L’état général de l’Eglise d’après les statistiques.

 

 

 

En ordonnant d’aller évangéliser toute la création, le Christ ne nous a pas demandé de nous enfouir pour être réduits au levain. Le levain, c’est sa grâce, mais du côté des hommes, il faut des chiffres, comme en témoigne la collecte du Missel:

 

Da nobis, quaesumus Domine, perseverantem in tua voluntate famulatum, ut in diebus nostris et merito et numero populus tibi serviens augeatur (MR, collecte du mardi de la semaine de Passion)

 

Les chiffres sont loin de tout dire de la réalité de l’Eglise, ils ne traduisent presque rien du « et merito », mais ils sont l’aspect le plus objectif du « et numero » par lequel le Christ accomplit sa promesse de demeurer présent à son Eglise, société tout à la fois humaine et divine, jusqu’à la fin des siècles.

 

 

 

1. PROPORTION DES FIDELES

Selon les Nations Unies, au 30 juin 2000 la population du monde comptait 6.047.279.000 habitants.

A cette même date, dans 2846 de ses 2992 circonscriptions (celle avec lesquelles des contacts réguliers sont possibles – on ne prend pas en compte par exemple des pays comme la Chine, le dix-huitième pays catholique estimé à 12 millions de fidèles, ou la Corée du Nord), l’Eglise catholique se reconnaissait 1.045.056.000 baptisés, soit environ 17,28 % de la population.

 

A titre de comparaison, en 1914 cette proportion était estimée à 16,63% tandis qu’en 1970 l’estimation était montée à 18,4 %.

Il est difficile de tirer des conclusions de ce pourcent en plus puis en moins, parce que les mêmes critères n’ont pas été appliqués pour l’obtention de ces trois chiffres, et parce que l’évolution est très différente de continent à continent, alors que leur masse de population n’influe pas de la même manière sur le bilan final.

 

 

         Il faut tout de même chercher quels sont les points noirs qui donnent lieu à cette relative stagnation du pourcentage des baptisés catholiques dans le monde. Nous nous intéresserons surtout aux chiffres des trente dernières années – période qui correspond à l’après-Concile et pour laquelle les chiffres commencent à avoir une certaine cohérence, étant recueillis selon les mêmes critères par l’Annuaire statistique de l’Eglise.

         Il y a d’abord une question démographique : des pays peu évangélisés ont vu leur poids augmenter sérieusement dans la balance mondiale ; la Chine a grandi de moitié ; et par ordre d’importance, l’Inde, l’Indonésie, le Nigéria, le Vietnam, la Turquie, l’Egypte, l’Iran, l’Ethiopie, la Thaïlande, la Birmanie, parmi les pays qui dépassent les 50 millions d’habitants, ont vu leur population se multiplier par deux entre 1970 et 2000, alors que les seuls grands pays catholiques à avoir eu une natalité comparable ont été le Brésil, le Mexique et les Philippines ; pendant ce temps les autres piliers traditionnels de la catholicité (Etats-Unis, Italie, France, Espagne, Pologne) rentraient dans l’hiver démographique, voire obtenaient la lanterne rouge de la fécondité dans le cas de l’Italie et de l’Espagne.

         Et puis il y a le plus douloureux : la régression de la proportion des baptisés au sein même de pays traditionnellement catholiques. Ce phénomène, à l’échelle continentale, ne touche que l’Europe (qui passe de 40,2 à 39,87% de catholiques en trente ans) et l’Amérique Latine (de 88,57 à 86%).

