INTERVIEW DE M. L’ABBE AULAGNIER
AU JOURNAL CANADIEN WANDERER.
1) Puisque vous avez été le premier prêtre français
ordonné pour la Fraternité Saint-Pie X, étiez-vous
proche de Mgr Lefebvre ? Que pensiez-vous globalement de Mgr Lefebvre lors de
vos études au Séminaire Français, puis à Fribourg ? Comment vous a-t-il inspiré
?
Oui ! J’ai été
proche de Mgr Lefebvre. Je l’ai bien connu. Je l’ai fort apprécié. Il était
tellement cordial, avenant, grand seigneur, mais humble, simple, prévenant pour
ceux qui l’entouraient. Il avait du cœur. Il était difficile de ne pas
l’aimait. Sa personne était attachante. Je l’ai connu alors que je faisais mon
séminaire à Rome, au séminaire français, à Santa Chiara. Nous étions en plein Concile, en 1964. Les
séminaristes suivaient, autant qu’ils le pouvaient, cet événement ecclésial.
Tout était « en feu ». L’Église, peut-être. Le
séminaire, certainement. Plus de 50 évêques français logeaient au séminaire. Le
père Congar était au milieu de nous. Les directeurs
du séminaire invitaient souvent, le soir, en conférence spirituelle, tel ou tel
Père conciliaire. De toutes tendances. C’est ainsi que nous eûmes la joie, du
moins pour certains, d’écouter deux ou trois fois Mgr Lefebvre. A la différence
des autres, il nous parla peu du Concile, mais plutôt du sacerdoce que nous
désirions revêtir. Je fus sensible à sa présentation du sacerdoce catholique.
Il me plut ainsi qu’à plusieurs de mes confrères.
Un petit groupe de séminaristes, dont moi-même, se mirent alors à le fréquenter, à
lui demander des conseils, à chercher sa protection.
Lorsque
plusieurs d’entre nous, en année de théologie, nous étions en 1968, firent leur
demande de la tonsure, pour devenir clerc, tous furent refusés. C’est alors
qu’on se tourna avec plus de résolution vers Mgr Lefebvre. Il conseilla à
plusieurs de quitter le Séminaire français et de rejoindre le Père Théodosios – un ami prêtre, ordonné par le Cardinal Siri – pour y poursuivre leurs études de théologie. Ce
qu’ils firent. J’ai préféré, quant à moi, rester encore au Séminaire. Je
trouvais le Père Théodosios trop religieux.
J’attendais. D’autant qu’en cycle de licence, j’avais un an devant moi avant de
devoir demander de recevoir la tonsure, plus 16 mois de service militaire…
J’attendis. Et c’est ainsi qu’en 1968-1969, Mgr Lefebvre, ayant donné sa
démission de Supérieur Général des spiritains., libre et peu attiré par le
style trop religieux que donnait le Père Théodosios à
ce groupe d’anciens du Séminaire français, décida de fonder lui-même un
séminaire, à Fribourg, en Suisse. Là, se trouvait un ami du Séminaire de Rome,
il me fit savoir la prochaine présence de Mgr Lefebvre, à Fribourg, début juin
1969. Sous les drapeaux, je posais une permission de longue durée, comme disent
les militaires et je vins le rejoindre. C’est là, chez M. le professeur Faÿ, qu’une après midi de début juin, fort encouragé par le
Père Marie-Dominique Philippe, le Père Abbé d’Hauterive
- je fus témoin de la scène – Mgr Lefebvre prit la décision d’aller trouver Mgr
Charrière, évêque de Fribourg, pour l’informer de son projet. L’évêque accepta,
l’encouragea même . Mgr Lefebvre y vit le doigt de
Dieu. Il loua deux étages d’un foyer salésien, route de Marly, au numéro 106.
Il écrivit aux uns et au autres jeunes ayant gardés des contacts avec lui pour
leur annoncer sa résolution. Je fis parti des neuf premiers séminaristes de Mgr
Lefebvre, à la route de Marly. Un jour de septembre 1969, après avoir été
chercher mes affaires à Rome, dit au supérieur du séminaire, les raisons de mon
départ, obtenu de Mgr de La Chanonie, évêque de
Clermont Ferrand, mon diocèse, l’autorisation de passer de Rome à Fribourg,
j’arrivais à Fribourg, route de Marly. Être là, il est vrai, pendant une bonne
année, 1969-1970, étant en quelque sorte l’aîné et déjà fait quatre ans de
séminaire, j’eus l’occasion de parler souvent avec Mgr Lefebvre, à l’occasion
de la vie commune, à l’occasion des voyages que nous faisions en Suisse. Dans
les promenades, il échangeait volontiers avec nous. Il se confiait même
spontanément, parlait de ses projets, de son idéal sacerdotal, de ses
hésitations… Fallait-il suivre le style du Père Théodosios,
plus religieux, ou faire prédominer le style plus sacerdotal ? Il parlait de
tout cela…Il racontait souvent ses souvenirs africains, avec beaucoup de joie,
ses souvenirs du Concile. Sa résolution, par exemple, de publier enfin un texte
qu’il avait écrit en 1963-1964, en plein Concile, mais que son ami, Mgr Morilleau, évêque de la Rochelle, lui avait déconseillé de
publier à l’époque. Il le publia, de fait, dans la revue « La Pensée
catholique » en 1970. Il l’intitula : « Pour rester catholique faudrait-il
devenir protestant ».
