En ordonnant d’aller
évangéliser toute la création, le Christ ne nous a pas demandé de nous enfouir
pour être réduits au levain. Le levain, c’est sa grâce, mais du côté des
hommes, il faut des chiffres, comme en témoigne la collecte du Missel:
Da nobis, quaesumus Domine, perseverantem in tua voluntate famulatum,
ut in diebus nostris et merito et numero populus tibi serviens augeatur (MR, collecte du mardi de la
semaine de Passion)
Les chiffres sont loin de
tout dire de la réalité de l’Eglise, ils ne traduisent presque rien du
« et merito », mais ils sont l’aspect le plus objectif du « et
numero » par lequel le Christ accomplit sa promesse de demeurer présent à
son Eglise, société tout à la fois humaine et divine, jusqu’à la fin des
siècles.
1. PROPORTION DES FIDELES
Selon les Nations Unies, au
30 juin 2000 la population du monde comptait 6.047.279.000 habitants.
A cette même date, dans 2846
de ses 2992 circonscriptions (celle avec lesquelles des contacts réguliers sont
possibles – on ne prend pas en compte par exemple des pays comme la Chine, le
dix-huitième pays catholique estimé à 12 millions de fidèles, ou la Corée du
Nord), l’Eglise catholique se reconnaissait 1.045.056.000 baptisés, soit environ
17,28 % de la population.
A titre de comparaison, en
1914 cette proportion était estimée à 16,63% tandis qu’en 1970 l’estimation
était montée à 18,4 %.
Il est difficile de tirer
des conclusions de ce pourcent en plus puis en moins, parce que les mêmes critères
n’ont pas été appliqués pour l’obtention de ces trois chiffres, et parce que l’évolution
est très différente de continent à continent, alors que leur masse de
population n’influe pas de la même manière sur le bilan final.
Il
faut tout de même chercher quels sont les points noirs qui donnent lieu à cette
relative stagnation du pourcentage des baptisés catholiques dans le monde. Nous
nous intéresserons surtout aux chiffres des trente dernières années – période
qui correspond à l’après-Concile et pour laquelle les chiffres commencent à
avoir une certaine cohérence, étant recueillis selon les mêmes critères par
l’Annuaire statistique de l’Eglise.
Il y a
d’abord une question démographique : des pays peu évangélisés ont vu leur
poids augmenter sérieusement dans la balance mondiale ; la Chine a grandi
de moitié ; et par ordre d’importance, l’Inde, l’Indonésie, le Nigéria, le
Vietnam, la Turquie, l’Egypte, l’Iran, l’Ethiopie, la Thaïlande, la Birmanie,
parmi les pays qui dépassent les 50 millions d’habitants, ont vu leur
population se multiplier par deux entre 1970 et 2000, alors que les seuls
grands pays catholiques à avoir eu une natalité comparable ont été le Brésil,
le Mexique et les Philippines ; pendant ce temps les autres piliers
traditionnels de la catholicité (Etats-Unis, Italie, France, Espagne, Pologne)
rentraient dans l’hiver démographique, voire obtenaient la lanterne rouge de la
fécondité dans le cas de l’Italie et de l’Espagne.
Et
puis il y a le plus douloureux : la régression de la proportion des
baptisés au sein même de pays traditionnellement catholiques. Ce phénomène, à
l’échelle continentale, ne touche que l’Europe (qui passe de 40,2 à 39,87% de
catholiques en trente ans) et l’Amérique Latine (de 88,57 à 86%).
A l’échelle des nations, dix
des vingt premiers pays de la catholicité (plus de 10 millions de catholiques)
présentent une régression : ce sont l’Espagne, qui a perdu 5,07 points ces
trente dernières années en passant de 99,2 à 94,13%, même si elle remonte
depuis cinq ans. Le Mexique est passé de 95,1 à 92,42%, mais ses chiffres sont
peu fiables ; l’Equateur de 95,5 à 91,88%, le Pérou de 94,5 à
89,71% ; la Colombie de 97,1 à 89,14% ; le Vénézuela est passé de
95,9 à 88,6% ; le Brésil de 88,7 à 85,8% ; la France est tombée de 90
à 79,51% ; le Chili de 90,9 à 75,12 ; l’Allemagne, qui reste un des
principaux soutiens financiers de la catholicité, passe de 39,8 à 33,47.