A l’échelle des nations, dix des vingt premiers pays de la catholicité (plus de 10 millions de catholiques) présentent une régression : ce sont l’Espagne, qui a perdu 5,07 points ces trente dernières années en passant de 99,2 à 94,13%, même si elle remonte depuis cinq ans. Le Mexique est passé de 95,1 à 92,42%, mais ses chiffres sont peu fiables ; l’Equateur de 95,5 à 91,88%, le Pérou de 94,5 à 89,71% ; la Colombie de 97,1 à 89,14% ; le Vénézuela est passé de 95,9 à 88,6% ; le Brésil de 88,7 à 85,8% ; la France est tombée de 90 à 79,51% ; le Chili de 90,9 à 75,12 ; l’Allemagne, qui reste un des principaux soutiens financiers de la catholicité, passe de 39,8 à 33,47.

Parmi les 20 pays suivants (moins de 10 millions de baptisés), sont en crise les pays d’ancienne chrétienté comme la Belgique, si grande pourvoyeuse de missionnaires, qui passe de 89,6 à 79,07 et a actuellement la pente la plus raide de la chrétienté; l’Autriche passe de 92 à 74,41 ; la Hollande de 40,5 à 33,83%.

 

 

         En sens contraire, il faut se demander quels sont les facteurs qui ont contribué positivement au maintien de la présence du catholicisme.

         Toujours pour commencer par le facteur démographique, l’Amérique latine a fait preuve d’une très belle vitalité. Près de la moitié des catholiques du monde sont maintenant originaires de ce continent ; c’est une des populations parmi les plus jeunes du monde (taux de moins de 15 ans au Mexique et en Colombie : 37% ; taux des 15-30 ans : 31%, à comparer avec les chiffres de la France : 20 et 23%), elle jouit d’une tradition universitaire plus ancienne que celle de nombreux pays européens et elle est en train de conquérir l’Amérique du Nord.

C’est donc une situation paradoxale : l’Amérique latine a régressé en proportion interne de catholiques, pour toute une série de motifs que l’on ne saurait analyser ici que de façon trop sommaire, même si l’on peut imaginer quelle est sa faiblesse - elle est très peu catéchisée, et donc assez vulnérable au niveau de la foi, notamment à cause du manque de prêtres (1 prêtre pour 7057 fidèles en moyenne). Et dans le même temps, c’est elle qui contribue le plus à l’augmentation de la proportion de catholiques pour l’ensemble du continent américain : C’est ainsi que grâce au poids croissant des latino-américains, l’Amérique dans son ensemble est passée de 48% de catholiques en 1913 à 59,9% en 1970 et à 62,84% en 2000. Les USA sont passés de 16,5% en 1915 à 20,4% en 1969 et 22,51% en 2000.

De plus, les efforts que les évêques d’Amérique latine ont déployé ces trente dernières années pour susciter des vocations locales et se débarrasser des idéologies commencent à porter du fruit et devraient permettre une réévangélisation interne assez rapide.

 

         Pour revenir à l’échelle du monde, le second facteur a joué également : celui de l’augmentation de la proportion des catholiques au sein d’un même pays, synonyme d’évangélisation interne ; cela a permis de compenser la poussée démographique des pays peu ou pas évangélisés dont on a parlé.

        

         Ainsi, au cours de ce siècle, la progression de l’Eglise en Afrique est très frappante: alors que beaucoup de pays ont à peine célébré le centenaire de l’arrivée des missionnaires, la proportion de catholiques africains est passée de 0,2% en 1914 à 11,6% en 1969, et à 16,47% en 2000. Et la croissance de cette proportion est exponentielle, elle se détache nettement de la croissance de l’Asie depuis les années 1995.

Cela ne signifie pas que les catholiques africains n’aient pas de difficulté, par exemple avec la mainmise de l’islam : mais l’implantation de celui-ci semble parfois plus politique que spirituelle, elle n’a pas forcément prise sur les animistes ; par exemple, c’est la 3e république qui l’avait favorisée dans les anciennes colonies françaises ; dans des pays comme le Nigéria, ou le président est passé à l’islam et où certains états ont adopté la charia, les motivations semblent également très intéressées. Il n’empêche que la foi au Fils de Dieu fait homme est en pleine expansion, et la proportion citée ci-dessus ne compte que les baptisés, alors qu’il faudrait rajouter à beaucoup de paroisses une proportion de 2/3 de catéchumènes.

