Nos tombeaux en Algérie…

 

Pour l’honneur !

 

L’expulsion des morts

A LA TRIBUNE DE “PRÉSENT”

« Tribune libre » (en abrégé : « Tribune ») : Article d’une personnalité extérieure à la rédaction d’un journal et qui n’engage pas l’opinion de ce journal.

 

 

 

« Ils sont venus de toutes parts. Le tien « ton plus vieux » comme on dit dans son Aveyron natal, a eu cette idée saugrenue de s’embarquer à Toulon, avec la division Loverdo, par un beau jour de printemps, sur un trois-mâts en partance vers l’aventure, qui mettait, comme six cent soixante-quatorze navires, le cap sur Alger. Tu ne l’as pas connu, ton arrière grand-père, mort à soixante ans, à Boghar, où il avait fondé une famille. La tienne. Ne ménageant ni sa sueur ni son sang, il avait fait d’un désert brûlant un jardin des Hespérides, écaillassant et défrichant une terre ingrate, construisant une ferme, faisant pousser du blé là où il n’y avait que des cailloux… Quarante ans après la conquête, ayant épuisé toutes ses forces, il a rendu l’âme, pleuré par sa veuve, ses enfants et toute cette population du bled alentour qui n’oublia jamais que lui, le pionnier, lequel avait bien gagné le droit de reposer en terre algérienne,

lui avait appris le courage et la persévérance.

 

Tu ne l’as pas connu, mais tu portes en toi son histoire : celle d’un soldat-laboureur qui vénérait Bugeaud et s’était battu comme un lion contre une terre hostile, tragique torturée, aussi bien que contre la fureur de cette Afrique où les hommes, depuis des siècles, n’avaient cessé de se dévorer, entre eux, comme des loups ou des damnés. « Ton plus

vieux », à l’écoute de sa ténacité, il t’a enchaînée, à jamais, à la conscience d’appartenir à une communauté qui avait découvert un secret d’amour. Tu l’as vénéré, depuis, pour avoir accompli cette tâche immense à mains nues et avoir joué un rôle capital pour réduire l’anarchie et apporter, dans cette région perdue hors de l’espace et du temps, cette affirmation, ce message secret, cette invite au rapprochement des hommes : la civilisation.

 

Et tu étais heureuse de savoir qu’il reposait au sein de cette terre qu’il avait passionnément aimée, de cette contrée qui avait versé aux trois générations qui lui ont succédé l’émerveillement de sa beauté tranquille et de ses paysages apaisés. Toi, tu es née à Alger, près d’une mer au reflets étincelants qui ont bercé ton enfance du plus beau des hymnes à la joie. Mais, chaque fois qu’il t’était donné de te rendre dans ce que tu appelais le « berceau de tes pères », tu retrouvais cette ivresse confuse qui semblait descendre du ciel avec la lumière de l’été et, en même temps du sol, principalement dans les cimetières, près des tombes familiales, toujours fleuries. Je crois te l’avoir déjà entendu

dire, mais je sais que tu le rediras encore  jusqu’à ta propre mort, de Loverdo à Boghar, en passant pas Lodi, Ben Chicao, et bien d’autres villages, ce sont ces routes, ces bocages, ces vignes, ces champs verdoyants, ces maisons serrées autour de l’église et du cimetière, qui ont donné une  quille à la vie, laquelle t’a permis de braver bien des orages…

 

Là-bas tu t’étais créé une France, rien qu’à toi, généreuse, honorable, une France comptant plusieurs millions d’êtres car il te paraissait évident de ne pas séparer les vivants des morts, parce que les vivants sont justement ce que les morts les ont faits.