Voilà la grande préoccupation de Mgr
Lefebvre. Voilà ce qui explique tout Mgr Lefebvre. Il craignait, il pensait que
l’esprit de la Réforme était en train de corrompre la pensée catholique. En
tous domaines, tant liturgique que philosophique, que théologique, que
politique. Il avait horreur, formellement, du « monde moderne » considéré dans
son essence, du monde révolutionnaire, né en 1789. Il y voyait l’influence et
l’aboutissement de la pensée luthérienne. Il n’aimait pas l’esprit
révolutionnaire refusant sujétion, soumission, subordination à l’ordre créé, à
l’ordre divin. Il avait horreur de la « libre pensée » protestante, maçonnique,
caractéristique du monde moderne et inspirant toute la pensée moderne. Il avait
horreur du libéralisme philosophique et politique. Il dressait, là contre, la
Royauté Sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il ne fait aucun doute : la
pensée de Mgr Lefebvre a été formée à la pensée des Papes du 19ième et 20ième
siècle. Un Pie IX. Un Léon XIII. Un Saint Pie X. Un Pie XII. Voilà ses maîtres.
Il avait été formé à Rome par le Père Le Floch à la
pensée de ces grands Pontifes. Il y resta fidèle toute sa vie. Deux mondes,
deux cités se dressent l’une contre l’autre depuis la Réforme luthérienne
et cela, de plus en plus. Le Concile
voulut s’ouvrir au monde moderne. Il s’ouvrit, inévitablement, à la libre
pensée protestante. Il s’ouvrit au relativisme doctrinal… au modernisme. Il risque
de s’y perdre. La libre pensée se dresse aujourd’hui contre Dieu, contre son
ordre et sa justice, comme jamais auparavant. Voyez aujourd’hui, le problème
des mariages homosexuels. Les États s’apprêtent à légiférer ouvertement contre l’ordre
divin, refusant l’enseignement de l’Église qui, très
heureusement, vient de rappeler la doctrine catholique. C’est cela la Réforme.
C’est cela le monde moderne. Mgr Lefebvre, lui, au contraire nous rappelait la
subordination de tout être à Dieu. Sa pensée, en tout, pourrait se résumer par
ce cri de l’ange Saint Michel: « Quis ut Deus ». Qui
est comme Dieu.(Ap12,10). Et delà, son amour de la
Cité catholique, de l’ordre social chrétien. Delà, son amour de l’Église catholique fondée sur Pierre par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Delà, son amour de la doctrine catholique, de ses dogmes, de sa loi morale.
Pour Mgr Lefebvre, le Dieu Trinité est tout. C’est le chemin royal de l’Église et de tout baptisé. Là, vous pouvez saisir un peu le
formel de son « combat catholique ». Nous le poursuivons depuis lors. Ce combat
n’est pas d’abord un problème de soutane, de langue liturgique. Il est de
nature doctrinale. L’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi ou l’amour de l’homme
jusqu’au mépris de Dieu. Et l’Église est devant ce
dilemme. Et la crise de l’Église est là, se situe là.
Et l’Église « conciliaire », sensible au monde
moderne pour qui l’homme est tout, ira jusqu’à donner des droits à l’erreur, au
mal par complaisance…Comment pouvoir donner un droit à l’erreur et au mal ?
Voilà le dilemme de l’Église aujourd’hui. C’est une
question d’amour. Mgr Lefebvre avait choisi l’amour de Dieu et cela absolument.
D’où sa devise épiscopale : « Credidimus caritati ». Voilà tout Mgr Lefebvre. Voilà, ce qu’il nous a
enseigné. Voilà ce à quoi je désire moi-même rester fidèle. Vous pouvez ainsi
voir qu’il m’a fort inspiré.
2)
Quelles fonctions avez-vous occupé au sein de la FSSPX avant de venir au Québec
?
Ma « carrière ecclésiastique » est
simple. Trois ans au Séminaire d’Ecône comme
professeur et sous directeur. 18 ans en France comme supérieur de District.
Avec mes confrères, on a fait le District de France. En 1976, lorsque j’ai reçu
de Mgr Lefebvre la responsabilité du District de France, il n’y avait pas grand chose. Peut-être une à deux maisons, Avec mes
confrères, on s’est beaucoup démené pendant 18 ans pour fonder prieurés,
églises, chapelles, écoles, revues maisons de retraites. En 1994, mon mandat
n’ayant pas été renouvelé… je n’avais plus rien à faire. J’ai passé quelques
mois en Alsace et en Angleterre pour essayer d’apprendre l’anglais. Peine
perdue. J’y fus toujours rebelle. Ainsi, en 1995, une place se libérant, en
Normandie, j’ai demandé de m’installer à Caen. J’ai beaucoup aimé et les
Normands et l’apostolat direct, malgré les difficultés rencontrées. J’ai quitté
la Normandie après avoir fondé DICI, une agence d’information, fait
revivre « Nouvelles de Chrétienté »,la revue de Dom Guillou que
nous tirions à plus de 13000 exemplaires. C’était pour moi un nouveau mode
d’apostolat qui m’a passionné. En 2001, je fus nommé à Bruxelles, supérieur de
la maison autonome de Belgique. Puis « en froid » avec la Maison générale, j’ai
du prendre une année sabbatique que je passe jusqu’à nouvel ordre au Canada, à
Québec. Et comme je constatais des différents de plus en plus importants avec «
ma direction », j’ai donné ma démission d’assistant général, fonction que j’ai
exercée depuis le début de la Fraternité, depuis le 1er Novembre 1969, d’abord
nommé par Mgr Lefebvre, puis élu par mes confrères au cours des deux chapitres
généraux qu’a connu notre Société depuis qu’elle existe.