         L’Asie a également bien progressé à sa manière : passer de 1,43% de baptisés en 1914 à 2,2% en 1969 et 2,9% en 2000, c’est trop peu pour que l’Inde ou la Chine soient marquées par le Sauveur. Mais en dehors de ces géants, le Vietnam est passé de 4,5% en 1969 à 6,82% en 2000, l’Indonésie musulmane est passée de 1,5% à 2,99% dans le même temps, et la Corée, plus spectaculaire, est passée de 2,6% à 8,56%.

         Même l’Océanie est passée de 17,34% de catholiques en 1914 à 23,1% en 1970 et 26,87% en 2000.

 

Concrètement, parmi les vingt pays qui recensent le plus grand nombre de catholiques, il y en a donc dix autres qui se maintiennent ou dont la proportion progresse ; ce sont, dans l’ordre des proportions, l’Italie (qui se maintient à 97,2%), la Pologne (qui progresse de 93,9 à 95,84), l’Argentine (90,6%), les Philippines (de 80,6 à 82,58%), l’Ex-Zaire (de 42,8 à 53,12%), le Canada (43,8%), les Etats-Unis (qui restent à 22,51%, mais dont la croissance a repris ces 5 dernières années), le Nigéria (de 5,7 à 14,39%) et l’Inde (de 1,5 à 1,65%). La Chine était estimée à 0,5% de catholiques en 1949, on la jauge maintenant à 0,77%.

Les petits pays de moins de 10 millions de catholiques sont presque tous en hausse, y compris le Portugal (qui depuis 5 ans remonte à 94% après un passage à vide), et l’Irlande (de 74 à 76,23%), malgré sa très grave crise des vocations.

 

Il ne s’agit là que d’une première série de chiffres : ils renseignent un tout petit peu quant au respect de la loi naturelle de fécondité, quant à la transmission de la foi à travers le baptême ou quant à l’efficacité de l’évangélisation par rayonnement, mais ils disent peu quant à la ferveur interne d’un pays ou à ses crises du point de vue de la foi.

 

2. ERECTION DE CIRCONSCRIPTIONS ECCLESIASTIQUES

Il nous faut donc chercher d’autres indices, plus symptomatiques de la vitalité de l’Eglise, de sa capacité à se transmettre à la génération suivante.

Une des manifestations de la croissance interne de l’Eglise se rencontre lors de la création de nouveaux diocèses. C’est un acte de gouvernement contingent, mais c’est en même temps un acte primatial par lequel le successeur de Pierre reconnaît qu’en un lieu donné une communauté particulière a pris suffisamment de maturité pour contenir les différentes composantes de sainteté, de vocations religieuses et de pasteurs qui font une Eglise particulière. Or il y avait 2278 circonscriptions ecclésiastiques en 1969. Elles sont 2992 en 2000. Le nombre d’évêques en communion avec le Saint-Siège est passé de 2427 en 1962 à 4649 en 2001, y compris grâce à la réconciliation de la plupart des évêques chinois schismatiques.

On peut vérifier également la croissance de la visibilité de l’Eglise au nombre de paroisses. L’Eglise en comptait 189.951 en 1969. Elles étaient 218.196 en 2000 dont 162.471 avec un curé résident, alors qu’on ne comptait en 1969 que 151.967 curés résidents.

 

3. VOCATIONS

Toujours à propos de vitalité interne, l’indice des vocations au sacerdoce est révélateur du futur d’un pays. Un pays peut continuer à croître en terme de proportion interne de baptisés, et ne plus susciter de vocations (cas de l’Irlande). C’est une grave hypothèque sur la capacité d’évangéliser, c’est non seulement un ressort interne de générosité qui est brisé ou qui ne trouve pas de lieu pour être accueilli, mais c’est une transmission de la foi qui ne se fera pas. Qu’on le veuille ou non, il ne peut pas y avoir d’Eglise sans prêtres.

