France
catholique – 7 mai 2004
A propos des abus liturgiques
Enfin ! Quand on a lu la toute récente
Instruction de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des
sacrements « sur certaines choses à observer et à éviter », on se dit que bien
des malheurs eussent été évités, si on avait rappelé plus tôt ces «choses». Non
pas qu’elles n’aient pas été dites et même écrites en toutes lettres dans des
instructions très officielles, mais où personne n’allait les lire. Aujourd’hui
on nous explique en 186 articles, tout ce qu’il faut faire et ce qu’il faut
éviter, pour que la célébration de l’Eucharistie retrouve sa dignité dans
l’Eglise latine. Mais ce texte aura-t-il plus de succès que les précédents ?
Tant de déformations passées en habitudes pourront–elles être déracinées par
l’effet d’un document, même revêtu de l’approbation du Pape ?
Deux raisons permettent de l’espérer : d’abord
la génération des soixante-huitards touche à sa fin, les prêtres et les
militants laïcs qui ont vécu Vatican II comme une rupture exaltante avec
l’Eglise d’avant le Concile, s’ils gardent encore en maints endroits le
pouvoir, ont perdu l’influence et une grande partie de leurs convictions, les
générations qui les suivent ne comprennent plus grand-chose aux débats des
années soixante-dix et se demandent pourquoi le progrès a consisté à brader
tant de richesses qu’on envie chez les autres (orthodoxes, juifs, etc…). Mais
les plus jeunes n’ont connu qu’une liturgie si squelettique qu’ils se
représentent mal comment il pourrait en être autrement. Espérons que ce texte
leur donnera le courage de plonger dans les sources liturgiques (les textes en
vigueur, mais aussi ce qui les a préparés et qui souvent indispensable pour en
comprendre l’enjeu).
L’autre raison qui peut nous laisser espérer
que ce texte ne sera pas un coup d’épée dans l’eau est le ton adopté et le
moment choisi. L’Instruction est clairement référée à l’Encyclique du Pape
Ecclesia vivit de Eucharistia et on y sent la même
volonté à la fois ferme et sereine d’aller de l’avant, sans plus s‘embarrasser
des précautions jadis nécessaires sur ces sujets. Le Préfet de la Congrégation
concernée, le Cardinal Arinze, que ses origines africaines protègent contre les
accusations de collusion avec la réaction, a clairement affirmé, dès son entrée
en charge, la volonté de réformer la réforme liturgique, selon la formule d’un
autre cardinal de Curie, Josef Ratzinger. Il s’y emploie méthodiquement en
poussant à la refonte des traductions liturgiques, et aujourd’hui en épinglant
les abus les plus saillants en matières de célébration eucharistique. Il y a
une grande différence entre le discours trop souvent employé jusqu’ici, qui
déplore des erreurs et des comportements malheureux, mais ensuite se résigne et
va se coucher et l’intention qui inspire ce texte, où on nous dit clairement
que dans certains secteurs de l’Eglise, ça ne va du tout et qu’on ne peut pas
laisser les choses ainsi sous peine de voir se perdre l’essence de la foi
catholique. L’encouragement donné à tout fidèle catholique « qui a le droit de
se plaindre d’un abus liturgique, auprès et l’évêque diocésain, ou encore
auprès du Siège Apostolique (lequel demandera des comptes à l’évêque diocésain)
» (§184) est une nouveauté qu’il faut saluer. La résignation était jusqu’ici de
mise et rares étaient les fidèles qui voyaient leurs plaintes en ce domaine
aboutir. On peut même se demander si une partie du malheur n’est pas venue de
l’incroyable passivité des catholiques, tellement habitués à suivre leur
clergé, par vertu ou par faiblesse, qu’ils se sont pliés à toutes les
pitoyables fantaisies qu’on leur a fait avaler depuis quarante ans. A part la
frange intégriste, installée dans son refus global de la réforme, on n’a guère
vu ce réflexe de santé qui aurait consisté à refuser poliment mais fermement de
collaborer à la désorganisation du rite romain. Ceux qui le feront seront
désormais armés et assurés d’être soutenus.
Néanmoins, nous aurions tort de tout attendre
d’un texte, même de cette qualité. L’argument qui restera entre les mains de
ceux qui veulent garder leurs habitudes sera qu’on ne peut pas faire autrement,
que les gens ne comprendraient pas que l’on fasse machine arrière, qu’on risque
de décourager les rares bonnes volontés qui restent (et de fait avec cela il en
restera de moins en moins !), etc. Il importe que tous les croyants qui ne
désespèrent de l’avenir de l’Eglise et de la beauté de sa liturgie se
regroupent là où il est possible d’œuvrer pour des célébrations dignes et
respectueuses du sacré. Au lieu de s’épuiser en combats stériles, qu’ils
cherchent le lieu, abbaye, paroisse ou sanctuaire, où ils pourront vivre leur
vie spirituelle et nourrir leur foi et qu’ils le fassent rayonner. En espérant
qu’un jour ceci puisse rejaillir sur toute l’Eglise.
P. Michel GITTON