Parmi les 20 pays suivants
(moins de 10 millions de baptisés), sont en crise les pays d’ancienne
chrétienté comme la Belgique, si grande pourvoyeuse de missionnaires, qui passe
de 89,6 à 79,07 et a actuellement la pente la plus raide de la chrétienté;
l’Autriche passe de 92 à 74,41 ; la Hollande de 40,5 à 33,83%.
En
sens contraire, il faut se demander quels sont les facteurs qui ont contribué positivement
au maintien de la présence du catholicisme.
Toujours
pour commencer par le facteur démographique, l’Amérique latine a fait preuve
d’une très belle vitalité. Près de la moitié des catholiques du monde sont
maintenant originaires de ce continent ; c’est une des populations parmi
les plus jeunes du monde (taux de moins de 15 ans au Mexique et en
Colombie : 37% ; taux des 15-30 ans : 31%, à comparer avec les chiffres
de la France : 20 et 23%), elle jouit d’une tradition universitaire plus
ancienne que celle de nombreux pays européens et elle est en train de conquérir
l’Amérique du Nord.
C’est donc une situation
paradoxale : l’Amérique latine a régressé en proportion interne de
catholiques, pour toute une série de motifs que l’on ne saurait analyser ici
que de façon trop sommaire, même si l’on peut imaginer quelle est sa faiblesse
- elle est très peu catéchisée, et donc assez vulnérable au niveau de la foi, notamment
à cause du manque de prêtres (1 prêtre pour 7057 fidèles en moyenne). Et dans
le même temps, c’est elle qui contribue le plus à l’augmentation de la
proportion de catholiques pour l’ensemble du continent américain : C’est
ainsi que grâce au poids croissant des latino-américains, l’Amérique dans son
ensemble est passée de 48% de catholiques en 1913 à 59,9% en 1970 et à 62,84%
en 2000. Les USA sont passés de 16,5% en 1915 à 20,4% en 1969 et 22,51% en
2000.
De plus, les efforts que les
évêques d’Amérique latine ont déployé ces trente dernières années pour susciter
des vocations locales et se débarrasser des idéologies commencent à porter du
fruit et devraient permettre une réévangélisation interne assez rapide.
Pour
revenir à l’échelle du monde, le second facteur a joué également : celui
de l’augmentation de la proportion des catholiques au sein d’un même pays,
synonyme d’évangélisation interne ; cela a permis de compenser la poussée démographique
des pays peu ou pas évangélisés dont on a parlé.
Ainsi,
au cours de ce siècle, la progression de l’Eglise en Afrique est très frappante:
alors que beaucoup de pays ont à peine célébré le centenaire de l’arrivée des
missionnaires, la proportion de catholiques africains est passée de 0,2% en
1914 à 11,6% en 1969, et à 16,47% en 2000. Et la croissance de cette proportion
est exponentielle, elle se détache nettement de la croissance de l’Asie depuis
les années 1995.
Cela ne signifie pas que les
catholiques africains n’aient pas de difficulté, par exemple avec la mainmise
de l’islam : mais l’implantation de celui-ci semble parfois plus politique
que spirituelle, elle n’a pas forcément prise sur les animistes ; par
exemple, c’est la 3e république qui l’avait favorisée dans les
anciennes colonies françaises ; dans des pays comme le Nigéria, ou le
président est passé à l’islam et où certains états ont adopté la charia, les
motivations semblent également très intéressées. Il n’empêche que la foi au
Fils de Dieu fait homme est en pleine expansion, et la proportion citée ci-dessus
ne compte que les baptisés, alors qu’il faudrait rajouter à beaucoup de
paroisses une proportion de 2/3 de catéchumènes.