La première caractéristique des chiffres actuels concernant les séminaristes, c’est qu’il s’agit de grands séminaristes : à savoir d’élèves de philosophie et théologie qui ont déjà au minimum un baccalauréat en poche et souvent un métier. Il faut dire cela parce que jusqu’à la réforme de Paul VI de l’admission en théologie, on était clerc dès la réception de la tonsure, et on était séminariste dès le petit séminaire : c’est-à-dire que l’on dénombrait comme membres du clergé des gens qui n’allaient jamais jusqu’à l’ordination, et que les chiffres pléthoriques de séminaristes concernaient beaucoup de collégiens dont la vocation n’était pas assurée et qui ne persévéraient pas.

Il est déplorable que les petits séminaires aient été mis pratiquement en veilleuse dans le monde, mais cette situation a pour conséquence que les vocations actuelles, par rapport à celles d’il y a trente ans, ont déjà fait un choix plus définitif, ont souvent renoncé à une place dans la société qu’elles détenaient effectivement, et sont donc susceptibles d’un plus grand impact sur cette société.

Ceci étant dit, les chiffres sont là : dans toute son histoire, l’Eglise n’a jamais eu autant de grands séminaristes que maintenant, leur nombre a quasiment doublé depuis 1975, passant de 60.142 à 112.244 en 2001.

 

 

         Ce tableau appelle quelques commentaires.

On voit d’abord une année charnière, le jubilé de 1975. C’est l’année d’Evangelii nuntiandi, une exhortation apostolique qui sera longuement étudiée et commentée à tous niveaux dans l’Eglise. C’est l’année qui marque la fin de la crise des abandons de prêtre, dont le nombre s’est abaissé peu à peu jusqu’à se stabiliser en 1984 à un niveau deux fois inférieur à celui de l’après-guerre.

         La courbe montre également qu’en 1975 l’Eglise sort enfin d’une très grave crise des vocations. On a trop peu de chiffres antérieurs à 1969 pour savoir à quand elle remontait au niveau de l’Eglise universelle. Par contre nous possédons les chiffres pour le clergé diocésain d’un certain nombre de pays, et aussi au niveau continental.

 

 

C’est au niveau des pays que nous pouvons remonter le plus loin dans l’histoire pour essayer de comprendre la crise.

Sur les 20 premiers pays du monde à donner actuellement des séminaristes diocésains, nous en voyons quatre qui après une croissance très rapide ont chuté de manière tout aussi brutale entre 1925 et maintenant. Il s’agit de la France, de l’Italie, de l’Espagne et des Etats-Unis. Après une première crise des vocations déjà dans l’entre deux guerres, la France avait connu une floraison qui lui permit d’obtenir en 1943 le plus grand nombre de grands séminaristes de son histoire et même de l’histoire de l’Eglise – au moins au sens moderne de « séminariste ». Depuis cette date jusqu’en 1976, sa chute sera rectiligne. (On retrouve la même crise de l’après-guerre en Belgique, en Irlande et en Hollande). L’Italie et l’Espagne continueront leur phase de croissance des vocations jusqu’en 1961, puis entreront à leur tour dans une chute plus raide, mais qui les amènera moins bas et qui s’arrêtera pratiquement à la même date, en 1977 (même dates pour l’Autriche et le Canada). Les Etats-Unis enfin poursuivront leur phase de croissance jusqu’en 1969, et chuteront jusqu’en 1995.

         Une considération vaut pour l’Europe uniquement : après avoir commencé à remonter la pente en 1975, une nouvelle crise des vocations intervient à partir de 1986, qui touche surtout les pays anglophones et germanophones. Il paraît symptomatique que cette nouvelle chute soit concomitante à l’instauration de politiques d’assistants pastoraux laïcs, conçus comme étant un clergé à plein titre puisqu’on prétend les faire agir au nom de l’Eglise. Les cas de la Belgique et de l’Allemagne sont particulièrement flagrants.

