"ITEM est heureux de diffuser cette
interview importante de Mgr RIFAN à l'occasion du deuxième anniversaire de la
fondation, par Rome, de l'Administration Apostolique Saint Jean Marie Vianney:
le 18 janvier 2002, dans le diocèse de Campos au Brésil. Ces prêtres
connaîssent toujours le même rayonnement et même plus encore, comme
l'explique Mgr Rifan, depuis la normalisation de leur situation avec Rome. Contrairement
à ce que certains colportent, les pères de Campos ne souffrent d'aucune
division interne. Ils s'adonnent à leur apostolat avec toujours la même
passion, la même fidélité au dépot de la foi, avec le même amour de l'Eglise,
avec le même zêle des âmes, avec la même fidélité à la messe dite de Saint Pie
V."
Mgr
Rifan : « combattre le bon combat, en
conservant la Foi et une bonne conscience » ! (I Tim 1,18-19).
Mgr Rifan – Avant tout, je voudrais remercier
ce cher Abbé Aulagnier de nous avoir défendu et d’avoir défendu notre position catholique.
Il a conservé l’esprit de l’Église, le vrai esprit romain, un vrai sensus Ecclesiae. Je vais donc répondre
aux questions qu’il me pose pour les prêtres et fidèles de bonne volonté, qui
mènent comme nous un même bon combat par amour pour la Sainte Église et qui
méritent quelques explications pour les consoler et les tranquilliser.
Item – Monseigneur Rifan, après presque
deux ans d’expérience, l’instrument juridique que vous avez adopté et que l’on
pourrait qualifier de « diocèse Saint-Pie-V », a-t-il permis un
développement de votre action au service de la liturgie et de la catéchèse
traditionnelles ? Très concrètement, parvenez-vous à toucher aujourd’hui
des fidèles qui ne fréquentaient pas hier vos paroisses lorsqu’elles étaient
considérées comme « sauvages » ?
Mgr
Rifan –
Après deux ans de notre Administration apostolique, nous n’avons qu’à remercier
le bon Dieu pour la grande grâce qu’il nous a accordée, à travers la décision
du Saint-Siège.
Dans
le contexte de la crise actuelle, Mgr Lefebvre avait demandé au pape de
pouvoir faire, « parmi toutes les
expériences qui sont faites dans l’Église, l'expérience de la Tradition ».
Ce que nous avons remporté avec la création de cette Administration
apostolique, c´est beaucoup plus que cela. Nous avons gagné une circonscription
ecclésiastique officielle, normale, indépendante, avec son évêque, sa propre
curie, son propre séminaire, ses propres congrégations religieuses, ses
paroisses personnelles, ses églises propres, sa propre cathédrale, le tout ayant
comme rite propre, la liturgie et la discipline romaine traditionnelle.
Et
nous faisons des efforts pour maintenir la foi et la vie de la grâce parmi nos
fidèles, ce qui est déjà une grande chose. Dans l’une de nos paroisses, par
exemple, nous entendons presque 900 confessions chaque premier vendredi du
mois et, lors de la messe de minuit de Noël, il y a eu 1000 communions
dans cette même église paroissiale. Il nous faut avant tout maintenir la vie
spirituelle et sacramentelle des 30.000 fidèles de nos paroisses, dans nos
150 églises. Et aussi, petit à petit, elles rayonnent, parce que beaucoup
de fidèles qui auparavant n’y venaient pas, maintenant, depuis notre
reconnaissance canonique, viennent sans crainte et nous demandent du secours.
Ce qui nous importe, c’est la plus grande gloire de Dieu
et le salut des âmes.
Item – Pour quelles raisons avez-vous
accepté la proposition du cardinal Castrillón Hoyos ?
Mgr Rifan – Toutes
ces bienfaits de notre reconnaissance canonique, c’est á dire, l’Administration
Apostolique, notre rayonnement, la facilité d’apostolat, etc, sont secondaires
et - seulement conséquences -, par rapport à la cause principale qui nous a
poussés à régler notre situation: le problème de conscience devant
l’irrégularité de notre situation et le danger de schisme où nous nous
trouvions. C’était le noeud de la question. Je m’explique.
L’irrégularité de notre situation ne résidait pas dans
notre résistance au modernisme dans l’Église, ni dans la conservation de la
messe traditionnelle, ni encore dans le fait de procurer l’assistance
spirituelle aux fidèles. Mais on pouvait nous dire que l’irrégularité était
d’avoir un évêque sacré contre la volonté expresse du pape. Nous estimions que
nous étions dans un état de nécessité qui justifiait cette attitude, mais, même
ainsi, c’était une situation anormale qui ne pouvait pas durer toujours. Elle
ne pouvait pas continuer après l’offre du Saint-Siège d’une régularisation.