L’Asie
a également bien progressé à sa manière : passer de 1,43% de baptisés en
1914 à 2,2% en 1969 et 2,9% en 2000, c’est trop peu pour que l’Inde ou la Chine
soient marquées par le Sauveur. Mais en dehors de ces géants, le Vietnam est
passé de 4,5% en 1969 à 6,82% en 2000, l’Indonésie musulmane est passée de 1,5%
à 2,99% dans le même temps, et la Corée, plus spectaculaire, est passée de 2,6%
à 8,56%.
Même
l’Océanie est passée de 17,34% de catholiques en 1914 à 23,1% en 1970 et 26,87%
en 2000.
Concrètement, parmi les vingt
pays qui recensent le plus grand nombre de catholiques, il y en a donc dix
autres qui se maintiennent ou dont la proportion progresse ; ce sont, dans
l’ordre des proportions, l’Italie (qui se maintient à 97,2%), la Pologne (qui
progresse de 93,9 à 95,84), l’Argentine (90,6%), les Philippines (de 80,6 à
82,58%), l’Ex-Zaire (de 42,8 à 53,12%), le Canada (43,8%), les Etats-Unis (qui
restent à 22,51%, mais dont la croissance a repris ces 5 dernières années), le
Nigéria (de 5,7 à 14,39%) et l’Inde (de 1,5 à 1,65%). La Chine était estimée à
0,5% de catholiques en 1949, on la jauge maintenant à 0,77%.
Les petits pays de moins de
10 millions de catholiques sont presque tous en hausse, y compris le Portugal
(qui depuis 5 ans remonte à 94% après un passage à vide), et l’Irlande (de 74 à
76,23%), malgré sa très grave crise des vocations.
Il ne s’agit là que d’une
première série de chiffres : ils renseignent un tout petit peu quant au
respect de la loi naturelle de fécondité, quant à la transmission de la foi à
travers le baptême ou quant à l’efficacité de l’évangélisation par rayonnement,
mais ils disent peu quant à la ferveur interne d’un pays ou à ses crises du
point de vue de la foi.
2. ERECTION DE CIRCONSCRIPTIONS ECCLESIASTIQUES
Il nous faut donc chercher
d’autres indices, plus symptomatiques de la vitalité de l’Eglise, de sa
capacité à se transmettre à la génération suivante.
Une des manifestations de la
croissance interne de l’Eglise se rencontre lors de la création de nouveaux
diocèses. C’est un acte de gouvernement contingent, mais c’est en même temps un
acte primatial par lequel le successeur de Pierre reconnaît qu’en un lieu donné
une communauté particulière a pris suffisamment de maturité pour contenir les
différentes composantes de sainteté, de vocations religieuses et de pasteurs
qui font une Eglise particulière. Or il y avait 2278 circonscriptions
ecclésiastiques en 1969. Elles sont 2992 en 2000. Le nombre d’évêques en
communion avec le Saint-Siège est passé de 2427 en 1962 à 4649 en 2001, y
compris grâce à la réconciliation de la plupart des évêques
chinois schismatiques.
On peut vérifier également
la croissance de la visibilité de l’Eglise au nombre de paroisses. L’Eglise en
comptait 189.951 en 1969. Elles étaient 218.196 en 2000 dont 162.471 avec un
curé résident, alors qu’on ne comptait en 1969 que 151.967 curés résidents.
3. VOCATIONS
Toujours à propos de vitalité
interne, l’indice des vocations au sacerdoce est révélateur du futur d’un pays.
Un pays peut continuer à croître en terme de proportion interne de baptisés, et
ne plus susciter de vocations (cas de l’Irlande). C’est une grave hypothèque
sur la capacité d’évangéliser, c’est non seulement un ressort interne de
générosité qui est brisé ou qui ne trouve pas de lieu pour être accueilli, mais
c’est une transmission de la foi qui ne se fera pas. Qu’on le veuille ou non,
il ne peut pas y avoir d’Eglise sans prêtres.