Pour les autres pays du monde, et en particulier pour l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie, nous assistons au phénomène inverse : ils n’avaient que très peu de vocations jusqu’en 1960 – malgré cinq siècles d’évangélisation, dans le cas de l’Amérique latine – tandis que le tournant de 1975 leur a donné une impulsion fulgurante.

 

 

         Pour interpréter la crise des vocations entre la guerre et 1975, il faudrait donc étudier le cas des quatre pays principalement responsables du « déficit », et en particulier le cas de la France, première touchée et qui donnera à l’Occident le « la » de mai 1968.

         Il y a d’abord une question de dates : la crise démarre pendant la guerre, en France et en Belgique ; elle avait donc commencé bien avant le Concile. Celui-ci est au contraire contemporain d’un démarrage inopiné de trois continents, et l’année sainte 1975, dix ans après sa clôture, marquait le réveil de tous les indicateurs au niveau de l’Eglise universelle.

         Il y a ensuite la question des motifs. C’est un terrain beaucoup plus hasardeux, et à propos duquel les sensibilités sont encore très vives, mais on ne peut vivre sans chercher à comprendre. Le motif de la crise pourrait être principalement intellectuel, comme si le catholicisme occidental avait douté de lui-même, de son patrimoine, et n’avait plus été capable de le présenter de façon renouvelée, notamment aux nouvelles générations d’étudiants. Dans la hantise de se réconcilier avec toute l’humanité, le clergé abandonnait dans l’après-guerre tout ce qui avait saveur de dogmatisme pour se jeter à corps perdu dans la pastorale. Dans les séminaires des années 50, le contenu enseigné ne donnait pas satisfaction, et de toute manière on n’étudiait plus. On pensait se rendre ainsi proche des gens, au risque de devenir insignifiant et étranger à son propre monde, et notamment à ceux qui façonnent la culture ambiante. A travers la crise de la théologie du sacerdoce, l’incompréhension de ce que peut-être un changement « ontologique » et donc de la notion de « caractère » et de consécration spéciale, toutes rejetées comme une prétention anti-égalitaire, c’est l’image du prêtre qui s’est dégradée, avec la conséquence qu’elle n’attire plus. Un indice de cette image peut-être trouvé dans le rapport du nombre de séminaristes par prêtre, ou son corollaire : combien de prêtres faut-il pour convaincre un jeune homme de faire étudier sa vocation au séminaire. Sachant que la formation dure 6 ans en moyenne et qu’une vie sacerdotale dure une quarantaine d’année, pour que chaque prêtre ait un successeur il suffirait d’un indice de 0,14 séminariste par prêtre. Voici les chiffres de quelques pays représentatifs d’un extrême à l’autre :

 

 

         D’après l’indice actuel, on peut prospecter que dans 40 ans, chaque prêtre aura eu deux successeurs en moyenne. Cet indice dresse aussi une « carte » de la crise d’identité : il faut 31 prêtres belges ou 16 prêtres français pour convaincre un séminariste. Tandis que chaque prêtre indonésien ou chinois peut compter sur une belle fécondité de 7 ou 8 successeurs.

 

         Il serait intéressant d’étudier comment les autres grands pays, qui ont connu la même crise que la France, sont retombés sur leurs pieds, et notamment le cas de l’Italie, qui est remontée de 2746 à 3653 séminaristes diocésains (et 2780 séminaristes religieux), de telle sorte que le nombre de prêtres séculiers s’y est désormais stabilisé. Ce qui frappe dans le clergé italien, c’est sa capacité à être en phase avec toutes les couches de la population tout en restant lui-même, alors qu’ailleurs les efforts d’adaptation semblent avoir entraîné une perte d’identité. Et puis dans le tempérament péninsulaire, si on peut s’enthousiasmer pour des idées folles, on est trop pragmatique pour les appliquer jusqu’au bout et on n’a pas le goût de la rupture.