3)
Pourquoi étiez-vous fortement favorable aux sacres en 1988 ?
Dès que le problème des sacres commença
à se poser, j’y fus favorable. Oh ! Je m’en remettais personnellement à la
sagesse de Mgr Lefebvre. Je le savais homme d’Église.
Je savais qu’il aimait l’Église, qu’il voulait servir
l’ Église. Il le fit toute sa vie. Bref ! Je lui
faisais confiance. Ce qu’il déciderait en cette affaire très difficile, serait
bien décidé. Mais, au-delà de cela, j’étais, moi-même, favorable au sacre. Je
ne voyais pas comment la Tradition catholique, le sacerdoce catholique, la
messe catholique pourraient survivre, sans la succession épiscopale assurée.
C’est l’évêque qui fait le prêtre. C’est le prêtre qui offre le sacrifice de la
messe, qui renouvelle le sacrifice de la Croix et ce sacrifice de la Croix est
au cœur de l’Église, comme il est au cœur de la
pensée de Notre Seigneur, au cœur du plan divin de Salut. La messe est, dés
lors, essentielle à l’Église, au monde, à toute cité.
La messe, la « vraie messe », abolie, ce serait la fin de l’Église,
la fin du Salut éternel. Cela ne se peut, ne se pouvait. L’épiscopat et sa
succession sont donc essentiels à l’Église, au
prêtre, au sacrifice de la messe, perpétuant le sacrifice de la Croix, au cœur
de nos vies de baptisés. Mgr Lefebvre parti, nul évêque n’aurait eu le courage
de soutenir son œuvre. Rome ne l’aurait pas permis. Il ne faut jamais oublier
cela. Le Cardinal Villot, à l’époque, en 1976, était
intervenu pour qu’aucun évêque ne donne à Mgr Lefebvre les lettres «
dimissoriales » pour les ordinations. Rome ayant échoué à faire plier notre
prélat n’attendait que sa mort. C’est peut-être dur de dire cela mais c’est la
vérité. A cette époque – qu’on ne l’oublie pas ! – le Vatican voulait toujours
la disparition de la messe traditionnelle, même encore en 1988. Aucun indice ne
nous permettait de dire le contraire. Si la Fraternité Saint Pierre et les «
autres » ont trouvé quelques évêques après 1988, ils le doivent pour beaucoup à
la pérennité de la Fraternité Saint Pie X et à sa croissance. Dom Gérard, M.
l’abbé Bisig, le Père de Bligniéres,
Mgr Wladimir…ont eu toutes les faveurs de Rome, certainement en raison de leurs
qualités, mais aussi parce qu’il fallait absolument réduire l’influence de Mgr
Lefebvre, sinon la détruire et que les inonder de privilèges était un moyen
pour attirer le monde traditionnel vers eux et déstabiliser la Fraternité Saint
Pie X. Pourquoi donc Rome ne leur donnait-elle pas, avant les Sacres, tous les
privilèges qu’ils ont reçu après ? Ils n’avaient pas moins de qualités avant
qu’après. Ainsi si Mgr Lefebvre n’avait
pas fait les sacres en 1988, son œuvre sacerdotale, à terme, était finie.
Comment voulez vous tenir un séminaire si vous ne pouvez plus ordonner les
séminaristes ? Comment voulez vous perpétuer le sacrifice de la messe s’il n’y
a plus de prêtres ? Voilà les raisons simples qui me faisaient soutenir la
perspective des Sacres par Mgr Lefebvre. Essentiellement pour la messe et pour
le sacerdoce, terriblement mis en danger dans la situation présente de L’Église. Au point de vue canonique, la distinction qu’il
faisait, me paraissait suffisante pour sa légitimité canonique : un épiscopat
sans juridiction – le contraire aurait été schismatique – mais capable
d’accomplir ce qui, ontologiquement, relève de l’épiscopat : faire des prêtres.
Tel serait leur rôle.
4)
Pensez-vous que les mêmes raisons pourraient être valables aujourd’hui ? Ou
est-ce qu’il y a des dangers d’attendre une réconciliation dans le futur plutôt
que de chercher à obtenir une entente dès maintenant ?
Aujourd’hui, les conditions ne
permettraient pas, à mon humble avis, de faire ce qui fut fait en 1988, en Juin
1988. Plusieurs de mes confrères vont, peut-être, sauter au plafond, quand ils
prendront connaissance de cette interview. Peu importe. Je suis libre et garde
mon libre jugement. Je n’aime pas les oukases. Je ne les ai jamais aimés ni
dans le progressisme, ni ailleurs.
Pourquoi les sacres ne seraient pas
raisonnables, à mon avis, aujourd’hui ?
a) Parce que beaucoup de Romains devant la situation très
difficile dans laquelle se trouve l’Église, changent,
sont en train de changer. Changent, en particulier, sur le problème de la messe
traditionnelle. La messe du 24 mai 2003 n’est pas un feu de paille. Croyez-moi.
