposent plus d’aucun concept du citoyen ou de l’homme pouvant faire office d’idéal régulateur.

 

La disparition de ce type d’idéal, horizon reconnu et intériorisé par tous, est un résultat de la domination de la vision sociologique de culture – « les » cultures – sur la vision philosophique – « la » culture.

 

La surévaluation des cultures, de toutes les cultures, et le fétichisme de la différence l’accompagnant, entraîne un effet inattendu : l’impossibilité, pour des populations issues de cultures étrangères, de s’amalgamer à la culture nationale et républicaine de la France.

 

Caractérisées par l’absence de sens, les émeutes des banlieues s’expliquent avant tout par le nihilisme auquel a conduit une politique culturelle inspirée de la sociologie plutôt que de la philosophie.

 

Robert Redeker

Philosophe, membre du comité de rédaction de la revue Les Temps modernes,

auteur de Le Progrès ou l’Opium de l’histoire