La première caractéristique
des chiffres actuels concernant les séminaristes, c’est qu’il s’agit de grands
séminaristes : à savoir d’élèves de philosophie et théologie qui ont déjà
au minimum un baccalauréat en poche et souvent un métier. Il faut dire cela
parce que jusqu’à la réforme de Paul VI de l’admission en théologie, on était
clerc dès la réception de la tonsure, et on était séminariste dès le petit
séminaire : c’est-à-dire que l’on dénombrait comme membres du clergé des
gens qui n’allaient jamais jusqu’à l’ordination, et que les chiffres
pléthoriques de séminaristes concernaient beaucoup de collégiens dont la
vocation n’était pas assurée et qui ne persévéraient pas.
Il est déplorable que les
petits séminaires aient été mis pratiquement en veilleuse dans le monde, mais
cette situation a pour conséquence que les vocations actuelles, par rapport à
celles d’il y a trente ans, ont déjà fait un choix plus définitif, ont souvent
renoncé à une place dans la société qu’elles détenaient effectivement, et sont
donc susceptibles d’un plus grand impact sur cette société.
Ceci étant dit, les chiffres
sont là : dans toute son histoire, l’Eglise n’a jamais eu autant de grands
séminaristes que maintenant, leur nombre a quasiment doublé depuis 1975,
passant de 60.142 à 112.244 en 2001.
Ce
tableau appelle quelques commentaires.
On voit d’abord une année
charnière, le jubilé de 1975. C’est l’année d’Evangelii nuntiandi, une exhortation apostolique qui sera
longuement étudiée et commentée à tous niveaux dans l’Eglise. C’est l’année qui
marque la fin de la crise des abandons de prêtre, dont le nombre s’est abaissé
peu à peu jusqu’à se stabiliser en 1984 à un niveau deux fois inférieur à celui
de l’après-guerre.
La
courbe montre également qu’en 1975 l’Eglise sort enfin d’une très grave crise
des vocations. On a trop peu de chiffres antérieurs à 1969 pour savoir à quand
elle remontait au niveau de l’Eglise universelle. Par contre nous possédons les
chiffres pour le clergé diocésain d’un certain nombre de pays, et aussi au
niveau continental.
C’est au niveau des pays que
nous pouvons remonter le plus loin dans l’histoire pour essayer de comprendre
la crise.
Sur les 20 premiers pays du
monde à donner actuellement des séminaristes diocésains, nous en voyons quatre
qui après une croissance très rapide ont chuté de manière tout aussi brutale
entre 1925 et maintenant. Il s’agit de la France, de l’Italie, de l’Espagne et
des Etats-Unis. Après une première crise des vocations déjà dans l’entre deux
guerres, la France avait connu une floraison qui lui permit d’obtenir en 1943
le plus grand nombre de grands séminaristes de son histoire et même de
l’histoire de l’Eglise – au moins au sens moderne de « séminariste ».
Depuis cette date jusqu’en 1976, sa chute sera rectiligne. (On retrouve la même
crise de l’après-guerre en Belgique, en Irlande et en Hollande). L’Italie et
l’Espagne continueront leur phase de croissance des vocations jusqu’en 1961,
puis entreront à leur tour dans une chute plus raide, mais qui les amènera
moins bas et qui s’arrêtera pratiquement à la même date, en 1977 (même dates
pour l’Autriche et le Canada). Les Etats-Unis enfin poursuivront leur phase de
croissance jusqu’en 1969, et chuteront jusqu’en 1995.
Une
considération vaut pour l’Europe uniquement : après avoir commencé à
remonter la pente en 1975, une nouvelle crise des vocations intervient à partir
de 1986, qui touche surtout les pays anglophones et germanophones. Il paraît
symptomatique que cette nouvelle chute soit concomitante à l’instauration de
politiques d’assistants pastoraux laïcs, conçus comme étant un clergé à plein
titre puisqu’on prétend les faire agir au nom de l’Eglise. Les cas de la
Belgique et de l’Allemagne sont particulièrement flagrants.