Cet acte est le fruit d’une longue évolution qui a commencé, me semble-t-il, à
peu près, en 1992, avec la publication d’une série de livres du Cardinal
Ratzinger et une série de conférences, homélies, interview du Cardinal Stickler. A Sainte-Marie-Majeure, le Cardinal Castrillón s’est voulu la voix de l’Église
en rappelant le « droit de citoyenneté » de la messe dite de Saint Pie V, cette
messe, qui, pour être sauvée, justifia les sacres de 1988,… L’encyclique, de
plus, du Pape, « Ecclesia de Eucharistia vivit » est
aussi très importante.. De l’interdiction
systématique, qui date de la résolution de Paul VI et de son fameux consistoire
qui s’est tenue aussi un 24 mai 1976 (24 mai ! Décidément cette date est
importante), nous voilà arrivés à l’acceptation – de principe – de la messe
tridentine. Elle ne fut jamais abolie. Certes. Mais, voilà que de plus en plus
d’autorités religieuses le reconnaissent aujourd’hui, osent le dire maintenant
publiquement. Les écrits, en ce sens, se multiplient. Voyez les nombreuses
interventions, en ce sens du Cardinal Ratzinger. Que de livres n’a-t-il pas
écrit sur ce sujet. Il le dit expressément dans son livre de Souvenirs. Voyez
les nombreuses conférences, homélies, interview du Cardinal Stickler.
Voyez les dernières interviews du Cardinal Arinze, du
Cardinal Medina. Non seulement elle ne fut jamais
abolie. Mais, aujourd’hui, un cardinal, leCardinal Castrillón Hoyos se lève pour
dire, forcément avec l’aval du Pape, qu’elle a toujours « droit de cité » !
C’est formidable. C’est nouveau. Bigrement nouveau. De plus, il n’y a pas
longtemps de cela, c’était hier, le Cardinal Ratzinger écrivait qu’il fallait
arrêter ce conflit des messes, cette opposition contre la messe dite de Saint
Pie V. C’est nouveau. Il disait également qu’il ne comprenait vraiment pas
pourquoi beaucoup de ses confrères maintenaient cette lutte. C’est également
nouveau. Les choses changent du côté de Rome au sujet de la messe tridentine.
b) D’autre part, je suis un de ceux qui pensent qu’il y a, de
fait, un danger pour nous de voir ce conflit s’éterniser et de voir s’éloigner
une solution d’entente avec Rome. En un mot, l’Église
est une société visible et hiérarchique. Si on vit trop longtemps en autarcie,
on finira par perdre le sens de ce qu’est la hiérarchie. Elle est pourtant de
constitution divine. Nous sommes donc menacés, le temps passant et l’opposition
demeurant, à « oublier » Rome, à nous organiser de plus en plus en
dehors de Rome, à devenir un groupe autocéphale. Je ne dis pas que nous y
sommes tombés. Mais il y a danger. Il faut en tenir compte. Le meilleur pilote
est celui qui connaît les dangers d’un itinéraire et qui prévoit, autant que
possible, les difficultés qui peuvent survenir. Pas celui qui ferme
systématiquement les yeux, qui ne veut rien entendre.
Il fonce ou il freine à mort, alors qu’il conviendrait de donner de la
souplesse pour reprendre une croisière normale. Les jeunes générations parmi
nous n’ont jamais connu une situation ecclésiale normale. C’est là qu’il y a
danger de glisser à terme vers l’autocéphalie. C’est du moins mon avis. Et je
le dis. Que la direction de la Fraternité pense que j’exagère, libre à elle.
C’est elle qui commande, qui dirige. Elle refuse encore un « accord »
avec Rome. Elle a ses raisons. Je pense qu’elle ne prend pas tous les éléments
en compte …Mais, c’est elle qui dirige. Pas moi. Mais rien ne m’empêche de
garder mon avis et de le justifier. Cela peut faire réfléchir. Cela pourra servir
un jour. J’y suis attaché. Qui pourrait bien me le reprocher. J’ai accepté «
l’exil canadien » pour mes idées.
c) De
plus, la situation dans laquelle les sacres ont mis le gouvernement de la
Fraternité n’est pas le meilleur. A terme, il pourrait
y avoir un jour un conflit. Le gouvernement de la Fraternité pourrait devenir,
de facto, un jour, bicéphale. Imaginez une opposition entre le Supérieur
général et les quatre évêques. Les uns veulent un accord. L’autre ne le veut
pas. Qui va trancher. Théoriquement le Supérieur général, même s’il n’est pas
évêque. Mais pratiquement, ce sera bien difficile. Un conflit peut voir le
jour. Avec un accord avec Rome, un bon accord s’entend, une espèce d’alliance
entre catholiques de bonne volonté, rien de semblable. Bien entendu les termes
et le sens de cette alliance où tout ce qui reste de catholiques après quarante
ans de crise conciliaire feraient cause commune est à
peser mûrement. Mais il faut aller vers quelque chose comme cela.
5)
Plusieurs prêtres et évêques ont réagi différemment de vous à la réconciliation
de Campos. Votre réaction a été vraiment positive, et vous étiez présent au
sacre de Mgr Rifan. Pourquoi pensez-vous que c’était
une étape positive non seulement pour les traditionalistes de Campos, mais pour
tous les catholiques de tradition ?
