«  Mgr Marty a barré la route aux intégristes »

 

C’est le témoignage de Mgr Gilson, partant en retraite et venant s’installer au Sacré Coeur de Montmartre, à Paris.

Il fut secrétaire du Cardinal Marty de 1968 à 1976. Il en posséderait les archives. Il peut en parler en connaissance de cause ! Vous trouverez son témoignage en page 3.

 

Cette intention semble bien rester actuelle dans le cœur de ses successeurs dans l’épiscopat.

J’en parlerai un jour…

 

« Je suis persuadé que sans lui (Marty) et d’autres bien sûr car on n’est jamais complètement seul, Mgr Lefebvre serait devenu un leader politique. Au début des années 1970, le risque existait d’avoir un parti politique religieux »

 

Je fus bien placé, moi aussi, auprès de Mgr lefebvre. C’est vraiment à faire rire ! Mgr Lefebvre  n’a jamais voulu devenir « un leader politique ». Dire cela, c’est n’avoir rien compris à la pensée et à l’action de Mgr Lefebvre. 

 

 

 L'Yonne républicaine

 

Le dernier Noël de Mgr Gilson dans l’Yonne : « Le bonheur c’est les autres »

 

 

Début janvier, l’archevêque de Sens-Auxerre retournera à Paris où sont ses racines. Sa «retraite» n’y sera pas inerte.  Le père Gilson célèbrera la messe de minuit dans le Sénonais, à Villeblevin et Pont-sur-Yonne. Il sera le lendemain à la cathédrale de Sens pour fêter la naissance du Christ. Puis il passera le témoin à son successeur, le père Yves Patenôtre, lors d’une cérémonie à la cathédrale d’Auxerre, dimanche 2 janvier 15 h 30.

 

Il fera à cette occasion ses adieux à la communauté chrétienne, mais aussi à tous les Icaunais. La règle du concile Vatican 2 veut qu’à 75 ans, les évêques remettent leur charge au pape. On ne parle pas de retraite, on dit qu’ils deviennent «évêques émérites». Georges Gilson est en parfait accord avec cette règle. Le voilà arrivé au bout de ce chemin là, et prêt à s’engager sur bien d’autres routes.

L’Yonne Républicaine.

 

Vous semblez partir avec beaucoup de sérénité ?

 

Mgr Georges Gilson. Oui car il y a un temps pour tout. Pour gouverner, pour prier, pour prendre du recul. A 75 ans, il faut passer la main. Je le pense vraiment.

 

Etes-vous triste de quitter l’Yonne?

 

Je suis triste de laisser mes amis, les gens de ce département, leurs prêtres et ceux de la Mission de France. On se dit qu’on se reverra, comme toujours, mais vous connaissez la vie… J’ai eu la chance de rencontrer ici des gens engagés, sympathiques-est-ce le vin qui fait cela?, et dans tous les milieux. Autorités, jeunes, anciens, tout le monde m’a accueilli. C’est l’avantage de l’évêque qui effectue des visites pastorales. Et ça c’est un bonheur pour moi. Bonheur de se rencontrer, d’aimer. L’Evangile le dit: «Aimez-vous les uns les autres». Alors je pars à la fois triste et heureux de ce bonheur qu’il m’a été donné de vivre ici.

 

Et où partez-vous?

 

Le cardinal Lustiger m’a octroyé un appartement à Montmartre. J’y serai à l’ombre du Sacré cœur et près de ce monde populaire de la capitale. Je suis parisien, il est bon de se retirer là où on a ses racines. C’est que je vis hors de Paris depuis 1981. De quoi vous occuperez-vous? Je n’aurai pas de responsabilité pastorale. Je veux prendre un peu de distance, me donner du temps d’abord pour prier, méditer. Méditer sur quoi? J’ai toujours dans ma poche, un vieil exemplaire du Nouveau testament qu’un ami m’a donné avant de mourir. Et dans ma table de nuit, les fables de La Fontaine. Une très vieille édition aussi, je crois que c’est le livre que j’avais en seconde.Quand je n’arrive pas à dormir, je relis La Fontaine. Il était homme de raison et d’analyse, mais avec poésie. Tout au long de ma vie, j’ai cherché à ajuster un regard rationnel, raisonnable sur l’humanité, avec la lumière de la foi. Je suis bien sûr convaincu de ma foi. Il n’y a pas de doute la dessus, je suis homme de foi et qui entraine les autres dans la foi. Mais ce travail d’ajustement, œuvre de chaque jour, n’est pas facile. C’est d’ailleurs la difficulté aujourd’hui des jeunes générations, que de savoir qui et comment croire. Et en dehors du Nouvau testament et de La Fontaine? Je vais terminer le dernier prix Goncourt.