Mgr Rangel a déclaré, quand il a reçu l’épiscopat,
qu’il espérait que les circonstances changeraient et qu’alors il restituerait
au pape son épiscopat pour qu’il puisse en disposer comme il le voudrait. Et
les circonstances ont changé, puisque le Saint-Siège nous a offert une
régularisation dans une Administration apostolique que, en conscience, nous ne
pouvions pas refuser.
Si on regarde l’Église comme une simple société humaine,
on pourrait dire que, stratégiquement parlant, notre démarche a été une folie.
Mais si on regarde, avec les yeux de la foi, la divinité de l’Église, bien au-dessus
de jeux humains, les considérations changent. Ce n’a pas été par commodité ou
parce que nous étions fatigués de combattre ou pour une question seulement
pratique que nous avons accepté cette régularisation canonique. C’est un vrai sensus de l’Église et notre conscience
qui ont exigé que nous prenions cette position.
Item – Avez-vous pu créer d’autres
paroisses personnelles ? Quelles sont vos possibilités hors du territoire
du diocèse de Campos ? Les évêques brésiliens ont-ils accepté que vous puissiez
célébrer la messe tridentine dans leurs églises, à l’occasion de
rassemblements, ou même ont-ils accepté que vous puissiez fonder des paroisses
dans leur diocèse au titre de l’administration apostolique
Saint-Jean-Marie-Vianney ?
Mgr Rifan – Nous avons érigé en paroisses
personnelles officielles toutes les paroisses que nous avions précédemment.
Pour ce qui regarde l’extérieur du territoire du diocèse de Campos, le
Saint-Siège a délivré un document postérieur avec la permission d’exercer notre
ministère dans les autres diocèses, après entente avec l’Ordinaire du lieu, ce
qui est normal. Plusieurs évêques nous ont déjà offert des églises, ce qui
donne la possibilité aux fidèles d’assister à la liturgie traditionnelle, le
tout formalisé par un contrat écrit. Le problème est
que nous n’avons pas un nombre suffisant de prêtres pour répondre à toutes les
demandes au Brésil et ailleurs.
La position des évêques a été diverse, comme on pouvait
s’y attendre. Mais le dimanche 21 décembre, j’ai célébré une grand’messe
dans une église paroissiale de l’archevêché voisin, avec les encouragements de
l’archevêque, à l’occasion du 51ème anniversaire sacerdotal du
curé, devant près de 1000 fidèles. Plusieurs communautés nous ont aussi
invité à dire la messe.
À l’occasion de la dernière assemblée générale de
l’épiscopat brésilien, qui compte 414 évêques, je me suis présenté à tous,
publiquement, en expliquant notre position. Beaucoup d’évêques m’ont félicité.
Même si tous n’ont pas applaudi notre position, au moins ai-je trouvé des
compréhensions et des sympathies. Une semaine avant l’assemblée, qui dure dix
jours, un évêque m’a téléphoné en me disant qu’il avait reçu l’ordre de
l’évêque président de notre région apostolique, pour me préparer une chapelle
privée pour que je puisse dire ma messe, puisqu’il savait que je ne
concélèbrerai pas. Il a ajouté qu’il chercherait un religieux pour me servir la
messe, et que, s’il ne le trouvait pas, il la servirait lui-même. On voit aussi
cela dans l’épiscopat brésilien !
Item – Pouvez-vous nous dire quels sont
vos effectifs en prêtres et séminaristes ?
Mgr Rifan – Actuellement nous avons
28 prêtres et 25 séminaristes. Pour un séminaire diocésain c’est un
bon chiffre. C’était la moyenne au temps de Mgr De Castro Mayer. Mais nous
avons besoin de bien plus que cela, pour atteindre tous les groupes de fidèles
qui demandent notre assistance. Il faut prier. Nous testons et nous faisons
suivre des retraites de vocations à beaucoup de jeunes qui se préparent pour la
prochaine entrée au séminaire.
Item – Dans la fidélité à Mgr De Castro
Mayer, votre groupe sacerdotal avait maintenu une critique très forte et
argumentée des novations conciliaires, liberté religieuse, œcuménisme,
principes flous de la collégialité épiscopale et fondements faux du dialogue
avec les religions non chrétiennes. Votre situation nouvelle va-t-elle vous
permettre de faire entendre désormais « de l’intérieur » cette même
critique théologique ?