La crainte de l’esprit de schisme, que
je viens d’exprimer, l’amitié que je porte à ces prêtres héroïques, dont je
connais les paroisses et les nombreuses œuvres, pour les avoir visités trois
fois, m’ont fait suivre avec intérêt cette affaire.
J’y ai surtout vu, là encore, le problème de la messe. L’attitude de Rome était
nouvelle. Rome donnait la messe à nos amis, prêtres de Campos. Et cela,
librement, sans condition. Elle reconnaît, à
cette Administration apostolique personnelle « Saint Jean Marie
Vianney», le droit, la facultas de célébrer, dans
toutes les Églises de leur Administration apostolique, la messe traditionnelle.
J’ai étudié leurs statuts avec application. Ainsi, pour moi, les choses
allaient dans le bon sens, en faveur de la messe. La situation était
radicalement différente de celle des pères et abbés des
communautés « Ecclesia Dei adflicta ». Avec eux, nous en étions toujours
essentiellement à la législation de 1984, de la messe dite de l’indult. Qui est
une simple « permission », une simple tolérance que Rome, par libéralité, et
calcul, leur concédait. Avec des restrictions odieuses impératives et surtout
avec l’obligation de reconnaître la nouvelle messe comme « légitime et
orthodoxe ». Ce sont les deux adjectifs de la lettre « Quattuor abhinc annos ». Il fallait admettre et cette législation et
ces deux adjectifs pour bénéficier de l’Indult de
1984, sans considérer qu’il fallait en plus rompre avec nous.
Avec Campos, rien de tel. Une franche
reconnaissance du droit de la messe tridentine sans avoir à reconnaître que la
nouvelle messe est « légitime et orthodoxe ». Il leur fut demandé une simple
reconnaissance de la validité, en soi, de la nouvelle messe. Ce qui a toujours
été enseigné par Mgr Lefebvre. C’est qu’il y a une grande différence entre «
validité », «légitimité » et «orthodoxie ». Ce ne sont pas des mots synonymes.
Voyez-vous ! Une chose peut être valide sans être légitime ni orthodoxe.
Il faut même distinguer entre légitimité et orthodoxie. Ces deux mots ne se
recoupent pas, non plus. Est légitime ce qui est fondé « en droit », mais aussi
« en équité ». Le « doit » et « l’équité « ne sont pas, non plus, la même
chose. Il faut distinguer. Je pourrais vous démontrer que la nouvelle messe
n’est pas, certainement légitime ni en droit ni en équité. En droit, car
précisément la nouvelle messe fut imposée à l’Église
par suite de bien des irrégularités canoniques, même des faux en écriture. Ce
qui jette une légitime suspicion sur cette législation. « Peut-être », me
direz-vous. « Mais elle bénéficie aujourd’hui de la prescription trentenaire ».
Ce n’est pas certain. Car il faudrait, pour cela, qu’elle bénéficie d’une
jouissance « paisible » dans l’Église. Ce qui n’est
pas le cas. Cette nouvelle messe peut
même être dite non légitime sur le plan de l’équité, de la justice. Ce fut
faire violence à la sainteté de L’Église que de lui
avoir imposé, de force, un rite qui, aux dires même de ses protagonistes, finit
par tout désacraliser. Orthodoxe veut dire conforme aux dogmes, à la doctrine.
Or, précisément, cette question de l’orthodoxie ou non du Novus
Ordo Missae est soulevé, aujourd’hui, de facto, par
la plus haute autorité de l’Église : le pape
lui-même. Je pense que cette question est dans la logique de sa dernière
encyclique. Cette question d’orthodoxie fut soulevée, aussi, tout au début de
l’affaire de la messe par le Cardinal Ottaviani et le
Cardinal Bacci qui, dans leur lettre au Pape Paul VI,
écrivaient que cette nouvelle messe s’éloignait dans l’ensemble comme dans le
détail de la Théologie catholique définie à la XXII sessions du Concile de
Trente. Le Pape, aujourd’hui, le reconnaît de facto, lui qui veut chercher à
corriger, réformer la nouvelle messe déficiente sur le plan théologique. Les «
ombres », comme il dit... Voilà les raisons qui me portaient à considérer avec
beaucoup de sympathie « l’affaire de Campos », qui fait gagner du terrain à la
messe traditionnelle.
6)
Beaucoup de prêtres de votre Fraternité, incluant Mgr Fellay,
ont loué la nouvelle encyclique du Saint Père « Ecclesia
de Eucharistia ». Considérez-vous la nouvelle
encyclique comme un signe positif sur les plans doctrinal et liturgique ?
