Flash-Info au 31 janvier 2008

 

Voici quelques considérations utiles de Jean Madiran sur la publicité et la presse

 

 

 

La publicité peut désormais être mise en question

 

Comme un coup de pied dans une fourmilière, l’annonce présidentielle du 8 janvier selon laquelle on pourrait éventuellement toucher à la publicité a fait grouiller et pulluler une intense agitation politico-syndicale.

 

Car le monde publicitaire est une anonyme et puissante féodalité qui règne sur la télévision, la radio, la presse écrite, leur imposant ses propres normes morales, psychologiques et financières.

 

Chacun sait bien que l’on ne pouvait mettre en cause les privilèges de la publicité sans faire l’objet d’une grave réprobation morale et d’un lynchage médiatique dénonçant l’imprudent comme rétrograde, incivique et maladivement publiphobe.

 

L’annonce présidentielle a suscité quelque soupçon, pas seulement chez les socialistes : soupçon d’une manœuvre favorisant les télévisions privées appartenant à des amis du Président. D’autre part on ne sait jamais très bien comment interpréter les annonces présidentielles : l’expérience montre qu’elles sont susceptibles d‘être rectifiées ou contredites à bref délai. Quel que soit le pronostic sur cette annonce-là, elle aura eu le mérite de faire tomber ce que l’on appelle un « tabou » et d’instaurer ce que l’on appelle un « acquis » : désormais l’on peut librement mettre en question la prépotence publicitaire.

 

Le pouvoir des normes commerciales sur les dirigeants de la presse écrite a pour fondement le fait que celle-ci accepte une publicité assurant jusqu‘à 80% de ses recettes, voire 100% dans le cas des quotidiens gratuits. Dès lors, son existence en dépend. C’est pourquoi la proposition avancée par Présent depuis plus de vingt ans est d’imposer par la loi que la publicité ne puisse dépasser 5% des recettes d’un journal (le surcroît éventuel étant par exemple fiscalement confisqué). Pourquoi 5% ? Parce que la suppression éventuelle de ces 5% ne mettrait pas en cause son existence (on peut toujours, en règle générale, faire 5% d‘économies ; mais pas 40, 50 ou 80). A 5%, un journal peut refuser de se soumettre aux normes morales et matérielles imposées par la publicité. La liberté de la presse, sa liberté à l‘égard du gros argent, est à ce prix. C’est dire à quel point, malgré les apparences, elle est absente de la presse actuelle.

 

Notre proposition de loi pourrait instaurer une limitation progressive : à 50% la première année, 25% la seconde, 10% la troisième, afin de laisser aux journaux le temps de l’adaptation, qui imposerait une réforme profonde de la presse, et ainsi on arriverait en quatre années aux 5% définitifs. Mais bien sûr cela, et déjà la réformette Sarkozy sur la publicité télévisée, demanderait un Etat capable de braver la féodalité publicitaire et ses vassaux syndicaux, et de gagner une vraie bataille contre cette puissance anonyme.

 

S’il a fallu plus d’un siècle pour que la publicité dans la presse inventée par Emile de Girardin manifeste visiblement sa domination, il en a fallu beaucoup moins pour qu’elle installe la réalité de son pouvoir, mais habilement masquée pendant longtemps. C’est cette réalité alors cachée qu’analysait en 1905 le livre célèbre de Charles Maurras sur L’Avenir de l’intelligence. Il y est revenu fréquemment par la suite. En 1914 il signalait la « sujétion [de la presse] aux conditions de l’offre et de la demande, ensuite aux lois de la publicité et de la réclame commerciale ». En 1928 : « C’est une oligarchie maîtresse de l’argent qui tient presque toute la presse et tend à la tenir de plus en plus. » Et à maintes autres reprises, recueillies dans les cinq tomes (et 31 fascicules posthumes) de son Dictionnaire politique et critique. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6517
du Jeudi 31 janvier 2008