Pour les autres pays du
monde, et en particulier pour l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie, nous
assistons au phénomène inverse : ils n’avaient que très peu de vocations
jusqu’en 1960 – malgré cinq siècles d’évangélisation, dans le cas de l’Amérique
latine – tandis que le tournant de 1975 leur a donné une impulsion fulgurante.
Pour
interpréter la crise des vocations entre la guerre et 1975, il faudrait donc étudier
le cas des quatre pays principalement responsables du « déficit », et
en particulier le cas de la France, première touchée et qui donnera à
l’Occident le « la » de mai 1968.
Il y a
d’abord une question de dates : la crise démarre pendant la guerre, en France
et en Belgique ; elle avait donc commencé bien avant le Concile. Celui-ci
est au contraire contemporain d’un démarrage inopiné de trois continents, et
l’année sainte 1975, dix ans après sa clôture, marquait le réveil de tous les
indicateurs au niveau de l’Eglise universelle.
Il y a
ensuite la question des motifs. C’est un terrain beaucoup plus hasardeux, et à
propos duquel les sensibilités sont encore très vives, mais on ne peut vivre
sans chercher à comprendre. Le motif de la crise pourrait être principalement intellectuel,
comme si le catholicisme occidental avait douté de lui-même, de son patrimoine,
et n’avait plus été capable de le présenter de façon renouvelée, notamment aux
nouvelles générations d’étudiants. Dans la hantise de se réconcilier avec toute
l’humanité, le clergé abandonnait dans l’après-guerre tout ce qui avait saveur
de dogmatisme pour se jeter à corps perdu dans la pastorale. Dans les
séminaires des années 50, le contenu enseigné ne donnait pas satisfaction, et
de toute manière on n’étudiait plus. On pensait se rendre ainsi proche des
gens, au risque de devenir insignifiant et étranger à son propre monde, et
notamment à ceux qui façonnent la culture ambiante. A travers la crise de la
théologie du sacerdoce, l’incompréhension de ce que peut-être
un changement
« ontologique » et donc de la notion de « caractère » et de
consécration spéciale, toutes rejetées comme une prétention anti-égalitaire,
c’est l’image du prêtre qui s’est dégradée, avec la conséquence qu’elle
n’attire plus. Un indice de cette image peut-être trouvé dans le
rapport du nombre de séminaristes par prêtre, ou son corollaire : combien
de prêtres faut-il pour convaincre un jeune homme de faire étudier sa vocation
au séminaire. Sachant que la formation dure 6 ans en moyenne et qu’une vie
sacerdotale dure une quarantaine d’année, pour que chaque prêtre ait un
successeur il suffirait d’un indice de 0,14 séminariste par prêtre. Voici les chiffres
de quelques pays représentatifs d’un extrême à l’autre :
D’après l’indice actuel, on peut prospecter que dans 40 ans,
chaque prêtre aura eu deux successeurs en moyenne. Cet indice dresse aussi une
« carte » de la crise d’identité : il faut 31 prêtres belges ou
16 prêtres français pour convaincre un séminariste. Tandis que chaque prêtre
indonésien ou chinois peut compter sur une belle fécondité de 7 ou 8
successeurs.
Il serait
intéressant d’étudier comment les autres grands pays, qui ont connu la même
crise que la France, sont retombés sur leurs pieds, et notamment le cas de
l’Italie, qui est remontée de 2746 à 3653 séminaristes diocésains (et 2780
séminaristes religieux), de telle sorte que le nombre de prêtres séculiers s’y
est désormais stabilisé. Ce qui frappe dans le clergé italien, c’est sa
capacité à être en phase avec toutes les couches de la population tout en
restant lui-même, alors qu’ailleurs les efforts d’adaptation semblent avoir
entraîné une perte d’identité. Et puis dans le tempérament péninsulaire, si on
peut s’enthousiasmer pour des idées folles, on est trop pragmatique pour les
appliquer jusqu’au bout et on n’a pas le goût de la rupture.