Vous me demandez si je porte un
jugement positif sur ce document du Pape. Et oui et bigrement. Cette encyclique
est vraiment un signe positif sur le plan doctrinal et liturgique. On y voit
l’autorité nouvellement consciente du drame qui touche l’Église
et sa liturgie. On assiste, de fait depuis le Concile, à une formidable dé-sacralisation de la liturgie. La réforme liturgique,
telle qu’elle fut conçue et appliquée dans l’Église,
a dénaturé la liturgie en ne respectant pas sa finalité. La liturgie de l’Église est essentiellement un culte rendu à Dieu. Le prêtre
offre, au nom du peuple, « pour les vivants et pour les morts », pour le peuple
qui s’unit à cette action, le Sacrifice du Christ qui rend à Dieu « tout
honneur et toute gloire ». Telle est la finalité essentielle de la liturgie. La
liturgie catholique a une dimension transcendantale. Elle nous oriente vers
Dieu. Elle nous ordonne à Dieu. Il y a une similitude entre la liturgie romaine
et la liturgie céleste. Lisez le livre de l’Apocalypse
de Saint Jean vous verrez que tout le culte céleste est tourné vers le Père et
l’Agneau de Dieu, l’Agneau
pascal auxquels les anges, les élus chantent et magnifient la puissance, la
divinité, la gloire, la sainteté. Le sanctus de notre messe est une louange
divine. Tout cela est, pour beaucoup, perdu. Bel et bien. La hiérarchie
catholique s’en aperçoit enfin. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Elle
veut corriger ces « ombres ». Comment ne pas s’ en
réjouir. Cette encyclique a la même importance que Mysterium
fidei de Paul VI. La situation catastrophique dans
laquelle se trouve la pratique de la vie liturgique dans l’Église,
ce que reconnaît amplement, dans ses nombreux livres sur la question, le
Cardinal Ratzinger, me laisse penser que des résultats vont être obtenus. C’est
à espérer. C’est l’ultime coup de rein avant la mort. Si cette encyclique n’est
pas suivie d’effet…c’est la noyade. Il est même bien tard. Et combien va être
difficile la restauration ! C’est encore une raison pour laquelle je serais
assez favorable à ce que nos supérieurs légalisent notre situation dans l’Église. Il faudrait être aujourd’hui dedans avec le droit
reconnu de la messe Saint Pie V sur les autels de la Chrétienté (ou du moins,
pour commencer, sur tous les sanctuaires nationaux, sur toutes les Basiliques
romaines, bien sur, dans nos propres Églises de notre Administration, ou dans
les églises diocésaines « personnelles », que le Vatican devrait pouvoir
obtenir des épiscopats. Une ou plusieurs par diocèse, selon les circonstances
ou dans chaque cathédrale). Il faut avoir le sens du possible, (trop demander,
c’est ne rien demander), pour aider et participer à la restauration liturgique
dans l’Église. On parle, de plus en plus, à Rome,
d’une permission générale accordée à tous les prêtres, par degrés.
Entendons-nous bien : en soi, il n’y a aucune permission à demander ou à
donner, mais de fait, les choses étant ce qu’elles sont, il faut en passer
par-là pour réintroduire partout la messe traditionnelle.
7) Lors de la messe du 24 mai 2003, le
Cardinal Castrillón Hoyos a
dit durant son homélie : « L’ancien rite romain conserve donc dans l’Église son droit de citoyenneté au sein de la multiformité
des rites catholiques tant latins qu’orientaux. Ce qu’unit la diversité des
rites, c’est la même foi dans le mystère eucharistique, dont la profession a
toujours assuré l’unité de l’Église sainte,
catholique et apostolique. » Croyez-vous que cette affirmation soit juste ou
non ?
Oui, j’ai beaucoup apprécié les paroles
du Cardinal Castrillón Hoyos
le 24 mai 2003. Elles ne furent pas prononcées à la légère. Elles ont été
pesées par le Cardinal. Il en savait l’importance, le retentissement dans l’Église, les effets, les conséquences. Il a fait attention,
croyez-moi, à ce qu’il disait. Il reconnaît le droit de la messe tridentine
dans l’Église. Il dit, pour de bon, le droit : La
messe dite de Saint Pie V n’ a jamais été abolie
canoniquement par aucune autorité dans l’Église, et
certainement pas par le Pape Paul VI. Ce fut en 1986 la réponse donnée par la
commission cardinalice nommée par Jean-Paul II. Cette commission, à l’époque,
disait le droit. Ça n’ a pas plu au courant
moderniste. On a, par faiblesse, « tu » l’affaire…Il fallut attendre 1995 pour
qu’une autorité ecclésiale, le Cardinal Stickler, ose
révéler la chose et dise publiquement le droit : la messe n’a pas été abolie.
Aujourd’hui tout le monde le dit. Tous les cardinaux qui se penchent sur la question, le disent. Le Cardinal Medina le dit, après avoir dit le contraire, en 1999..
Le Cardinal Arinze aussi. Il est le préfet de la
Congrégation du culte divin. C’est l’autorité sur ce sujet. Le Cardinal Stickler. C’est un canoniste dont l’autorité est reconnue.
Le Cardinal Ratzinger le dit aussi, lui qui est la cheville ouvrière de la
restauration liturgique dans l’Église. Tous ses
livres récents le prouvent. Sa participation déclarée à la rédaction de la
dernière encyclique du Pape Jean-Paul II le laisse comprendre. C’est nouveau.