 

Et puis un jour, comme nous tous, tu as été victime d’une monstrueuse injustice, d’un déni de justice même, puisque, pas plus que nous, tu n’as eu d’autre choix que l’exil ou la mort. La colonisation, cette oeuvre de tes pères dont tu étais si fière, tu l’as vu dénaturée, falsifiée, occultée, partout  et par tous et tu t’es demandé : pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant de rancunes ? Pourquoi tant de massacres ? Pourquoi ce fleuve de  sang qui s’était ouvert, sous tes pas,

dans cette rue d’Isly qui, aussi, était tienne, ne s’est jamais refermé ?

 

Mais il y a eu pire : la page algérienne n’a même pas été tournée  pour les morts. Après avoir fait fuir un million de vivants, n’ayant plus personne à torturer, à martyriser et à massacrer, les révolutionnaires fanatisés du FLN se sont tournés vers les  cimetières qu’ils ont profanés par centaines, en ouvrant des milliers de sépultures pour répandre sur le sol, ou donner à leurs chiens, les restes de nos ancêtres. Qu’est-il resté des cimetières  paisibles, à l’ombre des églises, dans lesquels reposaient « ton plus vieux » et ceux qui l’ont suivi ? Tu restes à jamais marquée par le décès accidentel d’un enfant de quatorze ans, enterré à Ben Chicao, au bord de la tombe duquel toute ta famille, le cœur serré, avait dit un « au-revoir ». pas un « adieu»… Peu d’années après, tu apprenais, de la bouche même d’un président de l’ASCA, que ce cimetière-là n’existait plus. Que tous les ossements gisaient, épars, dans les hautes herbes. Et que cet homme de bien avait été bouleversé, s’approchant de l’endroit que tu lui avais indiqué, de se pendre le pied dans une cage thoracique d’enfant… Tu t’es sentie, alors, écrasée par toutes les malédictions que de telles profanations appelaient sur l’Algérie comme sur la France. La France muette. La France impassible. La France insensible qui n’éprouvait pas plus de compassion pour les  morts qu’elle n’en avait eu pour les  vivants. Non : ce pays d’indifférence

et de froideur ne pouvait être la patrie qu’on t’avait appris à aimer. Cette  France-là, c’était un pays sous domination,

sous possession même d’un être démoniaque qui se l’était appropriée, cette France-là, fallait-il que tu y sois tout de même attachée par  toutes les fibres de ton être, pour croire à l’exorcisme qui la délivrerait !

 

Il y a peu, le 10 février dernier, une  loi était votée pour assurer à « ton plus vieux » comme à tous les artisans de la colonisation, « la reconnaissance de la Nation ». Un délégué aux Rapatriés se félicitait des compensations qui t’étaient offertes, et l’on te faisait miroiter un « Mémorial » et « une  Fondation pour la mémoire ». Tout cela afin de détourner ton attention pendant qu’on la chloroformait, cette mémoire, avant de l’anéantir… Tu ne dois pas oublier, qu’actuellement, un vieux chef terroriste et un vieux chef gaulliste s’allient derrière ton dos pour éradiquer jusqu’à la moindre trace de l’épopée des tiens, le plus petit se dressant comme un coq sur ses ergots, au sommet de la montagne des charniers de harkis, et le plus grand se drapant dans l’écharpe sanglante étalée par son maître à penser dans les rues d’Alger et d’Oran.

Et voilà qu’on ose t’envoyer un bilan sur la restauration de soixante deux  cimetières français en Algérie (qui en comptait des centaines !) prochainement « regroupés » en fosses communes, car « les collectivités algériennes sont propriétaires des cimetières dans lesquels reposent les sépultures civiles françaises ». Nos défunts (ou ce qu’il en reste) dérangent. Alors que l’Algérie a nationalisé tous les biens appartenant aux collectivités et administrations françaises, nos morts témoignent encore pour l’Histoire. Car ce sont eux qui ont construit l’Algérie, ce pays qui n’avait jamais existé avant la France, et il faut, à tout prix, en faire disparaître jusqu’à la trace. Aujourd’hui, après tant d’années, ton cœur bat, ta main tremble, tu suffoques d’une indignation, d’un écœurement et d’une colère mal contenus. La délégation aux rapatriés t’adresses une note par laquelle elle prétend avoir ainsi répondu à « une attente exprimée par les rapatriés d’Algérie » (sic) en réhabilitant le plus grand nombre de sites possibles (c’est-à-dire soixante-deux sur six cents existants dont les trois quarts n’existent plus « fortement dégradés par l’usure du temps et l’insécurité… (resic). Comment avez-vous pu écrire cela ? Non, monsieur Bachy, monsieur Dubourdieu, et vous, monsieur le Premier ministre de la France d’en haut, de la France d’en bas, mais sûrement pas de la France des rapatriés, ce n’est ni l’usure du temps, ni l’insécurité, ni même, selon les déclarations du