Il est
également intéressant d’observer le rôle des religieux dans la crise. En un
sens, ils l’ont provoquée, c’étaient eux qui étaient les têtes pensantes, et
ils en portent encore les conséquences : la population cléricale
religieuse est nettement plus âgée que celle du clergé diocésain, sa mortalité
dépasse encore de beaucoup son taux d’ordination, alors que chez les séculiers
dès 1985 les ordinations l’emportaient sur les décès. Le clergé diocésain a
mieux résisté à la crise, son taux de défection a été plus faible et il a
redémarré plus vite. Mais paradoxalement, c’est des religieux ou assimilés que
vient le renouveau : ils ont actuellement nettement plus de vocations à
population égale, et quand leur mortalité va tomber, leur croissance sera
fulgurante. Il ne s’agit pas tant des grands ordres traditionnels, qui ont encore
du mal à sortir des options prises dans les années 50, mais d’une quantité de
création de nouveaux instituts de droit diocésain. En 1974, il n’y avait que
1200 séminaristes religieux à ne pas être recensés dans les grands ordres
traditionnels. Ils sont maintenant 8000 à l’échelle de l’Eglise. Sur les 1537
séminaristes français de l’an 2000, 597 sont recensés comme religieux, sans
compter tous ceux qui passent par la filière du clergé diocésain tout en étant
issus et soutenus par une communauté ou un mouvement qui ne sont pas
diocésains.
Enfin
il faut noter l’importance de créer des institutions pour accueillir les
vocations ; c’est un lourd sacrifice financier pour les diocèses, qui
révèle tout un climat porteur, notamment de prières pour les vocations : on
avait 606 grands séminaires diocésains en 1963, ils sont 1122 en 2000. La
Colombie a créé ainsi près de 40 séminaires diocésains en trente ans, alors
qu’elle n’a encore que 71 circonscriptions.
3. PROPORTION DES VOCATIONS
Il ne
suffit pas de constater que trois continents suffisent à compenser le déclin
des vocations en Europe, et ne ressentent qu’indirectement les conséquences de
la crise culturelle de l’Occident. Il s’agit de voir en quoi leur richesse
relative est suffisante par rapport aux besoins. Or il y a deux types de
besoins : il s’agit d’abord de transmettre la foi aux nouvelles
générations ; le travail effectif qu’implique ce rôle de père est lié au
quotient du nombre de catholiques par prêtre, c’est un indicateur de leur
charge pastorale habituelle, un travail de « maintenance ». Ensuite,
il s’agit d’évangéliser ceux qui ne sont pas encore au nombre des brebis :
certains se trouvent mêlés à la population catholique, et dans ce cas c’est la
ferveur de cette population qui convertit : « C’est une église pleine
qui attire au Christ » disait saint Ambroise. Mais la plupart des
non-catholiques se trouve dans des pays où les chrétiens n’ont quasiment pas de
visibilité en tant que tels.
(Ce tableau ne tient pas
compte du cas de l’Arabie Saoudite, puisque ses 900.000 fidèles n’ont pas droit
d’accès aux deux prêtres généralement présents).
Quant à la première tâche,
le Concile de Trente avait souhaité, pour que les pasteurs puissent connaître
leurs fidèles, que l’on dispose d’une moyenne d’un prêtre pour 2000 fidèles. La
moyenne actuelle de un pour 2579 pourrait sembler satisfaisante. En réalité elle
cache de très grosses disparités. On voit que les difficultés de l’Amérique
latine à garder ses fidèles semblent liées au faible nombre de pasteurs. De
bons séminaires ont été créés dans un très grand nombre de diocèses ces trente
dernières années, mais il faudrait réussir à tripler les effectifs actuels du
clergé pour obtenir une situation « normale ». D’autre part, il y a
de très grosses disparités dans la visibilité. Les prêtres comme signes
agissent dans toute leur activité en tant qu’ils sont visibles. Or le clergé
jeune et sans complexe de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie, est
peut-être plus repérable que celui de l’Occident malgré ses sous-effectifs.