C’est extraordinairement nouveau. Voilà 40 ans ou presque qu’on disait le
contraire. Et l’autorité, la même, se taisait…
Certains de mes confrères me disent : «
Attendons de voir. On ne peut toujours pas dire la messe de toujours sur tous
les autels de la catholicité ». Je le concède volontiers. Le mouvement de
restauration sera lent. Mais peu à peu, il s’universalisera. C’est certain. Le
droit est le droit. Sinon, nous poursuivrons notre résistance. Elle est
légitime. Hier elle était légitime. Les autorités le reconnaissent. Elle sera
toujours légitime. La messe canonisée par Saint Pie V, restaurée dans sa pureté
par le même Pape, est une coutume immémoriale dans l’Église,
jamais abolie, toujours légitime. Le pourrait-elle d’ailleurs ? Ce n’est pas
certain. Mgr Gamber le soutient dans son livre en
français « la réforme de la messe en question ». Livre préfacé par Mgr
Ratzinger. Quant à la pluralité liturgique sur laquelle se fonde le Cardinal Castrillón Hoyos, j’y suis, bien
sûr, favorable, dans la mesure où la « réforme de la réforme » permettra au
rite des paroisses de se rapprocher peu à peu du rite traditionnel. En soi, l’Église a toujours respecté la diversité liturgique. Voyez
l’attitude du Pape Saint Pie V ! Ici, il s’agit d’une saine tolérance pour un
rite qui se « retraditionalise ». L’unique condition
requise, c’est que le rite, en question, exprime la foi catholique. C’est ce
que dit le Cardinal dans son homélie.
8)
Dans le contexte de ces étapes positives, est-ce que la réconciliation de la
FSSPX avec Rome est possible dans un avenir rapproché ? Dans quelques mois ou
dans quelques années.
Ma réponse sera brève. Une fois n’est
pas coutume. Une « réconciliation »… le mot n’est peut-être pas le meilleur…les
mots ont une grande importance, vous savez. Ils définissent les choses. Je
parlerais plutôt de restauration de relations normales entre catholiques de
bonne volonté. Cette restauration est plus que souhaitable. Elle est nécessaire.. Dans un mois ! Dans trois ans ! Je ne sais. Voyez ceux
qui tiennent la barre. Pour moi, aujourd’hui, dans les circonstances présentes
et du côté de Rome, qu’il faudra aider à couper beaucoup de « branches mortes
», de véritables hérésies, et de notre côté, qui avons besoin de davantage
d’espace pour l’apostolat, je dirais volontiers « le plus tout possible » Plus
le temps passe et plus la reconstruction est urgente. Mais faudrait-il, là
encore, préparer les esprits. Expliquer, justifier. C’est très important. Cela
relève de l’ autorité. Elle peut compter sur moi pour
appuyer ses efforts dans ce sens…
9)
Quelle est l’attitude générale parmi les prêtres et les laïcs de la FSSPX en
France au sujet d’une éventuelle réconciliation avec Rome ?
Les avis, en France, sont partagés à
propos de ce que j’appelle une restauration de relations normales. Certains
sont pour. D’autres attendent, patiemment, la décision de l’autorité. D’autres
sont farouchement contre.
Ce sont ceux qui en restent à 1999, à
la législation rappelée, à cette date, par le Cardinal Medina.
Mais vous le voyez, il a lui-même changé d’avis en trois ans. Ce sont ceux qui
insistent sur l’attitude de Rome à l’égard de la Fraternité Saint Pierre,
destituant M. l’abbé Bisig et mettant à sa place un
autre supérieur. Mais le Cardinal ne reprendrait peut-être pas aujourd’hui la
même décision. Il venait d’arriver en Europe. Il n’avait pas eu le temps
d’apprécier le problème dans toute son ampleur.
Ce sont ceux qui considèrent les choses
de manière trop statiques. Ils pensent que, à Rome rien ni personne n’a changé,
que personne n’y joue franc jeu… Ce n’est pas mon avis. Je démontre qu’ en 3 ou 4 ans les choses ont bien changé.
10)
Pensez-vous que cette attitude est différente de l’attitude des prêtres et des
laïcs de la FSSPX ici en Amérique du Nord ? Pensez-vous que la récente mutation
de Mgr Williamson en Amérique latine a un lien avec
d’éventuels rapprochements de la FSSPX et Rome ? Est-ce que Mgr Williamson n’est pas un des plus fermes opposants à ces
rapprochements.
En Amérique du Nord, disons au Canada,
et plus précisément au Québec, les grands problèmes de l’Église
font l’objet de beaucoup moins de discussions, de passions qu’en France. Les
intelligences en la « Nouvelle France » sont plus calmes qu’en France. Il me
semble que l’on s’en remet plus volontiers aux autorités. Tout simplement. « Ce
n’est pas l’heure d’une solution avec Rome ». Point. On n’en parle pas ou peu.
Les fidèles pensent à se sanctifier et suivent les offices proposés à leur
dévotion. Tranquillement.
Je pense qu’ils attendent l’heure des «
retrouvailles » avec Rome, avec joie, pour certains, avec un peu d’inquiétude, pour d’autres: « pourvu qu’ils ne fassent pas avoir » ! Mais
c’est l’affaire de la Maison générale.
Je ne suis pas ou plus dans les secrets
des dieux et je ne sais les raisons de la mutation de Mgr Williamson
en Amérique du Sud. Mais, pour autant que je peux juger, je crois que sa
mutation n’a rien à voir avec les éventuels rapprochements de la FSSPX avec
Rome. Il change parce que cela fait très longtemps qu’il est à Winona et qu’il est bon de changer quelque fois les cadres.
Tous les cadres de l’Amérique de Nord ont changé ou vont changer. Les poids
lourds ! Hier, M. l’abbé Scott, Supérieur du District, fut changé. Aujourd’hui,
c’est le tour de Mgr Williamson, de M. l ‘abbé Ramon Anglès, de l’école du Texas. Ce n’est pas plus compliqué.