Mgr Rifan – Nous conservons la même position
catholique, notre position de toujours. Nous sommes pour la royauté sociale du
Christ-Roi, nous sommes contre la liberté religieuse en tant que relativisme
doctrinal, laïcisme de l’État, indifférentisme et syncrétisme religieux,
égalité de toutes les religions devant la loi, en un mot contre la liberté
religieuse condamnée par Grégoire XVI, Pie IX et Pie XII. Nous sommes contre
l’œcuménisme de complémentarité, ou d’irénisme et nous sommes pour le retour ou
la conversion des séparés. Nous sommes contre la démocratisation de l’Église à
tous les niveaux.
Évidemment, nous avons le droit de critiquer les erreurs
et de présenter nos critiques constructives, dans le respect des personnes, aux
autorités de l’Église ! J’ai la même analyse que Mgr De Castro Mayer a
faite dans ses Lettres Pastorales à propos des textes de Vatican II . On peut d’ailleurs constater que notre simple existence
est déjà une réponse et une critique constructive à beaucoup de choses. Et
notre situation canoniquement régulière nous permet d’être mieux écouté qu’avant.
Mais, il ne faut, dans les critiques, ni généraliser ni
critiquer tout en bloc. Distinguer est plus difficile, mais plus efficace
contre l’erreur, que généraliser. Et aussi, pour être crédibles, il nous faut
examiner n os propres faiblesses et approximations.
Item
– Mgr De Castro Mayer et Mgr Rangel avaient estimé que la situation de l’Église
était suffisamment grave pour entrer dans une désobéissance apparente, jusqu’à
conférer et recevoir la consécration épiscopale sans mandat du pape, mais en présumant
ce mandat, estimant après Assise que le pape était « empêché » par la
crise. Peut-on considérer que la reconnaissance officielle dont a bénéficié
Mgr Rangel par le décret Animarum bonum, du 18 janvier 2002, est une première
reconnaissance de la légitimité de l’action de Mgr Lefebvre et de Mgr De
Castro Mayer, ainsi que de tous les prêtres et fidèles qui les ont
suivis ?
Mgr Rifan – Dans le remerciement que j’ai
prononcé le jour de mon sacre devant le cardinal Castrillón et tous les
évêques, prêtres et fidèles présents, j’ai répété ce que le Cardinal Re m’avait
dit à Rome, à savoir que la reconnaissance juridique des prêtres de Campos a
atteint aussi Mgr De Castro Mayer, qui n’avait jamais eu l’intention de
faire schisme. Quand les fils de Mgr. Lefebvre seront reconnus juridiquement, on dira la même chose
de lui, lui qui disait toujours agir avec droite intention, sans jamais vouloir
faire schisme.
Le Saint-Siège n’a exigé de nous aucune abjuration d’aucun soi-disant
« schisme », et n’a pas même fait mention de
cela. Nous étions dans une position que pous pensions justifiée par la
necessité du salut des âmes, sans aucune intention de schisme. Mais on ne peut
plus dire que nous ne sommes pas complètement certains et réguliers.
Item – En France, le nombre des prêtres,
l’assistance à la messe, les effectifs des catéchismes continue de s’effondrer.
Plus facilement les évêques font appel à des communautés nouvelles et à des
communautés traditionnelles. En est-il de même au Brésil ?
Mgr Rifan – Malgré toute la bagarre qui a suivi
le Concile, avec la domination du modernisme, dont les effets continuent encore, on sent maintenant partout une certaine
soif de Tradition, surtout dans les nouvelles générations. Il y a beaucoup de
nouvelles communautés, qui ont beaucoup de sympathie pour les choses
traditionnelles. Il y a du bon, une recherche de vie de prière et de
contemplation, la récitation du chapelet, l’adoration du Très Saint-Sacrement,
etc.
Beaucoup d’évêques ont défendu publiquement la morale
catholique et les valeurs morales de la famille, attaqués par les moyens de
communication et même par le gouvernement. L’Église ne nous appartient pas.
Elle compte sur l’assistance continuelle de son divin Fondateur : Portae inferi non praevalebunt adversus
eam. Tunc stat cum superari videtur,
dit saint Hilaire.
Il existe une jeune congrégation au Brésil, fondée il y a
quelques années, qui a déjà presque 80 maisons, avec 1600 membres, qui vivent dans la plus
complète pauvreté. Ils ont l’adoration perpétuelle et une grande sympathie pour
la liturgie traditionnelle. Ils ont demandé mon intervention pour avoir la
messe traditionnelle de manière régulière. Ils ne sont pas les seuls : Residuum revertetur.