         Il est également intéressant d’observer le rôle des religieux dans la crise. En un sens, ils l’ont provoquée, c’étaient eux qui étaient les têtes pensantes, et ils en portent encore les conséquences : la population cléricale religieuse est nettement plus âgée que celle du clergé diocésain, sa mortalité dépasse encore de beaucoup son taux d’ordination, alors que chez les séculiers dès 1985 les ordinations l’emportaient sur les décès. Le clergé diocésain a mieux résisté à la crise, son taux de défection a été plus faible et il a redémarré plus vite. Mais paradoxalement, c’est des religieux ou assimilés que vient le renouveau : ils ont actuellement nettement plus de vocations à population égale, et quand leur mortalité va tomber, leur croissance sera fulgurante. Il ne s’agit pas tant des grands ordres traditionnels, qui ont encore du mal à sortir des options prises dans les années 50, mais d’une quantité de création de nouveaux instituts de droit diocésain. En 1974, il n’y avait que 1200 séminaristes religieux à ne pas être recensés dans les grands ordres traditionnels. Ils sont maintenant 8000 à l’échelle de l’Eglise. Sur les 1537 séminaristes français de l’an 2000, 597 sont recensés comme religieux, sans compter tous ceux qui passent par la filière du clergé diocésain tout en étant issus et soutenus par une communauté ou un mouvement qui ne sont pas diocésains.

         Enfin il faut noter l’importance de créer des institutions pour accueillir les vocations ; c’est un lourd sacrifice financier pour les diocèses, qui révèle tout un climat porteur, notamment de prières pour les vocations : on avait 606 grands séminaires diocésains en 1963, ils sont 1122 en 2000. La Colombie a créé ainsi près de 40 séminaires diocésains en trente ans, alors qu’elle n’a encore que 71 circonscriptions.

 

 

3. PROPORTION DES VOCATIONS

         Il ne suffit pas de constater que trois continents suffisent à compenser le déclin des vocations en Europe, et ne ressentent qu’indirectement les conséquences de la crise culturelle de l’Occident. Il s’agit de voir en quoi leur richesse relative est suffisante par rapport aux besoins. Or il y a deux types de besoins : il s’agit d’abord de transmettre la foi aux nouvelles générations ; le travail effectif qu’implique ce rôle de père est lié au quotient du nombre de catholiques par prêtre, c’est un indicateur de leur charge pastorale habituelle, un travail de « maintenance ». Ensuite, il s’agit d’évangéliser ceux qui ne sont pas encore au nombre des brebis : certains se trouvent mêlés à la population catholique, et dans ce cas c’est la ferveur de cette population qui convertit : « C’est une église pleine qui attire au Christ » disait saint Ambroise. Mais la plupart des non-catholiques se trouve dans des pays où les chrétiens n’ont quasiment pas de visibilité en tant que tels.

 

(Ce tableau ne tient pas compte du cas de l’Arabie Saoudite, puisque ses 900.000 fidèles n’ont pas droit d’accès aux deux prêtres généralement présents).

 