Il ne faut pas imaginer des conflits, des oppositions, des raisons cachées. Non
! Certes. Mgr Williamson est un des plus fermes
opposants au rapprochement d’avec Rome. Mais cela n’a rien à voir avec sa
mutation en Argentine. Opposé, il est. Opposé il le restera, même en Argentine.
Il est suspicieux de nature. La suspicion peut conduire à l’erreur. Il pense
que « les Romains », comme il aime à le dire, n’ont pas changé. C’est son avis.
Cet avis est prépondérant auprès de Mgr Fellay. Le
sera-t-il demain ? Qui vivra verra.
11)
Considérant votre amitié et votre proximité avec Mgr Lefebvre, pensez-vous qu’il
aurait accepté l’offre de réconciliation que Rome a récemment présentée à la
FSSPX dans la ligne des accords de Campos ?
Je crois sincèrement que Mgr Lefebvre
aurait accepté, aujourd’hui, « un accord » avec Rome. Il aurait, peut-être, été
plus prudent, plus exigent sur certains points que ne le fut Mgr Rangel, mais il aurait été, cette fois, jusqu’au bout. Les
exigences demandées par Rome aux Pères de Campos, à savoir : la reconnaissance
du Pape Jean-Paul II comme légitime successeur de Pierre, la reconnaissance du
Concile Vatican II interprété à la lumière de la Tradition, la reconnaissance
de la validité, en soi, du Novus Ordo Missae, la libre discussion sur le Concile, évitant
toutefois la dialectique, Mgr Lefebvre les avait déjà acceptées en 1988. Substantiellement
ce sont les mêmes. Il ne faut pas avoir peur de le dire. Et je voudrais bien
qu’on me dise pourquoi ne pas les accepter. Obliger les Pères de Campos à
étudier le Concile. Je voudrais bien aussi qu’on me démontre la nocivité de la
chose. On ne peut bien critiquer raisonnablement que ce que l’on connaît. Que
fait la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, avec ses symposiums, avec ses
Congrès de SiSiNoNo, sinon d’étudier le Concile ?
Tout cela est très heureux. Notre critique, notre lecture ne sera certainement
pas celle de la hiérarchie romaine. Qu’est-ce qu’on pourra nous dire, si nos
critiques sont justes ? La libre discussion du Concile est une chose
aujourd’hui indispensable. Hier, elle était impossible. Cette discussion doit
avoir « droit de cité », comme pour la messe tridentine. Et pour cela, il est
bien nécessaire de connaître le Concile. C’est amusant comme il existe chez
nous des tabous, des baudruches. Il faut savoir les percer..
Mgr Lefebvre aurait, vous dis-je, peut-être demandé des choses plus précises.
Mais Rome aurait consenti à ces éventuelles précisions. Beaucoup à Rome veulent
un accord. Le pape le veut. La situation de l’Église
le réclame certainement. L’autorité le sait.
Du reste, si Mgr Lefebvre a retiré sa
signature du protocole en 1988, c’ est à dire, s’il n’a pas voulu aller jusqu’à
l’accord final, c’est parce qu’ on ne lui donnait pas les garanties de
protection nécessaire qu’il réclamait justement, à savoir la majorité dans la
commission, commission qui devait avoir pour but de protéger la Tradition de
toutes influences modernistes, et qu’on ne lui donnait pas le nombre d’évêques
qu’il jugeait nécessaire pour faire face au développement grandissant de la
Tradition dans le monde entier et qui aurait encore augmenté dans l’hypothèse d’un accord. Il le dit
lui-même dans la conférence qu’il donnait à Ecône le
9 septembre 1988. Voyez : « … C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous lier avec
Rome (la Rome moderniste, comme il disait, ou les « Romains » comme aime à le
dire Mgr Williamson). Nous aurions pu, si nous étions
arrivés à nous protéger complètement comme nous l’avions demandé. Mais ils
n’ont pas voulu. Ils ont refusé les membres que nous demandions dans la
commission, ils ont refusé le nombres d’évêques que nous demandions. C’est
clair : ils ne voulaient pas que nous soyons protégés ».
Eh ! bien, cette protection nous l’aurions
dans le cadre d’une bonne administration apostolique. Nos « évêques », reconnus
par Rome, auraient ce rôle protecteur que voulait absolument Mgr Lefebvre,
vis-à-vis les dicastères romains qui seraient tentés d’indiscrétions
modernistes. Ils joueraient le rôle dévolu à la commission prévue : la défense
de la Tradition auprès des dicastères romains. Ils sont aujourd’hui nos
protecteurs. Ils continueraient à l’être. Et dès lors une administration
apostolique personnelle qui ne changerait rien de ce que nous faisons et de ce
que nous sommes serait une situation idéale. Elle établirait « légalement » aux
yeux de tous ce que nous faisons, qui est fondamentalement légal et légitime.
Nous serions « officiels », nous les contestataires de la nouvelle messe et du
Concile. Ce qui serait très important. La tradition reprendrait ses
droits. C’est pourquoi, aujourd’hui, je
suis très favorable à une « régularisation » de nos relations avec Rome.
Retenez ce terme : «régularisation » ou « restauration » de nos relations avec
Rome. Il faut obtenir, en somme, que la dénonciation historique de tout ce
qu’il y a de néfaste dans le dernier Concile soit reconnue officiellement. Cela
se fera tôt ou tard. Plutôt tôt que tard. Il faut être audacieux. Ce n’est pas
toujours le propre du clergé.