 

Vous disposez d’un trésor: les archives de Mgr François Marty qui fut cardinal archevêque de Paris entre 1968 et 1981. Allez-vous vous en servir pour écrire?

 

J’ai eu la chance d’être le secrétaire du père Marty. Nous avons vécu ensemble des temps agités, avec notamment mai 1968 et la crise de l’église entre 1970 et 1975. Il y a eu des choses très fortes, mais pas publiques. Mgr Marty avait des liens avec Pompidou. Si cela peut avoir un intérêt, au plan de l’Histoire, je parlerai de ces choses.  Mgr Marty a barré la route aux intégristes. Je suis persuadé que sans lui, et d’autres bien sûr car on n’est jamais complètement seul, Mgr Lefebvre serait devenu un leader politique (1). Au début des années 1970, le risque existait d’avoir un parti politique religieux. Il se peut aussi que j’écrive sur l’avenir du catholicisme qui ne représente plus aujourd’hui que 50% de la population française. Nous sommes en train d’apprendre à vivre avec les autres, comme les autres apprennent à vivre avec nous. C’est un changement radical qui pose des problèmes difficiles mais pas insurmontables. L’Europe aussi m’intéresse beaucoup. Je souhaite que les catholiques s’y engagent et même qu’ils votent, je le dis à titre personnel, le projet de Constitution. Les Européens ont à vivre un destin commun. Les Français ont de nos jours une tendance au repli sur soi, comme une peur d’accueillir l’autre, l’étranger. Or il faut apprendre à vivre le pluriel. Un prince, un peuple et une religion qui doit obligatoirement être celle du prince, tout ça c’est fini. Accueillir l’autre.

 

 Y compris la Turquie?

 

Mais pourquoi ne pas accueillir ce pays, s’il accepte les conditions dont on a déjà beaucoup parlé, et notamment s’il est capable d’ouvrir ses frontières, de reconnaître le génocide arménien, c’est-à-dire de redonner aux Arméniens, en tant que chrétiens, la possibilité de vivre en Anatolie. Comme nous nous accueillons les autres communautés. L’entrée éventuelle de la Turquie ne se ferait que dans 15 ans, il ne faut pas dire à priori que c’est impossible. Entre la lecture et ces projets d’écriture, l’emploi du temps sera chargé. Mais j’entends aussi voyager. C’est la grâce de l’épiscopat, un évêque a beaucoup d’amis dans le monde. Je prévois d’aller au Vietnam en mai, puis en afrique, au Cameroun ou au Rwanda où il y a des communautés que je connais bien. J’ai aussi des amis en Amérique latine et en Europe. Je veux aussi passer du temps avec ma famille. Nous sommes six frères et sœurs entre 70 et 80 ans. J’ai été peu avec eux et je ne connais pas assez mes petits neveux et nièces. La famille c’est important, comme les amis.

 

Etes-vous toujours passionné de voitures et des 24 heures du Mans?

 

Moins qu’au temps où j’étais au Mans. Je suis très soucieux de la sécurité routière, je m’interroge même pour m’engager davantage à titre personnel dans ce combat. Mais j’aime toujours beaucoup la voiture, assez pour qu’elle ne tue pas. C’est un bel engin, et une ascèse. On y apprend la maîtrise: je peux aller à 200 kilomètres à l’heure mais je ne roule qu’à 130, pour respecter la loi qui n’est là que pour les autres.

 

Voulez-vous dire une dernière chose aux Icaunais avant de partir?

Je veux leur dire que le bonheur est possible. Et que le bonheur, c’est la rencontre de l’autre, l’écoute, le cadeau que l’on fait, gratuitement. Au fond, c’est l’amour. Dans ce monde là, répétons nous, à l’occasion de Noel, ce que Dieu dit: je vous aime. Au long de ma vie, c’est ce que j’ai essayé de dire, humblement.

 

 

(1) Cet évêque, fondateur du séminaire d’Ecône en Suisse en 1971, dirigea le courant intégriste opposé aux réformes issues du concile Vatican 2. Il fut excommunié en 1988 pour avoir consacré des évêques.

 

Propos recueillis par Daniel GUADARRAMA

 

24.12.2004