consul d’Algérie à Nice, Mohamed Bachir Mazouz, « les enfantillages de quelques bambins ou adolescents qui ont déplacé quelques fleurs et commis quelques dégradations » qui sont responsables de l’état de nos cimetières français en Algérie.

 

Les responsables, ce sont les barbares fanatiques qui ont exprimé leur haine pour la France sur les vivants comme sur les morts, tandis que De Gaulle et ses complices laissaient s’accomplir le sacrilège. Pour cette passivité, pour cette lâcheté, comme pour vouloir, aujourd’hui, dissimuler encore le crime gaulliste en jetant nos proches et nos ancêtres à la fosse commune, devant tant  d’ignominie, prions pour que ne s’accomplisse   pas, dans un proche avenir la terrible prédiction du maréchal Juin : « La France est en état de péché mortel, elle connaîtra, un jour, le châtiment ! »

Anne Cazal,

délégué général de Veritas

(Comité pour le rétablissement de la

vérité historique sur l’Algérie française)

 

PRÉSENT — Mercredi 30 mars 2005

 

 

 

J’ai vibré en lisant ce texte dans « Présent » de mercredi 30 mars. J’en félicite l’auteur, Anne Cazal. Je ne la connais pas. J’aimerais la connaître. Elle s’exprime bien. Ce qu’elle écrit… c’est  peut-être pour l’honneur…Mais c’est cet honneur-là qui garde, auprès des générations qui viennent, le sens de la Patrie.

 

« On voit que, dans le concept même de patrie, se trouve un lien profond entre l’aspect spirituel et l’aspect matériel, entre la culture et le territoire. Le territoire retranché par la force à une nation devient, en un sens, une imploration et même un cri adressé à « l’esprit » de la nation elle-même ». Souhaitons que cet « esprit de la nation se réveille », et qu’il vive « d’une vie nouvelle et lutte pour que les droits soient rendus à la terre. » (Jean-Paul II. dans « mémoire et identité » p. 80)

 

Pour l’honneur.

 

Mais ! Anne Cazal n’oubliez pas aussi cette autre patrie : la patrie céleste…Elle donne un sens aussi à la patrie d’ici. Ecoutez, à votre tour ces paroles :

« L’Evangile a conféré une nouvelle signification au concept de patrie. Dans son sens original, la patrie signifie ce dont nous avons hérité de nos pères et de nos mères sur la terre. L’héritage dont nous sommes redevables au  Christ oriente vers la Patrie éternelle ce qui fait partie du patrimoine des patries humaines et des cultures humaines. Le Christ dit : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père » (Jn 16 28). Ce départ du Christ vers le Père inaugure une nouvelle Patrie dans l’histoire de toutes les patries et de tous les hommes. On dit parfois : la « Patrie céleste », la « Patrie éternelle ». Ce sont des expressions qui indiquent précisément ce qui est advenu dans l’histoire de l’homme et des  nations à la suite de la venue du Christ dans le monde et de son départ de ce monde vers le Père. Le départ du Christ a ouvert le concept de patrie à la dimension de l’eschatologie et de l’éternité, mais il n’a nullement supprimé son contenu temporel. » (Jean-Paul II dans « Mémoire et identité » p. 80)