Enfin il y a des disparités dans la manière de ressentir la charge : les
récents synodes des évêques montrent qu’à l’échelle de l’Eglise universelle,
une proposition visant à atténuer l’exigence du célibat ne rencontre absolument
aucun écho. Les pays qui auraient objectivement besoin de renforts ne sentent
pas leur charge tellement lourde qu’elle vaille la peine de modifier l’image du
prêtre célibataire. Tandis que les pays qui réclament sourdement un tel
changement sont ceux où les prêtres ont le moins à faire, comme la Suisse ou la
Belgique.
Ce
qui fait difficulté actuellement, c’est plutôt la seconde tâche, comme si l’Eglise
avait refroidi son ardeur envers 82% de l’humanité qui n’ont pas le bonheur de
jouir de la Parole de vérité et de ses sacrements. Pour gagner ces brebis qui
ne sont pas du bercail, il n’y a qu’une seule façon réaliste, c’est l’envoi de
missionnaires. Voici quels sont les pays qui ont actuellement le moins de
prêtres par habitants :
La
présence catholique a bien parfois augmenté dans ces pays, mais plutôt du fait
des déplacements de population ; c’est ainsi qu’il y a 880.000 catholiques
en Arabie Saoudite (4,4% de la population), mais ils sont réduits à l’état de
catacombes. Ce manque de visibilité, lié au manque de liberté religieuse, est un
des plus grands obstacles à l’évangélisation. Il faudrait que les prêtres qui
s’y trouvent, souvent clandestinement, puissent jouir d’un statut pour que
l’Evangile prenne pied sur la place publique. Le Saint-Siège s’y emploie,
notamment par un gros effort pour développer la présence de légats du Pape auprès
de la population, et par l’instauration de relations diplomatiques.
Le
nombre de pays qui ont ainsi demandé des relations avec le Saint-Siège a doublé
en trente ans, passant à 175 pays plus 5 organisations internationales en 2003.
Curieusement, les pays soumis à la loi islamique, très rigides officiellement
sur la question des conversions, se sont montrés demandeurs de telles relations
diplomatiques, qui permettent notamment d’évangéliser à travers les
institutions d’éducation et de bienfaisance. On se rappelle l’affaire du
concordat avec le Maroc. Le dernier en date est le Qatar, dont 5,6% de la
population est catholique, et qui a consenti à la construction d’églises.
Mais
l’essentiel du travail est encore à faire : ce dont l’Eglise a le plus
besoin actuellement, c’est d’instituts et de vocations qui se consacrent à cet
apostolat spécifique auprès de pays entiers ou le Christ n’a quasiment pas
droit de cité.
CONCLUSION :
Il ne s’agit là que de chiffres. Seul celui qui a la vision de
l’ensemble et la grâce d’état pour le gouverner peut leur donner une juste
interprétation. Voici donc ce que pensait notre Saint-Père de la situation en
1990 déjà : « Les fruits missionnaires du Concile sont déjà
abondants: les Eglises locales se sont multipliées, avec leurs évêques, leur
clergé et leur personnel apostolique (…) Cependant, (…) des difficultés internes et externes ont affaibli l'élan
missionnaire de l'Eglise à l'égard des non-chrétiens, et c'est là un fait qui
doit inquiéter tous ceux qui croient au Christ. Dans l'histoire de l'Eglise, en
effet, le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même
que son affaiblissement est le signe d'une crise de la foi » (Encyclique Redemptoris missio).
Puissent donc les tensions internes qui
affaiblissent et déchirent certaines Eglises et Institutions locales,
disparaître devant la ferme conviction que le salut des communautés s'acquiert
par la coopération à l'oeuvre missionnaire !
Jules Thomas
D’après
les chiffres aimablement fournis par la Congrégation
pour le Clergé