Quant à la première tâche, le Concile de Trente avait souhaité, pour que les pasteurs puissent connaître leurs fidèles, que l’on dispose d’une moyenne d’un prêtre pour 2000 fidèles. La moyenne actuelle de un pour 2579 pourrait sembler satisfaisante. En réalité elle cache de très grosses disparités. On voit que les difficultés de l’Amérique latine à garder ses fidèles semblent liées au faible nombre de pasteurs. De bons séminaires ont été créés dans un très grand nombre de diocèses ces trente dernières années, mais il faudrait réussir à tripler les effectifs actuels du clergé pour obtenir une situation « normale ». D’autre part, il y a de très grosses disparités dans la visibilité. Les prêtres comme signes agissent dans toute leur activité en tant qu’ils sont visibles. Or le clergé jeune et sans complexe de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie, est peut-être plus repérable que celui de l’Occident malgré ses sous-effectifs. Enfin il y a des disparités dans la manière de ressentir la charge : les récents synodes des évêques montrent qu’à l’échelle de l’Eglise universelle, une proposition visant à atténuer l’exigence du célibat ne rencontre absolument aucun écho. Les pays qui auraient objectivement besoin de renforts ne sentent pas leur charge tellement lourde qu’elle vaille la peine de modifier l’image du prêtre célibataire. Tandis que les pays qui réclament sourdement un tel changement sont ceux où les prêtres ont le moins à faire, comme la Suisse ou la Belgique.

 

Ce qui fait difficulté actuellement, c’est plutôt la seconde tâche, comme si l’Eglise avait refroidi son ardeur envers 82% de l’humanité qui n’ont pas le bonheur de jouir de la Parole de vérité et de ses sacrements. Pour gagner ces brebis qui ne sont pas du bercail, il n’y a qu’une seule façon réaliste, c’est l’envoi de missionnaires. Voici quels sont les pays qui ont actuellement le moins de prêtres par habitants :

 

 

La présence catholique a bien parfois augmenté dans ces pays, mais plutôt du fait des déplacements de population ; c’est ainsi qu’il y a 880.000 catholiques en Arabie Saoudite (4,4% de la population), mais ils sont réduits à l’état de catacombes. Ce manque de visibilité, lié au manque de liberté religieuse, est un des plus grands obstacles à l’évangélisation. Il faudrait que les prêtres qui s’y trouvent, souvent clandestinement, puissent jouir d’un statut pour que l’Evangile prenne pied sur la place publique. Le Saint-Siège s’y emploie, notamment par un gros effort pour développer la présence de légats du Pape auprès de la population, et par l’instauration de relations diplomatiques.

Le nombre de pays qui ont ainsi demandé des relations avec le Saint-Siège a doublé en trente ans, passant à 175 pays plus 5 organisations internationales en 2003. Curieusement, les pays soumis à la loi islamique, très rigides officiellement sur la question des conversions, se sont montrés demandeurs de telles relations diplomatiques, qui permettent notamment d’évangéliser à travers les institutions d’éducation et de bienfaisance. On se rappelle l’affaire du concordat avec le Maroc. Le dernier en date est le Qatar, dont 5,6% de la population est catholique, et qui a consenti à la construction d’églises.

Mais l’essentiel du travail est encore à faire : ce dont l’Eglise a le plus besoin actuellement, c’est d’instituts et de vocations qui se consacrent à cet apostolat spécifique auprès de pays entiers ou le Christ n’a quasiment pas droit de cité.

 

 

CONCLUSION :

Il ne s’agit là que de chiffres. Seul celui qui a la vision de l’ensemble et la grâce d’état pour le gouverner peut leur donner une juste interprétation. Voici donc ce que pensait notre Saint-Père de la situation en 1990 déjà : « Les fruits missionnaires du Concile sont déjà abondants: les Eglises locales se sont multipliées, avec leurs évêques, leur clergé et leur personnel apostolique (…) Cependant,  (…) des difficultés internes et externes ont affaibli l'élan missionnaire de l'Eglise à l'égard des non-chrétiens, et c'est là un fait qui doit inquiéter tous ceux qui croient au Christ. Dans l'histoire de l'Eglise, en effet, le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son affaiblissement est le signe d'une crise de la foi » (Encyclique Redemptoris missio).

         Puissent donc les tensions internes qui affaiblissent et déchirent certaines Eglises et Institutions locales, disparaître devant la ferme conviction que le salut des communautés s'acquiert par la coopération à l'oeuvre missionnaire !

 

 

 

 

Jules Thomas

D’après les chiffres aimablement fournis par la Congrégation pour le Clergé